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788. AU MARÉCHAL DE FRANCE DUC DE BELLE-ISLE A VERSAILLES.

Trübau, 12 avril 1742.

Monsieur. La lettre du 25 de mars que je viens de recevoir de votre part, m'a causé le plus sensible plaisir, lorsque j'y ai vu la destination que Sa Majesté le Roi votre maître a fait de votre personne pour prendre le commandement de l'armée de Bohême, et je vous en félicite de tout mon cœur, étant très persuadé du bon effet que cela opèrera à la cause commune.

Depuis la dernière que je vous ai écrite, il y a eu du changement dans notre position de ce côté-ci, dont il faut que je vous explique les raisons d'une manière un peu circonstanciée.

Après que je m'étais enclavé avec toutes mes troupes entre la Schwarzawa, la Morawa et la Taya, pour céder aux Saxons les autres quartiers en avant, formant par mon aile droite le blocus de Brunn, j'étais convenu avec les Saxons qu'ils bloqueraient cette ville de leur côté. Mais peu après, le Chevalier de Saxe me marqua par ses lettres que toute son infanterie se réduisait à 5,000 hommes de gens capables pour faire le service, et qu'il lui fallait ainsi toute son infanterie pour faire le blocus de Brunn. J'en eus beaucoup de chagrin, d'autant plus que par là, et par l'évacuation de Znaym, de Teltsch et de Budwitz de la part des Saxons, mon principal objet était manqué, qui fut de tenir en respect, par les attentions sur la Basse-Autriche, le prince Charles de Lorraine et le prince Lobkowitz, pour ne pas marcher sur M. de Broglie. Mais quoi que je pusse faire, les Saxons traînèrent de temps à d'autre le blocus formel de Brünn.

En attendant, nous fûmes souvent alarmés par la garnison de Briinn; les Autrichiens firent brûler peu à peu plus de vingt villages, pour inquiéter nos troupes; la subsistance commença à nous manquer; il n'y avait guère du charroi pour transporter les vivres et fourrages nécessaires; les gens du plat pays s'enfuirent, à l'instigation de la cour de Vienne, dans les bois et les montagnes; les hussards ennemis nous entourèrent de tout côté pour nous dérober la subsistance et pour nous empêcher de faire des amas de magasins; les Saxons ne prirent point de mesures pour amener leur artillerie vers Brünn, et toutes leurs manœuvres étaient de la sorte que j'eus lieu de croire qu'ils n'avaient pas grande envie de faire le blocus et le siége de Brünn.

Depuis, M. de Valory me manda par un courrier que, selon des avis que M. de Broglie avec M. de Séchelles venaient d'avoir, le prince Charles de Lorraine irait tomber dans peu de temps en force bien supérieure à M. le maréchal de Broglie, qui serait obligé par là de se retirer sous les canons de Prague, où il aurait même bien de la peine à se maintenir, sans notre secours, jusqu'au temps qu'il serait joint par