781. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Wischau, 6 avril 1742.

Par les mêmes raisons que je vous ai mandées dans ma précédente, je vous adresse ci-joint chiffré le précis des raisons que j'ai eues de marcher avec une partie de mes troupes de la Moravie en Bohême. Immédiatement après que vous l'aurez déchiffré, vous le ferez lire à M. le Cardinal, et vous manderez après ce qu'il vous en aura dit. Je suis etc.

Federic.

Précis des raisons qui ont déterminé le roi de Prusse de marcher avec ses troupes de la Moravie en Bohême.

Il est à considérer que l'année passée les Autrichiens ont tiré leurs magasins de la Moravie, et que leur armée en Silésie en a subsisté jusqu'au mois d'octobre, ce qui avait dépouillé considérablement le pays de grains et de chevaux.

Comme j'avais conçu le dessein de venir en Moravie, j'avais cru, selon la voix commune, que l'armée du maréchal de Broglie était forte de 30,000 hommes, quoiqu'elle n'eût guère passé les 10,000 hommes. Qu'on avait cru les Saxons forts de 22,000 hommes, qui en effet ne l'ont été que de 14,000 hommes.

Sur cela j'avais fait mes dispositions, et j'avais joint 14,000 hommes de mes troupes à ces troupes de Saxe.

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Qu'après l'affaire d'Iglau les Saxons avaient voulu s'en aller, ce qui a retardé les opérations de huit jours. Que le cercle d'Iglau ayant été entièrement mangé par l'ennemi, j'avais voulu faire marcher les Saxons à Frating et à Waidhofen, et qu'à cette fin je m'étais porté dans la Basse-Autriche jusqu'à Rötz et autres postes avancés; mais comme ni le comte Rutowski, ni le Chevalier de Saxe, dont j'ai les lettres encore en main, n'avaient jamais voulu suivre mes ordres et représentations, après quinze ou seize jours que les Saxons étaient entré à Teltsch et Iglau, ils étaient affamés, comme je l'avais prévu.

Sur quoi les Saxons m'avaient demandé la cession de mes quartiers de Znaym et de ces environs-là. Que pour leur donner des marques de ma condescendence et des soins que je voulais avoir pour leur troupes, je leur avais cédé tous les quartiers de Znaym et Budwitz qu'on m'avait demandés, et que je m'étais enclavé avec le corps de toutes mes troupes entre la Schwarzawa, la Morawa et la Taya, formant par mon aile droite le blocus de Brünn. Nous étions convenus alors que les Saxons bloqueraient de leur côté Brünn; mais que j'avais reçu des lettres du Chevalier de Saxe que toute son infanterie ne se réduisait qu'à 5,000 hommes de gens capables pour faire le service, ainsi qu'il lui fallait toute son infanterie sans exception pour faire le blocus de Brünn.

Que j'avais eu beaucoup de chagrin de ces menées, d'autant plus que par l'évacuation de la part des Saxons de Znaym, de Teltsch et de Budwitz le but de mon dessein était manqué, dont le principal objet était de tenir, par les attentions sur la Basse-Autriche, le prince Charles de Lorraine et le prince Lobkowitz en respect, par l'appréhension que s'ils marchaient sur M. le maréchal de Broglie, ils seraient coupés par leur derrière de Krems et de Linz.

Depuis ce temps-là, les Autrichiens ont fait brûler par une troupe d'incendiaires plus de vingt villages de nos cantons. Les hussards, dont le nombre se réduit à plus de 6,000 hommes, qui nous entourent tant du côté de la Basse-Autriche que de la Hongrie, de la Bohême et de la Haute-Silésie également, nous dérobent toute la subsistance et nous empêchent de faire des magasins. Les paysans, qui par ordre de la cour de Vienne s'enfuient dans les bois et les montagnes, rendent les habitations désertes, et, à nous, la subsistance si difficile, qu'à peine nous en avons huit jours d'avance pour l'armée.

Le roi de Pologne, malgré les représentations que je lui avais faites, n'a point encore fait jusqu'ici le moindre arrangement pour la grosse artillerie.

Il n'y a point de rivière navigable dans toute la Moravie. La Haute-Silésie est un pays mangé par les armées et par les quartiers d hiver. Les charrois d'Olmütz à Pohrlitz ont 24 grandes lieues de France à faire. Il n'y a presque point de chevaux dans le plat pays, de façon que je ne vois pas comment nous pourrions ouvrir la campagne dans ce pays-ci.

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Cependant, à force d'industrie et de peines, on aurait peut-être trouvé des moyens de faire la campagne, mais la raison principale qui m'a déterminé de marcher en Bohême, est la lettre de M. de Valory et les sollicitations pressantes de M. de maréchal de Broglie, à cause des avis qu'on avait reçus que le prince de Lorraine irait tomber sur lui et sur Prague.

Effectivement, si les Autrichiens tentaient contre M. le maréchal de Broglie, l'expédition de la Moravie serait toujours perdue, puisque les Saxons voudraient couvrir leur pays, et que je me verrais obligé de défendre la Basse-Silésie. De plus, je trouve de la subsistance en Bohême, par les bons arrangements du prince Léopold.

Les Saxons iront droit à Prague, par les ordres que je leur ai donnés, s'ils les exécutent.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.