1179. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Potsdam, 30 août 1743.

J'ai reçu votre relation du 13 de ce mois. On ne saurait mieux penser que vous le faites sur la conformité naturelle d'intérêts mutuels entre la Russie et moi, et sur la jalousie et l'ombrage que les autres cours en pourraient concevoir. J'ai été même très satisfait des assurances que vous me donnez que je n'ai rien à craindre de la part de la Russie, dans l'état où elle est, et je comprends assez qu'il est de ma convenance que l'Angleterre et la France se contrebalancent l'une l'autre à cette cour. Mais comme il y aurait, pourtant, toujours à craindre que la balance ne puisse être emportée, ou d'un côté ou de l'autre, mon intention est que vous devez profiter du moment présent, si favorable pour mes <412>intérêts, pour travailler de toutes vos forces afin de rendre les liaisons entre moi et la cour de Russie si parfaites que moi seul, à l'exclusion des autres, sois le plus favorisé, et que j'y puisse faire seul la pluie et le beau temps, selon ma convenance. Encore souhaiterais-je que, si jamais je trouvais nécessaire d'arrêter en Allemagne les desseins trop ambitieux des cours de Vienne et de Londres, je pourrais disposer l'Impératrice alors de faire joindre quelques-unes de ses troupes, ne fussent-elles que 4 ou 5,000 hommes, aux miennes, pour avoir sa part à la gloire d'avoir rendu la paix à l'Allemagne et de l'avoir sauvée de l'oppression dont elle est menacée.

C'est pourquoi je vous ordonne encore une fois d'employer tout votre savoir-faire dans le moment présent, pour me gagner absolument la cour de Russie, et de n'épargner rien de tout ce que vous trouverez à propos pour y réussir. Aussi, pour vous mettre en état d'y employer des moyens efficaces, ai-je fait ordonner en secret au comptoir de Splittgerber à Pétersbourg de payer sur vos ordres jusqu'à 20,000 écus, dont vous pourriez disposer pour réussir dans ce que je désire, et en cas même que cette somme ne puisse suffire, je ferai remettre encore autant, pour, que vous ne manquiez pas dans votre coup, étant persuadé moi que c'est l'heure de berger où il faut que j'aie la Russie, ou que je ne l'aurai jamais.

P. S.

Je viens d'envoyer par le colonel Grape un petit présent d'armes à feu pour le sieur de Brummer, ce que vous pourrez dire préalablement à celui-ci. Comme j'ai aussi écrit à l'Empereur pour qu'il ne fasse plus de difficulté de donner le titre de Sa Majesté Impériale à l'impératrice de Russie, au moins par sa chancellerie domestique, j'espère que cela ne sera pas sans effet, et vous pouvez bien faire usage de cette mon attention pour tout ce qui peut faire plaisir à l'Impératrice. Au reste, j'attends tout de votre fidélité et savoir-faire, pour que je vienne à mon but selon les instructions que vous avez reçues de ma part; surtout, vous tâcherez d'éloigner et de culbuter ceux qui nous sont en chemin.

Federic.

Nach dem Concept; das P. S. nach Abschrift der Cabinetskanzlei.