1507. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A MOSCOU.

Potsdam, 15 juillet 1744.

La dernière que j'avais reçue de vous, était du 11 du juin passé, lorsque je reçus vos relations à mes mains propres du 23 et du 24 du<215>dit mois, avec vos relations ordinaires, depuis N° 48 jusqu'à 51 inclusivement.

Quant à l'affaire du marquis de La Chétardie, je me suis déjà expliqué sur mes sentiments là-dessus par les rescrits qui vous ont été expédiés du département des affaires étrangères; à quoi je n'ai rien à ajouter, sinon que je suis bien aise que vous n'ayez pas été enveloppé dans cette malheureuse affaire, et quoique je plaigne vos amis que l'imprudence du marquis de La Chétardie, en ce qu'il a confié des relations de la dernière importance à la poste ordinaire, a extrêmement commis, je suis pourtant charmé d'apprendre que cela n'a guère eu de suites, quoique je ne doute pas que l'Impératrice ne conserve contre l'un ou l'autre quelque amertume de cœur, et surtout contre la princesse mère d'Anhalt-Zerbst.

Pour le peu de soin que l'Impératrice continue de prendre à sa conservation, je ne blâme point la précaution que vous avez prise de brûler vos papiers, en apprenant l'arrêt du marquis de La Chétardie; s'il y en a pourtant quelques-uns dont vous pourriez avoir besoin, vous n'avez qu'à me les indiquer, et j'aurai soin qu'on vous en envoie des copies. Comme je vous envoie par le courrier présent le projet du traité de triple alliance, je joins ici l'extrait d'une lettre que je vous ai écrite sur ce sujet en date du 3 de mai de cette année.

Quoique je ne croie nullement fondé le bruit qui. a couru qu'on ait trouvé la clef de votre chiffre, néanmoins, pour n'avoir rien à craindre, je vous envoie ci-clos un nouveau chiffre, dont vous vous servirez à l'avenir. Il est faux qu'on ait demandé votre rappel par un courrier envoyé ici, et je ne comprends pas quelles insinuations la cour de Vienne aurait pu faire contre vous; toutefois vous tâcherez de vous en éclaircir, et, s'il y en a quelque chose de vrai, m'en donner bientôt des nouvelles.

Je vous ai déjà fait avertir du départ du ministre de la reine de Hongrie, le comte de Rosenberg, d'ici vers Moscou; comme c'est un homme fin et rusé, et qu'il n'y a pas à douter qu'il se liera fort avec les ministres anglais et saxon, pour me nuire et pour attirer l'Impératrice dans leur parti, vous ne manquerez point de redoubler votre attention et tout votre savoir-faire, pour les contrecarrer et faire échouer tous leurs desseins pernicieux. Quant aux sommes que je vous ai confiées pour en faire l'usage convenable à mes intérêts et mes desseins, vous en disposerez librement comme vous le trouverez à propos; aussi, comme l'heure du berger paraît passée sur le dessein de ruiner le vicechancelier Bestushew dans l'esprit de sa souveraine, je laisse à votre considération s'il est possible de gagner pour moi le vice-chancelier Bestushew, par les moyens que je vous ai indiqués dans ma lettre du 4 du juin passé, et, en cas que vous le croyez faisable, je laisse purement à votre discrétion quand et comment vous vous y prendrez. Enfin, vous ferez tout ce que vous trouverez convenable de faire, pourvu que <216>vous réussiez à ce que je n'aie rien à craindre de la Russie pendant cette année et pendant l'année qui vient ; ces deux ans passés, sans que je sois inquiété ou troublé de la Russie dans les desseins que je vais entreprendre, je ne m'en soucierai pas tant alors. Sur ce qui est du passage mal chiffré dans ma lettre du 4 de juin, il faudra lire savoir: la somme de cent ou cent-vingt mille, même jusqu'a 150,000 écus;216-1 et afin que vous soyez aussi en état d'employer ces sommes, lorsque la nécessité le requerra, je viens d'ordonner au sieur Splittgerber de tenir encore la somme de cent mille écus prête à votre disposition dans son comptoir à Pétersbourg.

Au reste, il faut que je vous dise que comme les circonstances deviennent de jour en jour plus dangereuses pour l'Empereur Romain, de manière que, si je tarde plus longtemps à le secourir efficacement, il sera absolument forcé de plier sous le joug autrichien et de se rendre à discrétion et à telles conditions que la cour de Vienne lui voudra prescrire, je me vois forcé de passer sur toutes autres considérations et de faire la levée du bouclier en faveur de l'Empereur dans le mois d'août qui vient. Comme il n'est point à douter que les Autrichiens avec les Anglais ne feront alors bien des criailleries à la cour où vous êtes, et tenteront jusqu'à l'impossible pour indisposer l'Impératrice contre moi et pour la faire entrer dans leur parti, alléguant peut-être l'accession à la paix de Breslau que l'Impératrice avait faite et par où elle était obligée de secourir la reine de Hongrie, mon intention est que, vers le 13 du mois d'août qui vient, vous devez tâcher d'avoir une audience secrète auprès de l'Impératrice et lui dire en mon nom que des circonstances très critiques et dangereuses m'avaient obligé à la fin de donner des troupes auxiliaires à l'Empereur, pour ne le laisser point opprimer des Autrichiens, qui venaient d'obliger ses troupes à se retirer du territoire du Saint-Empire et qui commençaient à présent de dire hautement qu'il fallait annuller l'élection de l'Empereur présent et faire une autre en faveur du grand-duc de Toscane; que comme la reine de Hongrie avait toujours cherché à faire tout le mal possible à l'Impératrice et à l'ordre de succession établi par elle, et que l'Impératrice avait même plusieurs fois déclaré que cela lui ferait plaisir, si je voulais entamer la reine de Hongrie,216-2 j'espérais que l'Impératrice apprendrait volontiers la résolution que j'avais prise, et qu'elle ne serait nullement contraire à mes desseins, qui n'avaient pour but ni de m'agrandir ni de faire des conquêtes, mais uniquement de rétablir la paix dans l'Empire, de soutenir son système et d'aider l'Empereur à rentrer dans ses possessions et ses droits, dont on l'avait privé de la manière la plus injuste et la plus criante ; que tout ce que j'entreprenais sut cela, n'avait nul rapport à la paix de Breslau où l'Impératrice était accédée, et que j'attendais de l'amitié de l'Impératrice qu'elle voudrait bien faire insinuer <217>au roi de Pologne qu'elle souhaitait qu'il ne me contrariât point dans ce dessein. Enfin, vous ne manquerez pas de faire tout le détail possible à l'Impératrice des raisons bien fondées que j'ai eues pour ne pas laisser opprimer tant de puissances respectables par l'orgueil et l'ambition démesurée de la cour de Vienne et de ses adhérents, et t'est pour cet effet que je vous envoie ci-clos la copie du canevas d'un manifeste que je vais faire publier d'abord que mes troupes commenceront- à agir,217-1 qui pourtant ne vous servira présentement à autre chose que pour vous fournir seulement des matériaux sur les insinuations à faire à l'Impératrice, et que vous ne laisserez voir à qui que ce soit, avant que je ne vous l'aurai fait communiquer solennellement.

En tout cela, vous observerez deux choses:

1° que vous tâcherez de dire vous-même tout ce que dessus à l'Impératrice, pour que je n'aie à craindre que, si cela se fait pai Bestushew ou par un autre, cela soit mal expliqué;

2° que vous devez chercher à prévenir ceux du parti autrichien et anglais, afin que ceux-ci ne peuvent pas préoccuper l'esprit de l'Impératrice; vous observerez toutefois que vous ne lui parliez qu'à peu près vers le 13 du mois d'août.

Après avoir exécuté tout ce que je viens de vous ordonner, vous ne manquerez pas de m'instruire par une relation bien détaillée, que vous m'enverrez par un exprès, de la réponse que l'Impératrice vous a faite.

Federic.

Nach dem Concept.



216-1 Vergl. oben S. 169.

216-2 Vergl. Bd. II, 497. III, 106.

217-1 Vergl. unten S. 242.