1626. AU MARÉCHAL COMTE DE SECKENDORFF A VILSHOFEN.

Quartier général de Bohdanetz, 14 novembre 1744.

Monsieur. La dernière que j'avais reçue de votre part, était du 8 d'octobre, lorsque j'ai reçu presque à la fois les vôtres du 17 et du 31 dudit mois, par lesquelles j'ai appris avec une satisfaction infime les progrès que vous avez faits en Bavière, dont je vous félicite du meilleur de mon âme, ne souhaitant rien tant au monde que de voir succéder <319>les entreprises que vous faites pour la bonne cause de Sa Majesté Impériale:

Comme vous désirez d'avoir de mes nouvelles sur ce qui s'est passé ici par rapport à mes opérations, je vais vous satisfaire par le petit, mais sincère et véritable détail qui va suivre. Lorsque j'avais pris Budweis et Tabor,319-1 je pris la résolution de passer la Moldau à Tein,319-2 dans le dessein d'attaquer le prince Charles, qui, selon les nouvelles que j'avais alors, devait camper avec son armée auprès de Wodnian; mais, lorsque je fus arrivé vers les environs de Wodnian, j'appris qu'il campait auprès de Mirotitz, qu'il faisait construire six ponts sur la Moldau, et que le corps de l'armée saxonne qui était entré en Bohême, menant toute son artillerie avec soi, marchait vers Prague; sur quoi, je trouvai nécessaire de repasser la Moldau à Tein.319-3 Deux bataillons de grenadiers, soutenus de deux régiments de hussards, firent alors l'arrièregarde, laquelle fut attaquée à Tein319-4 par 4,000 Croates et Pandoures, outre 3,000 hussards et quelques dragons, commandés par Nadasdy, Ghillanyi, Trenck, et autres. Ils tombèrent avec fureur sur nos gens, tâchant de les accabler par leur nombre, mais tous leurs efforts furent inutiles, et nos hussards taillèrent jusqu'à 600 Croates et Pandoures en pièces et firent un capitaine, deux lieutenants et trente huit hussards prisonniers, sans qu'il nous coûta que dix grenadiers, quarante hussards, et environ cent hommes de blessés.

Deux choses m'obligeaient alors de me rapprocher de Prague: 1° puisque je n'avais que 6 bataillons dans Prague ; 2° qu'en partant de mon pays, je n'avais pris que pour un mois de la farine pour mon armée, et qu'il nous avait été impossible d'assembler ni farine ni la moindre chose nécessaire à la subsistance de l'armée ni à Tabor ni à Budweis, par rapport à la multitude de troupes légères qui nous empêchaient de faire entrer dans notre camp jusqu'à la moindre chose. Comme je n'avais pas eu le temps de faire entrer assez de munition dans Budweis, et Tabor, et que les Autrichiens n'y en avaient guère laissé, j'aurais déjà évacué alors ces deux places, si je n'avais pas eu dans l'idée que le prince Charles, en passant la Moldau, ne pouvait avoir autre dessein, que de venir me combattre. Je fus informé bientôt que le prince Charles avait détaché une avant-garde de 10,000 hommes vers Beneschau, ce qui fit que je détachais un corps semblable, qui gagna aussi Beneschau, quelques heures devant les ennemis ;319-5 sur quoi, le prince Charles marcha du côté de Marschowitz. Je conçus alors le dessein d'engager une affaire avec lui, et, en conséquence de cela, je marchai vers Marschowitz,319-6 mais j'y trouvai toute l'armée ennemie postée sur une montagne, la moitié dans un bois, ayant au pied de la montagne un fond marécageux, et sur la gauche du côté de Neweklau trois grands lacs, ainsi qu'il ne <320>me resta d'autre terrain que pour former tout au plus cinq ou six bataillons. Ayant donc vu qu'il n'y avait rien à faire là, je rentrai dans mon camp.320-1 Ayant appris alors qu'un détachement de 10,000 hommes sous le général Ghillanyi s'était mis à marcher vers Kammerburg, j'y détachai320-2 le général Nassau avec un corps à peu près semblable, qui les y trouva et les débusqua de leur poste, qu'ils furent obligé de quitter avec confusion.320-3 Dès que je m'aperçus que le dessein des Autrichiens était de ne pas combattre, j'envoyai des messagers à Tabor et Budweis pour faire évacuer ces places,320-4 mais tous ces messagers n'avaient point trouvé moyen de rendre mes lettres aux commandants respectifs, ainsi que Tabor a été repris de l'ennemi320-5 par des bombes qui avaient mis en feu la ville, et Budweis,320-6 faute de poudre, qu'on n'y avait plus. En suite de cela, le corps de Ghillanyi passa la Sazawa;320-7 le général Nassau ayant appris que Ghillanyi voulait marcher à Kolin, y marcha avant lui et s'y jeta;320-8 ce qui obligea l'ennemi à se replier vers Kuttenberg ; et le prince Charles, ayant suivi la marche de Ghillanyi, passa aussi la Sazawa. Pour moi, je marchai alors à Böhmisch-Brod,320-9 et je pris le camp de Kaurzim320-10 que les Autrichiens voulaient prendre, tous leurs fourriers et Fourierschützen y venant déjà pour tracer le camp.

J'ai détaché de là dix bataillons pour soutenir la ville de Pardubitz, où j'ai un magasin, et qui est un poste soutenable par la quantité de troupes qu'on y met. Ensuite de cela, je pris le camp de Radbors, le même jour320-11 que les Autrichiens avaient envoyé leurs fourriers pour le prendre, afin de me couper par là de Kolin. Les deux armées n'ont été plus éloignées là, l'une de l'autre, qu'à un petit demi-mille; les Autrichiens s'étaient tous mis sur la hauteur, d'une montagne où il y a une petite chapelle, nommée Saint-Jean-Baptiste, et derrière les marais de Maleschau, de façon que, postés comme ils étaient, il nous aurait été impossible de les attaquer. Les deux armées restèrent ainsi cinq jours en présence l'une de l'autre, et il ne se passa rien, hormis que tous les jours des escarmouches des postes avancés, les uns sur les autres.

Le 8 de ce mois, la gelée étant plus forte qu'elle n'avait été, et les fourrages étant entièrement consumés, je résolus de passer l'Elbe pour mettre mon armée en cantonnement ; les ennemis, s'étant imaginés alors que j'allais abandonner Kolin, venaient le 9 à midi, forts de 7,000 hommes, pour attaquer ce poste,mais y ayant trouvé dix bataillons placés derrière de petites murailles dans le faubourg, ils en ont été repoussés comme il faut.

A présent, nous sommes en position à pouvoir nous rassembler sur tel endroit où l'ennemi voudra tenter de passer l'Elbe. Le 13, l'ennemi <321>décampa de la chapelle surmentionnée et marcha en front vis-à-vis de l'Elbe à Neuhof; il fait actuellement des détachements derrière soi, pour occuper, apparemment, les endroits qu'il destine pour ses quartiers d'hiver. L'ennemi, qui a campé jusqu'ici pendant des gelées terribles, et qui manque souvent de pain, doit avoir extrêmement ruiné son armée, tandis que la mienne est sous les toits, et, ayant Kolin et Pardubitz, cantonne tranquillement jusqu'à ce que l'ennemi se soit séparé.

La grande difficulté qu'il y aura, sera de pouvoir ramasser des fourrages pour l'année qui vient, et une cavalerie comme la mienne, forte de 22,000 mille chevaux, avec tous les autres chevaux de l'armée, qui montent jusqu'à 5,000, nous obligeront de nous élargir dans nos quartiers autant que nous pourrons. La subsistance pour le courant de l'année nous sera très difficile, et je ne vois encore point de jour pour pouvoir amasser deux mois de magasins pour l'année qui vient. La Bohême n'étant pas un pays fait pour que de grandes armées y puissent agir et subsister, les Autrichiens ont si fort ruiné les endroits où ils ont été, que les paysans mêmes ont quitté leurs demeures.

Sur ce qui est des autres points de votre lettre du 17 du mois d'octobre dernier, je trouve excellente la proposition que vous avez faite au comte d'Argenson, touchant la marche à faire du comte de Clermont, et j'espère que la cour de France la goûtera; mais quant aux miliciens de Bohême, que vous demandez pour vous en servir de recrues pour compléter les régiments impériaux, il faut que je vous dise, en premier lieu, qu'ayant trouvé la plupart de ces miliciens, à leur sortie de Prague, gens surveillés et incapables à servir, je n'ai pas voulu me charger d'un aussi grand nombre de gens inutiles; c'est pourquoi j'ai ordonné qu'on laissât aller tous gens hors d'état de servir et dont une grande partie sont domiciliés en Bohême. Le reste que j'ai gardé, me doit servir pour en faire l'échange contre des prisonniers qu'on a faits par ci par là de mes gens, valets ou palefreniers, ce dont je n'ai pas pu me dispenser; ainsi, avec toute la meilleure volonté du monde, je ne puis point vous assister de ces gens.

En second lieu, il faut que je vous dise que le tour que vous proposez pour faire le transport de pareilles recrues, me paraît infiniment difficile et coûteux; pour ne pas dire que le ministère saxon à Dresde m'a fait déclarer expressément, par ordre du Roi leur maître, qu'il ne pourrait plus laisser passer par la Saxe ni munition de guerre ni prisonniers; je veux seulement vous donner à considérer combien de circonstances il faudrait pour mener autant de recrues contre leur gré par un si grand détour et par tant de territoires différents, et je suis persuadé que vous avouerez que le jeu ne vaudrait pas la chandelle.

Touchant les officiers que vous demandez de moi, vous concevrez de même l'impossibilité qu'il y a de vous en fournir, pendant un temps de guerre où je suis, où j'en perds par ci par là, de manière que j'engagerais moi-même très volontiers des officiers habiles, si j'en pouvais <322>trouver. J'espère même que Sa Majesté Impériale voudra tenir rigoureusement sur la défense qu'elle, selon vous, a faite de ne me débaucher aucun de mes officiers, ni de lui en proposer aucun pour son service avant qu'il n'ait un bon congé de moi, et certainement, si on n'y tient la main, cela ne pourra faire jamais un bon sang entre nous.

Au reste, Monsieur, il n'y a personne qui vous souhaite plus de bonheur et de succès dans toutes vos entreprises que moi. S'il se passe dans ces cantons quelque chose de digne de votre attention, je ne manquerai point de vous en donner des nouvelles, quoique je craigne que par le grand détour que nos lettres sont jusqu'à présent obligées de faire, elles ne soient un peu de vieille date. Je vous prie d'être persuadé de la parfaite estime et des sentiments de considération avec lesquels je suis à jamais, Monsieur, votre très affectionné ami

Federic.

Nach dem Concept.



319-1 Vergl. oben S. 297.

319-2 4. October.

319-3 8. October.

319-4 9. October.

319-5 17. October.

319-6 24. October.

320-1 25. October.

320-10 3. November.

320-11 4. November.

320-2 26. October.

320-3 27. October.

320-4 Vergl. S. 310.

320-5 20. October.

320-6 22. October.

320-7 26. October.

320-8 31 October.

320-9 1. November.