1676. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION COMTE DE PODEWILS A LA HAYE.

Berlin, 2 janvier 1745.

Je vous ordonne de déchiffrer vous-même ce qui suit, aussitôt que votre santé et vos forces vous le permettront.

Comme la France a secrètement formé le projet d'aller tomber tout d'un coup sur Nimègue et de pénétrer dans le cœur de la Hollande, aussitôt qu'elle aura ramassé assez de troupes pour exécuter et soutenir cette expédition, on m'a sondé de loin sur ce projet et si je ne serais pas d'humeur à m'y prêter et à y employer mes troupes et mes places fortes dans les pays de Clève et de Gueldre, pour en faciliter l'exécution. Mais bien loin d'y donner les mains ou d'y fournir la moindre chose, j'ai eu ce projet en horreur, d'autant qu'il tend à un bouleversement total de la République, pour la conservation de laquelle j'ai toujours conservé les plus tendres soins, malgré la différente façon de penser entre nous sur la situation présente des affaires; et je crois même que la France, voyant que je ne veux point entrer dans une idée aussi violente et dans ce complot d'iniquité, y renoncera bientôt. Cependant, comme il pourrait arriver que ce projet fût éventé, soit par indiscrétion soit qu'on en trouvât des traces et des indices suffisants dans les papiers du maréchal de Belle-Isle, arrêté, comme vous savez, à Osterode, dans les États d'Hanovre, et que mes ennemis ne manqueront point de me noircir de nouveau à cette occasion et d'en mettre une bonne partie sur mon compte, j'ai cru vous devoir avertir d'avance de ma façon de penser sur un projet que je déteste dans le fond du cœur et dont je suis plus éloigné que jamais.

J'espère que cet éclaircissement vous mettra en état de me justifier entièrement là-dessus, s'il en transpirait la moindre chose, mais je vous défends, sous peine de ma disgrâce, d'en faire la moindre ouverture ou confidence à qui que ce soit, pas même à votre secrétaire d'ambassade, tant et aussi longtemps que la chose n'éclate pas d'une manière ou d'autre, puisque, si elle est ensevelie dans l'oubli, il vaut mieux en étouffer jusqu'à la moindre idée qui serait capable de révolter la République sans retour contre la France et ses alliés et lui faire prendre le parti le plus vigoureux que la cour de Vienne et ses adhérents pourraient jamais souhaiter. Cependant, si ce mystère devait se découvrir, vous ne manquerez pas de protester aux ministres de l'État et aux principaux de la République que bien loin d'y avoir la moindre part ou de me prêter, soit en tout ou en partie, à l'exécution d'un plan que j'ai en horreur, je conserverai plutôt constamment pour la République les mêmes sentiments d'estime et d'amitié les plus sincères que mes prédécesseurs ont eus toujours pour elle, et que sa conservation me sera toujours aussi chère que la mienne propre, ne souhaitant rien si passionnément que de pouvoir parvenir bientôt à une pacification générale<3> et au prompt rétablissement de la paix en Allemagne et surtout dans le voisinage de la République, et que je donnerai de bon cœur les mains à une paix juste et raisonnable. Vous prendrez pourtant si bien vos précautions qu'en cas qu'à la dernière extrémité vous vous trouviez obligé d'en venir à ces insinuations, vous le fassiez d'une manière qui ne pût trop fortement choquer la France ou l'indisposer contre moi, en avançant plutôt que je ne saurais m'imaginer qu'un pareil projet ait été enfanté par le Roi même, dont je connaissais trop les sentiments de droiture et d'honneur pour le lui attribuer; mais que cela pourrait avoir été imaginé par quelque esprit turbulent et téméraire, sans qu'on pût le mettre sur le compte de son souverain. Enfin, vous vous conduirez en tout ceci avec autant de prudence que de circonspection; qu'en rassurant les uns vous ne choquiez pas trop les autres, et je m'en remets à votre dextérité ordinaire à manier une affaire difficile et délicate.

Federic.

H. Comte de Podewils.

Nach dem Concept.