1783. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.

Neisse, 7 avril 1745.

Je viens de recevoir les dépêches que vous m'avez faites du 23 du mois de mars dernier. Bien que les protestations que les deux ministres russiens vous ont faites des dispositions favorables de leur souveraine pour moi, et des services qu'ils me prêteront préférablement à tous les autres alliés de l'Impératrice, me soient fort agréables, je souhaiterais néanmoins que j'eusse une bonne fois la satisfaction de voir réalisées toutes ces belles paroles.

Vous vous souviendrez encore des fortes assurances que ces ministres vous ont données, que l'Impératrice avait fait faire des remontrances des plus sérieuses au roi de Pologne pour vivre avec moi en bonne intelligence ou du moins de ne plus se commettre avec moi; nonobstant de tout cela, le comte Bestushew à Dresde a non seulement déclaré nettement à mon ministre y résidant, le comte de Beess, de n'avoir point reçu de pareils ordres, mais d'ailleurs la cour de Dresde ne discontinue point de se servir des manœuvres des plus indignes et des plus grossières pour me nuire partout où elle peut, et de tramer contre moi des choses si pernicieuses qu'il faut absolument de l'un l'autre, ou qu'elle se moque des conseils que l'Impératrice lui a donnés sur ce sujet, ou qu'elle soit assurée que tout ce que le ministère russien lui fait dire sur cela ne soit qu'un jeu. Ses menées contre moi vont même si loin que, selon l'extrait ci-clos d'une relation que mon ministre, le comte de Beess, vient de m'envoyer par une estafette, cette cour a résolu de faire agir offensivement contre moi, conjointement avec les Autrichiens, les troupes qu'elle a en Bohême, pour venir m'attaquer en Silésie; elle a même pris le dessein très pernicieux d'assembler encore un autre corps de ses troupes dans la Lusace sur les frontières de la Silésie, pour tomber à l'improviste sur le duché de Glogau et assiéger la forteresse de ce nom, lorsque je serais autre part aux prises avec l'armée ennemie qui doit entrer en Silésie.

Comme une pareille conduite pousse, à la fin, à bout la patience et la modération dont j'ai usé jusqu'ici envers la Saxe, principalement en considération de la cour de Russie, et que je serais responsable devant Dieu et à ma postérité, si je me laissais opprimer impunément d'une cour qui ne cherche que ma ruine totale, mon intention est qu'après avoir lu d'un bout à l'autre aux ministres russiens l'extrait de la dépêche que je viens de vous communiquer, vous deviez déclarer positive<113>ment aux ditsministres: qu'en cas que les Autrichiens vuissent à m'assaillir en Silésie, conjointement avec les troupes saxonnes, soi-disantes auxiliaires, en Bohême, ou que la Saxe formât des camps sur les frontières de la Silésie pour m'attaquer, je ne pourrais regarder cela autrement que comme une infraction manifeste de la paix, et que par conséquent je serais obligé d'attaquer la Saxe partout où je pourrais, et de réclamer en même temps l'assistance de la Russie, selon le traité d'alliance que j'ai avec elle; que, si le temps permettait encore aux ministres russiens de retenir la cour de Dresde par des remontrances sérieuses, afin que celle-ci n'agisse point offensivement contre moi, je laisserais alors tranquille le pays de Saxe; mais, si de pareilles remontrances de la cour de Russie venaient trop tard ou qu'elles fussent sans effet, et que les troupes saxonnes vinssent, en attendant, m'attaquer, il serait permis alors à moi, selon tous les droits des gens, de me défendre contre de pareilles insultes et de chercher à réprimer mon ennemi partout où je le pourrais, étant persuadé que la Russie ne me refuserait point alors son assistance, dans un cas si clair de notre alliance.

Après avoir fait cette déclaration aux deux ministres russiens, vous ne manquerez pas de me mander au plus tôt possible par une relation détaillée tout ce que les ministres russiens vous auront répondu là-dessus.

P. S.

Sur le portrait que vous me faites de l'état actuel du général Lieven, je veux bien m'en désister; mais quant au général Keith, mon intention est que vous deviez chercher des occasions de le sonder convenablement s'il veut bien entrer dans mon service, auquel cas je lui offre la charge de feld-maréchal général, avec une pension annuelle de huit jusqu'à dix mille écus. J'en attendrai votre rapport à son temps.

Federic.

Nach dem Concept.