1990. AU LIEUTENANT-GÉNÉRAL COMTE DE ROTHENBURG A HOLOHLAW.

[Camp de Semonitz], ce 16 [septembre 1745']

Mon cher Rothenburg. Je ne sais par quel hasard je ne reçois que ce moment la lettre du 13 que vous m'avez écrite; elle a voyagé<281> trois jours pour venir de Holohlaw à Semonitz. Assurément le porteur n'avait pas appris à marcher des dieux d'Homère : ils faisaient trois pas, et ils étaient au bout de la terre.

Je vous plains beaucoup de ce que vous souffrez tant de votre colique néphrétique. Le médecin dit que cela passera, et que, si ensuite vous voulez le laisser faire, il se flatte de vous soulager considérablement pour l'avenir, par des remèdes qui conservent les reins, les nettoient et déblaient le sang, qui, par un mélange vicieux, est la cause de l'engendration de la pierre.

Je vous suis bien obligé de tous les soins que vous prenez de contenter mes petites fantaisies; je ferai payer l'argent que vous désirez le 10 du mois d'octobre, pourvu que vous vouliez me dire à qui.

Mes lettres m'inspirent de la patience; j'ai reçu hier tant d'assurances positives de la bonne foi de certaines gens, que je dois absolument m'y fier, à moins que de penser avec Biaise Pascal que la terre est une affreuse prison peuplée par de misérables scélérats, tous sans foi et sans honneur. Le roi de France a quitté l'armée pour madame de Pompadour et pour Paris. Le siége de Nieuport doit tirer vers sa fin, et l'on croit que le comte de Saxe finira sa campagne par la prise d'Ath et de Bruxelles.

Nous quitterons notre camp après-demain pour passer l'Elbe. Je souhaite que la marche ne vous fasse aucun mal. Gardez encore demain la chambre, quand même vous vous porteriez bien, pour amasser quelques forces et pour prévenir les récidives.

Le vieux routier281-1 m'écrit bien des misères avec le style dur de sa brutalité héroïque; il est fort content de voir grossir ses troupes, mais mal satisfait de ne pouvoir pas faire résonner dans les champs saxons sa vieille trompette de Sodome.

Adieu. Ayez grand soin de votre santé et portez-vous bien; c'est ce que vous avez de mieux à faire, et par où vous pourrez obliger le plus sensiblement celui qui est tout à vous

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhàndig.



281-1 Der Fürst von Anhalt-Dessau.