2128. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 31 décembre 1745.

J'ai reçu à la fois vos relations des 10, 13 et 17 de ce mois, touchant les conversations que vous avez eues avec le marquis d'Argenson par rapport à nos affaires.

Sur quoi, je veux que vous deviez assurer de ma part ledit marquis d'Argenson que mon intention avait toujours été et ne serait jamais d'autre que de vivre en bonne amitié avec la France; mais qu'il ne disconviendrait point à son tour que, pour entretenir et cimenter l'amitié, il fallait du réciproque, et que sans cela la raison même nous dictait certaines bornes dans l'amitié, et qu'elle ne pouvait jamais aller à un point que de nous sacrifier tout-à-fait et gratuitement pour nos amis; que la France avait été suffisamment informée de la situation dans laquelle je m'étais trouvé, il y a quelque temps, mais qu'elle n'avait jamais voulu y remédier, et quoique je n'eusse pris part à la dernière guerre que par amour de la France et de ses alliés, je n'en avais eu aucune assistance, soit par diversion, soit par des troupes auxiliaires, soit par<392> subsides, et que je n'avais retiré aucun avantage de toute cette guerre, sinon une réputation établie pour longtemps; que je n'avais point été si facile de conclure avec la reine de Hongrie, vu que je m'étais toujours attendu quels efforts le roi de France ferait pour me secourir, mais que, après toutes les instances que j'en avais faites, et après la peinture frappante que j'avais faite par ma lettre du 15 de novembre au roi de France de ma situation d'alors, la réponse pleine d'ironie et de froideur que Sa Majesté y avait faite, comme vous le verrez par la copie que je vous en envoie ci-close,392-1 ayant été bien contraire à ce que j'en avais pu attendre — j'étais entré d'abord en négociation avec le ministre autrichien, le comte de Harrach, et avais signé tout de suite.

Vous devez en même temps représenter assez naturellement au marquis d'Argenson le sort de tous les alliés que la France a eus pendant cette guerre, à commencer par le défunt Empereur et en continuant par le Palatin, le prince Guillaume de Hesse, et la Bavière, et en finissant par moi, en ajoutant combien je sentais que j'aurais été perdu, tout comme l'électeur de Bavière, si dans cette occasion-ci je n'avais pu m'en tirer par mes propres ressources; mais qu'indépendamment que la France m'avait forcé à faire ma paix, par la retraite du prince de Conty au delà du Rhin et par le refus de toute assistance, j'embrasserais toujours les intérêts de la France avec chaleur, s'il s'agissait d'une pacification générale; que M. d'Argenson comprendrait bien que je serais plus en état que jamais de servir à présent la France, étant hors de cour et de procès avec les puissances qui me faisaient la guerre, mais que le moyen unique que je regardais propre pour parvenir à une pacification générale, me paraissait être la modération de la part des deux parties contractantes; que je pensais d'en avoir donné un exemple par la modération avec laquelle j'avais traité le roi de Pologne; que les armes étaient journalières, et que c'était à la guerre où le chapitre des événements était le plus vaste, et qu'en un mot on ne pourrait jamais assez compter sur les succès de guerre, pour refuser un accommodement honnête avec ses ennemis.

Vous assurerez de plus M. d'Argenson que, si je tenais ce langage à la France, il pouvait être persuadé que je le tiendrais avec la même impartialité à la cour de Londres, et que j'emploierais volontiers tous mes efforts pour inspirer aux esprits ce point de modération si difficile à trouver, pour concilier la diversité de leurs intérêts.

Vous ne manquerez pas de me faire votre rapport bien détaillé sur tout ce que le marquis d'Argenson vous aura répondu à tout ce que dessus.

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

<393>

392-1 Vergl. S. 389 Anm. 1.