2809. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A SAINT-HUBERTSBOURG.

Potsdam, 20 octobre 1747.

J'ai bien reçu votre dépêche du 14 de ce mois. Il y a des lettres arrivées ici de Leipzig, et des marchands qui en sont de retour de la dernière foire ont assuré unanimement, que l'Obersteueramt, après avoir renvoyé d'un jour à l'autre ceux qui en avaient des billets comptables, avait à la fin déclaré, le 11 de ce mois, qu'il ne saurait pas payer ces billets, et que la consternation en avait été générale. Je serais donc bien aise que vous m'apprissiez exactement ce qui en est, et si effectivement le Steuerami a cessé de payer les capitaux qu'il doit, de même que les intérêts. Mais ce que je souhaiterais surtout de savoir, c'est l'effet que ce sursis de payement pourra faire sur le commerce de Saxe, si la foire de Leipzig et les manufactures et fabriques de Saxe en souffriront, et si les revenus ordinaires du roi de Pologne en perdront, en ce que les États de la Saxe ne pourront plus fournir les mêmes contributions que jusqu'ici, ou si, au bout du compte, le roi de Pologne se soucierait peu d'une banqueroute de la Steuer, et que malgré cela les États seront obligés de lui payer la somme ordinaire des tailles et des impôts.

Au surplus, comme la cour de Vienne a été depuis peu dans une négociation fort secrète avec l'Espagne, même à l'insu de l'Angleterre, qui en a été extrêmement scandalisée dès qu'elle s'en est aperçue, je veux bien vous communiquer les particularités qui m'en sont revenues de bon lieu, et sur lesquelles vous pouvez faire entièrement fond. C'est le baron de Bartenstein qui a fait un projet d'accommodement entre la cour de Vienne et celle d'Espagne, moyennant lequel on a voulu faire un établissement en Italie à l'infant Don Philippe aux dépens du roi de Sardaigne. Quelque peu vraisemblable que ce plan ait paru, il n'est<507> pas moins vrai que la cour de Vienne l'a goûté et approuvé, et que c'a été le comte de Rosenberg, ministre de la reine de Hongrie à la cour de Portugal, qui a été chargé de cette négociation. Ce ministre donc a proposé à l'ambassadeur d'Espagne à Lisbonne de convenir d'un traité entre leurs cours, pour obliger le roi de Sardaigne à retrader tous les États que la cour de Vienne, selon son langage, a été forcée de lui céder depuis l'année 1735, et d'en faire un établissement à l'Infant. La cour de Londres, ayant eu du vent de cette négociation et ayant été informée de son détail, en a fait porter, par son ministre Robinson à Vienne, les plus vives plaintes, qui a traité la susdite négociation de noire trahison, de perfidie et d'une ingratitude inouïe à l'égard du roi de Sardaigne. La cour de Vienne a tâché de s'en justifier, en alléguant qu'elle ne faisait que se servir du droit de talion, l'intention du roi de Sardaigne n'ayant été, dans cette négociation qu'il avait entamée avec la France l'année 1745, que de dépouiller la cour de Vienne du reste de ses États en Italie, et que d'ailleurs on n'avait jamais eu dessein de conclure le traité sans la participation de l'Angleterre. Ces raisons n'ayant point satisfait l'Angleterre, la cour a été à la fin obligée d'ordonner au comte Rosenberg de laisser tomber cette négociation, et a tâché de prévenir le ministre d'Angleterre, Robinson, pour apaiser la cour de Londres, qu'on pouvait être assuré que cette négociation était absolument rompue. On sait en Angleterre ce qu'on en doit croire, mais on y sait d'ailleurs que l'Espagne, qui n'a pas paru éloignée de donner les mains aux propositions du comte de Rosenberg, est fort offensée de ce qu'on la désavoue; mais la raison principale qui a engagé la cour de Vienne d'abandonner avec tant de facilité un projet qu'elle a paru désirer si fort de mettre en exécution, a été qu'elle a reconnu à la fin l'impossibilité d'en venir à bout sans le concours de l'Angleterre. En attendant, le baron de Bartenstein a mis un autre projet sur le tapis, selon lequel on prétend engager le roi de Sardaigne à rétrocéder une bonne partie des États qu'il a acquis par le traité de Worms, pour faire un établissement à l'Infant; mais on est tant éloigné en Angleterre de se prêter à cette proposition qu'on est résolu de sacrifier plutôt les intérêts de la cour de Vienne, s'il le faut, que ceux du roi de Sardaigne. Voilà des faits assurés, que je voudrais bien que vous puissiez communiquer confidemment au ministre de Sardaigne à Dresde, en vous y prenant avec votre dextérité ordinaire.

Federic.

Nach dem Concept.