3095. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS, ENVOYÉ EXTRAORDINAIRE, A VIENNE.

Berlin, 3 juin 1748.

J'ai reçu vos dépêches du 25 de mai dernier, sur lesquelles je vous dirai que, depuis que je vous ai vu la dernière fois,130-1 je vous trouve une certaine peur et timidité à l'égard de la cour de Vienne qui vous rendent entièrement méconnaissable, et que je m'aperçois de plus en plus que vous ne prenez pas les précautions requises pour vous garantir et raffermir contre les insinuations de cette espèce que vous fait faire la cour de Vienne.

Sachez que l'appréhension que vous témoignez avoir que la reine de Hongrie ne voudrait pas accéder aux préliminaires, est absolument vaine et sans fondement, par l'état présent de ses affaires qui ne lui permet pas de continuer seule la guerre, ce qui aussi vient de se vérifier tout récemment, ladite Reine ayant accepté purement et simplement les préliminaires en question et y étant accédée en conséquence.130-2 Peut-on douter, après cela, qu'elle ne soit obligée de se prêter et de consentir à tout ce que l'Angleterre et la France trouvent à propos d'établir par un traité formel de paix?

Les troupes russiennes pourront continuer leur marche tant qu'elles voudront, pour se rendre en Moravie, il n'en résultera rien davantage de là, si ce n'est que le pays de la reine de Hongrie s'en trouvera mangé sans qu'elle en retire le moindre fruit. Ne perdez pas de vue ce que je vous ai dit et dis encore, et vous vous tranquilliserez là-dessus. Pensez que les troupes russes en question sont mercenaires de l'Angleterre, et vous trouverez que leur présence en Moravie ne sera de point d'autre effet que si elles étaient auprès des marais Méotides.

Tout ce que le sieur Robinson peut vous dire, ne signifie autant que rien, parcequ'il n'est pas au fait des affaires. Vous pouvez compter tout au contraire fort et ferme sur ce que je vous écris, me revenant de la part du chevalier Legge, qui est instruit à tous égards du vrai état des affaires. Comme il paraît que vous ne savez pas proprement ce qui se traite à Vienne, je veux bien vous informer, moi, que le système de l'Europe s'est déjà changé effectivement en sa plus grande partie, que je me trouverai dans peu sur un bon pied avec la Grande-Bretagne, qu'il y a une grande disharmonie et mécontentement entre la reine de Hongrie et l'Angleterre, que le ministère autrichien est même dans une<131> rage terrible contre l'Angleterre, et, enfin, que la cour de Vienne est sur le point de m'envoyer le jeune comte de Chotek en qualité de son ministre à ma cour.

Il est chagrinant que vous n'ayez pas été instruit de ce que dessus, et que vous ne sachiez vous procurer de bons canaux, là où vous êtes, après le temps que vous y résidez, de manière que je me voie obligé de vous mander des choses qui naturellement auraient dû fournir de l'étoffe à vos rapports.

Les instructions que je vous ai données, tant par écrit que de bouche, ne sont point que vous deviez être timide à l'égard de la cour de Vienne, mais elles vous obligent plutôt à lui faire paraître en certaines rencontres cette fierté et fermeté que vous avez perdues, contre cette timidité que vous y avez surrogée.

Dans vos raisonnements que vous faites sur les conjonctures présentes, vous vous bornez simplement à la cour de Vienne, sans envisager en même temps le tableau universel de l'Europe, ce que pourtant vous devriez faire pour vous convaincre que ceux qui gouvernent et donnent le branle aux affaires de l'Europe, ne sont pas rencognés à Vienne.

Les caresses que la reine de Hongrie fait à la comtesse de Bestushew, ne m'étonnent en aucune façon, car je suis persuadé que la cour de Vienne descendra à tout au monde pour se conserver l'amitié et la bienveillance de la Russie, ce qui est fort naturel dans les conjonctures présentes. Cela n'empêche pas néanmoins que les Russes ne continuent toujours d'être assez grossiers pour préférer les corruptions et les espèces à des marques extérieures d'estime dont on peut les honorer.

Federic.

Nach dem Concept.



130-1 Vergl. Bd. V, 468 Anm. 2; 484 Anm. 2.

130-2 Die österreichische Accessionsurkunde ist vom 25. Mai 1748.