3144. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A HANOVRE.

Potsdam, 5 juillet 1748.

La dépêche que vous m'avez faite du 10 de ce mois, m'est bien parvenue. Quant au chevalier Legge, vous ne devez point vous impatienter sur son arrivée; car, selon lui, il n'attend que de savoir le duc de Newcastle à Hanovre, pour y aller, et, autant qu'il me paraît, il lui importe plus de parler à celui-ci qu'au Roi même. Comme l'attention du public n'est fixée à présent que sur le séjour du corps auxiliaire des troupes russes en Allemagne et sur la marche qu'il va faire, à ce qu'on prétend, dans l'Empire, aussi que sur le but où cette démarche extraordinaire pourrait viser, je veux bien vous faire part, quoique pour votre direction seule et avec défense de n'en rien communiquer à qui que ce soit, ce qui m'en est revenu par mes lettres de Pétersbourg. On m'a appris que, dès que la nouvelle de la signature des articles préliminaires de paix y a été sue, le Chancelier, comte Bestushew, en a été très dépité et n'avait trouvé d'autre ressource que dans l'idée que ces préliminaires ne se soutiendraient pas et que le ministère de Vienne trouverait bien moyen de rompre cette paix. Là-dessus il y a eu des conférences fort secrètes, deux jours consécutifs, avec les ambassadeurs anglais et autrichien, Hyndford et Pretlack, dont il a transpiré pourtant que le chancelier Bestushew, engagé par le ministre autrichien, a fait de nouvelles offres aux Puissances maritimes pour tâcher de les encourager à la continuation de la guerre; sur quoi, milord Hyndford a dépêché un courrier à sa cour. Depuis ce temps-là, les pourparlers secrets entre le Chancelier et les ministres autrichien, anglais<165> et hollandais sont allés grand train, et même les deux derniers n'ont parlé qu'avec beaucoup de mécontentement de cette paix, et surtout milord Hyndford a donné tête baissée dans toutes les vues du Chancelier et des Autrichiens, de façon que, tandis que la cour de Vienne a travaillé de son côté, le Chancelier a fait agir de l'autre le lord Hyndford et le sieur de Swart pour persuader les Puissances maritimes. Ils se flattent que les propositions dont le courrier de Hyndford a été chargé, pourront apporter du changement aux affaires, et ils attendent avec un empressement extraordinaire le retour de ce courrier, dans l'incertitude où ils sont si l'Angleterre et la Hollande voudront goûter leurs idées. Le ministre hollandais, quelque boutonné qu'il se tienne ailleurs, s'est pourtant laissé échapper dans quelque conversation que les troupes russes, étant arrivées sur le territoire autrichien, y feraient halte, qu'il y avait bien des choses à régler encore par rapport à la paix, que leur présence pourrait être nécessaire jusqu'à la restitution des pays conquis, et que les subsides seraient continués jusqu'à ce qu'on les congédiât.

De tout ceci, il y a à conclure que la cour de Vienne insiste auprès des Puissances maritimes à garder les troupes russes, sous prétexte que cette précaution était nécessaire jusqu'à la signature du traité final de paix, mais en effet dans l'espérance de rompre la négociation, ou, si elle n'en peut pas venir à bout, d'en imposer du moins par là à la France et à moi, pour engager la première à se désister d'une partie de ses demandes par rapport à l'Italie, et pour me porter à me prêter à la garantie réciproque de la Sanction Pragmatique. Il est à estimer que c'est là où se réduisent, dans le moment présent, les idées de la cour de Vienne, et que le chancelier de Russie, qui ne demande que plaie et bosse, se fait un plaisir de travailler dans les mêmes vues et sur le même plan; qu'en attendant il est convenu, à ce qu'on me mande,“ avec les susdits ministres à Pétersbourg de tenir la chose secrète, de peur que moi, en étant instruit, ne vienne à bout de les contrecarrer auprès des Puissances maritimes.

Voilà tout ce que j'ai bien voulu vous dire pour votre direction et pour vous mettre sur la voie d'en approfondir plus, quand le duc de Newcastle sera arrivé. Vous pouvez cependant jeter tout légèrement au duc de Newcastle, quand vous lui parlerez, qu'il y avait des avis selon lesquels les Autrichiens avec les Russes travaillaient à rompre la paix ou à énerver au moins les préliminaires; que les Français en étaient ombragés, autant que du séjour des troupes russes en Allemagne, malgré que l'accession de l'Empire et d'autres puissances encore fût constatée; mais que je me fiais sur la bonne foi et l'honnêteté des Anglais par rapport à la garantie qu'ils m'avaient donnée, et que je comptais qu'ils ne permettraient point que dans le traité final de paix entrât quelque chose qui pût rendre équivoque ou douteux ce qu'ils avaient stipulé positivement dans les préliminaires à mon égard.

Federic.

Nach dem Concept.

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