<36>A présent, je gémis des funestes ravages
Des soucis, des maux et des ans.
Tout doit se succéder, chaque chose a son temps.
Mais aux noires vapeurs ne soyons point en proie :
Nos jours ne durent qu'un moment;
Si ce moment est plein de joie,
Il s'écoule plus doucement.
Vivons autant que va le fuseau de la Parque;
J'oublie et Caron, et sa barque.
Illusions, douces erreurs,
Semez encor de quelques fleurs
Le bout de ma longue carrière,
Et que la Volupté, me fermant la paupière,
Sur mon tombeau verse des pleurs.
Ainsi, sans que mon âme éprouve des terreurs,
Tranquille entre les bras de la philosophie,
De l'hiver de mes ans supportant les rigueurs,
Je verrai s'écouler les restes de ma vie,
Et j'attends sans peur qu'Atropos,
Tranchant mon fil de ses ciseaux,
Change soucis, douleurs et peines,
Erreurs, projets et grandeurs vaines,
En éternité de repos.

Le 3 d'avril 1770.