<215> moins pour la gloire que pour l'argent, ne travaillant, pour ainsi dire, que pour vivre; quoique fait pour jouir, il ne se lasse pas d'amasser. Tel est l'homme; voici l'auteur.

Nul poëte ne fait des vers avec plus d'aisance; mais cette facilité le gâte, parce qu'il en abuse. Aucune de ses pièces n'est finie, car il ne se soucie pas de les retoucher avec attention. Ses vers sont riches, élégants et pleins d'esprit; cependant il réussirait mieux dans l'histoire, s'il était moins prodigue de réflexions et plus heureux dans ses comparaisons, par lesquelles il a néanmoins mérité des applaudissements. Dans son dernier ouvrage, où il critique et corrige Bayle,a il le copie et l'imite.

Un auteur qui veut écrire sans passion et sans préjugé doit, dit-on, n'avoir ni religion, ni patrie; c'est presque le cas de Voltaire. Personne ne le taxera de partialité pour sa nation; il est, au contraire, possédé par la rage des vieux radoteurs qui vantent sans cesse le temps passé aux dépens du présent. Voltaire loue continuellement les différents pays de l'Europe; il n'y a que le sien dont il se plaigne. Sur la religion il ne s'est point formé de système; et sans quelque levain antijanséniste qui perce en plusieurs endroits de ses écrits, il posséderait sans contredit cette indifférence et ce désintéressement si désirés pour former l'auteur.

Versé dans la littérature étrangère autant que dans la française, il


a Le seul passage où Voltaire critique Bayle se trouve dans ses Conseils à un Journaliste, 1737, où il dit : « Quant au style d'un journaliste, Bayle est peut-être le premier modèle, s'il vous en faut un; c'est le plus profond dialecticien qui ait jamais écrit; c'est presque le seul compilateur qui ait du goût. Cependant, dans son style toujours clair et naturel, il y a trop de négligence, trop d'oubli des bienséances, trop d'incorrection. Il est diffus; il fait, à la vérité, conversation avec son lecteur, comme Montaigne, et en cela il charme tout le monde; mais il s'abandonne à une mollesse de style, et aux expressions triviales d'une conversation trop simple, et en cela il rebute souvent l'homme de goût. En voici un exemple qui me tombe sous la main; c'est l'article d'Abélard, dans son Dictionnaire : Abélard, dit-il, s'amusait beaucoup plus à tâtonner et à baiser son écolière qu'à lui expliquer un auteur. - Un tel défaut lui est trop familier, ne l'imitez pas. » Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXVII, p. 391.