V. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA. (27 AVRIL 1756 - 22 JUIN 1767.)[Titelblatt]
<188><189>1. A LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.
Berlin, 27 avril 1756.
189-aMadame ma cousine,
Mon ministre d'État et grand maître des postes, le comte de Gotter, ayant le déplaisir d'être enveloppé dans un procès injuste avec le grand écuyer, le sieur de Röder, j'ai été charmé d'apprendre par mon susdit ministre l'assistance gracieuse que Votre Altesse veut bien lui prêter dans une affaire où tout le droit paraît être de son côté, pour lui faire obtenir prompte et bonne justice. Il ne s'agit en effet pas ici d'une bagatelle, mais de sauver de sa ruine une terre assez importante, confiée à un homme qui semble avoir abusé de la bonne foi du propriétaire. Que le sieur de Röder rende un compte exact et fidèle à mon susdit ministre de l'administration dont il est chargé de la terre de Molsdorf, qu'il la remette dans l'état où elle doit être suivant ses engagements pris à cet égard, voilà tout ce qu'on désire, et ce que la justice la plus scrupuleuse demande. Comme je prends un intérêt sensible à cette affaire, par rapport au bien de mon service, qui exige indispensablement que le comte de Gotter, qui va faire un tour sur sadite terre, retourne au plus tôt à son poste, ayant résolu de le faire passer en Ost-Frise pour y prendre quelques arrangements de postes, je serai fort aise que ce procès finisse le plus tôt possible à sa satisfaction, tout comme je ne saurais me dispenser de m'informer des suites de cette affaire et de l'accélération de sa décision. V. A. m'obligera le plus sensiblement du monde, si elle veut<190> bien y contribuer par son secours et son assistance. Elle peut compter que je regarderai les généreux offices qu'elle aura la bonté d'employer en faveur d'un ministre dont j'estime infiniment le zèle et les services qu'il m'a rendus, comme une preuve agréable de son amitié pour moi. Je prie V. A. d'être entièrement persuadée d'un fidèle retour de reconnaissance de ma part, aussi bien que des sentiments de considération avec lesquels je suis à jamais,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-affectionné cousin,
Federic.
2. A LA MÊME.
(Dittelstädt) 16 septembre 1757.
Madame,
Je n'oublierai jamais la journée d'hier,190-a qui a satisfait une juste envie que j'ai eue depuis longtemps de voir et d'entendre une princesse que toute l'Europe admire. Je ne m'étonne point, madame, que vous subjuguiez les cœurs; vous êtes certainement faite pour vous attirer l'estime et l'hommage de tous ceux qui ont le bonheur de vous connaître. Mais il m'est incompréhensible comment vous pouvez avoir des ennemis, et comment des peuples qui ne veulent point passer pour barbares peuvent avoir manqué si indignement au respect qu'ils vous doivent et aux considérations que l'on doit à tous les souverains.<191> Que n'ai-je pu voler pour empêcher tant de désordre et tant d'indécence! Je ne puis vous offrir que beaucoup de bonne volonté; mais je sens bien que, dans les circonstances présentes, il faut des effets et de la réalité. Puissé-je être, madame, assez heureux pour vous rendre quelque service! Puisse votre fortune être égale à votre vertu! Je suis avec la plus haute considération,
Madame,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, Federic.
3. A LA MÊME.
(Kirschleben) auprès d'Erfurt, 20 septembre 1757.
Madame,
Rien ne pouvait arriver de plus glorieux à mes troupes que de combattre, madame, sous vos yeux et pour votre défense.191-a Je souhaiterais que leur secours vous pût être plus utile; mais je prévois le contraire. Si je m'opiniâtrais à vouloir soutenir le poste de Gotha par de l'infanterie, je vous ruinerais la ville, madame, en y attirant et y fixant le théâtre de la guerre, au lieu que vous n'aurez à présent à souffrir que des passades qui ne seront pas longues. Je vous rends mille grâces de ce que, pendant le trouble d'une journée comme celle d'hier, vous avez encore trouvé le moment de penser à vos amis et de vous employer pour eux. Je ne négligerai rien de ce que vous avez la bonté de me dire; je profiterai des avis. Fasse le ciel que ce<192> soit pour la délivrance et le salut de l'Allemagne! La plus grande marque d'obéissance que je puisse vous donner consiste certainement dans l'usage que vous me prescrivez de faire de votre lettre. Je l'aurais conservée comme un monument de votre générosité et de votre fermeté; mais, madame, puisque vous en disposez autrement, vos ordres seront exécutés. Persuadé que, si l'on ne peut pas servir ses amis, il faut au moins éviter de leur nuire, que l'on peut être moins circonspect pour ses propres intérêts, mais qu'il faut être prudent et même timide pour ce qui peut les toucher, je suis avec la plus haute estime et la plus parfaite considération,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle et affectionné cousin,
Federic.
4. A LA MÊME.
Breslau, 2 janvier 1758.
Madame,
S'il y a quelque chose de flatteur pour moi dans le monde, c'est de mériter l'approbation d'une princesse, madame, de votre caractère. J'aurais désiré que nos avantages192-a vous en eussent procuré de plus sensibles; mais à présent je ne désespère pas, s'il plaît à la fortune, de pouvoir vous rendre des services plus importants que par le passé. Daignez considérer, madame, la multitude d'ennemis qui m'ont empêché jusqu'ici de pouvoir former un projet suivi en un endroit. J'ai<193> tout lieu d'espérer que les Suédois seront les premiers à revenir de leur égarement, et alors nous aurons les coudées plus franches, ce qui doit nécessairement donner une autre face aux affaires. J'avoue que ces remèdes éloignés ne sont guère consolants pour ceux qui souffrent; mais, comme le printemps n'est pas fort éloigné, j'espère qu'alors vous aurez lieu d'être contente de ma fidélité et de mon zèle. En vérité, madame, la conduite que les Français ont tenue à votre égard est un opprobre éternel pour toute leur nation, et dont les auteurs les plus éloquents ne les laveront jamais dans leurs ouvrages. Je ne vous parle point des Autrichiens. L'on est si accoutumé à leur impertinence ordinaire, qu'il n'y aurait que leurs bons procédés qui paraîtraient étranges. Souffrez, madame, que, au renouvellement de l'année, je joigne mes vœux à ceux de tous ceux qui ont le bonheur de vous connaître, pour votre prospérité et pour votre conservation; personne ne s'y intéresse avec plus de passion que,
Madame,
Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.
5. A LA MÊME.
Breslau, 3 février 1758.
193-aMadame,
Soyez persuadée, je vous supplie, que les nouvelles marques que vous venez de me donner, par votre lettre du 25, de vos bontés et de votre amitié pour moi m'ont vivement pénétré. Je vous en suis infiniment obligé, et n'en perdrai jamais le souvenir. Il est vrai que les affaires paraissent bien brouillées dans le moment présent, ce qui cependant<194> ne m'en fait pas désespérer; et je me persuade que, nonobstant les apparences fâcheuses, elles se changeront, et prendront bientôt une face plus avantageuse. Je suis avec cette haute estime et l'amitié la plus sincère, que vous me connaissez,
Madame,
Votre très-bon et très-fidèle ami.
6. A LA MÊME.
Grüssau, 15 avril 1758.
Madame,
Il me semble que la situation de Votre Altesse a infiniment changé en mieux depuis que je n'ai eu le bonheur de la voir. Les Français sont au delà du Rhin, et cette poignée de troupes de l'Empire sera dissipée ainsi qu'un léger brouillard. Personne ne peut vous forcer, madame, à payer ni à faire ce que vous croyez ne point vous convenir, et, s'il y a eu quelque précipitation dans des temps où les crises étaient les plus violentes, il ne dépendra dans peu que de vous de vous soustraire à des mesures qui doivent répugner à votre façon de penser. Ce sont vos sentiments, c'est votre caractère généreux et cette façon de penser noble, qui m'ont rempli d'admiration194-a pour des qualités si rares dans tous les siècles et encore plus à présent que jamais.
Je suis avec la plus haute estime,
Madame,
Votre très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
7. A LA MÉME.
Sagan, 22 septembre 1759.
Madame,
Je reçois dans toutes les occasions des marques de vos bontés auxquelles je suis sensible autant qu'un honnête homme peut l'être. Ce n'est certainement pas par vos mains, madame, que doit passer ma correspondance à V.195-a Cependant, dans ces circonstances présentes, j'ose vous prier de lui faire parvenir ma réponse, à laquelle je ne mets aucune adresse. La difficulté de faire passer les lettres m'a fait choisir mon frère pour faire parvenir ce billet entre vos mains. Si je donnais carrière à mes sentiments, ce serait ici le moment de les développer; mais, dans ces temps critiques, je crois qu'il vaut mieux de les supprimer, et de me renfermer dans les simples assurances de la haute estime et de l'admiration avec laquelle je suis,
Madame,
Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.
8. DE LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.
(Gotha) 15 novembre 1759.
Sire,
Sous le doux espoir que Votre Majesté est actuellement en Saxe pour y établir tranquillement ses quartiers d'hiver, je me flatte de ne rien<196> risquer en lui envoyant la lettre ci-jointe, accompagnée de quelques lignes d'assurances de respect de ma part, et chargeant de tout le paquet le jeune Bechtolsheim, beau-frère de notre ministre, qui aura l'honneur de lui remettre la dépêche et de présenter l'hommage respectueux de nos cœurs à V. M. Selon toute apparence, V. M. verra par l'incluse que les lignes qu'elle daigna m'adresser, il y a quelques semaines, sont arrivées à bon port. La juste appréhension de devenir importune m'a empêchée, Sire, de vous en avertir moi-même plus tôt. Mais j'ose avouer que c'est avec un plaisir infini que je profite de l'occasion présente pour témoigner à V. M. l'intérêt vif et sincère que nous prenons, le Duc et moi, à la fin glorieuse de ses campagnes. Puisse le destin être propice à nos souhaits en récompensant votre courage et votre sagesse! Puissiez-vous cueillir les fruits de vos efforts, et joindre les branches d'olive à vos palmes et à vos lauriers! Que V. M. ne balance pas à me charger des ordres qu'elle voudra donner à notre auteur; il s'y attend, Sire, et je me sens trop flattée de pouvoir vous prouver mon zèle, pour n'en pas rechercher les occasions avec ardeur et empressement.
Accordez-moi, Sire, la continuation de vos bontés, dont dépend le charme de ma vie et le bonheur de toute ma maison. C'est avec l'attachement le plus parfait que j'ai l'honneur d'être, etc.196-a
<197>9. A LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.
Wilsdruf, 21 novembre 1759.
Madame,
Il n'y a que vos bontés et votre indulgence qui puissent justifier mon incongruité. Vous voulez, madame, que j'abuse encore de ces bontés qui me sont si précieuses; au moins souvenez-vous que c'est pour vous obéir que je fais passer par vos mains une lettre197-a qui ne mérite pas cet honneur. Le hasard, qui se joue si insolemment des projets des hommes, qui se plaît à élever et à détruire,197-b nous a menés jusqu'ici à la fin de la campagne. Les Autrichiens sont entourés de ce côté-ci de l'Elbe; je leur ai fait brûler deux magasins importants en Bohême. Il y a eu quelques affaires qui ont tourné tout à fait à notre avantage, de sorte que je me flatte d'obliger M. Daun de repasser l'Elbe, d'abandonner Dresde, et de prendre le chemin de Zittau et de la Bohême. Je vous entretiens, madame, de nouvelles et d'objets dont je suis journellement frappé, et qui, par votre voisinage, peuvent peut-être attirer votre attention. Je m'étendrais bien davantage, si mon cœur osait s'expliquer sur les sentiments d'admiration, de reconnaissance et d'estime avec lesquels je suis,
Madame ma cousine,
Votre très-fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
10. A LA MÊME.
Freyberg, 18 (décembre 1759).
Madame,
Vous me gâtez si fort par votre indulgence, vous m'accoutumez si bien à vous avoir des obligations, que je me reproche cent fois d'en pouvoir abuser. Je ne continuerais certainement pas à vous adresser des lettres, si je n'avais espérance que ce commerce pourra être de quelque utilité à l'Angleterre et à l'Europe même, car sans doute la paix est l'état le plus désirable, le plus naturel et le plus heureux pour toutes les nations. C'est pour l'accélérer, madame, que j'abuse de vos bontés, et ce motif m'excuse vis-à-vis de moi-même l'incongruité de mes procédés. Vous faites très-bien, madame, de ne point signer et de ne point apposer vos armes sur des lettres qui, si elles étaient interceptées, vous causeraient quelque sorte de désagréments. La bonté que vous avez de vous intéresser à ma situation m'oblige de vous en rendre compte. Nous avons essuyé ici toute sorte de malheurs,198-a au moment où nous devions le moins nous y attendre. Cependant il nous reste du courage et de l'espérance; voilà des secours sur le point d'arriver, et il y a lieu de croire que la fin de notre campagne sera moins affreuse qu'on n'avait lieu de s'y attendre il y a trois semaines. Puissiez-vous jouir, madame, de tout le bonheur que je vous souhaite! Puisse tout le monde connaître vos vertus, les imiter, et vous admirer comme je le fais! Puissiez-vous être persuadée que rien n'égale les sentiments de la haute estime que je conserverai toute ma vie pour vous, étant,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
11. A LA MÊME.
Freyberg, 16 février 1760.
Madame,
C'est à mon grand regret que j'importune Votre Altesse si souvent par mes lettres. Vos bontés, madame, m'ont gâté; cela vous apprendra à les ménager davantage avec d'autres. Je vous regarde comme une amie respectable, à l'amitié de laquelle j'ai recours dans le besoin. Il est toujours question de la paix, madame; et si l'objet de mes importunités n'était aussi beau, madame, je serais inexcusable vis-à-vis de vous. Cocceji,199-a que j'ai envoyé avec cette lettre à votre cour, doit vous prier de vouloir bien suppéditer et me prêter un sujet quelconque, homme prudent et avisé, qui fit le voyage de France pour donner une lettre au bailli de Froulay,199-b très-honnête homme que je connais, qui pourrait insinuer à sa cour les propositions de paix ci-jointes. Pour vous expliquer en deux mots le joint de la chose, vous saurez, madame, que, après la proposition du congrès qui a été faite à nos ennemis, on a été informé de bonne part que l'Impératrice-Reine et l'impératrice des barbares n'avaient point voulu y donner les mains; au contraire, qu'elles travaillaient, à Paris, à dissuader le roi de France des sentiments pacifiques dont on l'accuse. Vous verrez, par les propositions qu'on lui fait, qu'on lui fournit le moyen de se séparer de ses alliés et de donner malgré eux la paix à l'Europe. C'est pour sonder les esprits et pour savoir, en un mot, à quoi s'en tenir. Si ces propositions agréent en France, les préliminaires s'ensuivront bientôt; sinon, nous saurons au moins à quoi nous en tenir, car vous savez, madame, que l'incertitude est le plus cruel tourment de l'âme. Vous verrez, par tout ceci, de quoi il s'agit; et comme je ne fais<200> aucun pas qu'après en être convenu avec le ministère anglais, je me flatte que cette démarche, si vous daignez l'agréer, pourra nous mener à une fin heureuse et désirable pour l'Allemagne surtout, et pour toute l'Europe également. Ce sera augmenter prodigieusement les obligations et par conséquent la reconnaissance que je vous dois; mais rien n'ajoutera aux sentiments de la parfaite estime et de l'attachement avec lequel je suis,
Madame,
Votre très-affectionné cousin et serviteur,
Federic.
Comme vous concevez l'importance qu'il y a pour nous tous de cacher cette démarche à la cour de Vienne, je ne doute nullement, madame, que vous la leur déguiserez au possible.
200-aPROPOSITIONS DE PAIX.
Il faudra principalement faire sentir à la France que, si elle veut entrer dans les vues de la Grande-Bretagne par rapport à une paix séparée à conclure entre elle, l'Angleterre et les alliés de cette dernière en Allemagne, et faire cause commune ensuite pour forcer les autres puissances d'y accéder, il serait en son pouvoir de terminer la guerre très-promptement, de conserver l'équilibre de l'Allemagne et même de l'Europe entière, et d'obtenir des conditions beaucoup plus favorables qu'elle ne saurait en espérer de toute autre manière.
<201>12. A LA MÊME.
(Freyberg) ce 28 (février 1760).
Madame,
Les remarques qu'il vous plaît de faire sur ma lettre sont fort justes; mais daignez remarquer que, lorsque l'on agit de concert avec ses alliés, il faut parler de même. Vous en sentez, madame, sans doute l'importance. Si je prenais d'autres mesures, je serais démenti par les Anglais, et me trouverais dans un grand embarras vis-à-vis des Français. Voilà ce qui m'oblige d'en agir de la sorte. Après tout, les Français sont dans le besoin d'argent, et je compte plus sur le manque d'espèces dont le gouvernement souffre que sur sa modération. Après tout, il faut bien se garder de faire le suppliant vis-à-vis de gens naturellement fiers et vains, et cette façon de traiter avec eux est la seule qui les rende traitables. Je vous rends mille grâces de ce que vous avez daigné seconder cette tentative. Peut-être qu'elle réussira; ce serait un grand bien; sinon, je ne vois pas comment cette malheureuse guerre finira. Je suis avec la plus haute estime.
Madame,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur, Federic.
13. A LA MÉME.
(Freyberg) 5 mars 1760.
Madame,
Vous interprétez si favorablement les explications dans lesquelles je suis entré, que je ne le puis attribuer qu'au support que vous daignez avoir pour mes faiblesses. Je conviens, madame, qu'il y a bien des choses à redire à cette lettre; mais songez qu'il a fallu la concerter, et que je ne suis que l'organe de ceux qui ont bien voulu consentir à cette démarche; cela donnera toujours lieu à quelque ouverture. La plus grande difficulté sera de faire parler ces gens. Ce qu'ils me font dire par V. sont des espèces d'énigmes. Je ne suis point Œdipe, et je crains quelque malentendu qui pourrait nous éloigner trop de notre compte. Il est sûr que la paix est fort à désirer. J'ai une perspective devant moi qui n'est guère riante, et j'aimerais autant nettoyer les étables du roi Augias que de courir d'un bout de l'Allemagne à l'autre pour m'opposer à la multitude de mes ennemis et essuyer peut-être encore de nouveaux malheurs. Mais il y a une certaine fatalité incompréhensible qui pousse les hommes, et qui, en combinant les causes secondes, les entraîne d'une manière irrésistible. Elle produit tout : quand nous voulons la paix, elle veut la guerre; elle guide l'aveugle, et égare l'éclairé. Il faut donc travailler autant qu'on peut pour le bien, sans s'étonner cependant s'il en arrive tout autrement qu'on ne l'avait prévu, car en vérité, madame, les plus profonds politiques n'en savent pas plus sur l'avenir que le plus stupide des hommes. Je prends la liberté de vous envoyer une petite brochure sur les affaires du temps.202-a C'est l'aboiement d'un épagneul pendant qu'un gros tonnerre gronde, qui empêche de l'entendre. Cependant il faut de<203> temps en temps réveiller le public de sa léthargie, et l'obliger à faire des réflexions. Ces semences ne produisent pas d'abord; quelquefois elles portent des fruits avec le temps. Il faut convenir que le terrain est mal préparé pour les recevoir; mais cela fait toujours quelque petit effet. Vous me trouverez peut-être tout aussi impertinent que mylord Bolingbroke; on disait de lui qu'il n'amusait madame de Villette, qui devint ensuite sa femme, que par des papiers politiques qu'il faisait imprimer dans le Craftsman. Je vous rends encore mille grâces, madame, de la bonté, de la politesse et de la générosité avec laquelle vous avez daigné vous prêter à toutes mes vues. Si j'avais du crédit au ciel, vous seriez la plus heureuse princesse d'Allemagne. Contentez-vous de mes vœux et des sentiments de la plus haute estime avec laquelle je suis,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
14. A LA MÉME.
(Freyberg) ce 10 (mars 1760).
Madame,
J'ai reçu avec beaucoup de reconnaissance la lettre qu'il vous a plu de m'écrire. Comme l'incluse ne contient proprement qu'une annonce de son voyage et de ses passe-ports, je crois qu'il vaut mieux de n'y point répondre, pour ne point multiplier les écritures. Je ne<204> doute pas, madame, de la bonté du choix que vous avez fait; la personne, à la vérité, m'est inconnue, mais je me rapporte bien à votre pénétration et à votre discernement. Je suis réellement honteux des peines que je vous cause. Personne désormais ne voudra être de mes amis, quand on apprendra ce qu'il en coûte pour l'être, et combien étrangement j'abuse de la bonne volonté de ceux qui veulent bien m'honorer de leur bienveillance.
Notre situation ici est absolument la même; mais il me paraît, par quelque remuement de troupes dans les quartiers des ennemis et par quelques dispositions, qu'ils porteront toute la force de la guerre vers la Silésie, et qu'ils se tiendront de ce côté-ci sur la défensive. Cela m'obligera peut-être, dans quelque temps, de quitter ces contrées et de me porter du côté où l'ennemi a résolu ses plus grands efforts. Je ne manquerai pas de vous avertir, madame, de mon départ, vous priant de me croire avec les sentiments d'estime et d'admiration,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
15. A LA MÊME.
Freyberg, ce 12 (mars 1760).
Madame,
La lettre de Votre Altesse m'est parvenue en toute sûreté, et je crois qu'actuellement elle doit tenir ma réponse. Je suis confus de celle<205> que je viens de recevoir. Quelque envie que j'aie d'être digne de la bonne opinion, madame, que vous avez de moi, je m'en sens encore bien éloigné. Mais c'est un aiguillon de plus, qui doit augmenter mes efforts pour mériter votre approbation. J'avoue que la bonté de ma cause ne me rassure pas contre les coups du sort. La plupart des fastes de l'antiquité sont remplis d'histoires d'usurpateurs. On voit partout le crime heureux triompher insolemment de l'innocence; ce qui renverse les empires est l'ouvrage d'un moment, et il ne faut quelquefois, pour qu'ils tombent, qu'une tête mal organisée se dérange dans un instant décisif. Je pourrais ajouter à tout ceci que, en réfléchissant sur les lois primitives du monde, on s'aperçoit qu'un de ces premiers principes est le changement; de là toutes ces révolutions, ces prospérités, ces infortunes et ces différents jeux du hasard qui ramènent sans cesse des scènes nouvelles. Peut-être que le période fatal à la Prusse est arrivé; peut-être verra-t-on une nouvelle monarchie despotique des Césars. Je n'en sais rien. Tout cela est possible; mais je réponds que l'on n'en viendra là qu'après avoir répandu des flots de sang, et que certainement je ne serai pas le spectateur des fers de ma patrie et de l'indigne esclavage des Allemands. Voilà, madame, ma résolution ferme, constante, inviolable. Les intérêts dont il s'agit sont si grands, si nobles, qu'ils animeraient un automate. L'amour de la liberté et la haine de toute tyrannie est si naturelle aux hommes, que, à moins d'être des indignes, ils sacrifient volontiers leur vie pour cette liberté. L'avenir nous est caché par un voile impénétrable. La fortune, si changeante, déserte souvent d'un parti à l'autre; peut-être m'arrivera-t-il, cette campagne, autant de bonheur que j'ai éprouvé d'adversités pendant la dernière. La bataille de Denain205-a rétablit la France des grandes pertes qu'elle avait faites pendant dix années consécutives d'infortune. Je vois les dangers qui<206> m'environnent; ils ne me découragent pas, et, en me proposant d'agir avec toute la fermeté possible, je m'abandonne au torrent des événements, qui m'entraîne malgré moi.
Je vois, madame, que vous n'espérez guère en la paix. Vous croyez que des personnes intéressées au nouveau système de la France s'y opposeront. Je dois cependant vous dire que le mal-être du royaume, étant parvenu à son comble, occasionne un cri général de la nation pour la paix, auquel ni ministre ni favori ne résiste longtemps; surtout une raison victorieuse, qui doit inspirer des idées pacifiques, c'est l'épuisement des finances. Cela est certain, et vous pouvez être persuadée que les fonds pour la campagne prochaine ne sont pas trouvés, et que bien s'en faut que les Français soient en état de faire, cette année, de grands efforts. Ce sont là les premiers arguments pour ces politiques durs, arrogants et inhumains. Je suis de même certainement persuadé que M. de Serbelloni se trompe dans ce qu'il a débité au sujet de l'Espagne. J'ai reçu hier une lettre de mylord Marischal, de Madrid, qui me marque que le roi d'Espagne était tout au plus mal disposé pour la maison d'Autriche, qu'il travaillait à la paix, et que j'y trouverais mon compte. On ne paye guère des subsides pour l'entretien de trente mille hommes. L'Espagne peut avoir donné quelques secours au roi de Pologne, mais assurément ils ne seront pas considérables, et M. Serbelloni a trouvé à propos de faire cette fanfaronnade pour inspirer du courage à ses cercles.
Voilà, madame, une lettre qui n'a point de fin. Je suis honteux de mon bavardage et de toutes les misères que je vous mande. J'ai suivi mon plaisir, et je n'ai pas pensé au vôtre. J'ai cru faire conversation avec vous, et cette illusion flatteuse m'a fait abuser de votre temps et de votre patience. Enfin, madame, vous me gâtez tout à fait. Je deviens importun, fâcheux, à charge à mes amis et insupportable à tout le monde. Si vous avez fait le mal, c'est à vous à le guérir; je prendrai en témoignage de vos bontés les corrections et<207> les réprimandes qu'il vous plaira de me donner; elles ne feront qu'ajouter à la haute estime et à l'admiration avec laquelle je suis,
Madame,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
16. A LA MÊME.
(Freyberg) 26 mars 1760.
Madame,
Ce jour a été heureux pour moi. Il m'a procuré trois de vos lettres, l'une plus obligeante que l'autre. L'incluse de Pa. annonce l'arrivée, et que le B. de F. s'était chargé de sa commission, et avait incessamment mis les fers au feu, et qu'il lui procurera le moyen de faire passer la réponse. Il paraît clair qu'il y a deux partis là-bas, qui partent de principes très-différents les uns des autres. Mais, malgré ces intrigues, je ne crois pas qu'il faut désespérer de la paix. J'ai des lettres de Hollande qui me donnent bonne espérance, et peut-être qu'au mois de juin nous en verrons les fruits. Vous avez la bonté de me marquer, madame, l'embarras où vous êtes touchant les lettres. Je ne vois de route que celle de Leipzig. Il y a un corps de Prussiens avancé de nouveau à Zeitz, qui chassera Luszinzky de Gera. Tant que cette petite expédition durera, la correspondance sera sûre; quand cela sera fini, je ne vois de route que celle de Leipzig qui nous reste ouverte.
<208>Voici une réponse à Vol., dont j'ai encore l'incongruité de vous charger.
Si ce livre du philosophe anglais m'apprend à me mieux morigéner, je vous supplie, madame, de me l'indiquer. Je ne le connais pas; mais je le crois bon, s'il mérite votre suffrage. Ce sont les malheurs, madame, qui rendent les hommes philosophes. Ma jeunesse a été l'école de l'adversité, et, depuis, dans un rang tant envié, et qui en impose au peuple par une enflure de grandeur, je n'ai pas manqué de revers et d'infortune. Une chose qui n'est presque arrivée qu'à moi est que j'ai perdu tous mes amis de cœur et mes anciennes connaissances. Ce sont des plaies dont le cœur saigne longtemps, que la philosophie apaise, mais que sa main ne saurait guérir. Le malheur rend sage, il dessille les yeux des préjugés qui les offusquaient, et nous détrompe des objets frivoles. C'est un bien pour les autres, mais un mal pour soi; car il n'y a qu'illusions dans le monde, et ceux qui s'en amusent sont en effet plus heureux que ceux qui en connaissent le néant et les méprisent. On pourrait dire à la philosophie ce que ce fou qui se croyait en paradis disait au médecin qui l'avait guéri et lui demandait son salaire : « Malheureux, veux-tu que je te paye du mal que tu m'as fait? J'étais en paradis, et tu m'en as tiré. »208-a
Voilà, madame, une confession qui ne fait guère honneur à la raison; mais c'est la vérité toute pure. Le stoïcisme est le dernier effort auquel l'esprit humain puisse atteindre; mais pour nous rendre heureux, il nous rend insensibles, et l'homme est un animal plutôt sensible que raisonnable;208-b ses sens ont un puissant empire sur lui, que la nature leur a donné et dont ils abusent souvent, et la guerre que la raison leur fait sans cesse est à peu près semblable à celle que je<209> fais à mes ennemis, dont souvent le grand nombre m'accable. Je crains bien que ces vapeurs de morale ne vous causent, madame, un profond ennui; pourvu qu'elles rendissent votre sommeil meilleur, vous pourriez au moins vous en servir comme d'un soporifique et en user envers moi comme l'abbé Terrasson209-a envers un prêtre de sa paroisse. L'abbé Terrasson avait des insomnies qui le minaient et le conduisaient doucement au tombeau. Un jour qu'il était excédé de ce mal, il envoya chercher ce curé. Le tonsuré arriva, tout fier d'opérer une belle conversion; il triomphait déjà dans le fond de son cœur, quand l'abbé mourant lui dit : « Monsieur le curé, ne pourriez-vous pas me répéter quelqu'un des sermons que je vous ai entendu faire? Je me souviens que je dormais si bien dans votre église! Les médecins m'ont abandonné; mais prêchez, et vous me rendrez la vie. » Puissiez-vous, madame, de longtemps n'avoir besoin, pour votre santé, ni de ses sermons, ni de mes lettres! Puissiez-vous être persuadée, autant que je le voudrais, de la reconnaissance et de la haute estime avec laquelle je suis,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
17. A LA MÊME.
(Freyberg) 30 mars (1760).
Le malade est arrivé ici. Il se trouve beaucoup mieux qu'il n'a été; mais les médecins, par bizarrerie, l'envoient en Angleterre, où il<210> faut qu'il prenne encore quelques remèdes par lesquels sa santé pourra se rétablir entièrement. Il vous est très-obligé de la part que vous prenez à sa situation, et il sent que sa guérison sera plutôt votre ouvrage que celui des médecins. Quelque autre docteur en médecine à grand bonnet donne aussi de bonnes espérances. Il veut se mêler de cette cure; mais il guérira le malade par sympathie, en taillant et bras et jambes à ceux qui n'aiment point le malade, et qui se sont opposés à sa guérison. Voilà de belles apparences; elles peuvent se réaliser; cependant il faut continuer à dire : Nage, et ne t'y fie pas.210-a
18. A LA MÊME.
Freyberg, 1er avril 1760.
Madame,
Vous m'ordonnez de vous dire mon sentiment sur ce que contient l'incluse. Je vous le dirai donc, madame, avec toute la vérité que je vous dois, vous conjurant cependant de ne le pas prendre pour un oracle; et il me paraît que les choses ne sont pas encore assez avancées pour en venir là, parce que personne n'a, jusqu'à présent, dit son mot, et il nous convient d'attendre à quel point la France et l'Angleterre pourront s'accorder touchant leurs propres intérêts, qui vraisemblablement leur sont les plus proches; après quoi il sera temps que chacun dise son mot, et, à en juger selon les apparences, ces discussions deviendront l'occupation du congrès. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Impératrices ne veulent en aucune façon s'entendre à la paix, et que par conséquent cette campagne aura lieu, quoi qu'il en<211> puisse arriver. Quoique la charge me reste seul, et que je garde le nord et le sud de l'Europe sur mes épaules, il en faut passer par là et s'en fier à la fortune, si l'on peut cependant sans présomption se fier à son inconstance. Si vous voulez donc vous fier à mes faibles lumières, je crois, madame, qu'il ne sera temps de parler que lorsque nous aurons des nouvelles d'Angleterre qui marquent que les esprits se rapprochent, et qu'il y a apparence que l'on pourra convenir de la paix. Dès que mes nouvelles me le marqueront, je vous écrirai simplement que l'on disait que vous deviez depuis longtemps une réponse à la princesse de Galles, et que je croyais que cela lui ferait plaisir si vous lui écriviez. Voilà mon sentiment, madame, au vrai, tel que je me le conseillerais à moi-même, si j'étais en votre place. Le Mercure211-a pourra être dans deux jours à Lo.,211-b d'où il pourrait bien encore repasser à Pa.211-c Vous voyez que tout cela ne va pas aussi vite qu'on le désire; mais encore est-ce beaucoup, si l'on peut réussir. Je suis avec la plus haute estime,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
19. A LA MÊME.
Madame,
Je crois qu'il sera bientôt temps d'écrire en Angleterre. Je me recommande à votre souvenir.
20. A LA MÊME.
Meissen, 8 mai 1760.
Madame,
Je me suis persuadé que c'était une espèce de devoir de ma part de vous envoyer ce fatras de vers que l'on m'a volé,212-a et qui paraît au moins avec moins d'incorrections que dans l'édition furtive de Lyon, que les libraires de Hollande ont copiée. Ces vers n'ont été composés, madame, que pour un petit cercle de personnes qui avaient pour moi autant d'indulgence que celle que vous daignez me marquer. Je vous avoue que j'ai pensé tout haut, et que je n'ai point craint d'être trahi. Je ne sais pas même encore actuellement qui accuser du larcin que l'on m'a fait. Je sens qu'il y a bien des matières, dans ce livre, peu faites pour le public; mais ce n'est en vérité pas pour lui que l'ouvrage a été fait. Je connais assez le goût du siècle pour savoir ce qu'il approuve, et mes vers sont trop raisonneurs, trop sérieux et trop dépouillés de cette espèce d'aménité qu'on y demande. Je craignais même qu'on ne me soupçonnât de pouvoir rimer et d'encourir la réputation du proverbe qui dit : fou comme un poëte. Mais toutes mes précautions ont été inutiles. Me voici poëte malgré moi,<213> et j'ai voulu me présenter à vous sous cette qualité, parce que je crois qu'on ne doit rien avoir de caché pour ses amis.
Phihihu a été heureux de trouver grâce devant vos yeux; c'est ce qui m'enhardit à vous envoyer, madame, une Lettre assez singulière.213-a Je me défends de mes dents et de mes griffes, et, si cela paraît un peu trop véhément, je vous supplie de m'obtenir l'absolution de M. Cyprianus213-b ou de son successeur; tout pauvre pécheur en a besoin, et moi surtout, qui, entraîné par les mœurs débordées du siècle, succombe souvent aux tentations du vieux démon qui est sans cesse à rôder à la chasse des âmes.
Je n'ai point de lettres de Londres depuis le 18, que le vent a été contraire. A vous dire naturellement ce que je pense, je m'aperçois que les Anglais ne veulent pas la paix. Il fallait pourtant en faire la tentative pour le bien de l'humanité et pour n'avoir rien à se reprocher; et, confus de n'être pas de votre opinion, madame, au sujet des opérations de la Providence, je ne saurais me désabuser du préjugé dans lequel je suis que, à la guerre, Dieu est pour les gros escadrons. Jusqu'ici, ces gros escadrons se trouvent chez nos ennemis. J'ai habillé en poésie mes rêves métaphysiques sur ce sujet. J'ai tiré les plus considérables exemples que l'histoire nous fournit de hasards fortunés et malheureux, et, si ce n'est pas abuser de votre indulgence, je prendrai la liberté de vous envoyer un jour cette pièce.213-c
J'ai lu Hume, madame, et, pour vous en dire mon sentiment avec toute franchise, je vous avoue qu'il me semble qu'il court trop après les paradoxes, ce qui l'égare quelquefois, et le fait tomber en contradiction avec lui-même; il fouette la religion chrétienne sur les fesses<214> du mahométisme,214-a et partout il en dit ou trop, ou trop peu. La métaphysique, selon mes faibles lumières, veut être traitée avec beaucoup de circonspection, et il ne faut y admettre que des raisonnements rigoureux, où l'évidence soit partout convaincante, ou, si l'on a des ménagements à garder, il vaut mieux se taire. Ce qu'il y a de mieux dans le livre de M. Hume est tiré de Locke; mais l'auteur moderne ne renchérit pas sur l'ancien. Au contraire, il paraît que Locke prête des béquilles à M. Hume pour l'aider à se traîner dans un pays où le terrain semble sans cesse se dérober sous ses pieds. Je vous demande encore mille fois pardon de ce bavardage, madame; je me mêle de vous dire des choses que vous savez et sentez mille fois mieux que moi. Je suis votre enfant gâté; si je vous ennuie, c'est en vérité votre faute. Je vous apprendrai peut-être à moins prodiguer vos bontés, en vous inspirant le repentir de tout ce que vous m'enhardissez à vous écrire. L'homme bénit214-b est encore avec son épée, et sa toque, et son armée, au faubourg de Dresde. Selon toutes les apparences, ce mois-ci se filera jusqu'à sa fin sans qu'il y ait grande effusion de sang. Je ne vous réponds pas du reste, moi, qui ne vois guère au delà du bout de mon nez.
Daignez, madame, être persuadée de tous les sentiments que vous m'inspirez, surtout de la reconnaissance avec laquelle je ne cesserai d'être,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
21. A LA MÊME.
(Schlettau, près de Meissen) ce 17 (mai 1760).
Madame,
J'ai reçu aujourd'hui la lettre du 8 que vous avez eu la bonté de m'écrire. Si vous vous confiez à ma sincérité, je puis vous en répondre; mais si c'est à mon habileté, vous pourriez vous y tromper. Je vous donne, madame, les conseils que je me donnerais à moi-même; c'est tout ce que je puis faire. Vous savez que les projets des hommes et les événements ne s'accordent que rarement, et que notre prudence, resserrée dans des bornes étroites, n'a guère de prise sur l'avenir. Cet avenir est à présent à nos yeux plus obscur que jamais. Je ne sais si le jeune Mercure pourra le débrouiller d'un coup de son caducée; il faut toujours l'espérer à bon compte. Les paquets qui se trouvent pour lui entre vos mains, madame, sont dans le sanctuaire. Ils étaient relatifs à sa première mission, et, si vous daignez les garder jusqu'à son retour, ils lui seront toujours assez tôt rendus.
Permettez que je ne vous réponde pas sur l'article du hasard. C'est une question métaphysique qui me mènerait trop loin. Il est sûr que le bien est sur la terre, mais malheureusement le mal y est aussi. Si donc la Providence fait tout, elle fait le mal, et Dieu, qu'on ne peut se représenter que sous l'image de la bonté même, deviendrait par là un être tyrannique, malfaisant et indigne de notre culte. Selon ma façon de raisonner, je tâche d'être le plus conséquent qu'il m'est possible, et cela m'écarte nécessairement de la façon d'argumenter lâche et flasque des métaphysiciens de l'école. Cependant ne pensez pas, madame, que j'entende par hasard un être indépendant et tel que le paganisme se l'est forgé; je n'attache à ce mot d'autre idée que celle des causes secondes, dont nous ne découvrons les ressorts qu'après l'événement. Mais tout ce qui en résulte est dans l'ordre<216> des choses, parce que ce ne sont que des suites nécessaires des passions qui ont été données aux hommes, et qui contribuent alternativement à leur bonheur et à leur malheur. L'Être suprême a répandu tous ces différents caractères sur la surface de la terre, à peu près comme un jardinier sèmerait au hasard dans un parterre des narcisses, des jasmins, des œillets, des soucis et des violettes; elles croissent au hasard, chacune dans la place où leur semence est tombée, et produisent nécessairement la fleur dont elles contiennent le germe. Ainsi les passions agissent toujours conformément à leur caractère, et le grand architecte s'en embarrasse aussi peu que vous, madame, d'une taupinière de fourmis qui peut se trouver dans vos jardins. Je supprime un beau nombre d'arguments in barbara et celarent, capables de causer une indigestion à l'estomac d'une autruche; mais, en gros, je suis fermement persuadé que le ciel ne s'embarrasse pas de nos misérables démêlés, ni de toutes les pauvretés qui nous tourmentent jusqu'au moment où le quart d'heure de Rabelais sonne,216-a et qu'il faut décamper. On ferait un gros livre des exemples qui autorisent mon opinion; mais ne craignez rien, madame, je me renfermerai dans les bornes épistolaires, et je m'en rapporte à MM. les professeurs en us sur les gros ouvrages; ces messieurs ne ménagent ni le public, ni les libraires. Si la défunte monade de Wolff existait encore, il vous régalerait d'un petit essai en vingt-quatre volumes in-folio, où, après bien des citations de la cosmologie, de la théodicée, etc., etc., etc., il vous prouverait que ce monde-ci est le meilleur des mondes possibles. Pour moi, qui n'en crois rien, et qui sens malheureusement beaucoup de maux, je pourrais lui faire la réponse de ce stoïcien auquel un péripatéticien niait le mouvement : le stoïcien le confondit en marchant devant lui.216-b Les faits portent avec eux un<217> caractère d'évidence auquel la subtilité des sophismes est forcée de céder.
Mais en voilà bien assez sur une matière si abstraite. Soyez persuadée, madame, que je compte pour le plus heureux hasard de ma vie celui qui m'a guidé si bizarrement à votre cour. Le bonheur de ma vie n'a duré qu'un moment. Je me flatte que, si je vois la fin de cette guerre, je pourrai jouir de la même faveur avec moins d'interruption. Ce sont les vœux et l'espérance de celui qui sera à jamais,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
22. A LA MÊME.
Neustadt (près de Meissen), 22 novembre 1760.
Madame,
Après que ma vie errante m'a promené depuis près de six mois de province en province, ce m'est, madame, une véritable consolation de recevoir de vos nouvelles et d'apprendre par vous-même la part que vous daignez prendre à quelques succès qui ont accompagné nos entreprises. Il est sûr que la guerre présente se distingue de toutes les autres par un certain acharnement opiniâtre et atroce qui caractérise l'esprit de nos politiques modernes. Cette campagne a été pour moi la plus cruelle de toutes. Il n'y a pas eu moyen de déloger l'ennemi de son poste avantageux auprès de Dresde. Nous allons prendre nos quartiers. Les circonstances m'obligeront d'avoir une tête à Altenbourg; ce sera cependant en regardant ce pays comme un sanc<218>tuaire. J'ai chargé, madame, votre cavalier d'une proposition; je ne sais si elle sera acceptable. J'ose vous demander deux mots de réponse.
Le Mercure a eu un sort singulier. D'Angleterre il est retourné à Paris, où on l'a mis à la Bastille; puis on l'a relâché et obligé de sortir du royaume, en prenant la route de Turin. Il y a quatre mois qu'il m'en a fait une relation qui mériterait d'être imprimée pour l'extravagance originale et le ridicule des procédés qu'on a eus envers lui. Depuis ce temps, madame, il n'a plus donné signe de vie, de sorte que, s'il n'est pas encore à Turin, je ne saurais vous donner de ses nouvelles.
Tous les arrangements que je prends, et ceux du prince Ferdinand, tendent, madame, à vous délivrer de l'importunité de vos voisins. Dans peu je me flatte que vous en verrez les effets. Mais sera-ce encore à recommencer l'année prochaine?
Je me flatte, madame, que vous voudrez me permettre de vous écrire dans des moments où j'aurai l'esprit plus libre qu'à présent, et je me réserve de vous réitérer alors les assurances de la haute considération, de l'estime et de l'amitié avec laquelle je suis,
Madame,
Votre fidèle ami et cousin,
Federic.
23. A LA MÊME.
Meissen, 4 décembre 1760.
Madame,
Je comprends que bien des raisons vous empêchent de m'accorder la faveur que je vous ai peut-être trop inconsidérément demandée. Je n'en hais que plus nos ennemis, puisqu'ils en agissent si tyranniquement, et que, s'ils ne peuvent gagner les cœurs, ils veulent au moins contraindre les intentions et gêner jusqu'aux sentiments de bienveillance et d'amitié. Je sais que le prince Ferdinand doit agir; je ne sais ce qui l'arrête, et je m'étonne qu'il ait toléré si longtemps les Français et les Saxons dans une position dont il doit avoir prévu les conséquences. Mais, madame, que me pronostiquez-vous pour l'année prochaine? Encore la guerre et les mêmes situations désespérées dont un hasard favorable m'a su tirer cette année? Je vous le confesse, cette situation est insupportable, et je ne puis envisager cet avenir qu'en frémissant. C'est comme si l'on disait à un homme : Vous êtes tombé deux fois dans la mer sans vous noyer; jetez-vous-y encore. Ne répondrait-il pas : Je rends grâce à mon destin de m'avoir préservé deux fois des dangers éminents que j'ai courus; si je mets ce destin à trop d'épreuves, il m'abandonnera comme un téméraire incorrigible. Voilà, madame, entre vous et moi, ce que je pense de tout ceci. J'en reviens à ce vieux proverbe qui, tout trivial qu'il est, n'en est pas moins vrai : « Tant va la cruche à l'eau, qu'elle se brise à la fin. » Un malheureux moment peut tout renverser, et, d'ailleurs, comment nous flatter de la fortune malgré ce nombre accablant d'ennemis qui conjurent ma perte?
Votre correspondant de Londres me fait bien de l'honneur; mais, madame, s'il avait vu une de ces batailles de ses yeux, il en conserverait une juste horreur, et il conviendrait que, de toutes les passions<220> des hommes, l'ambition est la plus funeste au genre humain. Daignez faire, madame, des assurances de mon estime à M. le duc.
Je pars dans quelques jours pour Leipzig, d'où je compte faire des changements qui tendront à ménager le duché d'Altenbourg et, s'il se peut, à contribuer, avec l'aide du prince Ferdinand, à vous délivrer de l'importun voisinage de vos fâcheux.
Je suis avec tous les sentiments de la plus parfaite considération et d'estime,
Madame,
Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.
24. A LA MÊME.
Leipzig, 3 janvier 1761.
Madame ma cousine,
Chacune de vos lettres, mon adorable duchesse, augmente pour vous mon admiration et ma reconnaissance. Vous surpassez, madame, toutes mes espérances, et vous donnez un bien bel exemple au monde de l'amitié et de ses obligations les plus étendues. Puissé-je y répondre, de mon côté, en vous servant, en vous étant utile, et en pouvant trouver l'occasion de vous prouver que vous n'avez pas obligé un ingrat! Je vous avoue, madame, que je suppose à ce M. Bute220-a un cœur de fer et des entrailles d'airain. Plutôt détournerait-on le cours du Danube, plutôt fondrait-on les rochers de la Thuringe, que de lui faire changer de sentiments. Cependant il est beau de l'entreprendre. Si vous y réussissez, madame, souffrez que j'élève votre entreprise au-dessus de tous les travaux d'Hercule. Je<221> me flatte que la diète sera plus traitable. Les princes commencent tous à concevoir que la guerre qu'on leur faisait faire n'était pas pour eux. La cour de Vienne fait aussi paraître plus de velléités pour la paix que jusqu'ici elle n'en a témoigné, ce qui me donne quelque espérance que nous touchons à la fin de nos maux et de nos embarras. Il en était bien temps. Il n'y a rien de si ridicule que de se battre toujours, surtout quand on ne sait pas pourquoi. Enfin, madame, vous contribuerez à cette paix, qui m'en deviendra plus chère par la part que vous y avez. J'ai aussi donné des ordres à l'instant à l'officier qui est à Gotha, pour qu'il ralentisse sa commission, ne désirant, madame, que de vous témoigner en toute occasion l'ardent désir que j'ai de vous complaire en tout ce qui dépend de moi.
Daignez recevoir ces prémices de mes bonnes intentions comme les arrhes de l'avenir, et comptez-moi, ma chère duchesse, pour le plus zélé de vos amis et de vos adorateurs. Ce sont des sentiments que je me fais gloire de conserver jusqu'au tombeau, étant.
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
25. A LA MÊME.
Leipzig, 12 janvier 1761.
Madame,
La crainte que mes lettres ne fussent interceptées m'a fait jusqu'ici supprimer mes sentiments, lorsque le frère du Mercure arrive à l'im<222>proviste, et me rend la lettre dont vous avez eu, madame, la bonté de le charger. Je vous rends grâce de la manière affectueuse dont vous daignez faire des vœux pour le bien des conjonctures et pour ce qui me regarde. Je vous assure, madame, que, sans vous le dire à vous-même, je vous ai souhaité et vous souhaite tous les jours de ma vie le bonheur que méritent votre vertu distinguée et vos grandes qualités. Ce sont des sentiments qui me resteront pour la vie, parce qu'il m'est impossible d'estimer les personnes ou de donner mon cœur à demi. Vous pouvez juger par conséquent que j'aurais tout fait de moi-même pour contribuer à ce qui vous peut être utile et agréable; mais, comme cette matière me paraît trop délicate pour être confiée au papier, j'en charge votre émissaire, qui, sous votre bon plaisir, pourra vous rapporter verbalement ce qui concerne cet article.
Je suis ici, depuis quatre semaines, dans le pays latin. J'ai, pour m'amuser, passé en revue tous les professeurs de cette université;222-a j'en ai trouvé trois ou quatre remplis de mérite et de belles connaissances, entre autres, un professeur de grec qui m'a semblé avoir plus de jugement et de goût qu'il n'est commun d'en rencontrer dans les savants de notre nation. Mais, dans la foule, j'en ai déterré un qui n'aurait pas échappé à Molière, s'il avait vécu de son temps. Cet homme admirable222-b m'a dit avec une gravité magistrale qu'il avait accouché de soixante volumes in-folio, et qu'il en avait publié deux tous les trois mois. Je lui dis : « Mais, monsieur, vous possédez donc la science universelle? - Aussi fais-je, repartit-il. - Mais, monsieur, tous les trois mois deux volumes in-folio! Y pensez-vous bien? Je n'aurais pas le temps de les écrire; et comment donc avez-vous pu<223> les composer? - Cela partait de là, me dit-il, mettant le doigt sur son front. » Un de ses confrères charitables ajouta : « Et du dictionnaire de Bayle, de Moréri, de Chambers, et de tous les dictionnaires connus, que monsieur a fondus ensemble. - Oui, je les ai refondus ensemble, dit le savant; mais je les ai rendus excellents, car je les ai corrigés tous. »
Puisse le ciel, madame, vous et moi nous préserver, cette année et toutes les autres de notre vie, d'auteurs qui sont pères de soixante volumes in-folio! J'en ai jusqu'à ce moment-ci l'imagination si frappée, que je tremble à l'aspect d'un livre, à moins que ce ne soit un in-douze.
Je vous demande votre indulgence ordinaire en faveur des balivernes que je vous mande. J'ai cru que, dans le temps qui court, c'étaient les seules nouvelles qu'on pouvait mander et recevoir sans causer des sensations désagréables. Daignez me passer l'histoire des professeurs en faveur du sincère attachement avec lequel je suis à jamais,
Madame,
Votre fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
26. A LA MÊME.
(Leipzig) 23 février 1761.
Madame,
Je suis trop heureux, si j'ai pu contribuer en quelque chose à vous délivrer de la tyrannie française et saxonne.223-a Vous êtes au moins<224> vengée, madame; je voudrais qu'il dépendît de moi de réparer aussi facilement les dommages que le pays de Gotha a soufferts. Du moins je n'en comblerai pas la mesure. Mes troupes ont ordre de se conduire avec circonspection et désintéressement. Mais, pour plus de sûreté, elles iront à présent chasser les cercles du bout de la Saxe, où ils sont encore, de sorte que je me flatte, madame, qu'ils ne vous causeront aucune incommodité. Toute cette besogne n'a pas été expédiée aussi vite que je l'aurais désiré; mais il y avait tant de têtes à accorder, que je suis persuadé que vous ne m'en attribuez pas la faute.
Quoi qu'il en soit, il est probable que cet événement contribuera essentiellement à la paix. Elle est désirable pour le bien de l'Allemagne, pour celui de l'humanité, et en vérité pour toutes les parties belligérantes, dont l'ambition ne s'est nourrie que de chimères jusqu'ici, et qui ont abîmé leur pays pour soutenir cette malheureuse et funeste guerre. Le moment le plus heureux de ma vie sera celui où je pourrai vous annoncer, madame, cet heureux événement. En attendant, soyez persuadée que personne ne vous aime, ne vous estime et honore plus que je fais profession de le faire, étant avec la plus haute estime et considération,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
27. A LA MÊME.
Breslau, 22 décembre 1761.
225-aMadame ma cousine,
L'obligeante lettre que Votre Altesse m'a écrite le 8 de ce mois ne m'a été rendue qu'aujourd'hui, et j'ose me flatter que, connaissant ma façon de penser à votre égard, vous serez très-persuadée, madame, que ce me serait un vrai plaisir de me prêter simplement à la demande que vous m'y faites au sujet du comte de Werthern,225-b si, d'ailleurs, je me trouvais au fait de son affaire. Toutefois ledit comte ne me sert pas proprement d'otage; mais c'est plutôt à la réquisition de l'entrepreneur des livraisons qui ont été fournies en conséquence du contrat passé par les états de la Thuringe, auquel ceux-ci ont manqué de satisfaire, que le commissariat de guerre en Saxe s'est vu nécessité, pour moyenner le payement auquel les états se sont engagés en vertu de leur contrat, de prendre des mesures pour la sûreté du payement en question. Je regrette de n'être pas à portée de mon commissariat de guerre en Saxe, les voies de la correspondance étant mal sûres, pour lui demander des éclaircissements sur une affaire où il s'agit du droit du tiers, sans que j'y intéresse directement, et que, en général, mes occupations soient, à l'heure qu'il est, si nombreuses et de nature à me prendre jusqu'aux moments nécessaires pour entrer dans des détails étrangers.
<226>Je vous prie, madame, de me croire avec les sentiments invariables d'une estime distinguée et de la plus parfaite amitié,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-bon cousin,
Federic.
28. A LA MÊME.
Bettlern, 18 mai 1762.
226-aMadame ma cousine,
La lettre qu'il vous a plu, madame, de m'écrire, du 7 de ce mois, m'est un témoignage bien authentique des sentiments d'amitié que vous avez pour moi. J'en sens tout le prix, et V. A. peut s'attendre à un parlait retour, et que je m'empresserai à trouver des occasions où je puisse lui donner à connaître la haute estime et l'amitié très-parfaite avec lesquelles je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-bon cousin.
226-bDans ces moments où mon occupation est immense, vous me<227> pardonnerez, madame, si je ne vous écris pas moi-même; ce n'est ni l'estime et l'amitié, mais le maréchal Daun seul qui m'en empêche.
Fr.
29. A LA MÊME.
Löwenberg, 2 novembre 1762.
Madame,
Votre lettre, et les assurances que vous m'y donnez de la part que vous daignez prendre aux avantages que nous avons eus,227-a m'a fait presque plus de plaisir que ces avantages mêmes. Les succès ne flattent que l'ambition et l'intérêt; mais l'amitié touche le cœur, et il m'est impossible de n'y pas être sensible, connaissant, madame, comme je fais, la noblesse de votre cœur et la sincérité de vos sentiments. J'apprends aujourd'hui une petite victoire que mon frère vient de remporter sur les Autrichiens auprès de Freyberg.227-b Il semble, à la fin, que la fortune se lasse de nous persécuter, et que, après avoir été durant sept campagnes en butte à tous ses coups, elle veut désormais nous traiter avec moins de rigueur. Peut-être que ceci mènera les choses à la paix, et que nos ennemis, trouvant leur mauvaise volonté insuffisante, prendront des sentiments plus modérés et plus humains. J'aime fort, madame, toutes les victoires et les avantages qui mènent à la paix; le reste n'est qu'une effusion de sang et une boucherie inutile. Veuille le ciel que les choses en viennent bientôt là! Peut-être serai-je dans peu dans votre voisinage, madame, et je<228> me flatte qu'il se pourrait qu'une conjoncture assez favorable me mît à portée de vous témoigner de vive voix combien je suis avec les sentiments de la plus haute estime,
Madame,
Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.
30. A LA MÊME.
Meissen, 20 novembre 1762.
Madame,
J'ai été fort flatté de la part que vous daignez prendre, madame, aux succès que nous avons eus durant cette campagne. Il serait à souhaiter que ce fussent autant de lignes qui aboutissent au centre de la paix. Cependant il faut espérer que nous en approchons, si même nous n'y touchons pas à présent immédiatement. Comme mes quartiers s'étendent, cette année, de Plauen et Zwickau vers Langensalza, et que je suis obligé d'en faire la tournée pour régler les choses nécessaires, mon chemin me conduirait naturellement à Gotha. Cependant, comme je sens, madame, que vous avez bien des ménagements à garder, et que je serais inconsolable de vous causer du chagrin, mandez-moi, je vous prie, naturellement, si mon passage pourrait vous porter quelque préjudice, ou non. Je suis persuadé, madame, de votre amitié; ainsi vous pouvez m'écrire ce qui vous convient, sans craindre que je l'interprète d'une manière différente. Si vous croyez que ce petit projet que je forme ne vous porte aucun préjudice, je passerai par Gotha, et vous n'avez qu'à paraître l'avoir ignoré<229> jusqu'à mon arrivée. Si, au contraire, cette démarche peut tirer à la moindre conséquence, je changerai mon chemin, et prendrai une route qui me détournera de votre voisinage. Je vous supplie de m'écrire tout naturellement, sans vous contraindre, car, persuadé, madame, de votre amitié, dont j'ai tant de témoignages, je vous supplie de ne pas croire qu'un refus altère en rien ma façon de penser à votre égard. Je suis avec tous les sentiments de considération et d'estime,
Madame ma cousine,
Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.
31. A LA MÊME.
Meissen, 29 novembre 1762.
Madame,
Autorisé de votre approbation, j'aurai le plaisir infini de vous rendre mes devoirs le 3 de décembre, et de vous réitérer, madame, les plus vives et les plus sincères assurances d'estime et d'amitié.
MM. du commissariat se sont un peu lourdement et grossièrement acquittés de leur charge, dont je vous fais des excuses. Mais daignez considérer, madame, que, en temps de guerre, nulle marchandise ou espèce n'est plus indispensablement nécessaire que celle des hommes. Daignez faire réflexion que, sans la bataille de Freyberg, les pays du Duc auraient été, comme l'année précédente, en proie aux dures extorsions de mes ennemis; que cette bataille a coûté infiniment plus de monde que celui qu'on demande; que toutes mes provinces sont envahies ou entièrement saccagées et dévastées par<230> mes ennemis; que le monde qu'on lève en Saxe est infidèle et même porté à nous trahir; qu'il faut au moins, parmi ce nombre que nous ne nous pouvons dispenser d'employer, quelques gens sur la fidélité desquels on peut compter; enfin, que le petit nombre qu'on demande n'est pas, à beaucoup près, proportionné à celui que d'autres princes fournissent, et que, en négligeant les centaines, on ne parvient pas à former des milliers, qu'il nous faut assembler. Tout ceci sont, madame, des raisons très-pressantes pour ceux qui sont dans la nécessité de se battre, où certainement le nombre n'est pas à mépriser. Si je n'étais pas dans le cruel embarras où je me trouve, j'aurais certainement eu conscience de vous importuner pour une bagatelle; mais, vu le procédé brutal du commissariat, ceci peut passer pour une violence, et il n'y a qu'à crier à Ratisbonne. Je vous expose toutes mes raisons, en les soumettant, madame, à l'équité de votre jugement, et en alléguant la nécessité, souvent plus forte que les lois.
Je jouis déjà d'avance du plaisir que j'aurai de revoir cette amie respectable qui m'a captivé le cœur dès que j'ai eu le bonheur de la connaître. En vous priant, madame, d'être bien persuadée que je vous parle avec toute la franchise possible, et que mon cœur ne dément point ma bouche quand je vous assure que l'on ne saurait être avec plus d'estime et de considération que je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle ami et serviteur,
Federic.
32. A LA MÊME.
Leipzig, 6 décembre 1762.
Madame,
Je ne tarirais point, mon adorable duchesse, si je vous rendais compte de toute l'impression qu'a faite sur mon cœur l'amitié dont vous m'avez comblé.231-a Je voudrais pouvoir y répondre en entrant en tout ce qui vous peut être agréable. Je prends la liberté de vous envoyer les réponses aux deux mémoires que vous m'avez remis. Je suis mortifié, madame, si je n'ai pu remplir tout à fait vos désirs; mais, si vous saviez la situation où je me trouve, je me flatte que vous y auriez quelques égards. Je me suis trouvé ici accablé d'affaires, et plus encore que je ne l'avais prévu. Cependant, si je trouve jamais jour à pouvoir vous rendre en personne l'hommage d'un cœur qui vous est plus attaché que ceux de vos plus proches parents, je ne négligerai assurément pas la première occasion qui s'en présentera.
MM. les Anglais achèvent de me trahir.231-b Le pauvre M. Mitchel231-c en est tombé en apoplexie. C'est une chose affreuse, mais je n'en parlerai plus. Puissiez-vous, madame, jouir de toutes les prospérités que je vous souhaite, et ne point oublier un ami qui sera jusqu'à sa mort, avec les sentiments de la plus haute estime et de la plus parfaite considération,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
33. A LA MÊME.
Leipzig, 11 décembre 1762.
Madame,
Je reconnais votre bonté et votre indulgence, mon adorable duchesse; c'est elle qui m'enhardit, et qui m'en rend quelquefois très-indigne. La seule qualité que j'aie est d'avoir un instinct qui connaît le mérite, et une âme qui honore la vertu. Voilà ce qui m'a subjugué dès que j'ai eu le bonheur de vous connaître, et voilà ce qui m'attache à votre personne pour la vie. Hélas! madame, un mot que j'ai lâché en passant vous a donné de l'ouvrage plus qu'il n'en fallait. Que je me repens d'avoir lâché ce mot! Pour vous donner une idée de ma situation vis-à-vis de l'Angleterre, vous saurez, madame, que nos traités sont bien différents de la conduite que le ministère britannique tient actuellement envers moi. Il y était stipulé de ne faire ni paix ni trêve sans le consentement de ses alliés. Le reste roulait sur une garantie solennelle et réciproque de toutes nos possessions. J'ai été le seul des alliés de l'Angleterre dont elle sacrifie les intérêts, car les Autrichiens vont se mettre incessamment en possession du duché de Clèves; même M. Bute négocie de tous côtés pour me susciter des ennemis, et pour m'obliger à faire une paix humiliante et désavantageuse. Vous ne sauriez dire des vérités aussi dures à la princesse de Galles sans qu'elle s'en choque; ainsi je crois que le meilleur est de n'en point parler, d'autant plus que les intérêts de l'Allemagne et ceux de la religion protestante sont des arguments dont ce maudit Bute ne fait aucun cas. Il a même déclaré qu'il fallait établir pour principe que l'Angleterre devait en toute occasion sacrifier ses alliés aux intérêts nationaux. Après cela, madame, que nous reste-t-il à dire, sinon que, en renonçant aux sentiments d'honneur et de bonne foi, un traître peut commettre des perfidies sans en rougir, à l'abri de l'impunité dont il jouit par ses charges?
<233>J'ai ensuite examiné ici les affaires de Thuringe. Les états doivent, madame, de l'année 1760, quatre cent mille écus de contribution, et cent cinquante mille écus à un marchand qui s'est chargé de leurs livraisons. On a relâché quelques otages sur leur parole, qui, au lieu de se reproduire après les citations qui leur ont été faites, se sont éclipsés. Tant de duplicité et de mauvaise foi de la part de ces Saxons m'interdit toute voie de douceur, d'autant plus que l'objet qui est à leur charge est considérable, que nous sommes pauvres et ruinés, et qu'il faut chaque jour fournir aux dépenses, qui augmentent au lieu de diminuer. Je me rappelle cent fois cette lettre qu'on connaît de Henri IV, où il mande à un de ses amis de lui faire avoir de l'argent, parce que son pourpoint est déchiré, qu'il n'a plus ni selle ni cheval, et que ses serviteurs exigent de lui leur paye, qu'il ne sait comment leur fournir. On ne sent ces choses que lorsqu'on se trouve dans un cas pareil, et l'on se trouve presque réduit, comme saint Crépin, à voler le cuir pour donner des souliers aux pauvres. Voilà, madame, la source de bien des procédés et des mauvaises manœuvres où je suis réduit par les lois d'une nécessité impérieuse. Une suite de fatalités m'a mis dans cette situation fâcheuse et violente. Il n'est pas aisé de s'en tirer, quoique j'y travaille de tout mon pouvoir. Je sais, ma chère duchesse, que je ne risque rien en vous parlant avec cette franchise, car, dans la situation où je suis, il convient de ne faire remarquer aucun embarras, et même d'affecter d'avoir des ressources pour soutenir la gageure contre tout le monde.
Je vous demande mille pardons de vous avoir entretenue si longtemps sur des matières désagréables qui me touchent beaucoup, à la vérité, mais qui ne sont guère convenables quand on écrit à une princesse respectable à laquelle il y aurait cent autres choses à dire. Ma franchise déplacée, l'ennui que vous causera, madame, cette lettre, enfin ce qu'il y a de trop peu courtois dans ma conduite, tout<234> cela est la suite de votre trop grande indulgence. Cependant je vous promets, madame, que je n'en abuserai jamais, et que personne n'est avec plus de reconnaissance ni avec une plus haute estime que,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
34. DE LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.
Gotha, 13 décembre 1762.
Sire,
Je suis comblée des bontés de Votre Majesté. Que ne puis-je lui témoigner à quel point j'y suis sensible, et le désir ardent que je me sens à pouvoir faire des efforts pour me rendre digne de sa précieuse confiance! Que V. M., bien loin de regretter ce mot qu'elle a daigné me dire, me fasse la grâce de me montrer les moyens pour le rendre efficace. Je suis outrée du procédé inouï du ministère britannique; c'est respecter bien peu la dignité royale que de faire agir son maître contre la foi de ses engagements. Il est impossible que les choses en restent là sans qu'il s'ensuive les effets les plus funestes. Il me semble qu'il faudrait tenter tous les moyens que la prudence peut suggérer pour réconcilier à temps les deux plus grandes maisons protestantes qui sont en Allemagne, et de l'union desquelles dépend notre unique<235> salut. Si V. M. voulait permettre que j'écrivisse à la princesse, non comme je l'avais d'abord projeté, mais selon ce qui plairait à V. M., et selon qu'elle voudrait me le dicter; ou bien, Sire, trouveriez-vous plus à propos que le Duc fît cette démarche, parce qu'une lettre de sa part serait plutôt communiquée au Roi et à mylord Bute, et que, sous le titre de frère, on ose parler encore avec plus de liberté, quoique dans le fond cela viendrait absolument au même. Dans ce cas, comme dans le premier, V. M. ne risquerait assurément rien, ni pour le secret, ni pour la discrétion. Nous lui sommes si inviolablement attachés, que son intérêt nous est aussi cher que le nôtre. Disposez de nous, Sire, ordonnez-nous ce que nous devons faire, donnez-nous le canevas de cette lettre et une instruction que nous suivrons scrupuleusement. Si la considération du maintien de la religion protestante et de la liberté germanique ne peut ramener les esprits qui ont pour maxime l'intérêt national, auquel ils sacrifient et bonne foi, et équité, du moins pourrait-on leur faire toucher au doigt que ce même intérêt risquerait tout, s'ils abandonnaient le continent, et laissaient agrandir la cour de Vienne en puissance et en possessions.
C'est bien moi qui ai besoin de demander très-humblement pardon à V. M. de la longueur de ma lettre. Les vôtres, Sire, sont adorables et pleines d'intérêt. Je les aime de toutes mes facultés, j'en suis infiniment flattée. Que votre sort me touche sensiblement! Je ne saurais, Sire, l'exprimer parfaitement. Je ne désespère pourtant pas. Je conviens que c'est une dure épreuve que la situation présente de V. M., mais j'attends tout de son génie inépuisable, de sa sagesse, de son courage; ce sont des ressources fécondes pour elle, et qui l'ont tirée si souvent des plus cruels embarras! D'ailleurs, je me repose sur la bonne Providence, qui ne voudra pas abandonner la juste cause de V. M. De grâce, Sire, ménagez votre santé et votre vie, qui nous<236> sont si chères. Nous perdrions tout en vous perdant; mais, tant que V. M. existe, nous espérons toujours. J'ai l'honneur d'être avec l'attachement le plus respectueux et le plus parfait,
Sire,
de Votre Majesté
la très-humble, très-obéissante servante,
Louise-Dorothée, D. d. S.
35. A LA DUCHESSE LOUISE-DOROTHÉE DE SAXE-GOTHA.
Leipzig, 16 décembre 1762.
Madame,
Si les traces de la vertu et de l'amitié étaient effacées dans le monde, on en retrouverait l'empreinte sacrée, madame, dans votre cœur respectable.236-a Que se peut-il de plus officieux et de plus serviable que les ouvertures que vous daignez me faire? Ah! madame, vous étiez faite pour gouverner des empires et pour réformer par votre admirable exemple la conduite des souverains, presque tous dirigés par une lâche politique qui flétrit en eux ce que leur caractère a d'imposant et de sacré. Vous voulez me secourir, vous m'en proposez les moyens; mais souffrez que, à mon tour, je n'abuse pas de vos généreuses intentions. La matière, ma chère duchesse, est si délicate, et<237> les grands princes sont si pointilleusement sensibles sur ce qui concerne l'examen de leurs actions, que je crains que la lettre la plus modérée de la part du Duc ne refroidisse les sentiments de la princesse de Galles sa sœur237-a à son égard; et les fruits de votre bonne volonté seraient récompensés par des tracasseries de l'Angleterre, ou par une tiédeur de la princesse de Galles, qui nuirait nécessairement à vos intérêts. Ce sont ces raisons, mon adorable duchesse, qui m'empêchent de profiter de vos offres gracieuses; il ne sera point dit que je vous aie porté préjudice, encore moins que je vous aie brouillé avec des parents dont l'amitié vous importe autant à conserver que celle de la princesse de Galles. J'attendrai patiemment que le ministère anglais revienne à lui-même, et sente toute l'indécence de sa conduite, ce qui doit arriver dès que cette première impétuosité et cette fougue qui lui faisait désirer la paix se sera ralentie. Peut-être parviendrons-nous cet hiver à la paix. MM. les cercles veulent retirer leurs troupes : voilà M. de Bamberg, l'électeur de Bavière et celui de Mayence qui s'y sont résolus; les autres les suivront sans doute. Il faut arracher ces tisons de l'embrasement, et peut-être le feu s'éteindra. Les Autrichiens resteront les derniers champions sur l'arène, comme il leur est arrivé dans toutes les guerres. Peut-être leur paix en deviendra-t-elle plus mauvaise. Enfin, madame, il faut espérer que, comme tout finit dans le monde, cette maudite guerre finira aussi. Pour moi, je conserve gravés au fond de mon cœur les sentiments de reconnaissance et d'admiration que vous m'avez inspirés. Vous avez voulu me secourir; cela me suffit, mon adorable duchesse. Vous l'auriez assurément fait, si cela avait été possible, et la volonté doit être prise comme l'action même. Je vous proteste que je le prends ainsi, et que, dans tout le cours de ma vie, je rechercherai<238> les occasions de vous témoigner l'attachement, la tendresse et la considération avec lesquels je suis,
Madame,
de Votre Altesse
le très-fidèle ami, cousin et serviteur,
Federic.
36. A LA MÊME.
Leipzig, 22 décembre 1762.
Madame ma cousine,
Une multitude d'affaires qui, loin de diminuer, s'accumule tous les jours, m'a, mon adorable duchesse, empêché de vous répondre plus tôt. Je vous rends mille grâces du tour que vous voulez prendre pour rectifier la façon de penser de gens qui me sacrifient. Je ne me flatte pas que ces remontrances fassent une grande impression; cependant cela peut peut-être devenir utile, et le bien qu'il en résultera me sera d'autant plus agréable, que je le tiendrai de vos bontés, madame, et de votre amitié. Il y a quatre partis réunis contre ce Bute, dont j'ai tant à me plaindre : les ducs de Cumberland, de Newcastle et de Devonshire, joints à M. Pitt, se sont mis à la tête de l'opposition; mais je prévois que, si ce Bute ne se soutient pas comme ministre, il échappera au parlement sous la qualité de favori, et n'en gouvernera pas moins le royaume. Enfin, madame, il arrivera de tout cela ce qu'il plaira à la Providence d'en ordonner, car certainement personne ne prévoit ni ne dispose de l'avenir. Je vous demande mille pardons si je suis obligé de vous quitter, madame; je vous<239> épargne une dissertation politique qui certainement vous aurait ennuyée. On m'interrompt, on ne veut que six ou sept choses à la fois de moi. Je pardonnerais à mes importuns et à ces fâcheux, s'ils ne troublaient pas la conversation que vous me permettez de faire de temps en temps avec vous, madame. Je vous demande mille excuses de l'encre qui tache ma lettre, de mes incongruités, de mon ineptie, en vous suppliant de me croire avec un cœur rempli d'estime et de reconnaissance,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
37. A LA MÊME.
Leipzig, 27 décembre 1762.
Madame ma cousine,
Je suis pénétré, ma divine duchesse, de vos procédés nobles et généreux. Je vous rends mille grâces de la minute que vous daignez me communiquer. Qu'elle fasse l'effet que nous espérons, ou qu'elle soit inutile, je n'en sens pas moins le prix de votre amitié officieuse et de vos louables intentions, et je bénis le ciel, qui, en suscitant d'un côté des ennemis pour me persécuter, me fait trouver d'un autre de ces âmes toutes célestes dont l'amitié généreuse et toutes les vertus devraient servir éternellement de modèles et d'exemples au monde. Si la conduite d'un Bute m'inspire des sentiments d'aversion pour le genre humain, vos vertus, mon adorable duchesse, me réconcilient<240> avec une espèce qui vous a pu produire. Mais pourquoi tous les hommes n'ont-ils pas le cœur et les sentiments de la duchesse de Gotha? Je reconnaîtrais à ces traits l'image du Créateur, qui les a voulu faire semblables à lui-même; la société en serait plus charmante, l'amitié pure en ferait l'essence, et des services réciproques en resserreraient les liens. Je m'abandonne à ces douces rêveries. Malheureusement vous serez, mon adorable duchesse, plus admirée que vous ne ferez d'imitateurs. Pour moi, je compterai pour un des plus grands bonheurs de ma vie d'avoir vécu dans le siècle qui vous a portée, surtout d'avoir possédé votre précieuse amitié et d'en avoir reçu des marques si manifestes. Que ne puis-je, madame, vous témoigner toute l'étendue de ma reconnaissance! Elle ne finira qu'avec ma vie. Jusqu'ici, inutile et à charge à tous mes amis, je ne me suis pas trouvé dans l'occasion de leur témoigner mes sentiments par des effets. Cependant je vous prie, madame, de compter sur moi comme sur votre chevalier qui s'est dévoué à votre service, et comme sur un cœur pénétré de reconnaissance qui vous est à jamais redevable de tout le bien que vous avez voulu lui faire. Ce n'est que votre modestie qui m'empêche de vous dire tout ce que je pense sur votre sujet. J'en ai l'esprit si plein, qu'il m'arrivera assurément, quand on me parlera de guerre, de politique ou de finance, au lieu de répondre sur ce sujet, de me répandre sur les louanges de cette duchesse qui doit occuper la première place dans la mémoire de tout être pensant, pour peu qu'il aime la vertu. Vous m'avez rendu votre enthousiaste, madame, et je trouve tant de douceur à m'abandonner à cette impression, que je ne fais aucun effort pour en arrêter les progrès. Mais il ne faut point ennuyer ceux qui se sont acquis tant de droits à notre estime. Je vous épargne donc, madame, tout ce que je ne puis m'empêcher à divulguer aux autres; je vous épargne tous les vœux que je fais pour vous au sujet de la nouvelle année, non que je les supprime, mais parce que des vœux ne vous servent de rien, et que je voudrais<241> vous prouver mes sentiments par des effets. Ce ne sont point des compliments, mais c'est au pied de la lettre que je suis avec la plus sincère amitié et la plus haute estime,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
38. A LA MÊME.
Leipzig, 10 janvier 1763.
Madame ma cousine,
Vous avez tant d'empire sur mon âme, et votre éloquence est si vive, que je me vois vaincu et obligé de vous satisfaire. Ce comte Werthern, qui ne mérite peut-être pas votre protection, mais pour lequel vous vous intéressez, madame, en faveur d'une personne que vous honorez de votre amitié et qui la mérite, ce comte Werthern, dis-je, tout otage qu'il est, tout coupable qu'il se trouve de n'avoir pas rempli des engagements contractés avec des marchands de Magdebourg pour des lettres de change, sera relâché, moyennant certains tempéraments qui lui seront proposés. Je respecte trop l'amitié, cette passion des belles âmes,241-a pour ne pas entrer, ma chère duchesse, dans votre façon de penser, et contribuer à votre satisfaction.
Je ne sais ce qui arrivera de moi, mais j'augure un peu mieux de l'avenir que je ne l'ai fait, et j'espère me tirer du mauvais pas où j'ai<242> été jusqu'ici. Enfin, madame, on se flatte toujours, car vous savez que les dieux avaient placé l'espérance au fond de la boîte de Pandore.
Je me souviens d'avoir entrevu à Gotha un petit sanctuaire de porcelaine où je n'ai cependant pas été introduit. Ma dévotion pour la déesse qui l'habite m'a inspiré le dessein de lui consacrer une légère offrande. Mais comme les dieux se contentent plutôt de l'intention des hommes que des misères qu'ils leur présentent, je suppose que la déesse de ce lieu pensera de même. Ceci m'a enhardi à lui consacrer le premier ouvrage de porcelaine qui se soit fait à Berlin. Si mon hommage est trouvé trop indigne de la déesse, il n'y a qu'à casser la porcelaine et à l'oublier.
Vous voyez, ma divine duchesse, mon incongruité, mon ineptie et mon imprudence. Réprimandez-moi, si je l'ai mérité, mais que je ne perde pas votre amitié inestimable, chose la plus précieuse que je possède, et daignez ne point croire, pour quelque étourderie qui m'échappe, que j'en suis moins avec la plus grande considération, amitié, estime et reconnaissance,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
39. A LA MÊME.
Leipzig, 25 janvier 1763.
Madame,
Mon existence, à laquelle vous daignez vous intéresser, vous vaut, madame, un ami qui vous est tout dévoué, et qui serait bien tenté<243> de mettre à la tête de tous ses titres les bontés que vous avez pour lui, comme celui qui lui est le plus honorable. Je n'ai que de nouveaux sujets de reconnaissance envers vous, mon adorable duchesse, et envers le Duc votre époux. Si tout le monde vous ressemblait, la société serait trop heureuse; elle ne serait qu'un commerce mutuel de bienfaits, de services rendus et reconnus avec gratitude; ce serait l'âge d'or chanté par les poëtes. Vous me faites goûter, ma chère duchesse, les félicités de cet heureux siècle. Je crois m'y trouver quand je ne pense qu'à vous, qu'à vos nobles procédés, et à ce fonds si pur de vertu qui me rend votre enthousiaste.
Je ne connais point le livre dont vous daignez, madame, me parler. Pour moi, je regarde la superstition comme une ancienne maladie des âmes faibles, causée par la crainte et l'ignorance, et je ne vois dans cet excès d'ambition qui pousse au despotisme qu'un désir effréné d'orgueil et de puissance. Si l'on considère le gouvernement despotique relativement aux sujets du tyran, je ne vois cependant pas qu'on puisse en tout comparer ce culte politique qu'ils rendent à leur despote au culte superstitieux des peuples. Le propre de la superstition est de pousser l'homme au fanatisme, et le propre d'une sujétion dure est de révolter le cœur contre l'oppresseur de la liberté. Aussi n'est-il pas ordinaire que les superstitieux changent l'objet de leur adoration, au lieu qu'on voit que les nations opprimées détrônent ou conspirent contre leurs tyrans. La raison en est que la superstition est volontaire, et que tout esclavage est forcé. Le seul point de réunion qui se rencontre en ce parallèle, c'est le principe, c'est la peur des châtiments, qui est commune à l'esclave et au superstitieux. Ah! ma chère duchesse, que vous allez vous moquer de moi! Vous me parlez d'une nouvelle brochure, et ma lettre vous fait presque un livre sur le même sujet. Mais vous êtes si bonne! Je deviens votre enfant gâté, et moi, étourdi de cinquante et un ans, je m'échappe, je fais des étourderies, et j'abuse de votre indulgence<244> extrême. Punissez-moi, et prescrivez les bornes que vous jugerez convenables à mes indiscrétions. Ce sera une obligation de plus que je vous aurai d'avoir été réformé et corrigé par ma chère duchesse.
J'ai ici deux neveux244-a auxquels je serais bien aise de faire faire connaissance avec mes respectables amis. Si vous ne le désapprouvez pas, ils passeront de leur cousine de Weimar, qu'ils iront voir, chez vous. Puissent-ils profiter de votre exemple et de tout ce qui vous met, madame, dans mon esprit, à cent piques au-dessus de toutes les impératrices de l'univers!
Daignez me conserver ces sentiments de bonté dont je suis si jaloux, en vous assurant, madame, que je ne perdrai aucune occasion en ma vie pour vous prouver la haute estime et la tendre amitié avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
40. A LA MÊME.
Leipzig, 31 janvier 1763.
Madame ma cousine,
Ce n'est pas assez que vous supportiez mes étourderies avec bonté; je vous prie, ma chère duchesse, d'étendre votre indulgence jusqu'à mes neveux. Ils auront la satisfaction de vous saluer. S'ils vous rendent<245> compte, madame, de mes sentiments, vous serez convaincue que je tiens le même langage sur votre sujet, et que la surabondance du cœur répand, sans pouvoir être contenue, les sentiments d'admiration que vous inspirez à ceux qui ont le bonheur de vous connaître. Je dis à mes neveux : Il faut que vous voyiez ma respectable amie, et que vous lui marquiez la reconnaissance que mon cœur lui conservera éternellement. Si je l'avais pu, mon adorable duchesse, je me serais mis de la partie, et je vous aurais présenté mes hommages en personne; mais je suis retenu ici par une raison que vous ne sauriez qu'approuver : nous faisons la paix tout de bon. Ce sont des négociations, c'est un fatras d'écritures, de friponneries à éluder, d'équivoques à éclairer, de subterfuges à prévenir; enfin cette occupation, toute nécessaire qu'elle est, n'est pas amusante, et fatigue étrangement.
Quelle différence de passer les après-dînées dans ces instructives conversations, dans le sein de l'amitié et de la vertu, auprès d'une certaine duchesse que je n'ose nommer, de crainte de blesser sa délicatesse, où la liberté est jointe à la décence, où l'érudition paraît sans faste, le sel de la plaisanterie sans médisance, la politesse sans affectation, et la cour sans cohue! Ce souvenir renouvelle mes regrets, et MM. Collenbach et Fritsch245-a ne m'en consolent pas. Il faut que chacun subisse son sort. Je n'ai aucune prédilection pour celui qui m'est échu; il m'empêche de suivre mes désirs, et m'oblige souvent à faire ce qui me répugne. Je ne trouverai mon destin favorable que lorsqu'il me procurera la satisfaction de vous revoir, madame. Souffrez que je laisse régner cette idée flatteuse dans mon esprit, qui, je l'espère, pourra encore se réaliser quelque jour, et daignez croire que, absent ou présent, en paix ou en guerre, tranquille ou dans le trouble, rien n'altérera les sentiments d'admiration et de reconnais<246>sance que je vous dois, madame. Ils sont trop profondément gravés dans mon cœur pour en être effacés, étant,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle ami, cousin et serviteur,
Federic.
41. A LA MÉME.
Leipzig, 4 février 1763.
Madame ma cousine,
Vous ne me devez certainement aucune espèce de reconnaissance; au contraire, c'est moi, madame, qui suis dans le cas de vous remercier de ce que vous avez daigné recevoir une bagatelle peu digne de vous être offerte. Vous avez eu égard au cœur, à l'intention, et c'est sans doute ce qui a causé votre extrême indulgence. J'ai pensé être pétrifié en lisant l'ouvrage que vous avez eu la bonté de m'envoyer; c'est la production d'un fou qui a beaucoup d'esprit, d'un philosophe qui ne sort point de son ivresse, et qui, par une suite de son enthousiasme, prend sans cesse son imagination pour sa raison. Il n'y a en vérité que le style de bon dans cet ouvrage; le reste est pitoyable. Il imagine un système, il ne prouve rien; son esprit frappé n'est plein que de ce qu'il a imaginé. Le défaut principal de l'ouvrage est que l'auteur y manque absolument de dialectique. Il n'y a rien de plus facile que de renverser son système de fond en comble; tous ceux qui l'entreprendront y réussiront. Si cet ouvrage a fait crier, c'est avec raison, parce qu'il ne convient à personne de choquer les opi<247>nions du public. Mais dans peu tout sera oublié, parce que cela est mauvais.
Je vous demande pardon, ma chère duchesse, du compte que je vous rends de cette lecture; vous êtes sans doute plus en état d'en juger qu'un autre. Je sais qu'on m'accuse dans le monde de protéger assez volontiers ceux dont la foi n'est pas tout à fait conforme à l'orthodoxie. Cependant ce ne sont ni ceux qui sont incrédules par légèreté, ou par esprit de débauche, ou par air, qui puissent s'attirer mes suffrages; il faut de bonnes, de solides raisons, que l'ouvrage soit écrit avec une exactitude rigoureuse, et avec la décence convenable à quiconque adresse la parole au public. Il n'y a point d'idée plus extravagante que celle de vouloir détruire la superstition. Les préjugés sont la raison du peuple, et ce peuple imbécile mérite-t-il d'être éclairé? Ne voyons-nous pas que la superstition est un des ingrédients que la nature a mis dans la composition de l'homme? Comment lutter contre la nature, comment détruire généralement un instinct si universel? Chacun doit garder ses opinions pour soi, en respectant celles des autres. C'est l'unique moyen de vivre en paix durant le petit pèlerinage que nous faisons en ce monde, et la tranquillité, madame, est peut-être la seule portion de bonheur dont nous soyons susceptibles. Pourquoi la troubler en ferraillant dans des ténèbres métaphysiques contre des furieux qui, s'ils sont vaincus, s'en vengent en rendant leur champion l'exécration du peuple? J'abandonne l'auteur anonyme à son destin. Je lui souhaite qu'il reste anonyme longtemps, ou il risque qu'on lui fasse un mauvais parti. Les tyrans tonsurés auxquels il a affaire n'entendent pas raillerie, et l'enverraient à la potence pour avoir mal raisonné et frondé avec trop d'audace les objets de la vénération publique. Pendant qu'on le recherche en France, et que des prélats zélés préparent son supplice, nous avançons ici, madame, l'ouvrage de la paix, de sorte que les préliminaires pourront être signés le 11 de ce mois. Je suis persuadé,<248> ma chère duchesse, de la part que vous y prenez, et du plaisir que vous ressentirez en voyant finir tant de calamités qui, durant sept années, ont affligé l'Allemagne.
Je compte que mes neveux ont à présent l'avantage de jouir de votre présence et de profiter de vos entretiens. Je leur envie bien ce bonheur, mais je me console sur ce que je pourrai bien un jour avoir mon tour. Permettez-moi de m'en flatter, et rendez justice à l'admiration, l'attachement et la haute estime avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
42. A LA MÊME.
Leipzig, 10 février 1763.
Madame ma cousine,
Mes neveux arrivent dans ce moment, enchantés de la réception que vous avez bien voulu leur faire. Ils pensent, ma chère duchesse, sur votre sujet tout comme leur oncle et comme tous ceux qui ont eu le bonheur de vous approcher. Ils m'ont fait participer d'une partie de la joie qu'ils ont eue de vous saluer, en me rendant la lettre que vous avez bien voulu m'écrire. C'est un entretien factice dont je jouis, et qui me console de ne pouvoir, madame, vous voir ni vous entendre. J'ai reçu en même temps la lettre par laquelle vous daignez me marquer l'arrivée des jeunes gens. J'aurais été très-content qu'ils<249> prolongeassent leur séjour à Gotha, où ils étaient en si bonnes mains, qu'il n'y avait qu'à profiter pour eux.
J'espère, madame, que vos petits démêlés avec la cour de Meiningen ne tireront à aucune conséquence. Heureuses les querelles des princes qui se terminent en éclats de rire! Les nôtres n'ont coûté que trop de sang, et laisseront encore de longs regrets et des maux à réparer. J'espère que les préliminaires pourront être signés le 15, après quoi chacun pliera bagage et s'en retournera chez soi, où il aurait fait sensément de rester.
J'ai commencé, en attendant que cette paix se fasse, un ouvrage de Rousseau de Genève.249-a Le livre a pour titre Émile, et en vérité, madame, il me ramène bien à votre sentiment : toutes ces productions nouvelles ne valent pas grand' chose; c'est un rabâchage de choses qu'on sait depuis longtemps, décoré de quelques pensées hardies et écrites en style assez élégant. Mais rien d'original, peu de raisonnement solide, et beaucoup d'impudence de la part des auteurs; et cette hardiesse qui tient de l'effronterie indispose le lecteur, de façon que le livre lui devient insupportable, et qu'il le jette par dégoût. Si MM. les auteurs abusaient moins du bel art d'imprimer les pensées que nous possédons, s'ils voulaient bien songer que quiconque fait un mauvais livre, au lieu d'établir sa réputation, éternise sa folie, il ne paraîtrait d'ouvrages que d'un genre capable d'instruire ou de plaire au lecteur. En effet, pourquoi faut-il que le public perde son temps parce qu'un fou s'est avisé de se faire auteur et de débiter ses visions cornues? On dira peut-être : Mais qu'est-il besoin de le lire? On ne le lirait pas, si l'on savait ce qu'il contient, et l'on est la dupe du titre, et quelquefois d'un nom qui a fait un certain bruit. Les siècles d'ignorance souffraient par l'indigence des lettres; nous, au contraire, nous avons à nous plaindre de la prodigalité et de<250> l'abus de la littérature. Cependant, à tout prendre, il vaut mieux être dans l'abondance, car il n'y a qu'à choisir, ce que nos grossiers et tristes aïeux ne pouvaient certainement pas, dans les siècles abrutis où ils vivaient. Toutefois un bon livre est aussi rare à présent qu'un livre était alors.
Nous avons ici un nouveau ministre de Russie, un prince Galizin. Il m'a dit que le prince Charles était chassé de Courlande. Que de ducs ce pauvre pays a eus, madame : le comte de Saxe, Biron et le prince Charles! Je ne voudrais pas être duc de ce pays-là : il est pauvre, le peuple est barbare, le climat triste, et le voisinage affreux. J'aimerais bien mieux, dans le sein du repos et des arts, voir et entendre ma chère duchesse avec sa digne amie. Mais heureusement ces ducs ne connaissent pas ce bonheur; ils sont entichés d'une héroïque folie qu'on nomme l'ambition, et, pourvu qu'ils tiennent leur cour plénière, fût-ce même au Kamtchatka, ils croient être heureux.
En vérité, madame, j'abuse de votre patience; je vous conte des fagots, et il semble que j'aie entrepris de vous ennuyer autant et plus que les auteurs modernes dont je viens de parler. Je me plais à vous entretenir, et je ne m'aperçois pas que j'abuse du privilége de vous ennuyer. Pardon, pardon, ma divine duchesse, je me corrigerai, si je puis tant gagner sur moi. Daignez recevoir avec votre indulgence ordinaire les assurances de mon admiration et de la haute estime avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
43. A LA MÊME.
Leipzig, 15 février 1763.
Madame ma cousine,
Je vous annonce la paix, ma chère duchesse, comme à ma bonne amie, qui veut bien s'intéresser à ce qui me regarde. Elle a été signée aujourd'hui. Ainsi, Dieu soit loué, voilà une cruelle guerre de terminée.
Comment pouvez-vous penser que mon cœur plein de reconnaissance, mon cœur, si j'ose le dire, qui a le tact fin en mérite, puisse jamais vous oublier? Ne fussiez-vous point duchesse, et fussiez-vous dans la condition la plus basse, il faudrait, ma divine duchesse, vous aimer, vous estimer et vous considérer de même. Votre extrême modestie vous empêche d'en convenir; mais je ne puis m'empêcher à cette fois de vous le dire, quitte à me taire pour l'avenir, si la surabondance de mon cœur blesse votre délicatesse.
Je compte bien, ma chère duchesse, que la paix et l'éloignement n'établiront pas un mur de séparation entre nous. J'y perdrais trop. C'est l'affaire des chevaux de poste de trotter quelques milles de plus. D'ailleurs, je ne me tairai qu'au cas que je devienne importun. Mais votre extrême bonté, votre fonds d'indulgence inépuisable me rassure contre cette juste appréhension. Permettez que je vous remette cette lettre que vous avez daigné me communiquer, ce monument de votre bonté officieuse et de votre amitié; souffrez, ma chère duchesse, que je vous en marque toute ma reconnaissance. Je vous demande mille pardons si j'interromps si brusquement sur cette matière; mais vous pouvez bien juger qu'une nouvelle comme celle du jour entraîne une ample expédition. Ce ne sera pas cependant sans vous assurer de tout ce que mon cœur, mes sentiments et ma recon<252>naissance fournissent sur le sujet d'une personne digne des temps d'Oreste et de Pirithoüs.
Je suis avec toute l'admiration et la plus haute estime,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
44. A LA MÊME.
Dahlen, 19 février 1763.
Madame ma cousine,
J'ai reçu hier à Meissen et aujourd'hui ici les deux lettres par lesquelles vous me témoignez, ma chère duchesse, la part obligeante que vous prenez à notre paix. Je compte si fort sur votre bonté et sur votre amitié, que, lorsqu'il m'arrive quelque fortune, je n'ai rien de plus pressé que de vous la communiquer. Cette paix entraîne un prodigieux ouvrage, et j'en aurai encore pour longtemps, premièrement pour séparer les troupes, ensuite nombre d'arrangements à prendre pour le militaire, plus encore pour les provinces et les finances. Mais l'homme est fait pour travailler, comme le bœuf pour labourer, et il ne faut pas s'en plaindre, et se contenter de sa fortune; comme vous le dites si bien, madame, c'est la seule manière de jouir de ce peu de bonheur qui nous est départi. Vous dites, ma chère duchesse, que ce ne serait point un mal si votre fortune était plus étendue. Le bien serait pour vos sujets; ce serait sur eux que votre main bienfaisante étendrait ses dons avec plus de profusion. Ils le<253> sentent, madame, votre admirable caractère est connu d'eux; je les en ai vus reconnaissants, et persuadés qu'il n'y avait d'autres bornes aux faveurs que vous répandez sur eux que les limites dans lesquelles la fortune vous a circonscrite. Quelle comparaison odieuse pour les Saxons! Ces misérables, abîmés par six années de guerre, ont reçu, avant encore la signature des préliminaires, de nouveaux projets d'impositions. En vérité, ceux qui exercent une telle dureté ne méritent pas d'être heureux. On attend le retour de la cour à Dresde comme la grêle qui abîmera le peu de blé que la stérilité a épargné, comme une tempête, comme la peste, qui frappe également les grands et le peuple, qui ravage et extermine tout. Si Brühl savait à quel point il est en horreur, je crois qu'il prendrait la vie en haine et son poste en aversion. Le public, à la longue, est juste; il apprécie chacun selon son mérite. Il fait quelquefois des jugements précipités; mais le temps le ramène toujours à la vérité.
Daignez, ma chère, mon adorable duchesse, me conserver vos bontés et votre précieuse amitié. Vous me tiendrez lieu et du public, et de tout l'univers. Je dirai comme Cicéron :
Les dieux sont pour César, mais Caton suit Pompée.253-aVous vous moquerez, madame, de César, de Caton, de Pompée et de moi, et vous aurez raison. Qu'y a-t-il besoin de citer, de me comparer à Caton? Belle comparaison! Enfin je crois entendre que vous dites tout cela, et que madame Buchwald253-b y ajoute : Il est malheureux en comparaisons. Caton était un stoïque forcené, et vous, la plus aimable des femmes. Qu'il s'aille promener avec son Caton, et<254> qu'il se taise plutôt que d'écrire tant de sottises. Madame de Buchwald, je suis de votre avis; mais permettez que je ne finisse pas ma lettre sans prendre congé de mon adorable duchesse. Oui, ma divine duchesse, je ne veux que vous protester que mes sentiments et mon admiration ne finiront qu'avec ma vie, étant,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
45. A LA MÊME.
Dahlen, 22 février 1763.
Madame ma cousine,
Je n'ai pu laisser partir le sieur d'Edelsheim sans le charger, madame, d'une lettre pour vous. Il est de vos admirateurs, comme de raison, ce qui le recommande infiniment dans mon esprit, car, madame, je suis sur votre chapitre comme les catholiques pour leur religion. Quand ils trouvent quelqu'un qui adore la Vierge et croit à la transsubstantiation, ils se lient naturellement avec lui, c'est leur frère en Jésus-Christ; et je regarde ceux qui vous vénèrent comme unis à mon culte et mes frères en la duchesse de Gotha. Vous saurez donc, ma divine duchesse, que nous avons été assemblés en votre nom; vous étiez parmi nous, nous vous avons célébrée dans nos litanies, et vous avons vénérée en esprit. C'était tout ce que pouvait notre dévotion, car nous n'avions point de simulacres ni d'objets palpables de notre culte. Tout se faisait en esprit, seule façon digne de vous<255> vénérer. Edelsheim retourne à la terre sainte; pour moi, séparé de ces lieux bénis, je tourne, les matins, les yeux vers l'occident, j'adresse ma prière à la divinité de cette heureuse contrée, et, si mon éloignement dure, je revêtirai le sac et la cendre pour apaiser l'inclémence du ciel, qui m'éloigne de cette Jérusalem moderne. Quant à ce que j'écris, madame de Buchwald n'y trouvera rien à redire, pour le coup; il n'y a là ni Caton, ni Pompée. Elle se trouve dans le sanctuaire, et elle doit approuver ma dévotion pour la divinité dont elle est la première prêtresse. Dans l'espoir de revoir cette terre de promission, recevez, ma chère duchesse, avec bonté les assurances du plus sincère dévouement et de la plus haute estime avec lesquels je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle ami et serviteur,
Federic.
46. A LA MÊME.
Dahlen, 3 mars 1763.
Madame ma cousine,
Je ne badine en vérité pas, ma chère duchesse, quand je vous compare aux objets du culte du peuple. Je vous le jure, foi d'honneur, que je vous honore et vénère cent fois plus que la Vierge Marie et toutes les saintes du Martyrologe, que je regarde la terre que vous habitez comme un lieu sanctifié par vos vertus; et, comme les juifs regardent pour eux comme une idée consolante de revoir la terre<256> sainte, je me flatte de l'espérance de revoir ce Gotha que vous rendez célèbre, qui est devenu le temple de la plus sublime vertu, le temple de l'amitié, où vous vous plaisez à la cultiver avec une personne estimable, et où vous avez daigné m'en donner, à moi indigne, tant de preuves. Voilà, ma chère duchesse, le commentaire de mes autres lettres. Peut-être que, en qualité de votre dévot, j'ai pris un style trop mystique; peut-être que toutes les matières contentieuses et abstruses d'un traité à digérer ont communiqué la teinture de leur verbiage à ma plume. Enfin, ma chère duchesse, l'enthousiasme s'émancipe quelquefois. L'on doit me pardonner si je célèbre avec vivacité ceux qui m'honorent de leur amitié, vu que, depuis sept années, je n'ai eu affaire qu'à des ennemis qui avaient conjuré ma perte.
J'ai vu ici les représentants de ces ennemis, qui ont échangé les ratifications. La figure de M. Collenbach ne ressemble pas trop à la colombe qui apporta à défunt M. Noé la branche d'olive dans son bec; cependant il a été très-accueilli de tout le monde, car en vérité la paix fait un plaisir général à tout le monde.
Nous commençons à évacuer la Saxe; cependant tout ce mois se passera presque avant que tout soit vidé. Je ne pourrai partir que le 15 de ces environs pour me rendre en Silésie. En attendant, ma divine duchesse, je ferai des vœux pour votre prospérité et pour votre conservation. Votre admirable caractère a fait de trop profondes impressions dans mon cœur pour que je ne vous sois pas attaché pour la vie, et que je ne cherche pas avec empressement les occasions de vous témoigner la haute considération et l'estime avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
47. A LA MÊME.
Torgau, 14 mars 1763.
Madame ma cousine,
Vos ordres sont exécutés, ma chère duchesse. J'ai fait écrire à Ratisbonne, où j'ai un homme257-a qui, avec une poitrine forte et des termes énergiques, plaidera votre cause.
La Princesse électorale257-b m'a invité de passer à Moritzbourg, chez elle, sur mon passage de Silésie, et je m'acquitterai alors envers elle de la part de votre commission qui regarde la Saxe. Quelque bien que j'aie entendu dire de cette princesse, quelque esprit qu'elle ait, je ne la comparerai pourtant jamais à ma chère duchesse; je demeurerai fidèle à la foi de Gotha, et ne plierai point le genou vis-à-vis des idoles étrangères. Ni les décisions de l'Académie de la Crusca, ni la part qu'elle a au gouvernement de la Saxe, ne pourront me séduire. Qu'elle ait des agréments dans l'esprit, je les lui accorde; qu'elle ait le talent de plaire, je le veux bien; qu'elle soit née pour gouverner un État, je l'en applaudis : mais tout cela ne vaut pas l'excellent caractère ni l'amitié solide d'une certaine duchesse qui m'honore de ses bontés, et dont je conserverai un cœur reconnaissant autant que je serai animé d'un souffle de vie. Je suis discret, je ne la nomme point, je ne veux point commettre sa modestie vis-à-vis l'effusion des sentiments qu'exprimerait une âme sensible et pénétrée d'admiration pour elle. Vous voyez, madame, que vos leçons opèrent, et que j'apprends à contenir ma plume en vous écrivant. Je n'emploie plus d'allégories, plus de Caton, de peur que madame de Buchwald ne me gronde; mais ce que vous ne supprimerez jamais, malgré tout<258> l'ascendant que vous avez pris sur moi, ce sont les protestations de la plus sincère estime et de l'entier dévouement avec lequel je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
48. A LA MÊME.
Berlin, 26 mai 1763.
Madame ma cousine,
Le chevalier d'Edelsheim m'a rendu, ma chère duchesse, la lettre dont vous avez daigné le charger. Un voyage nécessaire que j'ai été obligé de faire en Poméranie m'a empêché d'y répondre plus tôt. Je n'ai jamais douté de la part obligeante que vous daignez prendre à ce qui me regarde, et je me félicite en secret depuis longtemps de vous pouvoir placer à la tête des plus fidèles de mes amis. C'est en ce sens que je prends les choses flatteuses que vous daignez me dire. Un peu de prévention et beaucoup d'indulgence, madame, vous parlent en ma faveur. Il y a en moi beaucoup de volonté de bien faire, et souvent beaucoup de maladresse dans l'exécution. J'ai trouvé de grands maux partout, et, faute de pouvoir y appliquer des topiques, j'ai été obligé d'y substituer des palliatifs. Mais c'est en vérité trop vous parler de ce qui me regarde. Cependant, ma chère duchesse, je dois y ajouter que ce troisième tome dont vous avez la bonté de me parler est un ouvrage tronqué.258-a Mon détracteur a falsifié, corrompu, changé et supposé ce<259> qu'il a voulu. Cet ouvrage, tel que je l'ai fait, ne méritait point de paraître au grand jour; quelques vers de société en faisaient la partie principale, et des choses qui sont bonnes entre amis et dans le moment qu'elles sont faites perdent tout lorsqu'on ignore les allusions et les à-propos. Je n'ai point voulu m'afficher, je n'ai point voulu être auteur; mais, lorsque les puissances de l'Europe conjurèrent pour me dépouiller de mes États, quelques colporteurs de scribes complotèrent pour piller mon portefeuille. Tout le monde a cru que, pour être du bel air, il fallait me faire le mal dont il était capable. Je suis obligé de le souffrir; je fais mieux, je le pardonne.
La feuille périodique que vous daignez m'envoyer est bien écrite; j'en connais l'auteur par réputation; il est natif de Gera, il a fait le Petit prophète.259-a C'est un garçon d'esprit qui s'est beaucoup formé à Paris. Cependant je vous demande en grâce que, s'il veut m'envoyer ses feuilles, il daigne un peu m'épargner. Un homme sans expérience peut trouver du sublime où il n'y en a point; un philosophe n'y trouve qu'une compilation de causes secondes qui, par la bizarrerie de différentes combinaisons, produisent des événements dont le vulgaire s'étonne, et qui en effet sont simples et naturels. Après trente ans de guerre que nos aïeux soutinrent, arriva la paix de Westphalie. Avec les prodigieuses armées que l'on a de nos jours, aucune puissance ne peut fournir au delà de sept à huit campagnes. Il n'y a donc pas à s'étonner que la reine de Hongrie, abandonnée par la Russie, la Suède et la France, menacée par le Turc, sur le point de perdre les cercles, et manquant des fonds nécessaires pour poursuivre le cours de ses animosités, ait enfin consenti à la paix que nous venons de signer. Le miracle aurait été de soutenir la guerre sans argent et sans alliés. Je ne m'étonne point, ma chère duchesse, des mauvais procédés de la cour de Vienne, dont vous vous plaignez; c'est le murmure et le bruit sourd des vagues qui se brisent contre<260> le rivage après que la tempête est calmée. J'ai parlé de vos intérêts à la Princesse électorale en les termes les plus pressants. On m'a promis de prendre fait et cause dans l'affaire de la tutelle de Meiningen. Nous attendons ici journellement l'envoyé du roi de Pologne, et je lui parlerai à lui-même, ma chère duchesse, de vos intérêts. Vous pouvez vous attendre de moi à tous les services dont ma sincère amitié, mon estime et mon admiration pour votre personne sont capables. Je voudrais que les effets en fussent aussi pleins que le désir que j'ai de vous être utile est vif; la disposition, la volonté, l'ardeur de vous servir n'en sera pas moindre, et, quoi qu'il arrive, j'espère d'être assez heureux pour vous en donner des preuves. Ces idées m'occuperont pendant mon voyage de Clèves, à mon retour, et pendant tout le cours de ma vie. Daignez compter, mon adorable duchesse, sur ces sentiments et sur le dévouement entier avec lequel je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
49. A LA MÊME.
Potsdam, 22 juillet 1763.
Madame ma cousine,
J'ai de grandes obligations au sieur Grimm, ma chère duchesse, puisqu'il me procure une lettre de votre part, où vous m'assurez de votre précieux souvenir. Je serais bien fâché que l'éloignement où je me trouve depuis la paix me privât des avantages dont j'ai joui<261> pendant la guerre. Edelsheim et moi, nous sommes ici votre troupeau, nous sommes vos fanatiques, si toutefois on peut l'être en estimant la vertu à l'excès. Nous nous rassemblons en votre nom, et vous rendons un culte en esprit et en vérité. J'ai eu le plaisir, ma chère duchesse, de m'entretenir longuement sur votre sujet avec ma sœur de Brunswic, qui est charmée d'avoir fait votre connaissance. Elle sent tout le prix de votre mérite, et en est pénétrée.
Nous avons ici M. d'Alembert, qui vaut mieux encore en société qu'en ses livres; j'en excepte la géométrie transcendante, dans laquelle il excelle. Il a un caractère naturel, franc et paisible, beaucoup de mémoire, et beaucoup de gaîté dans l'esprit. Je l'excite à faire quelques ouvrages dont je crois que le public m'aura obligation de l'avoir fait accoucher. L'un sera d'étendre et d'entrer en plus grand détail qu'il ne l'a fait dans ses Éléments de philosophie et de géométrie; l'autre, un ouvrage sur toutes les découvertes qu'on a faites en physique depuis le chancelier Bacon, avec des réflexions sur les progrès que nos connaissances pourront acquérir en suivant ces expériences, en les combinant ou en en faisant de nouvelles.
Je n'oserais écrire une lettre pareille à toute autre princesse qu'à vous, madame, qui réunissez toutes les connaissances et tous les talents, et qui pensez que ce qui sert à éclairer l'esprit l'ennoblit infiniment plus que la grandeur et la naissance.
Mes vœux sont toujours les mêmes, madame, pour votre félicité et pour votre conservation. Oserais-je vous prier d'assurer de mon souvenir et de mes attentions votre digne amie, et d'être persuadée de l'attachement et de la considération avec lesquels je suis,
Madame ma cousine,
Votre très-fidèle ami, cousin et serviteur,
Federic.
50. A LA MÊME.
Sans-Souci, 27 juillet 1763.
Madame ma cousine,
En vous remerciant, ma chère duchesse, de la lettre que vous venez de m'écrire, je ne saurais qu'applaudir au bulletin que vous avez la bonté de m'envoyer. Il n'est certes pas à l'eau rose, et l'auteur se fait nettement entendre. Je vous avoue, madame, que j'aime les auteurs qui raisonnent juste et s'expliquent nettement. Il y en a, tels que l'abbé Pluquet,262-a par exemple, qui soufflent le froid et le chaud, et qui, en voulant ménager la chèvre et le chou, trouvent le moyen de mécontenter généralement tous leurs lecteurs. Ou il ne faut pas du tout toucher les matières scabreuses, ou, si l'on veut les agiter, il faut que la vérité l'emporte, et qu'elle soit démontrée par des arguments rigoureux qui mettent son évidence en lumière. Cependant je ne conseillerais pas au sieur Grimm de faire imprimer la feuille d'aujourd'hui. Oh! que la Sorbonne s'agiterait! Que de décrets, que d'excommunications, que d'anathèmes! Que de bûchers s'allumeraient! Tout l'essaim des dévots et des saints hypocrites se mettrait en campagne pour fondre sur lui et le déchirer; tant la raison et la vérité sont redoutables à ce corps d'hommes méprisables qui ne vivent que de la superstition des peuples! Nous avons été à la veille d'éprouver les funestes effets de la superstition; nous étions au bord de l'abîme, quand un crachement de sang emporta une femme dont la mort mit fin au complot atroce qui s'était formé pour opprimer, autant qu'il aurait pu, les lueurs de bon sens et de raison qui éclairent l'Allemagne. Quel ravage aurait fait l'intolérance soutenue, appuyée et triomphante par l'appui de la cour de Vienne! Quelle persécu<263>tion affreuse se serait étendue sur les protestants et sur tous ceux qui n'étouffent point les lumières de leur raison! Pour moi, je vous l'avoue, ma chère duchesse, je bénis le ciel de me retrouver ici tranquille, et de penser au moins qu'un tel malheur n'arrivera pas le peu de jours qui me restent à vivre. Je me réjouis de ce que les postes allemandes portent ouvertement de votre cour à mon ermitage des ouvrages où la superstition est terrassée, et où la vérité ose paraître à front découvert. Cependant ces consolations sont bien faibles quand on est privé du bonheur de vous voir face à face, bonheur que je regrette bien d'avoir perdu. Je forme sans cesse quelques projets pour me procurer un jour ce bonheur-là. Ne le trouvez pas mauvais, ma divine duchesse; quand on a eu le bonheur de vous connaître, c'est un mal réel que de souffrir la privation de cet avantage. Je serais peut-être en situation de vous dire ce que feu le maréchal Schulenbourg263-a répondit à un barcarolo qui le pressait de se retirer d'une compagnie qu'il ennuyait : « Il se peut bien que j'ennuie ces gens-là, mais ils me font grand plaisir. » Si je vous ai ennuyée, je vous en demande sincèrement pardon; j'ose vous dire que je le mérite en quelque sorte par la haute estime et l'attachement avec lequel je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
51. A LA MÊME.
Sans-Souci, 7 août 1763.
Madame ma cousine,
En vérité, M. Grimm, vous êtes un homme admirable; vous me faites le plus grand plaisir du monde, par vos rapsodies, de me procurer des lettres de ma chère duchesse, et, quoique je me soucie fort peu des finances du Roi Très-Chrétien, ni de toutes les sottises qui passent par la tête du peuple français, je reçois vos gazettes avec une satisfaction singulière. Ne vous en enorgueillissez pas, M. Grimm; c'est pour l'amour de l'enveloppe qui me les fait tenir. Voilà, madame, ce que je n'aurais pas eu le cœur de vous dire, mais ce que cependant je ne puis en aucune façon supprimer, parce que cela est très-vrai. Une demoiselle de Wangenheim, qui est attachée à ma sœur de Schwedt, et qui, avec toutes mes nièces et mes arrière-neveux, a été ici, peut m'en servir de témoin. On a bu, ma chère duchesse, à votre santé avec ce zèle que vous inspirez à vos dévots, et nous avons dit ce que je n'ose répéter par respect pour votre modestie. M. d'Alembert vous a admirée sur notre rapport, et se trouve malheureux de n'avoir pu vous rendre ses devoirs jusqu'à présent. Il est digne, madame, d'être ajouté au troupeau de ceux qui ne jurent que par vous, et qui vous rendent un culte en esprit. Il se prépare à faire le voyage d'Italie, pays le plus digne d'attirer la curiosité d'un homme de lettres et d'un philosophe. S'il baise l'ergot du pape, ce ne sera pas par superstition. Le saint-père, quoique infaillible, pourrait se tromper, s'il le prenait sur ce ton; un philosophe se prête aux usages des pays où il se trouve, sans les approuver et sans les critiquer ouvertement. Je ne sais ce qu'il pensera de ce pays.
Nous n'avons depuis huit jours que des pluies et des orages. Je souhaite, ma chère duchesse, qu'il fasse plus beau à Gotha, que<265> votre santé soit bonne, que vous soyez heureuse, que vous daigniez quelquefois vous souvenir du plus fidèle de vos adorateurs, et que vous daigniez me croire invariable dans les sentiments de la haute estime avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le très-fidèle cousin et serviteur,
Federic.
52. A LA MÊME.
Sans-Souci, 14 août 1763.
Madame ma cousine,
En vérité, ma chère duchesse, le Catéchisme265-a que vous avez la bonté de m'envoyer ne m'a pas la mine d'avoir été corrigé et approuvé par M. Cyprianus. Ce grand homme se serait gravement scandalisé du commencement de ce saint ouvrage. Il n'eût eu d'indulgence que pour la fin, où il y a quelque passage à la gloire de Martin, non pas celui de Candide, mais de Martin Luther. Ce Catéchisme est tout voltairien; on y reconnaît la touche de l'auteur de l'Épître à Uranie et de tant d'autres. Cependant la probité me force à relever quelque petite faute contre l'histoire, qui est échappée à l'apôtre de l'incrédulité, et je crois qu'il faut préférer la vérité à tout. Cette faute consiste en ce qu'il avance que les Évangiles n'ont commencé à être connus qu'au troisième siècle; or, il est de notoriété publique qu'ils<266> sont cités par les Pères du premier siècle. Mais cela n'affaiblit point les preuves qu'il rapporte. Bien loin de là, il y a des arguments à puiser dans ces Pères du premier siècle, plus propres à établir sa cause, comme, par exemple, sont ce nombre d'Évangiles dont on n'a trié que quatre, l'incertitude de ceux qui les ont composés, les traductions différentes et opposées qu'on en a faites, et enfin les contradictions que ces livres canoniques contiennent encore. Il y aurait peut-être quelques preuves à fortifier, pour que l'ouvrage devînt tout à fait classique. Cependant, tel qu'il est, je le crois très-propre pour servir à l'édification des fidèles. On le réimprime ici avec la correction nécessaire pour qu'on n'accuse pas la secte de citer à faux. Cependant j'ose prédire que ce Catéchisme ne fera pas fortune à Vienne, où l'on est très-affirmatif sur de certaines choses, et très-disposé à faire rôtir ceux qui ne sont pas d'un même sentiment. Ils en seront punis, car l'erreur demeurera leur partage; ils seront taupes, madame, et le demeureront.
Je suis bien fâché de l'accident arrivé au Duc votre époux. Mais, ma chère duchesse, je n'ai pas voulu vous alarmer durant les heures heureuses que j'ai passées dans votre sanctuaire; cependant je me suis aperçu de certaines dispositions de ce bon duc, qui ne me paraissaient pas lui présager une longue carrière. Quelque douloureuse que vous soit cette séparation, madame, il faut vous y attendre et vous y préparer. La part que je prends à tout ce qui vous regarde me fait souhaiter que ce moment se diffère, ainsi que tout ce qui pourrait troubler le repos de vos jours.
J'attends ici toute une volée de neveux et de nièces qui vont arriver en quelques jours. Je me vois à la veille d'être dans peu l'oncle de toute l'Allemagne. J'ai connu une demoiselle de Sonsfeld266-a qui<267> était la tante de tout le monde. Quand on n'est pas grand-père, on peut devenir grand-oncle et servir de risée, par son radotage, à ses arrière-neveux; c'est le cinquième acte de la pièce, et l'on finit par être sifflé. En vérité, ma chère duchesse, je ne saurais le dissimuler, tout dépend pour nous du moment que nous venons au monde, et du moment que nous en sortons. Pour vous, vous ne sauriez jamais assez vivre; la vertu et le mérite devraient jouir du privilége de l'immortalité. Les chrétiens ont mis une foule de saints dans le ciel, qui ne méritent pas, à un millième de différence, d'y être placés comme vous, ma chère duchesse. Cependant laissez la place vacante le plus longtemps qu'il se pourra, pour le bien de l'humanité et de vos amis. Daignez me compter de ce nombre, et même des plus zélés et des plus sincères. Ces sentiments sont plus fortement gravés dans mon âme que si c'était sur de l'airain ou du porphyre; l'absence, ni le temps, mais la mort seule, qui détruit tout, pourra les effacer, étant,
Ma chère duchesse,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
53. A LA MÊME.
Sans-Souci, 6 septembre 1763.
Madame ma cousine,
L'aventure de saint Cyprianus que vous avez la bonté de me conter, ma chère duchesse, m'a paru ressembler à celle qui arriva à Rome<268> lorsqu'une congrégation de cardinaux condamna la doctrine de Galilée sur les antipodes. On voulait, à Rome, que le soleil tournât, et on faisait beaucoup de mauvais raisonnements pour le prouver. Un Anglais qui se trouva par hasard en voyage à Rome dans un temps postérieur prit querelle avec un orthodoxe sur cette matière. L'Italien, s'échauffant dans son harnois, disait : « Sans doute que le soleil tourne, car ne savez-vous pas que Josué a dit : Arrête-toi, soleil? - Eh! c'est précisément depuis ce temps, lui repartit l'Anglais, qu'il demeure immobile. » Si toutes les querelles que le fanatisme occasionne pouvaient être décidées dans ce goût-là, on serait heureux, car, ma chère duchesse, une plaisanterie vaut mieux que des injures et des guerres de religion qui ont inondé de sang toute l'Europe.
Le Dialogue du caloyer est, à la vérité, imprimé. Je ne sais par quel quiproquo l'imprimeur, au lieu de prendre l'exemplaire corrigé, a repris le même que vous avez eu la bonté de m'envoyer, madame; de sorte que ce n'est pas la peine de vous l'offrir.
On ne parle ici que de banqueroutes à Amsterdam et à Hambourg.268-a Il est plaisant que les grands princes qui ont fait la guerre, et qui s'y sont ruinés, n'aient point manqué, et que les marchands qui se sont enrichis par tant d'entreprises aient fait des faillites énormes. Il arrive presque toujours dans le monde le contraire de ce qu'on devait raisonnablement supposer. Ce monde n'a pas le sens commun; tout y va de rebours. Je serais bien embarrassé de dire pourquoi il est, et encore plus pourquoi nous sommes. Pourquoi naître? pourquoi cette enfance imbécile? pourquoi tant de soin de l'éducation de la jeunesse, pour cultiver cette raison qui ne devient jamais raisonnable? pourquoi toujours manger, boire, dormir, nous entre-déchirer, faire des niaiseries, abattre, élever, amasser, dissiper? Enfin tous ces soins qui nous tourmentent tandis que nous vivons sont bien<269> puérils quand on pense que la mort arrive et passe l'éponge sur tout le passé.
Je vous demande mille excuses de ces réflexions, qui se sont échappées de ma plume malgré moi; le sujet en est triste et humiliant. Si tout le monde faisait du bien comme vous, ma divine duchesse, on saurait à quoi les hommes et surtout les grands seigneurs sont bons. En bénissant ceux de cette espèce, il est permis d'être un peu mécontent des autres. Il est sûr que votre admirable caractère ne rend pas indulgent pour ceux que l'on compare à ce modèle. Je ne finirais point sur ce chapitre, si je ne craignais de blesser votre excessive modestie. Je finirai donc comme l'Épître de Boileau :269-a
Je t'admire et me tais.En vous assurant que mon cœur et mon âme vous sont voués pour toute la durée de mon existence, je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
54. A LA MÊME.
Potsdam, 11 décembre 1763.
Ma chère duchesse,
Vous m'écrivez une lettre qui m'embarrasse un peu, parce que, en vérité, madame, je n'ai pas ma bulle d'or en tête. Par la paix que<270> nous venons de faire, j'ai promis ma voix à l'archiduc Joseph; voilà, ma chère duchesse, tout ce que je sais. Ma promesse m'engage à la remplir; et quoique, lorsque cette élection de l'archiduc fut mise sur le tapis, il y a huit ou dix ans, on recourût alors aux prétentions que quelques princes de l'Empire formaient pour examiner la nécessité de l'élection, c'était pour traîner l'affaire et l'embarrasser de chevilles par le moyen desquelles on pût la faire manquer. Vous voyez vous-même, madame, que le cas n'est pas le même à présent. Cela ne m'empêchera pas cependant de m'intéresser pour les princes, autant que cela est compatible avec mes engagements; et, s'ils ont quelques remarques à faire ou quelques idées à communiquer sur la capitulation, on y fera sans doute réflexion dans le collége électoral. A présent, madame, ne m'en demandez pas davantage, car je suis au bout de mon latin, mais non pas de la haute estime et de la considération avec laquelle je serai toujours,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le bon cousin et serviteur,
Federic.
55. A LA MÊME.
(Potsdam) 9 mars 1764.
Madame ma cousine,
Quoique je trouve le sieur Grimm très-incongru de vous charger, ma chère duchesse, de ses lettres, cependant je suis pour cette fois bien aise, puisqu'elles m'en procurent une de votre part. Ce baron<271> de Zuckmantel qui va à Dresde est de ce qu'on appelle hommes à bonnes fortunes. Il a été sur ce pied à Paris; il a été ensuite envoyé à Mannheim, où il a trouvé une approbation singulière. Il a servi, cette guerre, et a été de la garnison de Cassel qui a rendu la ville aux alliés sur la fin de 1762. S'il apporte à Dresde de grosses pensions françaises, cela le fera bien recevoir; mais autrement je doute qu'il jouisse de la même faveur dont il a été comblé à Mannheim.
Mais, madame, je m'égare; je ne sais comment, au lieu de vous écrire, je fais la vie de M. Zuckmantel, qui, au demeurant, m'est tout à fait indifférent. J'ai été trop heureux, madame, de trouver des gens formés par votre main. Je les préférerai à tous autres; ils conservent l'empreinte que vous leur avez donnée, et ils sont marqués au coin de la vigilance et de la fidélité. Vous oublier, madame, n'est pas une chose aussi facile que vous le pensez. J'en atteste M. d'Edelsheim et tous ceux qui m'entourent, que votre nom respectable préside dans tous nos discours. Et comment n'y serait-il pas? Quand on veut citer une princesse qui fait honneur à l'Allemagne, on nomme la duchesse de Gotha; quand on me parle du mariage de mon neveu avec une princesse d'Angleterre,271-a je dis : C'est la nièce de ma chère duchesse; quand on me parle de mes amis, je cite la duchesse de Gotha; faut-il parler de la cour la mieux réglée d'Allemagne, on nomme la vôtre; s'il est question de dames qui possèdent les plus belles connaissances avec la plus grande modestie, qui nommera-t-on? je vous le donne à deviner. Enfin, madame, j'en dirais encore davantage, si j'écrivais à une autre qu'à vous. Pardon, si j'en ai trop dit. La bonne madame Neuenstein271-b me l'obtiendra; car elle sait que, quand on parle de la Duchesse, on ne saurait s'arrêter, et que la parole abonde de quoi le cœur est plein.
<272>Jusqu'ici, l'Europe a eu le diable au corps, et l'on s'est égorgé du couchant à l'aurore. A présent, une autre folie a succédé : on fait des couronnements à droite et à gauche. Pour moi, après avoir échappé à la couronne du martyre, j'ai pris une si grande aversion pour tout ce qui est couronne, depuis celle d'épines jusqu'à la triple tiare de l'imposteur des imposteurs, que même je suis excédé d'en entendre parler. Oui, madame, je m'en vais en Silésie pour appliquer des emplâtres aux provinces blessées, et guérir, si je puis, les profondes plaies que nous a faites la guerre. Mais, quelque part que je sois, mon cœur vous servira de tabernacle, et je porterai en tout lieu le souvenir de ma chère duchesse et les regrets de ne pouvoir pas jouir de sa présence aussi souvent que par le passé. Recevez avec votre indulgence ordinaire les assurances de la parfaite estime et du dévouement avec lequel je suis,
Ma chère duchesse,
Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.
56. A LA MÊME.
Berlin, 7 avril 1764.
Madame ma cousine,
J'ai reçu, ma chère duchesse, votre lettre à mon retour de Silésie, et j'ai ressenti, en la lisant, le plaisir que tout me fait ce qui vient de votre part. Vous m'envoyez en même temps une lettre sur laquelle vous me demandez mon sentiment. Je suis assez embarrassé que dire sur ce sujet. Si vous avez déjà pris un parti, madame, c'est à moi de me taire; sinon, je vois ce qu'il y a pour et contre le mariage dont<273> il est question. Le pour est l'intérêt d'établir la princesse votre fille, mais de l'établir loin de vous, de la marier à un homme que vous ne connaissez point, et où vous ne la reverrez jamais. Le contre consiste à faire changer de religion à une princesse, petite-fille d'Ernest le Pieux, et d'une maison que les protestants ont toujours regardée comme une des colonnes de leur parti, sans compter l'espèce de mépris que s'attirent ceux qui font une pareille démarche. Henri IV a dit que Paris valait bien une messe; je ne crois pas que la place de duchesse d'Orléans vaille autant.
Voilà, madame, tout ce qu'il y a à dire sur ce sujet. C'est à vous à prendre le parti que vous jugerez le plus convenable. Je souhaite qu'il soit heureux, et que, quelque résolution que vous preniez, elle tourne à votre avantage. Voilà la première fois de ma vie que j'ai été consulté sur des cas de conscience. Je m'en ferai vanité, et j'espère de passer avec le temps pour un grand théologien; mais j'ai encore un espace immense à franchir avant que d'y arriver.
Voilà un empereur que les corps évangéliques et catholiques viennent de faire à Francfort. On a fait jurer une capitulation au nouveau roi des Romains, qu'il violera à la première occasion, et l'on criera alors, on parlera de la bulle d'or, et la cour de Vienne s'en moquera. Tout cela fait pitié, et me met quelquefois en colère contre le flegme germanique.
Mais je m'égare encore à vous faire des contes borgnes, ma chère duchesse, au lieu de vous parler de ce qui m'intéresse le plus, qui est de vous assurer de l'estime et de la considération avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.
57. A LA MÊME.
(Potsdam) 26 avril 1764.
Madame ma cousine,
Je m'étais presque attendu, ma chère duchesse, au parti que vous avez pris touchant le parti qu'on vous avait proposé pour la princesse votre fille. J'ai d'abord compris que vous ne voudriez pas, par un coup d'éclat comme l'aurait été un changement de religion, démentir la conduite de toute votre famille, en attachant une flétrissure à la personne qui serait obligée de faire le saut périlleux. A envisager les religions philosophiquement, elles sont bien à peu près égales; cependant celle dont le culte est le moins chargé de superstition doit, selon mon avis, être préférée aux autres. C'est sans contredit la protestante, qui, outre cet avantage, a encore celui de ne point être persécutrice. Voilà les deux points pour lesquels, madame, je me déclarerai constamment pour la foi de nos pères. J'avoue que, si j'avais vécu du temps de Martin Luther, j'aurais fort appuyé pour qu'il poussât jusqu'au socinianisme, qui n'est proprement que la religion d'un seul Dieu; mais ce moine et ses confrères, en arrachant la moitié du voile, se sont arrêtés en beau chemin, et ont laissé encore bien des obscurités à éclairer. Mais la vérité paraît peu faite pour l'homme; l'erreur est son partage.274-a Pourvu encore que, en s'égarant dans un labyrinthe de pure métaphysique, on ne devienne pas ennemi, que l'on soit humain, doux, compatissant, et que l'on ne s'acharne pas d'une haine théologale contre ceux qui pensent autrement que nous, on peut passer le reste, et supporter les opinions diverses du genre humain, comme on souffre la diversité de leurs physionomies, de leurs habillements, et des coutumes qu'une longue habitude a rendues nationales. Tout ce que j'ai l'honneur de vous écrire, madame, ne paraîtrait pas orthodoxe au consistoire de M. Cy<275>prianus. Je ne saurais qu'y faire; j'aime mieux être orthodoxe vis-à-vis de la raison universelle, qui a été donnée à l'homme pour le conduire, que vis-à-vis une assemblée de docteurs qui argumente selon Esdras, Matthieu, Jean, Paul, et tout ce tas d'apôtres de la superstition qui ont aveuglé et abruti le monde.
Pour Leurs Majestés Impériales et Romaines, je vous les garantis, madame, empêtrées dans le bourbier de la superstition jusqu'au cou. Voilà cette nouvelle maison d'Autriche qui prend de nouvelles racines sur le trône des Empereurs, et qui, un jour, fera repentir ses adhérents de l'élévation où ils l'ont portée. Mais les erreurs politiques sont souvent aussi difficiles à guérir que les erreurs spéculatives. Pour moi, qui me fais vieux, je vois tous ces événements avec assez d'indifférence. Je ne serai pas le témoin des conséquences qu'ils entraînent, et mes yeux, en mourant, auront la consolation de voir ma patrie libre.
Je vous fais mille excuses, ma chère duchesse, de tout le bavardage que vous recevrez de moi. J'ai le malheur de m'égarer en vous écrivant. Je me crois assez heureux pour converser avec vous, et je m'étends au delà des bornes de la modération. Vous direz, en recevant celle-ci : Quel impitoyable raisonneur! Oh! que je me garderai bien de lui écrire, pour ne point m'attirer des épîtres qui m'ennuient, et qui ne finissent point! Et je l'aurais bien mérité, si je n'attendais pas mon pardon de votre extrême indulgence, à laquelle je n'ai lieu de prétendre qu'en faveur des sentiments de la haute estime et de la considération avec lesquelles je suis,
Ma chère duchesse,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
58. A LA MÊME.
(Potsdam) 18 mai 1764.
Madame ma cousine,
Je suis bien heureux d'avoir fait ma confession à une théologienne aussi indulgente que vous l'êtes, ma chère duchesse. Défunt Cyprianus, de sévère mémoire, m'eût dévoué à l'anathème, et peut-être il aurait rompu tout commerce avec moi comme avec un impie, pour avoir censuré son grand docteur de la réforme, le sieur Luther, sur ce qu'il n'a pas poussé un peu plus loin sa pointe. Plus l'on vit dans ce monde, plus on s'aperçoit que la vérité est peu faite pour devenir le partage des hommes : les voiles de la nature, les bornes étroites de notre esprit, l'amour du merveilleux, dont chaque homme a sa petite portion, l'intérêt et l'imposture, qui se servent des erreurs les plus absurdes pour s'accréditer par elles, enfin tout nous avertit que nous vivons dans le règne des illusions, et que, hors quelques vérités géométriques démontrées, il ne nous est pas donné d'atteindre à la vérité. Il semble, à tout prendre, que nous sommes plutôt placés dans ce monde pour en jouir que pour le connaître, et, quand notre curiosité rend notre raison assez téméraire pour la pousser dans les ténèbres de la métaphysique, nous nous égarons dans cette région obscure, faute de bâton pour nous appuyer et de flambeau pour nous éclairer. Toutes ces considérations, madame, sont assez humiliantes pour l'amour-propre. Cependant c'en serait peu si l'on s'en tenait là, et si elles ne nous inspiraient pas des sentiments de tolérance pour les autres aveugles qui s'égarent par des routes différentes que celles où le hasard nous a conduits. Qui cherche la vérité de bonne foi aura du support pour ses frères. Il n'y a que l'orgueil de l'esprit de parti, et l'intérêt personnel couvert par celui de la cause<277> de Dieu, qui arme les persécuteurs du glaive pris sur l'autel. Voilà pourquoi je me défie de ce zèle enflammé des dévots, et j'aurais envie de leur dire : Tu te fâches, tu dis des injures à ton prochain; tu as donc tort.277-a Mais, madame, nous ne les corrigerons pas; les hommes resteront tels qu'ils ont été toujours : la cour de Vienne sera toujours ambitieuse, le saint office persécuteur, Sa Majesté Très-Chrétienne paillarde, les évêques d'Allemagne des ivrognes, et moi votre plus zélé adorateur. Quand même les autres changeraient de passion, la mienne sera toujours, ma chère duchesse, de vous témoigner en toute occasion les sentiments de l'estime, de l'admiration et de la haute considération avec lesquelles je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
59. A LA MÊME.
Sans-Souci, 11 juin 1764.
Madame ma cousine,
Un accès de goutte à la main gauche a pensé m'empêcher, madame, de vous répondre. Cependant vous faites des miracles, ma chère duchesse; vous guérissez les estropiés, et vous donnez aux manchots la faculté d'écrire. En vérité, si j'étais catholique, je prônerais si bien<278> ce miracle, que la sainte Vierge de Czenstochow deviendrait jalouse du bruit de vos merveilles. Mais nous autres calvinistes, nous y allons si uniment, que nous ne relevons pas seulement les choses extraordinaires qui frappent nos sens, en étonnant nos oreilles. Cependant, madame, après l'épreuve que je viens d'en faire, vous me permettrez de vous invoquer toutes les fois que la goutte m'assaillira. Je dirai : Duchesse secourable, princesse surnaturellement douée des faveurs du ciel, guérissez-moi. Cette petite oraison ne se fera pas en vain, et, après ce que je viens d'éprouver, ce n'est pas à moi de manquer de foi.
La commission que vous me donnez, ma chère duchesse, de mettre à la raison la cour impériale exigerait bien un autre miracle. Nous nous sommes battus durant sept ans entiers à outrance, sans rien avancer par là; mais, si vous vouliez user de ce pouvoir que vous avez exercé si efficacement sur ma main, je ne doute pas que vous ne parvinssiez à resserrer l'ambition des tyrans germaniques dans une sphère plus étroite. Nous sommes à présent assez joliment ensemble, en apparence; mais le diable n'y perd rien, et je ne voudrais pas qu'une occasion favorable se présentât à nos ennemis, car sûrement ils ne la négligeraient pas. Il y a un reste de levain dans les cœurs, qui servira, quand il aura fermenté, d'aliment à une nouvelle guerre. Pour moi, je ne compte pas de la voir; mes yeux seront probablement fermés à la lumière lorsque le cas en existera. Mais cela ne manquera pas d'arriver. Cependant jouissez, en attendant, des douceurs de la vie, ma chère duchesse, et traitez l'avenir avec la même indifférence que le passé qui a précédé le temps de notre naissance. Notre vie est trop courte pour que les soins de l'avenir nous fassent perdre la jouissance du moment présent. Puissiez-vous en profiter de longues années, comblée de toutes les prospérités que vous méritez à si juste titre! Personne ne vous le souhaite plus sincèrement<279> que je le fais. Agréez-en les protestations avec celles de la haute estime et de la sincère amitié avec lesquelles je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
60. A LA MÊME.
(Potsdam) 2 juillet 1764.
Madame ma cousine,
J'ai bien du regret, ma chère duchesse, de ce que vous n'êtes pas la Providence; je me reposerais sur votre puissant appui, et je croirais avec foi et certitude que le monde serait bien gouverné, car vous ne protégeriez assurément pas les superbes, ni les scélérats, comme cela est souvent arrivé de nos jours. Mais, en attendant que vous preniez le gouvernail de l'univers en main, vous me permettrez de vous remercier des bonnes choses que vous me destiniez, et dont je vous ai, mon adorable duchesse, la même obligation comme si je les avais reçues. Pour moi, qui dirige une partie imperceptible de la planète que nous habitons, mon influence y est des plus bornées. Je ne vois guère au delà de mon nez, je me trouve être l'accident, mais pas le mobile des choses, à peu près comme la boue que des roues d'un carrosse jettent par une suite de leur mouvement. Voilà, ma chère duchesse, le rôle que je joue en Europe, et vous voyez qu'il est circonscrit dans une sphère assez étroite. J'avoue, madame, qu'il y a des occasions où l'on peut prévoir l'avenir; mais combien de causes secondes nous sont cachées, qu'il faudrait connaître pour prévoir les<280> événements, et combien de cas fortuits ne changent-ils pas les mesures, les calculs et les systèmes qu'on avait formés laborieusement pour parvenir à ce qu'on se proposait! Ainsi, ma chère duchesse, je crois que l'on se trompe souvent; pour moi, je sais que cela m'est arrivé plus d'une fois, et je crois qu'il en est de même de tous ceux qui se sont mêlés de la politique, les uns plus, les autres moins. Sans doute que nous résistons à la cour de Vienne dans certaines occasions d'éclat; mais, comme on ne fait aucune attention à un chien qui aboie toujours, mais bien à celui dont le cri dénonce des voleurs, nous tâchons quelquefois, mais à propos, de faire du bruit, et cela, seulement lorsque la cour de Vienne affiche trop le despotisme. Mais, madame, cela ne change rien à la nature des choses. Il faudrait négocier mille ans avec la cour de Vienne, et encore serait-ce du temps perdu. Vous savez le proverbe que, si quelqu'un a un soufflet en arrérage à demander à un ministre de l'Empereur, il sollicite vingt ans sans en obtenir le payement. Pour moi, qui ne veux ni soufflet, ni rien d'eux que la justice et la liberté de l'Allemagne, je suis presque sans cesse en dispute avec eux; mais ce n'est que par des victoires qu'on peut obtenir quelques conditions tolérables d'eux, et on ne se bat ni ne remporte pas la victoire tous les jours. Voilà, madame, de la façon que j'envisage les démêlés qu'on a avec ces gens-là. Une longue expérience me les a fait connaître, mais je les ai toujours trouvés tels que j'ai l'honneur de vous les dépeindre. Pour moi, vous me trouverez toujours le même, ma chère duchesse, et vous voudrez bien compter sur l'inviolabilité de mon attachement et sur la haute estime avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
61. A LA MÊME.
Sans-Souci, 7 août 1764.
Madame ma cousine,
Je profite de toutes les occasions qui se présentent pour vous assurer, ma chère duchesse, de mon admiration et de mon estime. Voici M. d'Edelsheim qui va passer par Gotha. Il sera plus heureux que moi, il pourra, ma chère duchesse, vous voir et vous entendre. Il vous parlera de cette princesse d'Angleterre,281-a votre digne nièce, que nous avons vue ici, et qui désire beaucoup de faire votre connaissance; il vous parlera de fêtes de promesse,281-b de ... que sais-je? Mais, quoi qu'il vous puisse dire, il ne trouvera pas de couleurs assez vives pour vous peindre ces sentiments que vous avez si profondément imprimés dans mon âme, ces sentiments que l'anéantissement seul de mon être pourra détruire. Il faut les sentir pour les exprimer, et vous connaître pour en être atteint. Que je serais heureux, si je pouvais vous les renouveler moi-même et vous assurer de la haute estime avec laquelle je suis,
Ma chère duchesse,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
62. A LA MÊME.
Neisse, 30 août 1764.
Madame ma cousine,
Je suis très-fâché d'apprendre, ma chère duchesse, l'incommodité que vous avez eue aux yeux. J'espère que le mal de votre bonne amie ne sera pas épidémique, et que les yeux, madame, dont vous faites un si bon usage ne vous dénieront point leur service. Je suis charmé d'avoir une occasion de pouvoir vous être de quelque utilité. Il ne dépendra que de vous, ma chère duchesse, d'envoyer le prince votre fils à Sonnenbourg; je stipule simplement pour condition que cet aimable enfant repasse par chez moi, pour que je revoie au moins quelqu'un qui appartient à ma chère duchesse. Je suis ici en voyage, et plein d'occupations. Je me réserve, madame, d'être moins laconique à mon retour, en vous priant d'ajouter foi aux sentiments d'attachement et d'admiration avec lesquels je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
63. A LA MÊME.
Sans-Souci, 9 octobre 1764.
Madame ma cousine,
Je vous rends grâce, ma chère duchesse, de la galanterie que vous me faites de m'envoyer le prince votre fils; il a été reçu ici, non en<283> étranger, mais comme le fils de ma respectable amie. J'ai été charmé de revoir quelqu'un qui vous touche de si près, après ma longue absence, et je vous assure, ma chère duchesse, que tout le monde a loué votre œuvre, et surtout la bonne éducation que vous lui avez donnée. Nous n'avons pas quitté Gotha dans nos entretiens; mais, comme il n'y a aucune joie sans quelque mélange d'amertume, le prince Auguste m'a affligé en m'apprenant la fluxion dont vous êtes incommodée. Pourquoi faut-il, ma chère duchesse, que vous souffriez des infirmités de l'humanité, vous qui êtes si fort au-dessus du reste des humains? Et pourquoi la nature ne respecte-t-elle pas un corps dont l'âme fait les délices de tout être qui pense, et dont la bonté rend tout un duché heureux? Voilà des réflexions qui me conduiraient trop loin, si je m'y abandonnais. Votre digne amie perd sa fille, et vous êtes affligée des yeux. Pour qui donc sont les récompenses, si vous souffrez des peines, et comment se fait-il que si souvent on voie dans le monde le crime triomphant et la vertu malheureuse? Ah! ma chère duchesse, cette machine sur laquelle le hasard nous a placés m'a bien la mine d'aller comme elle peut, sans que personne s'en embarrasse. Mais, pour Dieu, n'en parlez pas à M. Cyprianus, ou je suis perdu à tout jamais.
Le prince votre fils vous dira qu'il m'a trouvé ici en retraite. Je fais un extrait de tous les articles philosophiques de Bayle, dont on fera une édition in-octavo d'environ cinq ou six volumes;283-a elle sera achevée le printemps prochain, et, si vous me le permettez, je vous offrirai un exemplaire. Voilà mes amusements sur mes vieux jours. Mais je vous conte des fagots, et j'abuse peut-être d'un temps précieux que vous employez et mieux, et plus utilement. N'oubliez pas, ma chère duchesse, vos amis absents. Je prierai le prince Auguste de vous faire quelquefois ressouvenir de moi, car rien ne me serait plus insupportable que d'être effacé de votre souvenir. Si l'admiration, si<284> l'amitié, si la plus haute estime pour votre personne mérite que vous daigniez penser à ceux qui vous honorent et vénèrent, personne n'a plus de prétentions ni de droits à votre souvenir que moi, étant,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
64. A LA MÊME.
Potsdam, 31 octobre 1764.
Madame ma cousine,
Je suis bien aise que le prince Auguste vous ait rendu compte, ma chère duchesse, des sentiments distingués que je conserverai pour vous toute ma vie gravés dans mon cœur. Mais, quoi qu'il vous en ait dit, ne pensez pas que cette matière puisse s'épuiser si vite, ni qu'une conversation du prince ait pu vous mettre au fait de tout ce que vous inspirez à ceux qui, comme moi, ont le bonheur de vous connaître. Si j'ai fait une petite sortie sur la Providence, c'est, ma chère duchesse, qu'il n'est en vérité pas bien que vous souffriez. Considérez la brièveté de la vie des hommes, considérez combien ils sont exposés aux traits du mal physique et aux corruptions du mal moral. Le mal est dans le monde, on ne saurait le nier; la question est de savoir qui l'y a mis. Pour moi, je l'ignore profondément, et je féliciterai très-sincèrement le docteur en théologie qui m'en découvrira la cause. Mais, s'il me parle de sa pomme,284-a je le renvoie aux Méta<285>morphoses d'Ovide, à Peau-d'âne, à Barbe-bleue. Et voilà cependant comme on nous traite, et l'on explique des énigmes par des fables! Mais tout cela ne nous touche point. Le monde en va de même, que l'on connaisse ou qu'on ignore les ressorts qui le font aller. Pourvu que la vertu soit épargnée, que vous ne souffriez pas, ma chère duchesse, me voilà content, car personne ne prend plus de part à votre conservation que,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.
65. A LA MÊME.
Potsdam, 22 novembre 1764.
Madame ma cousine,
Votre lettre, ma chère duchesse, m'a fait tout le plaisir imaginable, d'autant plus qu'elle est un témoignage manifeste de ce que vos yeux et votre santé sont remis. Je souhaite que vous vous conserviez de même de longues années, et que les infirmités attachées à l'humanité, par respect pour votre belle âme, n'altèrent point votre corps.
Pour m'acquitter de la commission que vous m'avez donnée, ma chère duchesse, j'ai pris des informations touchant les deux abbayes de princesses qu'il y a en ce pays, et je prends la liberté de vous les envoyer, attendant de ce que vous jugerez à propos de me charger à l'avenir.
Vous avez sans doute grande raison de souhaiter que le mal physique et que le mal moral vous épargnent. Pour le moral, vous en<286> êtes sûre; mais pour le physique, il n'y a eu personne sur cet univers qui ait pu trouver un abri contre ses ravages, ni qui ne se soit heurté l'esprit contre des difficultés insurmontables, en voulant en découvrir l'origine. Mais, quand on vous écrit, ma chère duchesse, il ne vient que des idées du bien moral et physique; vous n'en inspirez pas d'autres. Puisse-t-il toujours habiter chez vous, et puisse votre bonheur égaler votre mérite! Ce sont les vœux que je fais bien sincèrement pour votre personne, en vous priant d'être persuadée de la haute estime avec laquelle je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
66. A LA MÊME.
Berlin, 28 décembre 1764.
Madame ma cousine,
Vos lettres, ma chère duchesse, me font toujours grand plaisir, puisqu'elles m'assurent de la continuation de votre souvenir et de votre bonne santé. Je voudrais, au sujet de la princesse votre fille, pouvoir répondre à la confiance que vous me témoignez; mais, ma chère duchesse, les choses sont toutes différentes que vous vous les figurez. Le chapitre élit les chanoinesses; je n'ai que le droit de les confirmer. C'est des chanoinesses que le chapitre élit des coadjutrices. Mes sœurs ont passé par tous les grades, et je n'ai de droit que d'approuver ce qu'ils ont fait. Il y a, de plus, une de mes nièces de Schwedt et<287> une princesse du margrave Henri qui postulent à Quedlinbourg des charges de chanoinesses; et, comme je n'ai d'influence, dans ce qui regarde ces couvents, que d'un consentement passif, je ne sais pas par quel moyen je pourrais remplir, madame, les vues que vous avez sur la princesse votre fille. Je voudrais, dans ce moment, que mon despotisme s'étendît plus loin, pour être en état de vous servir; mais vous devez reconnaître, ma chère duchesse, que les limites qui bornent mon pouvoir bornent en même temps ma bonne volonté et les offices que je voudrais rendre à mes amis. Souffrez que, à l'occasion de cette lettre, je vous offre mes vœux pour l'année où nous allons entrer, et pour un nombre d'autres que je souhaite que vous passiez avec santé et avec contentement, en vous assurant de la passion et des sentiments distingués d'estime avec lesquels je suis,
Ma chère duchesse,
de Votre Altesse
le bon cousin et serviteur,
Federic.
67. A LA MÊME.
Berlin, 12 janvier 1765.
Madame ma cousine,
Il a été bien douloureux pour moi, ma chère duchesse, de n'avoir pu vous rendre les services que les lois et les priviléges des abbayes interdisaient. Je ne renonce cependant pas à trouver quelque occasion où je pourrai vous être bon à quelque chose, pour faire oublier l'inutilité dont je vous ai été jusqu'ici.
<288>Je voudrais bien que vous ne souffrissiez aucune des infirmités attachées au sort de l'humanité, et j'en suis d'autant plus affligé, que votre fluxion m'a privé du plaisir de recevoir plus tôt de vos nouvelles.
On me mande à peu près la même chose de Versailles et de la cour palatine, touchant l'impression qu'a faite en ces lieux le choix que le roi des Romains a fait d'une princesse bavaroise. Il n'y a qu'à attendre, et sûrement on verra les Français et les Autrichiens prêts à s'arracher le blanc des yeux, et cela, en peu de temps. L'ambition des uns heurtera l'ambition des autres, et cela finira par une rupture. En attendant, que le roi des Romains épouse qui il lui plaira; je ne saurais me persuader que ce mariage entraîne les suites qu'on suppose à Versailles et à Mannheim. Cette princesse apportera à Vienne une dot, des bijoux, et peut-être quelques seigneuries que la maison de Bavière possède en Bohême, et voilà tout; et, en mettant les choses au pis, ne faut-il pas considérer l'âge de l'électeur de Bavière, qui peut vivre longtemps? Et, au cas que la cour de Vienne, au décès de ce prince, porte ses vues trop loin, il est sûr que cela donnera lieu à une guerre bien vive et bien sanglante. Mais, madame, probablement nous ne la verrons pas; ainsi laissons ces soins à la postérité, sans que cela nous inquiète.
Je vous rends mille grâces de l'intérêt que vous daignez prendre à ma personne, et j'espère, ma chère duchesse, que vous rendez justice à la réciprocité de mes sentiments. Ils seront inviolablement les mêmes, étant avec toute l'estime et la considération possible,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le bon cousin et serviteur,
Federic.
68. A LA MÊME.
Sans-Souci, 5 avril 1765.
289-aMadame ma cousine,
M. Helvétius m'a rendu, ma chère duchesse, la lettre dont vous avez eu la bonté de le charger pour moi.289-b C'était une raison de plus pour qu'il fût bien reçu ici, et je n'aurais pas été étonné, s'il se fût arrêté plus longtemps à Gotha pour avoir le bonheur de vous entendre et de jouir de votre charmante conversation. Il m'a trouvé sur le grabat, garrotté par une goutte impitoyable qui m'a assailli par tous les membres. C'est cette goutte qui m'oblige d'emprunter une main étrangère pour vous marquer, ma chère duchesse, toute la reconnaissance que m'inspire votre souvenir. J'espère de m'en acquitter moi-même aussitôt que j'aurai repris quelque force. Je fais, en attendant, des vœux pour que les maux dont vous avez été incommodée ne vous affligent plus désormais, en vous assurant que personne ne prend plus de part à votre santé, à votre prospérité, à votre conservation, que,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
69. A LA MÊME.
(Potsdam) 17 février 1766.
Madame ma cousine,
Quoiqu'il y ait bien de l'incongruité au sieur Grimm de vous adresser, madame, des paquets pour votre serviteur, je lui sais néanmoins gré de l'obligeante lettre qu'il m'a procurée de votre part. Ne croyez pas, ma chère duchesse, que votre souvenir soit de ceux qui s'effacent légèrement de l'esprit d'un honnête homme. Si je ne vous ai pas importunée par mes lettres, c'est que j'ai respecté la fluxion qui vous afflige la vue, c'est que je n'ai eu à vous écrire que des balivernes, et que des fadaises peuvent plaire un moment et ennuyer à la longue; c'est, enfin, qu'il n'est pas convenable d'abuser de votre indulgence.
Nous avons eu ici des noces,290-a des deuils,290-b et un bout de carnaval, par connivence, pour amuser notre jeunesse. Nous avons eu ici beaucoup d'étrangers, parmi lesquels s'est distingué surtout le prince de Saarbrück290-c par ses manières et par son esprit. A présent, madame, nous attendons la fin de l'hiver et le beau temps, qui amènera des occupations différentes. Je souhaite que les vôtres soient toujours agréables, surtout que la déesse qui préside à la santé vous favorise et nous conserve vos jours précieux. Je m'y intéresse plus que personne, étant avec la plus haute estime,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.
70. A LA MÊME.
(Potsdam) 26 février 1766.
Madame ma cousine,
Je me trouve sans cesse dans le cas de vous faire des excuses des incongruités ou, pour mieux dire, de l'impertinence du sieur Grimm, qui vous adresse, ma chère duchesse, mes lettres. Ces lettres ne sont point des négociations; ce sont des chansons faites contre La Verdy, contrôleur général des finances, et des Lettres sur les miracles, de Voltaire.291-a Vous voyez, ma chère duchesse, que cela même aggrave l'insolence du correspondant littéraire de vous charger de ces billevesées. Mais les Français sont des fous, et les Allemands qui y restent longtemps le deviennent de même. Pour moi, je profite doucement de leur folie, puisqu'ils me procurent de vos lettres, qui font tomber des bruits qui me faisaient trembler pour votre précieuse santé. Conservez cette santé, ma chère duchesse, pour le bien du sexe tudesque, dont vous faites l'ornement, et pour la satisfaction de vos amis. J'ose me compter des premiers de ce nombre, et je vous prie d'agréer les assurances de mon admiration et de l'attachement avec lequel je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le bon cousin et fidèle ami,
Federic.
71. A LA MÊME.
(Potsdam) 15 mai 1767.
Madame ma cousine,
Plein de l'agréable souvenir du séjour que j'ai fait à Gotha, surtout de la chère duchesse que j'ai eu le bonheur d'y voir, il m'est passé tout plein d'idées par l'esprit, dans des moments creux, sur quelque alliance de famille qui resserrât entre nous, par les liens du sang, ceux de l'amitié. Je ne vous ferai point, madame, un plus long préambule; je vous dirai tout naturellement ce qui m'est passé par la tête, et vous aurez la bonté de me répondre tout uniment de même, parce que des idées ne sont que des idées, et que je puis me tromper sur ce qui vous convient ou ne vous accommode pas. J'ai réfléchi que l'aîné des princes vos fils était dans un âge où vous penseriez à le marier.292-a J'ai repassé dans mon esprit les princesses qui étaient à peu près de son âge, et il m'a paru que ma nièce, la princesse Auguste de Brunswic,292-b pourrait lui convenir. Je n'en ai parlé à personne, et, si cela se pouvait, ma plume, madame, ne vous le dirait qu'à l'oreille. Peut-être avez-vous d'autres vues; peut-être avez-vous pris des engagements ailleurs, que j'ignore. Au moins ne me sachez pas mauvais gré de ma franchise, et, si vous la taxez d'indiscrétion, ce sera la première et la dernière dont je serai coupable envers vous. Je crois entendre madame de Buchwald qui dit : Le roi de Prusse radote, il se fait maquereau sur ses vieux jours. Elle a raison, nous ne faisons ici que noces et baptêmes. Mais, madame de Buchwald, souvenez-vous au moins que, ayant été malheureusement souvent témoin de la bou<293>cherie de l'espèce humaine, je suis plus obligé qu'un autre à contribuer à la repopulation.
J'espère, ma chère duchesse, que vous prendrez ceci en bonne part, que vous ne vous fâcherez point contre votre ancien adorateur, qui ne cesse de l'être, et que vous voudrez bien croire que tout ce que je vous écris part d'un cœur pénétré de la plus grande estime pour votre personne. C'est avec ces sentiments que je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le bon et fidèle cousin,
Federic.
72. A LA MÊME.
Potsdam, 22 juin 1767.
293-aMadame ma cousine,
Je suis sensiblement touché de la part que Votre Altesse me témoigne, par la lettre qu'elle a eu la bonté de m'écrire du 13 de ce mois, vouloir bien prendre à la mort de mon neveu, le prince Henri;293-b et la façon obligeante dont vous voulez bien, madame, partager la douleur que me cause ce triste événement m'est une nouvelle preuve de votre amitié, et m'engage à vous présenter les vœux que je ne discontinue de faire pour votre précieuse conservation et celle de ceux<294> qui ont l'honneur de vous appartenir, et de vous prier d'être très-convaincue des sentiments de haute estime et d'amitié parfaite avec lesquels je suis,
Madame ma cousine,
de Votre Altesse
le bon cousin,
Federic.
189-a De la main d'un secrétaire.
190-a Voyez t. IV, p. 166; voyez aussi les Berlinische Nachrichten von Staats- und gelehrten Sachen, 1757, no 128, p. 513 et 514.
191-a Voyez t. IV, p. 166-168, ainsi que les Berlinische Nachrichten, no 115, p. 458.
192-a Les victoires de Rossbach et de Leuthen.
193-a Cette lettre, de la main d'un secrétaire, n'est pas signée dans le manuscrit original.
194-a Le manuscrit offre ici une lacune qui nous a paru pouvoir être remplie par le mot d'admiration ou par quelque terme équivalent.
195-a Voltaire. Voyez la lettre de Frédéric à Voltaire, du 22 septembre 1759.
196-a Cette lettre se trouve dans le recueil venu de Gotha; mais ce n'est qu'une simple copie sans signature, et terminée, comme dans notre texte, par le mot etc.
197-a La lettre à Voltaire, du 19 novembre 1759.
197-b Voyez l'Épître sur le hasard, t. XII, p. 64-79.
198-a Frédéric fait principalement allusion ici à l'affaire de Maxen. Voyez t. V, p. 31-33.
199-a Le baron Cocceji, capitaine et aide de camp du Roi.
199-b Voyez t. V, p. 43 et 44.
200-a De la main d'un secrétaire.
202-a Relation de Phihihu, émissaire de l'empereur de la Chine en Europe. Voyez t. XV, p. 159 à 174.
205-a Gagnée par le maréchal de Villars le 24 juillet 1712. Voyez t. I, p. 140.
208-a Voyez t. VIII, p. 46, et t. IX, p. 155. Cette anecdote est racontée par Boileau, satire IV, v. 103.
208-b Voyez t. XIV, p. 73, t. XVII, p. 173, et ci-dessus, p. 181; voyez aussi la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, Leitmeritz, juin 1757.
209-a Voyez t. XVI, p. 91.
210-a Cette lettre est sans signature dans le manuscrit.
211-a M. d'Edelsheim. Voyez t. V, p. 43 et 44.
211-b Londres.
211-c Paris.
212-a Les Poésies diverses. Voyez t. X, p. 11 et 111.
213-a Lettre de la marquise de Pompadour à la reine de Hongrie. Voyez t. XV, p. 89-93, et la lettre de Frédéric au marquis d'Argens, du 14 mai 1760.
213-b Ernest-Salomon Cyprianus, docteur en théologie et vice-président du consistoire de Gotha, associé externe de l'Académie des sciences de Berlin, né en 1673, mort le 19 septembre 1745.
213-c Épître sur le hasard. Voyez t. XII, p. 64-79.
214-a Le Roi parle ici de l'Histoire naturelle de la religion. Traduit de l'anglais de M. David Hume. A Amsterdam, chez Schneider, 1759, in-8, p. 58 et suivantes.
214-b Le maréchal Daun. Voyez t. XV, p. x, no XIII.
216-a Voyez t. XVI, p. 237.
216-b Voyez Diogène Laërce, liv. VI, chap. 2, §. 41, où Diogène le cynique, pour toute réponse à des arguments contre le mouvement, se met à marcher.
220-a Voyez t. V, p. 173, 174, 178, 179 et 248.
222-a Gellert, Gottsched, Ernesti, Reiske, Winkler et Ludovici. Voyez Helden-, Staats- und Lebensgeschichte Friedrichs des Andern. Frankfurt und Leipzig, 1762, t. VI, p. 595 et 596.
222-b Frédéric parle ici de Gottsched, à qui il avait adressé une Épître en 1757. Voyez t. XII, p. 93. Voyez aussi t. X, p. 158.
223-a Voyez t. V, p. 114-116.
225-a De la main d'un secrétaire.
225-b Jean-George-Henri comte de Werthern, né le 19 janvier 1735, épousa, en 1762, la fille de madame de Buchwald, grande gouvernante de la duchesse de Saxe-Gotha. Le Roi le nomma, le 18 novembre 1772, ministre d'État, grand maître de la garde-robe, et chevalier de l'ordre de l'Aigle noir. Le 23 mars 1777, M. de Werthern obtint sa démission, qu'il avait demandée.
226-a De la main d'un secrétaire.
226-b De la main du Roi.
227-a Capitulation de Schweidnitz, 9 octobre.
227-b Le 29 octobre.
231-a Frédéric arriva à Gotha le 3 décembre, et en repartit le 4. Voyez Johann Stephan Pütters Selbstbiographie. Göttingen, 1798, p. 405-409.
231-b Voyez t. V, p. 248 et 249.
231-c Envoyé d'Angleterre à la cour de Prusse. Voyez t. V, p. 75, et t. XII, p. 224.
236-a Voyez t. IV, p. 124, et t. VIII, p. 135 et 279.
237-a Auguste, veuve du prince (Frédéric-Louis) de Galles. Ce prince, fils de George II et père de George III, était mort en 1751.
241-a Voyez t. VIII, p. 58.
244-a Le Prince de Prusse et son frère, le prince Henri. Voyez t. VII, p. 46 et 47.
245-a Voyez t. V, p. 242-248.
249-a Voyez t. IX, p. 224 et 246. Voyez aussi les lettres de Frédéric à mylord Marischal, du 29 juillet et du 1er septembre 1762.
253-a Ce vers n'est pas de Cicéron; c'est une imitation d'un vers de Lucain. Voyez t. XV, p. 150.
253-b Julienne-Françoise de Buchwald, née de Neuenstein, grande gouvernante de la duchesse Louise-Dorothée, naquit le 7 octobre 1707, et mourut le 19 décembre 1789. Charles de Dalberg a fait son éloge dans un petit ouvrage intitulé : Madame de Buchwald. Seconde édition. Erfurt, 1787, vingt-quatre pages in-8.
257-a Le baron de Plotho. Voyez t. IV, p. 117 et 118.
257-b Antonie, princesse de Bavière, femme de Frédéric-Christian, prince électoral de Saxe. Voyez la correspondance de Frédéric avec cette princesse.
258-a Frédéric parle ici de la contrefaçon de ses Œuvres du Philosophe de Sans-Souci.
259-a Voyez ci-dessus, p. 100. Selon d'autres, le baron de Grimm était né à Ratisbonne.
262-a Auteur d'un ouvrage intitulé : Sur le fatalisme. Il avait publié, en 1762, un Dictionnaire des hérésies, en deux volumes in-12.
263-a Voyez t. XVI, p. vIII, et 109-112.
265-a Catéchisme de l'honnête homme, ou Dialogue entre un caloyer et un homme de bien. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLI, p. 97-125.
266-a Frédéric parle probablement de la gouvernante de sa sœur Wilhelmine. Voyez les Mémoires de Frédérique-Sophie-Wilhelmine, margrave de Baireuth. Brunswic, 1810, t. I, p. 64 et suivantes.
268-a Voyez t. VI, p. 87.
269-a
Épître VIII, Au Roi
, vers 108 :Je m'arrête à l'instant, j'admire et je me tais.
271-a Charles-Guillaume-Ferdinand, prince héréditaire de Brunswic-Wolfenbüttel, épousa, le 16 janvier 1764, la princesse Auguste, sœur de George III.
271-b Voyez ci-dessus, p. 253.
274-a Voyez t. VIII, p. 35-50.
277-a Dans le Jupiter confondu de Lucien, chap. 15, Cyniscus dit à Jupiter : « Tu prends ton foudre, tu as donc tort. » Voyez t. IX, p. 187.
281-a La princesse héréditaire de Brunswic. Voyez ci-dessus, p. 271.
281-b Allusion aux fiançailles du Prince de Prusse et de la princesse Élisabeth de Brunswic, le 18 juillet.
283-a Voyez t. VII, p. v et vI.
284-a La pomme d'Adam, le péché originel.
289-a De la main d'un secrétaire.
289-b Frédéric avait invité Helvétius à venir à Berlin, pour le consulter sur l'établissement de la régie dont il parle t. VI, p. 85.
290-a Les noces du Prince de Prusse et de la princesse Élisabeth de Brunswic, le 14 juillet 1765.
290-b La margrave Sophie de Schwedt, sœur du Roi, était morte le 13 novembre 1765. Voyez ci-dessus, p. 181.
290-c Charles-Guillaume, prince héréditaire de Nassau-Saarbrück-Usingen.
291-a Le Roi veut sans doute parler des vingt lettres de Voltaire intitulées : Questions sur les miracles. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLII, p. 143-289.
292-a Ernest-Louis, prince héréditaire de Saxe-Gotha, né le 30 janvier 1745, épousa, le 21 mars 1769, la princesse Marie-Charlotte-Amélie de Saxe-Meiningen.
292-b Cette princesse, depuis abbesse de Gandersheim, était née le 2 octobre 1749.
293-a De la main d'un secrétaire.
293-b Voyez t. VII, p. 43-56.