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280. A LA MÊME.

Le 12 octobre 1754.



Ma très-chère sœur,

Ce jour heureux m'a procuré deux de vos chères lettres. Je vous crois à présent en chemin pour Montpellier. Je me flatte que vous aurez meilleur temps qu'il n'en fait ici pour votre voyage, sans quoi je crains, ma chère sœur, pour votre passage de la Souabe. Notre petit prince Frédérica ira là-bas, et je le chargerai de faire le conciliateur autant qu'il le pourra; mais je vous avoue franchement que votre fille fera bien de ne pas être jalouse. Cette passion du Duc passée, il en surviendra une autre, et puis encore une autre; ainsi il faut qu'elle prenne son parti sur une chose qu'elle ne peut pas changer, et qu'elle tâche seulement de se conserver l'amitié et la confiance du Duc. Ils se sont mariés trop jeunes; le Duc a été amoureux d'elle plutôt en amant jaloux qu'en mari; il a jeté son feu tout d'un coup. Voilà les suites de la jouissance, la satiété, comme le dégoût. Il cherche le changement, et il y a apparence qu'il continuera de même. Peut-être pourra-t-il y avoir quelques moments de retour, mais un cœur volage ne quitte point l'habitude de l'inconstance.

L'Astrua dit mille biens de la reine de Hongrie, et je crois qu'une aigrette de brillants que cette princesse lui a donnée influe beaucoup sur les éloges qu'elle lui prodigue. Je fais mille vœux pour votre heureux voyage, en vous assurant, ma chère sœur, que mon cœur vous suivra à Montpellier et même à Maroc, si vous poussiez jusque-là, étant avec la plus haute estime et la plus vive tendresse, ma très-chère sœur, etc.


a Le prince Frédéric de Würtemberg, frère du duc régnant. Voyez ci-dessus, p. 264.