<21> Grèce de trouver des admirateurs et même des enthousiastes. Philippe de Macédoine choisit Aristote comme le seul précepteur digne d'élever Alexandre; les bons auteurs étaient distingués; les ouvrages de Thucydide et de Xénophon étaient entre les mains de tout le monde. Il en fut de même dans les beaux temps de Rome; l'éloquence et l'esprit philosophique élevèrent Cicéron au comble des honneurs, Lucrèce ne vécut pas assez pour jouir de sa gloire, Virgile et Horace honorés des suffrages du premier peuple du monde eurent part aux familiarités d'Auguste et aux récompenses qu'il répandait libéralement à ces génies extraordinaires, qui honoraient son règne.
Depuis la renaissance des lettres on se souvient avec plaisir de l'empressement, avec lequel les Médicis et quelques souverains Pontifes accueillirent les gens de lettres distinguées par leurs talens. Pétrarque fut couronné poète et la mort ravit au Tasse le même honneur, qui lui était destiné au Capitole, au même endroit, où triomphèrent les vainqueurs du monde.
Louis XIV, qui accumulait tous les genres de gloire, ne négligea pas celle de récompenser les hommes extraordinaires, que la nature produisait sous son règne; non seulement il distingua Racine, Boileau, mais il répandait même ses bienfaits dans des pays étrangers sur des hommes de lettres, dont la réputation lui fut connue.
Tel a été le cas qu'on a fait dans tous les âges de ces hommes de génie qui semblent ennoblir l'espèce humaine; on ne trouvera donc pas étrange que nous payions aux mânes du grand homme, que l'Europe vient de perdre, le tribut d'éloge et de l'admiration, qu'il a si bien méritée.
Ce serait déshonorer Monsieur de Voltaire que de rechercher sa naissance. A l'opposé de ces hommes, qui doivent tout à leurs ancêtres et rien à eux-mêmes, il était lui-seul l'instrument de sa fortune1 et de sa réputation. Ses parents, qui avaient des emplois dans la Eobe, lui donnèrent une éducation honnête; il fit ses études sous l'inspection du Père Porée et du Père Tournemine, ils ne tardèrent pas de découvrir en lui les étincelles de ce génie brillant, qui se manifesta depuis dans ses ouvrages. Après qu'il eut achevé ses études, il entra dans la maison de Madame de Rupelmonde, qui charmée de la vivacité de son esprit et de son talent pour la poésie le produisit dans les meilleures sociétés de Paris; ce fut dans cette école, qu'il se forma et perfectionna le goût et qu'il acquit ce tacte fin, cette politesse et cette urbanité, auxquels ne parviennent jamais les savants et les érudits, qui trop peu répandus dans le monde, qu'ils ne connaissent point, passent en solitaires leur vie au fond de leurs cabinets. Le ton de la bonne compagnie, qui règne dans les ouvrages de Monsieur de Voltaire, leur a principalement value la vogue, dont ils jouissent.
Sa tragédie || d'Oedipe2 et quelques vers de société l'avaient fait connaître au public comme poète, lorsque sous la régence du duc d'Orléans il se publia une satire injurieuse contre ce prince. L'auteur de cette oeuvre de ténèbre, pour éviter d'en être soupçonné, en chargea Monsieur de Voltaire; le jeune poète, tout innocent qu'il était, fut enfermé à la Bastille, où il resta quelque mois, avant qu'il pût se justifier entièrement3. Ce fut à la Bastille même qu'il composa les deux premiers chants de la Henriade; il les
2 d'Oedipe am Rande.
3 das Kreuz nachträglich dazwischen geschr.
1 de sa réputation.