Titelei
<2><3>ILLUSTRATIONS
DES
ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND
PAR
ADOLPHE MENZEL
TOME I
ILLUSTRATIONS
DES
ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND
PARADOLPHE MENZEL
TOME PREMIER
PREFACE ET NOTICE PAR LOUIS GONSE
TEXTE EXPLICATIF PAR L. PIETSCH
GRAVURES SUR BOIS
PAR O. VOGEL, A. VOGEL, FR. UNZELMANN ET H. MÜLLERPARIS
F. FETSCHERIN ET CHUIT, ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L'ÉCOLE NATIONALE DES BEAUX-ARTS
18 RUE DE L'ANCIENNE-COMÉDIE 18
Introduction
Les compositions dessinées sur bois par M. Adolphe Menzel pour les Œuvres de Frédéric le Grand sont ici publiées en dehors du texte auquel elles servent d'illustrations. Un premier tirage à part, fait à 300 exemplaires et mis en vente au prix de 375 francs, a été rapidement épuisé. Ces compositions furent commandées en 1843 à l'artiste, qui, dans ses dessins pour le livre populaire de Franz Kugler, la Vie de Frédéric le Grand (Leipzig, 1840), venait de faire preuve d'une connaissance profonde de l'esprit et de la physionomie de l'Allemagne au XVIIIe siècle, en même temps que sa puissance et sa richesse d'invention témoignaient des plus hautes et des plus personnelles qualités d'illustrateur.
Cette Vie de Frédéric le Grand est une pierre angulaire dans l'oeuvre de M. Menzel; il convient d'en dire quelques mots. Comme le remarquait si justement Duranty, dans la Gazette des Beaux-Arts, M. Adolphe Menzel
<8>y affirme déjà un art „net, ferme, pénétrant, pour qui rien ne va sans la science et l'exactitude“ . Les dessins qui ornent les premières pages furent confiés à des graveurs parisiens. Le résultat fut loin d'être satisfaisant; l'artiste reprochait, non sans raison, à ces graveurs, interprètes habituels des Tony Johannot, des Devéria et des Célestin Nanteuil, „une habileté mécanique qui avait le défaut de ramener tout dessin original à une même adroite et banale interprétation“ . Le reste de l'ouvrage fut livré à des graveurs allemands que l'artiste dirigea lui-même et qu'il habitua aux procédés rigoureux du fac-similé. Les meilleurs de ces graveurs furent Bentworth, Unzelmann et Albert Vogel. Cet effort intéressant donna le signal d'une résurrection de la gravure sur bois, en Allemagne.
On voit grandir et s'affermir, dans cette suite de 400 illustrations, le talent et l'originalité de M. Menzel. „L'artiste a commencé sous l'influence de souvenirs, de modèles; nos vignettes le préoccupent. Puis, peu à peu, de page en page, en montant jusqu'à la fin, composition, dessin et gravure s'animent, deviennent personnels; la lumière se distribue mieux, l'accent est plus vif et plus aigu, les gestes sont plus naturels, le mouvement prend plus de hardiesse; la coupe, les aspects, les groupements deviennent plus inattendus. Avec le dernier chapitre, un grand artiste est fait.“
Le roi Frédéric-Guillaume IV désirait précisément, vers la même époque, élever à la mémoire de son illustre ancêtre un monument digne de lui, en publiant une édition de luxe de ses Oeuvres complètes. Le travail fut confié à l'Académie des Sciences de Berlin et spécialement à l'historiographe du Brandebourg, au professeur Preuss. Cette édition devait être établie avec le plus grand luxe artistique, et le texte illustré par des gravures en taille-douce et de nombreuses vignettes sur bois.
Elle n'était pas destinée à entrer dans le commerce. Le roi s'était réservé d'en distribuer exclusivement les exemplaires, soit comme cadeaux à des personnages princiers, à des bibliothèques publiques, soit comme marque de haute faveur à quelques hommes de distinction. Les Oeuvres de Frédéric le Grand forment dans cette édition trente forts volumes
<9>in-quarto, imprimés avec le plus grand soin typographique par Decker, imprimeur de la cour, plus un volume de Table générale des matières avec Plans. M. Adolphe Menzel fut chargé de dessiner deux cents vignettes sur bois, destinées à être intercalées dans le texte. Ce grand travail, commencé à la fin de l'été de 1843, fut terminé à la Noël de 1849. L'exécution des gravures dessinées sur le bois par M. Menzel fut partagée entre Unzelmann, Hermann Müller, et Albert et Otto Vogel, c'est-à-dire confiée à la plupart des artistes qui s'étaient déjà, dans la gravure des dessins de la Vie de Frédéric, de Kugler, identifiés avec la manière du maître. Sur les deux cents vignettes, 53 ont été gravées par Unzelmann, 27 par Hermann Müller, 46 par Albert Vogel, 55 par Otto Vogel, et 19 en commun par Müller et Unzelmann. A tous M. Adolphe Menzel a rendu ce témoignage, qu'ils avaient „atteint la perfection de la fidélité dans le rendu de son dessin“ .
Presque toutes ces illustrations sont des vignettes, sous forme de culs de lampe, pour les principaux chapitres des écrits historiques, philosophiques et poétiques de Frédéric II, pour ses lettres et ses instructions militaires, réunis dans ses Oeuvres complètes. L'artiste avait été emprisonné dans un cadre rigoureux. Aucune de ces vignettes ne pouvait dépasser en largeur la dimension maximum de douze centimètres. Le dessin fait pour le titre de la nouvelle édition raille plaisamment la chose. Nous en donnons plus loin la reproduction. Un amour enfermé dans l'ouverture d'un compas mesure un espace de „douze centimètres maximum!“ Au-dessous les mots: Hic, hic salta!
On trouve rarement, dans les compositions de M. Menzel, l'interprétation de passages déterminés; l'artiste ne s'est pas astreint à suivre le texte directement et servilement. La plupart du temps, ses vignettes sont des variations libres sur des thèmes indiqués ou suggérés par le morceau littéraire, des tableaux d'évènements antérieurs, ou la représentation artistique d'idées à peine exprimées et lues, pour ainsi dire, entre les lignes. Ses compositions historiques reflètent avec la fidélité d'un miroir les époques auxquelles elles se rapportent; ses portraits sont dessinés d'après les origi-
<10>naux et les documents les plus authentiques, et presque toujours selon le sens dans lequel les personnages sont traités par le royal écrivain.
Un grand nombre de ces illustrations sont purement allégoriques ou emblématiques. C'est là que M. Menzel a été le moins enchaîné par le texte. C'est aussi, il faut l'avouer, la partie de son oeuvre qui sera la moins goûtée et la moins comprise du public français. La pensée y est toujours puissante, originale, incisive, mais souvent surchargée de détails et d'intentions qui en alourdissent et même en obscurcissent l'expression. Le secours d'un argument explicatif devient indispensable.10-1
Toutes ces vignettes étaient demeurées jusqu'ici à peu près inconnues du grand public, aussi bien en Allemagne qu'à l'étranger. Autant l'ouvrage de Kugler était populaire de l'autre côté du Rhin, autant celui-ci était ignoré. Perdue dans les trente volumes de l'édition officielle, cette oeuvre, où l'artiste avait dépensé des trésors de verve, d'esprit et d'imagination, serait restée pour toujours dérobée à l'admiration des amateurs, si l'administration du Musée de Berlin, dépositaire des bois originaux, ne s'était décidée à autoriser un tirage spécial des illustrations de M. Menzel.
La présente édition est donc un tirage à part, destiné à populariser un monument d'art de premier ordre et à mettre à la disposition du public français une oeuvre qui par beaucoup de côtés touche à la vie politique, artistique et littéraire de notre pays, pendant le XVIIIe siècle, et dans laquelle revivent tant de figures françaises.
En effet, le sujet ne nous tient-il pas de près et l'histoire de Frédéric II n'est-elle pas intimement mêlée à notre histoire? Les philosophes, les beaux esprits, toutes les personnalités éminentes de la France, avec lesquelles le roi de Prusse correspondait ou qu'il avait attirées à sa cour, les généraux de la guerre de Sept ans, les savants et les artistes de l'époque reviennent constamment sous le crayon de M. Menzel: M me de Pompadour, Voltaire, Rousseau, le Maréchal de Saxe, Rollin, d'Alembert, Fontenelle,
<11>La Mettrie, et tant d'autres, et au milieu de cette foule la figure railleuse, sceptique, autoritaire et singulièrement puissante du „vieux Fritz“ . C'est la restitution, pleine de relief et de vie, d'un temps où l'esprit et le goût français rayonnaient sur toute l'Europe.
Exprimer avec des mots le style, la vigueur, l'expression dramatique du dessin, l'observation juste et philosophique, l'intuition profonde de l'histoire, la fantaisie humoristique, la satire âpre et souvent violente, l'incroyable variété des formes, l'invention dans la mise en scène et le sentiment personnel que M. Menzel a déployés dans toutes ces compositions, serait une tâche difficile. Il faut feuilleter l'oeuvre et la voir dans son développement. Si toutes les compositions ne sont pas à la même hauteur d'inspiration lumineuse, toutes du moins se tiennent et se relient dans une admirable unité. Dans beaucoup d'entre elles, l'artiste s'élève de la vignette à la peinture d'histoire. Quelques-unes sont au nombre des créations les plus extraordinaires de l'auteur de la Cruche cassée et des planches de la Germania.
L. G.
<12><13><14><15>I.
Le texte se borne à mentionner le fait d'investiture de Frédéric I, dans un court récit de la vie de ce prince. Menzel a reproduit cette scène, d'après les descriptions historiques du cérémonial.
II.
Menzel a symbolisé ici, sous la forme d'un bas relief, les deux actes de la vie de l'électeur Frédéric II que le texte rapporte comme preuves de sa „magnanimité“ et de son „esprit de désintéressement“ . Le même esprit de désintéressement lui avait fait refuser deux couronnes et lui fit abdiquer l'électorat en 1469. Il avait refusé la couronne de Bohème, que le pape lui offrit, pour ne pas en dépouiller George Podiebrad, et il déclara ne vouloir accepter la couronne de Pologne qu'au refus de Casimir, frère du dernier roi Ladislas.
III.
Un passage des „Mémoires de Brandebourg“ glorifie la bravoure personnelle de l'électeur Albert l'Achille, ce prince chevaleresque: „Il gagna huit batailles contre les Nurembergeois, qui s'étaient révoltés et lui disputaient les droits du burgraviat. Il enleva un étendard à un guidon de cette ville, au péril de sa vie, combattant seul contre seize hommes.“
<16>IV.
Le texte s'exprime ainsi: „Le Grand Electeur avait fait préparer des traîneaux sur lesquels il mit toute son infanterie et ses troupes dans l'ordre où elles devaient combattre. La cavalerie, à leurs côtés, suivait l'électeur, qui faisait de cette façon étrange et nouvelle sept grands milles allemands par jour.“
Menzel montre l'électeur debout sur la neige, avec un manteau de fourrure, et adressant, au moment de monter dans le traîneau qui l'attend, une chaleureuse allocution à ses généraux Goertzke, Derfflinger et au duc de Dessau.
V.
Un passage du texte fournit le sujet de ce dessin: „La reine Sophie-Charlotte fonda l'Académie Royale. Elle appella Leibnitz et beaucoup d'autres savants à sa cour. Sa curiosité voulait saisir les premiers principes des choses; Leibnitz, qu'elle pressait un jour sur ce sujet, lui dit: „Madame, il n'y a pas moyen de vous contenter; vous voulez savoir le pourquoi du pourquoi.“ .... Charlottenbourg était le rendez-vous des gens de goût.“ —
Au groupe de la reine et du philosophe, Menzel a adjoint d'autres figures, deux dames de la cour et un page, faisant ainsi de cette scène un tableau épisodique de la vie de la cour de Charlottenbourg.
VI.
L'accueil que les réfugiés protestants trouvèrent en Prusse est mentionné dans les termes suivants: „Le roi Frédéric-Guillaume I eut cependant le plaisir de voir prospérer une nouvelle colonie qu'il avait établie en Prusse dès l'année 1732. Il était sorti plus de vingt mille âmes de l'évêché de Salzbourg par zèle pour la religion protestante.... Le roi établit ces Salzbourgeois en Prusse.“
La composition de Menzel montre les fugitifs, qui, remplis d'un pieux sentiment de reconnaissance, saluent le sol hospitalier de leur nouvelle patrie, et bénissent, les mains levées au ciel, le Seigneur qui a touché le cœur du roi, les a protégés dans leur foi, et les a conduits vers cette terre hospitalière.
<17>VII.
Frédéric, alors prince héritier de la couronne, se tient à cheval à côté du roi, son père, sur un petit monticule. Plus bas, dans la plaine, des troupes prussiennes défilent devant eux, en marche de parade.
Cette composition de Menzel ne se rapporte pas à un passage déterminé du texte; elle met en évidence la sollicitude personnelle, toujours en éveil, de Frédéric-Guillaume pour l'instruction solide et approfondie de l'armée prussienne; sollicitude dont Frédéric glorifie le roi son père, dans le Mémoire, et qui devait être la base de sa grandeur future.
VIII.
Quatre fanatiques, qui se sont mutuellement porté des coups mortels, gisent sur le sol; deux ont déjà rendu l'âme; les deux autres, se soulevant à demi, brandissent encore leurs épées l'une contre l'autre. Une croix, dont le pied est caché dans les nuages, s'élève, entourée de rayons, à l'arrière plan.
Le motif de cette composition est fourni par cette phrase: „Le faux zèle est un tyran qui dépeuple les provinces.“ Dans les ennemis qui se tuent et se déchirent sous l'emblème de la croix, l'artiste a personnifié le fanatisme des partisans des différentes confessions chrétiennes, qui a fait tant de victimes et répandu tant de sang dans le cours des siècles.
IX.
Ce groupe de portraits est la traduction artistique faite par Menzel de ces mots du texte: „Nos beaux jours arriveront donc comme ceux des autres; nos prétentions sont d'autant plus justes que nous avons payé le tribut à la barbarie quelques siècles de plus que les méridionaux.“ Le représentant de la „barbarie teutonique“ regarde étonné les grands hommes que l'Allemagne a produits dans les trois derniers siècles.
<18>X.
Cette vignette symbolise la victoire de la puissance des Electeurs sur la morgue et la résistance des grandes familles nobles de la Marche de Brandebourg, que le royal écrivain qualifie de „petits tyrans“ . Quoique Frédéric I les soumit, les Etats restèrent toujours maîtres du gouvernement.
Les princes électeurs réduisirent, par la force du canon, l'organisation nobiliaire du Moyen-Age, mais ce n'est qu'avec ses princes protestants que la Maison de Brandebourg put établir sa souveraineté complète.
XI.
Le passage qui a suggéré àMenzel cette conception poétique et originale est le suivant: „Dans cette crise, le roi se résolut de se servir de toutes ses ressources pour se mettre dans une situation formidable .... il attendit dans cette position les événements qu'il plairait à la fortune de lui fournir pour se rendre àlui-même la justice que d'autres lui refusaient.“
Décidé aux résolutions suprêmes, pénétré du sentiment de la force de l'Etat fondé et légué par ses ancêtres, le jeune roi voit les esprits de son père, de Frédéric I, du Grand-Electeur, planer autour de lui, éclairer son âme, retremper son courage, et il jure de se montrer digne d'eux aux jours du danger.
XII.
L'entente entre la Russie, l'Angleterre, la Hollande et la Pologne, pour le partage de la Prusse, paraissait conclue en 1741. „Le signal de guerre fut donc donné en Europe.“
Menzel personnifie, sous une forme symbolique saisissante, ce moment décisif de l'histoire européenne.
<19>XIII.
Le texte décrit la manière d'employer l'infanterie adoptée par Frédéric II à la bataille de Mollwitz (à chaque aile deux bataillons de grenadiers); c'était une disposition dont Gustave-Adolphe avait fait usage dans la bataille de Lützen. Il fait l'éloge de l'héroïsme calme avec lequel l'infanterie soutint „comme un roc“ , les attaques réitérées de la cavalerie de Neipperg, „et à force de valeur repoussa cette cavalerie, qui perdit beaucoup de monde“ .
XIV.
Déjà la France projetait de morceler l'Empire en quatre tronçons. La guerre qu'elle avait faite, avec la Bavière, en Bohème, contre Frédéric II, était restée sans résultat. „La reine de Hongrie était au bord d'un précipice.“ Le dessin de Menzel a trait à cette situation, ainsi qu'à l'héroïque attitude de la jeune reine. L'orage souffle dans les draperies qui surmontent son trône, et fait flotter les lourdes masses de velours. La jeune princesse, vêtue du manteau royal, se dresse majestueusement tenant d'une main ferme l'épée nue.
XV.
Le texte dit: „L'administration d'un prêtre a perdu le militaire. Sous Mazarin c'étaient des héros, sous Fleury c'étaient des courtisans sybarites.“
Cette caractéristique de l'administration du cardinal Fleury répond à l'image que Menzel nous présente de sa personne. Débile, l'air mélancolique, affaissé sur lui-même, il est assis dans un fauteuil près d'une superbe table de style rococo, et le bâton du commandement glisse de ses mains efféminées.
<20>XVI.
Cette vignette nous donne une image allégorique de la paix de Breslau, glorieusement et chèrement conquise par l'épée de la Prusse, à la sanglante bataille de Chotusitz.
XVII.
Un passage du texte dont s'est inspiré l'artiste, décrit l'activité militaire dé-ployée pendant la période de paix qui suivit la première guerre de Silésie, activité qui avait pour but de se tenir prêt à toute nouvelle éventualité de guerre.
XVIII.
Le chapitre VIII de l' „Histoire de mon temps“ raconte ce qui a été accompli pour rehausser la culture intellectuelle et le bien-être en Prusse pendant la période de paix entre la première et la seconde guerre de Silésie. Le roi s'y occupe aussi de l'Académie des Sciences de Berlin. „Les Euler, les Lieberkühn, les Pott, les Markgraf en devinrent les ornements. Depuis, M. de Maupertuis, si célèbre par ses connaissances et par son voyage en Laponie, devint le président de cette compagnie.“
Menzel a choisi dans cette vignette les portraits des deux plus célèbres parmi les présidents de l'Académie de Berlin.
XIX.
Dans le chapitre IX de l' „Histoire de mon temps“ , il est dit: „Mais dans le temps qu'on dansait et se réjouissait à la cour, se faisaient les préparatifs de la campagne qui était sur le point d'ouvrir.“
Le dessin de Menzel nous met sous les yeux ces préparatifs de la guerre. Le tambour appelle les soldats aux armes et les fait sortir des maisons où ils ont pris quartier.
<21>XX.
La guerre a commencé en Bohème. Le roi fait ressortir dans son livre les avantages que ce pays de montagnes offre pour la défense, et les dangers qui y menacent une armée ennemie: „Cette chaîne de montagnes, dont la Bohème est environnée, fournit tout ce qu'un officier intelligent peut désirer en fait de gorges et de postes où il puisse intercepter les convois.“
Menzel a composé là-dessus son dessin, représentant un combat dans un chemin étroit et boisé. Il y a même fait figurer un élément qui n'est pas directement mentionné dans le texte: un moine catholique, posté sur le sommet d'un rocher escarpé dont le creux abrite des armes, de la poudre et des vivres, regarde avec une curiosité mêlée d'anxiété l'attaque dirigée contre le protestant, l'ennemi du pays.
XXI.
Le malheureux empereur Charles VII, sans terre et sans pouvoir, est caractérisé en termes frappants dans le chapitre en question, qui raconte sa mort, survenue le 18 janvier 1745: „Il poussa la bienfaisance àl'excès, abusant de sa libéralité à un tel point qu'il fut réduit lui-même àl'indigence; il perdit deux fois ses états.“
Mortellement triste et abattu, les mains repliées l'une sur l'autre, il est assis dans un fauteuil richement sculpté. C'est ainsi que Menzel a représenté ce fantôme de souverain qui a déposé sa couronne. La tète baissée, le regard morne, accablé, toute son attitude contraste avec l'armure de parade dont il est revêtu.
XXII.
Un autre chapitre de l' „Histoire de mon temps“ décrit la victoire que le Maréchal de Saxe; bien que gravement malade, remporta à Fontenoy sur les Anglais, sous les yeux de Louis XV. Frédéric II s'exprime dans les termes les plus flatteurs sur le compte du célèbre capitaine: „Il semblait qu'il s'était arraché aux bras de la mort pour vaincre les ennemis de la France ... Sa victoire a été<22>comme un engagement qu'il prenait avec le public, qui s'attendait à de plus grandes choses encore du Maréchal de Saxe en santé, que du Maréchal de Saxe à l'agonie“ .
Le dessin de Menzel le montre en plein champ, tête nue, s'appuyant sur un bloc de pierre, l'épée pendant négligemment à un large baudrier, par dessus l'uniforme ouvert; il tient à la main son bâton de maréchal, et semble suivre du regard le cours de la bataille.
XXIII.
La brillante victoire de Hohenfriedberg avait, d'après le récit qu'en fait le roi dans l' „Histoire de mon temps“ , laissé comme trophées, aux mains des Prussiens, soixante - deux drapeaux, sept étendards, huit paires de timbales et soixante canons.
La vignette de Menzel, représente une partie de ce butin, des canons et des drapeaux groupés ensemble; devant, se tient à cheval un dragon du régiment de Baireuth, qui montre fièrement ces trophées du bout de son sabre.
XXIV.
Le chapitre XIV de l' „Histoire de mon temps“ contient le récit de la bataille décisive de Kesselsdorf, qui fut la dernière de la seconde guerre de Silésie. La victoire fut chèrement achetée: „Les Prussiens eurent 41 officiers et 1621 soldats tués.“
On voit dans ce dessin une des longues et profondes tranchées creusées pour recevoir la masse des morts. On vient d'y descendre les corps des soldats tués. Leurs camarades jettent sur eux des poignées de terre, tandis que d'autres se mettent en devoir de combler la fossé.
<23>XXV.
Dans l' „Appendice à l'Histoire de mon temps“ (14e lettre, écrite en 1745), le roi s'exprime ainsi: „Mes succès ne m'aveuglent point .... Vous me verrez plutôt périr, moi et toute mon armée, que de me relâcher sur la moindre minutie de ce traité.“
Il avait, comme le montre cette correspondance, sujet d'être sur ses gardes, même après la conclusion de la paix. L'artiste figure cette situation par les deux hussards en vedette, calmes, le sabre au poing, en pleine campagne, tandis que dans le lointain des officiers galopent au devant de troupes rangées en bataille.
XXVI.
Sans se rapporter à un endroit précis du texte, ce dessin caractérise l'état du pays renaissant à la prospérité, à la veille de la guerre de Sept ans. Tout respire encore la félicité de la paix. Mais les courriers des puissances traversent déjà le pays avec leurs valises bourrées de dépêches, comme celui qu'on voit ici passer au galop sur la grande route entre deux champs de blé, dont les longs épis ondulent sous la brise.
XXVII.
Dans le chapitre II de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ , qui traite de la politique européenne pendant la décade de 1746 à 1756, on lit, au sujet des stipulations du Congrès d'Aix-la-Chapelle: „On éteignait d'une part l'incendie qui embrasait l'Europe, et de l'autre, on amassait des matières combustibles pour qu'elles prissent feu à la première occasion.“
Le dessin de Menzel fait allusion à cette situation fausse et à l'attitude des puissances à l'égard de la Prusse. Une Bellone, armée de l'égide, s'envole à travers les airs avec des ailes d'aigle, cachant à moitié, derrière un masque souriant, son visage et la chevelure de serpents qui flotte autour de sa tête; elle tient dans sa main gauche une branche d'olivier, et dans l'autre la bannière blanche, mais la hampe de cette bannière est entourée d'un serpent malfaisant.
<24>XXVIII.
Le chapitre III de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ contient l'histoire du traité de Londres conclu le 16 janvier 1756 entre le roi George et Frédéric II, et dont les trois premiers articles concernaient la garantie mutuelle par ces princes de la sécurité de leurs Etats respectifs.
Menzel représente l'allié de la Prusse dans son costume royal, trônant sur un siège, et posant sa main fine sur l'instrument diplomatique du traité. Derrière lui, sur un coussin de velours, la couronne britannique et la couronne électorale de Hanovre.
XXIX.
Le chapitre IV de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ raconte le commencement de la cmpagne de 1756, l'entrée de Frédéric II et de son armée en Saxe. La première partie contient la description du fameux camp retranché de Pirna, dans lequel Auguste III avait cru pouvoir attendre en toute sécurité l'armée de secours des Autrichiens.
Le dessin montre le roi Auguste debout devant sa tente, l'hermine jetée comme un manteau de campagne sur son riche costume brodé, et attachée sur l'épaule; il tient de la main droite, dans l'attitude du commandement, son bâton de maréchal. Au fond, un gros nuage sombre semble s'abattre sur le camp.
XXX.
Dans l'hiver de 1756 à 1757, la France fut amenée à décider la gerre contre la Prusse; „.... on se servait des larmes de la dauphine, pour émouvoir la compassion de Louis XV afin qu'il prît le parti du roi de Pologne. Le roi très-chrétien se rendit à d'aussi vives sollicitations et résolut de porter la guerre en Allemagne“ .
Menzel représente le roi Louis XV tout armé. Il s'est levé de son trône; la main gauche "sur la poignée de son épée, il étend son sceptre de l'autre et donne à ses armées le commandement de marche. Dans le fond, les troupes françaises se mettent en mouvement.
<25>XXXI.
C'est l'année 1757, si riche en événements militaires, qui fait le sujet du chapitre VI de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ . Menacé et attaqué en même temps par les Autrichiens au Sud, les Français à l'Ouest, les Suédois au Nord, et les Russes au Nord-Ouest, Frédéric II se vit obligé de répartir ses forces dans toutes les directions. Lui-même semblait se multiplier pour payer partout de sa personne. „La multitude d'objets qu'il avait à remplir pendant cette campagne était immense, et comme on se trouvait pressé de faire de tous les côtés des efforts, on ne pouvait y réussir qu'en employant les mêmes troupes en différents endroits.“
C'est cette course furieuse de champ de bataille en champ de bataille, pour doubler ses victoires de nouveaux triomphes remportés sur les points les plus éloignés les uns des autres, ou pour effacer une défaite (comme celle de Collin) par des victoires d'autant plus éclatantes (comme à Rossbach et à Leuthen), que l'artiste a voulu peindre dans cette composition.
XXXII.
Le chapitre VII de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ (de l'hiver de 1757-1758) expose, dans sa première partie, les changements apportés dans la politique anglaise par Pitt, lorsque cet homme d'Etat eut pris la direction des affaires à la place de Fox, le protégé du duc de Cumberland: „Mr. Pitt, que son éloquence et son génie élevé rendaient l'idole de la nation, appliqua toute l'étendue de ses talents à rendre sa patrie la dominatrice des mers ... de plus il jugea convenable à la gloire de sa nation de renouveler les alliances qu'elle avait contractées tant avec le roi de Prusse qu'avec divers princes d'Allemagne.“
Il est représenté dans une attitude fière et noble; le regard est hardi et perçant. Il appose sa signature au traité d'alliance déjà scellé.
XXXIII.
Au nombre des faits d'armes de la campagne de 1758 se trouve la bataille de Zorndorf et la brillante victoire qu'y remporta la cavalerie prussienne. „Le roi fit ordonner à M. de Seydlitz de charger incontinent; il forma trois colonnes,<26>qui percèrent en même temps le carré, et en moins d'un quart d'heure tout le champ de bataille fut déblayé d'ennemis.“
La vignette de Menzel représente un groupe de ces cavaliers, trompette, porte-étendards, officiers, soldats, revenant de la bataille; un Russe, criblé de blessures, se tord sur le sol dans les convulsions de l'agonie.
XXXIV.
Le traité d'alliance entre l'impératrice-reine et le roi de France fut conclu soi-disant pour établir solidement le repos de l'Allemagne, en réduisant l'ambition du roi de Prusse à des limites qui ne lui permissent plus de troubler, au gré de son ambition et de celle de l'Angleterre, la tranquillité générale et celle de ses voisins.
Le dessin de Menzel symbolise les projets de démembrement nourris à l'égard de la Prusse par ses ennemis et ses envieux; en même temps que la vigilance et l'énergique résistance de son souverain. L'aigle prussienne plane, en battant des ailes, au-dessus du globe de l'empire, dans lequel s'enfoncent de toute part des griffes d'oiseaux de proie.
XXXV.
Tout le chapitre X de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ est consacré au récit de la campagne de 1759; il décrit le terrible désastre subi par le roi Frédéric II dans sa défaite à Kunersdorf. L'artiste en a pris occasion pour représenter l'impératrice de Russie dans une attitude et avec une expression de physionomie qui respirent le triomphe et la joie d'avoir vengé sur un ennemi détesté sa défaite de Zorndorf. La nature intime de la femme et de la souveraine, telle que la révèlent sa vie et ses actes, est énergiquement caractérisée dans toute sa personne. Jusque dans les sculptures de son siège on peut reconnaître des allusions satiriques au caractère bien connu de la Czarine.
<27>XXXVI.
Les efforts de la Prusse, pendant l'hiver de 1759 à 1760, pour désunir ses adversaires ou pour leur susciter d'autres ennemis, restèrent à peu près sans succès: „La guerre devenait de jour en jour plus difficile à soutenir et les hasards devenaient plus grands“ , écrit Frédéric. Et pourtant il lui fallait coûte que coûte se mettre en mesure de poursuivre cette lutte inégale.
La vignette de Menzel symbolise cette situation: la main droite, blessée et entourée de bandages, cherche à remettre le gantelet de fer que lui tend la main gauche. A côté, l'épée, dont la lame porte les traces du combat.
XXXVII.
Cette composition a trait à l'audacieuse et heureuse sortie de l'armée prussienne hors du camp de Liegnitz, opération qui permit au roi Frédéric d'échapper aux corps ennemis qui le menaçaient de tous les côtés, et de gagner une position à laquelle il dut, en grande partie, la victoire le jour suivant. Il avait deviné le plan des Autrichiens, et „certaines considérations firent résoudre qu'on abandonnerait le camp de Liegnitz le même soir et qu'on repasserait la Katzbach.... Cette manœuvre ne pouvait s'exécuter, de jour à cause de la proximité du camp autrichien; dès que les ombres parurent, l'armée se mit en marche....“
L'artiste a ainsi symbolisé cette évasion de toute une armée: un grenadier se dérobe, guidé par une divinité protectrice qui verse les pavots sur les yeux de l'Autrichien étendu sur le sol; la nuit le cache et le protège en étendant son voile au-dessus de sa tête. De l'autre côté, on voit le dormeur, réveillé trop tard, poursuivant de ses menaces impuissantes l'ennemi qui lui échappe.
XXXVIII.
Les efforts peu sincères de la France pour amener la réunion d'un congrès des puissances (hiver de 1760 a 1761) avaient, dans l'opinion de Frédéric II, pour but secret, „d'amuser l'Angleterre par cette négociation, pour retarder les préparatifs immenses que cette nation faisait sur mer.“
Le dessin fait allusion à ces préparatifs: il montre l'infanterie anglaise en marche vers le port d'embarquement, où l'attendent des navires, les voiles déjà hissées pour le départ.
<28>XXXIX.
Menzel n'a pas voulu représenter un épisode déterminé de ces jours d'anxiété et d'attente passés dans le camp retranché de Bunzelwitz (1761). Il a traduit seulement la vigilance toujours en arrêt, l'attention infatigable et les émotions de Frédéric II et de son entourage, durant les jours qui précédèrent l'attaque des Autrichiens. Le roi, couché dans son manteau, à côté d'un feu de bivouac auquel un soldat apporte des branches et des broussailles, se tourne sur le côté pour épier la cause d'un bruit qui lui arrive à travers l'obscurité.
XL.
La mort de l'impératrice Elisabeth de Russie tira Frédéric II d'une situation désespérée et fit perdre à l'Autriche son plus puissant allié. Le corps auxiliaire russe, commandé par Tschernitschew, se joignit aux forces prussiennes. Frédéric, racontant ce revirement subit, ajoute: „en rapprochant tous les événements que nous venons de rapporter, ils nous représentent la Prusse aux abois à la fin de la dernière campagne, qui, perdue au jugement de tous les politiques, se relève par la mort d'une femme et se soutient par le secours de la puissance qui avait été la plus animée à sa perte.“
Le dessin de Menzel montre le jeune Czar, admirateur et ami de Frédéric, debout sous le dais du trône et tendant la main à l'adversaire de sa mère. A l'horizon, le soleil d'un jour nouveau émerge d'un nuage sombre.
XLI.
C'est la description de la bataille de Freiberg, où le prince Henri de Prusse remporta la victoire, qui clôt le chapitre XVI de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ , consacré à la campagne de 1762.
Le dessin de Menzel représente, avec une vérité de détails saisissante, l'assaut donné par les grenadiers prussiens aux redoutes autrichiennes, sur les hauteurs du „Kurbitz“ ou plus correctement du „Kuhberg“ , épisode mentionné très-brièvement par le royal historien.
<29>XLII.
Une partie du chapitre XVI de l' „Histoire de la guerre de Sept ans“ , consacré à la conclusion de la paix, s'étend sur les maux effroyables de la guerre, dont avaient souffert surtout la Poméranie et l'électorat de Saxe.
La vignette traduit avec une réalité saisissante cette ruine de pays autrefois florissants, en mettant sous nos yeux les débris d'une ville détruite par le bombardement et les figures des malheureux survivants au désastre.
XLIII.
La politique de Catherine II et sa guerre contre la Turquie font le principal sujet du chapitre Ier des „Mémoires depuis la paix de Hubertusbourg jusqu'à la fin du partage de la Pologne“ . Menzel en a pris occasion pour représenter le buste en marbre de cette souveraine; la face du piédestal porte des ornements de style rococo.
XLIV.
Frédéric II dépeint la terrible misère du pays, le dénuement de la population et les mesures qu'il prit pour cicatriser les blessures de la guerre et ramener la vie et la santé dans le corps social: „C'était une création nouvelle qu'il fallait entreprendre. On trouva dans les caisses les fonds pour rétablir les villes et les villages; on tira des magasins d'abondance les grains qu'il fallait pour la nourriture du peuple et pour l'ensemencement des terres; on prit les chevaux destinés à l'artillerie, aux bagages et aux vivres, pour les employer au labourage.“
Et plus loin: „Ces largesses multipliées rendirent le courage aux pauvres habitants; .... avec les moyens qu'on leur fournit, l'espérance renaquit, le pays reprit une nouvelle vie, le travail produisit une nouvelle activité“ etc.
La vignette nous montre de grands édifices en cours de construction dans des endroits que la guerre avait dévastés; des haies et des barrières encadrent des terrains; la charrue, tirée par des attelages vigoureux, sillonne les champs.
<30>XLV.
Au sujet des pertes énormes que l'armée de Frédéric II avait subies dans la guerre de Sept ans, et des mesures et des efforts que demanda sa réorgani-sation, on lit dans le chapitre III des „Mémoires depuis la paix de Hubertusbourg jusqu'à la fin du partage de la Pologne“ : „On ne trouvait guère au delà de cent hommes, en l'année 1756, qui eussent servi au mencement de cette guerre. Plus de 1500 officiers tués dans différentes actions avaient extrêmement diminué la noblesse.“
L'obélisque que représente le dessin de Menzel est érigé à la mémoire de ces morts. Il porte cette inscription: „Pro patria et gloria morte egregia defunctis.“ Une troupe d'infanterie, drapeaux déployés, défile au pied du monument. De l'autre côté, un invalide, autre victime de la guerre, s'éloigne en boitant, appuyé sur sa béquille.
XLVI.
Le „Mémoire de ce qui s'est passé de plus considérable, de 1774 à 1778“ traite de la politique des puissances pendant cette période de quatre ans; de l'explosion de la guerre de l'indépendance américaine; de l'entrée en scène de Joseph II, et de la situation précaire de la paix européenne, menacée de tous les côtés.
La vignette symbolise l'attitude de la Prusse à ce moment-là: par l'épée détachée du ceinturon, par le télescope, qui indique l'observation pénétrante et étendue des choses et des événements, et enfin par le bouclier, emblèmes des armements qui mettaient le royaume à l'abri des attaques des envieux et des ennemis de la Prusse.
XLVII.
C'est l'empereur Joseph II, qui fut l'âme de la guerre de la Succession de Bavière. Il avait compté, pour paralyser les forces de la Russie, alliée de la Prusse, sur la guerre de cette puissance avec la Turquie. La nouvelle de la conclusion de la paix entre ces deux belligérants, qu'il apprit à Vienne le 20 avril, „détruisait<31>toutes les espérances dont l'empereur s'était flatté; il ne pouvait pas se déguiser que la Russie, ayant maintenant les bras libres, était maîtresse d'employer ses forces comme bon lui semblerait; que par conséquent elle pouvait faire marcher un si puissant corps de troupes au secours du roi, que la Prusse gagnerait par là une supériorité d'hommes contre laquelle il serait impossible aux troupes impériales de se soutenir en campagne avec dignité“ . La conclusion de la paix entre la Russie et la Turquie fut, en réalité, le point de départ de la réunion du congrès de Teschen.
La vignette montre le jeune et ambitieux souverain, déçu dans ses projets belliqueux, remettant au fourreau l'épée qu'il avait tirée pour se venger de la Prusse.
XLVIII.
Toutes les lettres de Frédéric II contenues dans sa „Correspondance avec l'empereur au sujet de la succession de Bavière“ mettent en relief la résistance calme et ferme opposée par le roi de Prusse, dans la conscience de sa force, à toutes les prétentions de l'Autriche. L'image des deux oiseaux héraldiques de la Prusse et de l'Autriche traduit l'attitude réciproque des deux puissances.
XLIX.
Frédéric II développe dans cet écrit le projet d'une confédération des princes allemands. „Le but de cette ligue, n'étant point offensif, doit être formé dans l'unique intention de soutenir les droits et les immunités des princes d'Allemagne, et cela sans distinction de religion.“
La vignette symbolise cette union par l'emblème des sceptres séculiers et ecclésiastiques réunis sous une même égide, sur le bord de laquelle se lisent ces mots: „Concors . Vigil . Fortis“ . Au centre du bouclier, sont indiquées, en relief, trois paires de jambes de cheval lançant des ruades.
<32>L.
Cette vignette de l' „Eloge de Jordan“ , traitée entièrement dans le style rococo, nous montre Jordan en costume antique, émergeant pour ainsi dire de sa chrysalide de pasteur protestant, et conduit vers le sanctuaire de la Science et des Arts par Uranie et par la Muse de la poésie. Un petit génie emporte la robe noire et le rabat du défroqué.
Le dessin de Menzel symbolise ainsi le changement de carrière de cet homme de mérite, comblé d'honneurs par Frédéric II et qui avait passé de la théologie à la philosophie et à la science.
LI.
Né le 17 mars 1685 à Jandun en Champagne, Duhan de Jandun était venu en Prusse avec son père, chassé de France par la révocation de l'Edit de Nantes. Il se distingua au siège de Stralsund, sous les yeux de Frédéric-Guillaume I, qui le choisit pour précepteur du prince royal.
La vignette montre le savant et chevaleresque Français conduisant le royal enfant vers le portail monumental d'un jardin, dont le cintre est orné de trois petits génies de pierre qui soutiennent une guirlande de fleurs.
LII.
Deux officiers des Gardes-du-corps, le crèpe au bras gauche, le sabre nu à la main droite, debout sur la première marche d'un escalier, montent la garde funèbre devant le cercueil du général de Goltz, que Frédéric II tenait en estime toute particulière. Mort en 1747, il s'était distingué victorieusement dans la campagne de 1745, et l'Eloge de Frédéric célèbre en lui l'organisateur et l'administrateur militaires autant que le général. Sur le velours noir du catafalque sont posés le chapeau, l'épée et les insignes de l'Ordre pour le Mérite.
<33>LIII.
Le portrait de La Mettrie, dessiné d'après un portrait gravé de G.-F. Schmidt, répond de tous les points au caractère que Frédéric II a retracé en termes sympathiques dans son éloge de ce fameux naturaliste, médecin et libre-penseur matérialiste (mort en 1751), qui fut un de ses compagnons de table à Sans-Souci: „M. La Mettrie était né avec un fonds de gaieté naturelle intarissable; il avait l'esprit vif, et l'imagination si féconde, qu'elle faisait croître des fleurs dans le terrain aride de la médecine.“
LIV.
Par un chemin bordé de murs, un officier, en tenue de deuil, du régiment „Prince Eugène d'Anhalt“ , qui était celui du général de Stille, mort en 1752, conduit à la main le cheval favori du défunt, drapé d'une couverture de velours noir. Sur une butte, au pied du mur qui borde le chemin, l'artiste a placé un Croate invalide, assis. Cette figure est une allusion à la défaite que Stille infligea au général Nadasdy, en 1745, près Landshut, et aux prouesses des cavaliers commandés par lui à Friedeberg.
LV.
Sur une console supportée par des génies, entre des ornements rococo, est posé un carton à dessins. La couverture porte un dessin de l'œuvre principale de Knobelsdorff, tout particulièrement louée dans l'éloge, l'Opéra de Berlin. C'est un plan d'architecte, avec l'échelle de proportions au bas et le tracé d'une colonne à côté. Du carton entr'ouvert s'échappent d'autres dessins. Frédéric dit dans son discours, au sujet de l'Opéra de Berlin: „Un des édifices les plus beaux et les plus réguliers qui ornent la capitale. La façade en est imitée et non pas copiée d'après celle du Panthéon,“ etc.
<34>LVI.
Un grand voile noir de deuil, relevé devant le portrait du prince Henri de Prusse, laisse voir de profil sa figure affable, où l'on peut lire, dans les traits et dans l'expression du regard, toutes les nobles qualités dont son oraison funèbre rappelle en termes émus le douloureux souvenir.
LVII.
Sur un piédestal recouvert de riches draperies est posée une urne d'encens, entre de gracieux ornements rococo; des colonnes de fumée s'en élèvent vers deux coussins qui supportent la couronne de lauriers du poète et la couronne du roi. Autour de l'urne s'est enroulé un serpent, qui darde sur ces deux emblèmes une langue enflammée. L'artiste a fait ici allusion aux mots par lesquels, vers la fin du discours, le roi stigmatise les „hiérophantes, aveuglés par un faux zèle, ivres de fanatisme, qui empêchent qu'on ne rende les derniers devoirs à un des hommes les plus célèbres que jamais la France ait produits!“
LVIII.
Le dessin qui sert d'illustration à l'étude du roi Frédéric sur le belliqueux roi de Suède, a été exécuté d'après un buste en bronze qui se trouve dans la salle à manger de Sans-Souci. L'expression de la tête, savamment modelée, traduit très heureusement le caractère de ce héros fougueux, qui, pour employer les termes dont se sert Frédéric II, „réunit le courage, la constance, l'activité“ , mais qui était dépourvu de la „sagesse“ et „de l'esprit de combinaison“ .
LIX.
Etendu sur une peau d'ours, porté et entouré par des ornements et des enroulements de style rococo, dort un enfant robuste et nu, c'est le génie de la littérature allemande. Au-dessous, un point d'interrogation fait allusion à la question que pose le roi Frédéric: „Quand s'éveillera ce génie encore enfant, inculte et grossier?“
<35>LX.
Le portrait-médaillon du philosophe Bayle est encastré dans l'architecture d'un fronton. Dans un coin et sur une corniche, est assis un petit génie ailé, qui présente une lentille de verre aux rayons du soleil et les concentre sur une croix double, derrière laquelle un autre génie, à la tête et aux ailes de démon, cherche à se cacher.
Menzel traduit dans cette illustration les mots par lesquels le roi caractérise les travaux et les mérites de Bayle: „M. Bayle, avec un esprit aussi juste que sévère, a examiné tous les rêves des anciens et des modernes et, comme le Bellérophon de la fable, il a détruit la chimère née du cerveau des philosophes II n'oubliait jamais ce sage précepte qu'Aristote recommandait à ses disciples: le doute est le commencement de la sagesse.“
LXI.
Pour le royal écrivain, les formes successives du christianisme ne sont que l'œuvre des prêtres. Il passe en revue, dans „l'Avant-propos de l'Histoire ecclésiastique de Fleury“ , le christianisme des Apôtres, l'église catholique du Moyen-Age et le luthérianisme; il caractérise chacune de ces formes religieuses et montre dans toutes l'action des sectaires qui ont eu pour but commun de dérober et de voiler aux yeux du genre humain la pure lumière de la vérité.
C'est ainsi que l'on voit, dans le dessin de Menzel, le prêtre catholique marchant sur les pas de l'apôtre, et suivi lui-même par le pasteur protestant. Tous trois sont dans le temple, derrière la porte fermée, par-dessus laquelle passe la lumière du soleil, la lumière de la vérité, dont les rayons vont dorer le sommet des colonnes, les chapiteaux et les solives du toit, mais sans qu'aucun des trois personnages paraisse s'en apercevoir.
LXII.
On voit, dans cette vignette, un superbe divan, d'une élégance princière, dont les pieds reposent sur les têtes rasées d'une troupe d'esclaves courbés à terre; au-dessus, un baldaquin garni d'hermine supporté par des hallebardes.
<36>L'artiste symbolise ainsi l'erreur et le vice fondamental que Frédéric II, vers la fin de sa dissertation sur l' „Etat présent du corps politique de l'Europe“ , reproche aux princes de son époque, et qui consiste à croire „que Dieu à fait exprès, par une attention toute particulière pour leur grandeur, leur félicité et leur orgueil, cette multitude d'hommes dont le salut leur est commis, et qui ne sont que les instruments et les ministres de leurs passions déréglées.“
LXIII.
Dans l'impossibilité de traduire matériellement l'objet et le sens d'une discussion dont Frédéric I rend compte sous forme de lettre, et qu'il suppose avoir eu lieu entre lui et un ami auquel il donne le nom de Philanthe, Menzel nous représente les deux interlocuteurs eux-mêmes. L'un d'eux, vu de profil et parfaitement reconnaissable, a les traits du roi. L'artiste nous les montre causant, à la promenade, par un après-midi où, suivant les propres expressions de Frédéric, „il faisait le plus beau temps du monde“ .
LXIV.
Le motif de ce dessin n'est pas emprunté au texte du panégyrique enthousiaste que Frédéric II a consacré à l'œuvre du „prince de la poésie française“ , mise par lui au-dessus des épopées d'Homère et de Virgile.
Menzel fait apparaître au jeune Arouet, prisonnier à la Bastille, l'esprit de Henri IV, qui lui ordonne de chanter sa gloire dans la langue de la poésie. Par une fine ironie, l'artiste a traité cette figure du héros de la Henriade dans le style théâtral et pompeux qui caractérise le poème de Voltaire, et sans lequel, du reste, toute son époque ne savait ni concevoir ni représenter les grandes figures historiques du passé.
<37>LXV.
Frédéric II termine par ces mots le dernier chapitre de son „Anti-Macchiavel“ : „La bonne opinion que j'ai des princes qui régnent à présent dans le monde me les fait juger dignes d'entendre la vérité. C'est aux Néron, aux Alexandre VI, aux César Borgia, aux Louis XI qu'on n'oserait la dire. Grâces au ciel, nous ne comptons point de tels hommes parmi les princes de l'Europe, et c'est faire leur plus bel éloge que de dire qu'on peut hardiment blâmer devant eux tous les vices qui dégradent la royauté et qui sont contraires aux sentiments d'humanité et de justice.“
Menzel a traduit dans son dessin symbolique ces sentiments du royal auteur: il le représente écrasant énergiquement du pied les têtes écumantes de deux serpents qui l'enlacent, emblème des vices qu'il combat chez les princes; leurs corps, qui se tordent, décrivent des replis dans lesquels on lit le „Caeterum censeo“ de Caton, qui voue ces monstres à l'extermination.
LXVI.
L' „Anti-Macchiavel“ , ouvrage du jeune roi, écrit en 1740, cloue, pour ainsi dire, au pilori le grand Florentin Nicolas Macchiavel. Les principes politiques et les conseils qu'il donne et développe dans son fameux livre „Le Prince“ , sont voués par Frédéric à l'exécration et au mépris de l'univers. L'âge suivant, qui a apporté dans la critique historique moins de préventions et plus de discernement que le dix-huitième siècle, a réformé la sentence de Frédéric II et porté un jugement plus équitable sur l'auteur du „Prince“ . C'est ce qu'à indiqué l'artiste, en inscrivant la date 1840 et en suspendant une couronne de laurier et de chêne au-dessus de la figure attachée au pilori.
LXVII.
Dans ce bon bourgeois allemand du milieu du dix-huitième siècle, qui, en pleine campagne, sur un sentier traversant une prairie, la tête découverte, les mains croisées sur sa canne, a l'air d'adresser au ciel une action de grâces, l'artiste a voulu représenter le peuple wurtembergeois et la reconnaissance qu'il est prêt<38>à porter à son prince: „J'apprendrai les applaudissements et les bénédictions que vos sujets vous donneront avec une joie sans égale“ , dit Frédéric II, à la fin de sa lettre au duc de Wurtemberg (1744). Ce sont ces mots qui ont fourni à l'artiste l'idée et le sujet de sa vignette.
LXVIII.
La „Dissertation sur les raisons d'établir ou d'abroger les lois“ est pleine d'un noble esprit d'humanité et du juste sentiment de la cruauté et de la déraison de tant de lois qui ont leur origine dans les temps barbares. Le roi plaide éloquemment et invoque toutes les considérations, tous les sentiments de justice pour l'abolition des lois cruelles et des pratiques judiciaires alors encore en vigueur.
L'artiste a traduit l'idée de cette dissertation dans un groupe qui nous montre un démon grisonnant, aux ailes amaigries et dénudées; puis un génie jeune, le génie des temps nouveaux, ayant le profil de Frédéric, et de puissantes ailes d'aigle, qui arrache d'un mouvement énergique à l'étreinte du monstre la faux meurtrière.
LXIX.
Datée de Potsdam, le 24 septembre 1751, „Instruction pour le Major Borcke“ a trait à l'éducation du neveu du roi, héritier présomptif de la couronne, dont le soin avait été confié à cet officier; elle contient les principes d'après lesquels le jeune prince devait être instruit et formé dans les premières années de l'adolescence. Frédéric II insiste tout particulièrement sur l'importance qu'il y a à éveiller de bonne heure chez l'enfant l'esprit militaire et le goût des armes.
„Je veux que, quand il sera plus âgé, il commence à faire le service de lieutenant pour qu'il passe tous les grades.“
Le dessin de Menzel montre le petit prince au moment où son gouverneur prend dans le coffre aux armes les insignes de sa charge, l'esponton et l'épée, pour en montrer l'usage à son élève.
<39>LXX.
Le roi s'élève, dans le „Discours sur les Satiriques“ contre ceux qui visent à imiter Juvénal, dans un siècle civilisé où leur verve ne saurait trouver les mêmes sujets d'indignation. Ce ne sont pas les satiriques, ce ne sont pas „d'ignorants et obscurs écrivains“ qui corrigent les Grands, refrènent „la démence de leurs caprices“ , et enseignent aux rois leurs devoirs; c'est l'Histoire: „Elle ne ménage point ces hommes redoutés qui ont fait trembler la terre, elle les juge; et en approuvant leurs bonnes actions et en condamnant les mauvaises, elle instruit les princes de ce qui sera loué ou blâmé dans leur conduite. La sentence des morts apprend aux vivants à quoi ils doivent s'attendre et sous quels auspices leurs noms passeront à la postérité. C'est à ce tribunal que tous les grands sont obligés de comparaître après leur mort et où les réputations sont fixées pour jamais.“
On voit, dans le dessin de Menzel, entre de longues rangées de cercueils qui cachent les restes de princes et de héros, s'avancer deux figures de femmes, la Justice et l'Histoire; la première tient en mains le glaive et les balances, l'autre inscrit sur ses tablettes les noms des morts et leurs titres de gloire. De l'un de ces cercueils glissent déjà la couronne de lauriers flétrie et effeuillée et le cimier du prétendu héros; d'un autre tombe le blason usurpé. La flatterie et l'imposture ne trouvent pas grâce devant les inflexibles déesses.
LXXI.
C'est le type des libellistes, des auteurs d'écrits calomnieux contre les hommes supérieurs, flagellés par le royal écrivain, que l'artiste a voulu personnifier dans une hideuse harpie. On la voit à mi-corps, sortant d'un sillon obscur, encombré de ronces; elle est à demi cachée derrière un bloc de rocher. Sa tête, aux traits grimaçants, porte des serpents pour chevelure; ses ailes sont formées de plumes à écrire, rangées ensemble.
LXXII.
La „Dissertation sur les réflexions des Géomètres sur la Poésie“ , dans laquelle le roi prend le rôle d'un poète français, a été suggérée par l'écrit de d'Alembert: „Réflexions sur la Poésie, à l'occasion des pièces que l'Académie a reçues<40>cette année pour le concours (1760).“ Frédéric II repousse plaisamment les prétentions des esprits secs et mathématiques, et termine par une invocation à Apollon: „Je le prie de me faire persévérer dans la foi orthodoxe et vraiment poétique qu'Homère nous a enseignée, que Virgile a étendue, qu'Horace a expliquée et commentée, dont le Tasse, Pétrarque, l'Arioste, Milton, Boileau, Racine, Corneille, Voltaire, Pope, ont été les apôtres, etc.“
Dans le dessin de Menzel, la statue du Dieu de la Poésie avance le pied hors du piédestal et culbute la planchette du géomètre avec son support, autour duquel s'enroule la chaîne de mesurage; c'est ainsi qu'il repousse l'assaut que les „géomètres“ prétendaient livrer à l'empire d'Apollon et à sa souveraineté.
LXXIII.
Derrière une fenêtre à encadrement de pierre, dans le style de la première moitié du dix-huitième siècle, on voit, dans une salle de l'Académie d'équitation de Berlin, deux jeunes élèves, dont l'un lit un livre, tandis que l'autre, le menton dans les deux mains, les coudes appuyés sur le rebord de la fenêtre, regarde dans la rue. Ce dernier représente le vice de la paresse, et les manières lâchées et vulgaires que l'instruction s'attache avant tout à déraciner chez les élèves du roi; son compagnon personnifie les vertus contraires, telle que „la propreté, la civilité, les manières convenables à des gens de condition“ .
LXXIV.
Un homme retire à la hâte son habit et va se jeter à l'eau pour sauver un enfant qui a roulé de la berge d'un canal. Ce dessin ne sert pas d'illustration à telle ou telle description, à tel ou tel récit de l' „Essai sur l'amour-propre envisagé comme principe de morale“ . L'artiste a seulement voulu représenter, en un sujet conçu par lui, un exemple dans lequel l'amour-propre joue un rôle, comme dans tant d'actes d'héroïsme et de sacrifice personnel cités par le royal auteur: „Que de traits de vertu, que d'actions à jamais glorieuses ne sont effectivement dus qu'à l'instinct de l'amour-propre!“
Dans le cas retracé par l'artiste, c'est une des formes de l'amour-propre qui est en jeu: le désir de l'estime et de la gloire.
<41>LXXV.
Deux jeunes cavaliers, au grand galop de chasse, sautent haies et fossés: l'un le cor de chasse en sautoir, l'autre brandissant la cravache. Le „Dialogue de morale à l'usage de la jeune Noblesse“ est une espèce de catéchisme pour les jeunes gentilshommes. Les réponses de ce catéchisme formulent les plus nobles principes, les idées les plus élevées; celui qui les observera, s'assure une vie honorée, féconde pour lui-même, pour la patrie et pour l'humanité, et une mémoire glorieuse.
Le dessin de Menzel symbolise, sous une forme réelle, la noble et légitime émulation dont parle le „Dialogue“ .
LXXVI.
Une robuste figure de femme, la tête couronnée d'une forteresse et le buste nu, trône au sommet d'un rocher, vers lequel s'avance une lourde et noire nuée d'orage. Sur ce fond sombre rayonne en caractères flamboyants, comme tracée par les éclairs, la date fatale: 1806.
Dans cette lettre (1770), supposée écrite par un citoyen de Genève, le roi blâme la fausse éducation donnée en Allemagne dans les familles nobles: „La plupart de nos jeunes seigneurs,“ dit-il, „craignent l'état militaire, parce qu'il est, dans ce pays, une véritable école des mœurs. C'est précisément ce qui leur répugne, car ils voudraient, à l'aide d'un grand nom, se livrer sans contrainte aux caprices de leur fantaisie et au dérèglement de leurs mœurs: d'où vient que peu d'enfants des premières maisons servent dans les armées. . . . La mollesse de cette première éducation rend les jeunes gens efféminés, nonchalants et paresseux. Au lieu de ressembler à la race des anciens Germains, on les prendrait pour une colonie de Sybaris.“
Le dessin de Menzel évoque sous une forme prophétique les malheurs que cette fausse éducation doit attirer sur la Prusse: sur le fond sombre des nuages gros de tempête flamboie, aux yeux de la Germanie épouvantée, la date de cette année de désastre et de châtiment pour une génération amollie: 1806!
<42>LXXVII.
L' „Examen de l'Essai sur les Préjugés“ est la critique du factum publié à Londres en 1769, par la société du baron d'Holbach. Frédéric II y combat les principes, le fond et la forme de ce livre. Qu'est ce celui-ci prétend enseigner, en effet? Que tous les prêtres sont des monstres dignes d'être lapidés; que le roi de France est un tyran barbare, ses ministres des scélérats, ses courtisans de lâches fripons etc.?
La vignette montre l'écusson français fleurdelysé, enveloppé dans le man-teau royal, qu'une main d'homme maintient autour de lui. — Faible protection, il faut le reconnaître, contre l'incendie allumé par le philosophe encyclopédiste, et qui flamboie déjà dans les pages du livre combattu par Frédéric.
LXXVIII.
Frédéric II aperçoit clairement le germe de dissolution politique et sociale con-tenu dans les théories du livre du baron d'Holbach, le „Système de la Nature“ , dont la Révolution française ne devait pas tarder à tirer les conséquences. Il conclut par ces mots: „Il faut donc, lorsqu'on se croit assez lumineux pour pouvoir éclairer le public, se garder surtout de proposer des remèdes pires que les maux dont on se plaint.“
Dans la vignette, deux travailleurs nus, coiffés du bonnet phrygien, arrachent à coups de pic et de marteau les pierres d'assise d'un mur, qui s'élève au bord d'une falaise, et les jettent à la mer. Un vieux philosophe aveugle, assis sur un siège formé par une figure d'esclave courbé sur les pieds et les mains, a l'air de bénir ce travail néfaste, dont il ne comprend ni la nature, ni la portée.
LXXIX.
Dans ce discours, Frédéric II proteste contre les faux politiques qui, „reserrés dans leur petites idées, ont cru qu'il était plus facile de gouverner un peuple ignorant et stupide qu'une nation éclairée“ .
<43>Il glorifie les époques de Périclès, d'Auguste, de Léon X, de Louis XIV, à raison de la sollicitude de ces grands hommes pour les arts et les sciences, qui ont eu, sous leur règne, leur plus magnifique épanouissement.
L'illustration de Menzel montre un médaillier richement ciselé, contre la paroi duquel sont dressées des monnaies et des médailles frappées à l'effigie de ces glorieux protecteurs de l'art et de la science; mais, entre Auguste et Léon X, se trouve intercalé Laurent le Magnifique, qui avait été oublié par Frédéric.
LXXX.
Cette vignette représente une boussole; le plateau supérieur, avec l'aiguille aimantée, est supporté par des épées croisées, dont les poignées reposent sur le plateau inférieur; tout autour s'enroulent des branches de laurier. Ainsi se trouve symbolisée l'idée principale de l' „Exposé des principes sur lesquels repose le gouvernement de l'Etat“ : la politique de la Prusse doit s'appuyer avant tout sur l'armée; la gloire, l'honneur, c'est là le pôle vers lequel doit constamment tendre l'aiguille de sa boussole.
LXXXI.
Le roi prêche avec chaleur et éloquence sur les devoirs sacrés des souverains envers leurs peuples. Il présente aux princes de son temps leur propre image, comme dans un miroir, sans en nommer aucun; il énumère et flétrit les fautes et les vices que les gouvernants peuvent et doivent éviter. „Les princes, les souverains, les rois ne sont donc pas revêtus de l'autorité suprême, pour se plonger impunément dans la débauche et dans le luxe; ils ne sont pas élevés au-dessus de leurs concitoyens pour que leur orgueil, se pavanant dans la représentation, insulte avec mépris à la simplicité des mœurs, à la pauvreté, à la misère; ils ne sont point à la tête de l'Etat pour entretenir auprès de leurs personnes un essaim de fainéants dont l'oisiveté et l'inutilité engendrent tous les vices. Ainsi un prince adonné aux femmes se laissera gouverner par ses maîtresses et ses favoris.“
L'artiste traduit cette exhortation en action, et représente l'auteur s'adressant à un auditoire de princes. On ne voit que de dos l'orateur, qui s'est levé de son<44>siège dans un noble mouvement d'indignation, mais on devine la stature et la tournure du roi Frédéric. On reconnaît très bien, par contre, assises sur des trônes près de lui, à gauche Marie-Thérèse, à droite Catherine de Russie qui regarde avec une expression légèrement moqueuse le zélé moraliste. De tous les autres princes rangés en cercle, un seul écoute avec attention. Deux autres se sont endormis pendant l'exhortation; ce sont sans doute ceux auxquels elle s'adressait le plus directement.
LXXXII.
Philopatros, le patriote enthousiaste qui représente les sentiments du royal auteur, combat, dans ses „Lettres sur l'amour de la patrie“ , l'indifférence et l'égoïsme cosmopolite que professe son correspondant. Il finit, grâce à la chaleur qu'il déploie, aux raisons et aux exemples historiques qu'il invoque, par convertir son adversaire à ses nobles sentiments. Dans la sixième lettre de cette correspondance, Philopatros cite une série d'exemples célèbres d'amour de la patrie tirés de l'histoire ancienne et moderne.
La vignette de Menzel offre une réunion de bustes et de portraits de grands patriotes de l'antiquité et du monde chrétien. Mais il ne s'en est pas tenu à ceux qu'il a trouvés dans le texte; il en a représenté d'autres que le roi n'avait pas nommés, tel que Olden-Barnevelt et Nicolas von der Flüe, et a associé leurs portraits à ceux de Brutus et de Scipion l'Africain.
LXXXIII.
La troisième strophe de l'ode, qui célèbre la fermeté de l'âme sous les coups du sort, est ainsi conçue:
„Sur ce prodigieux théâtre
Dont les humains sont les acteurs,
La nature, envers eux marâtre,
Semble se plaire à leurs malheurs.
<45>Mérite, dignité, naissance,
Rien n'exempte de la souffrance;
Dans nos destins le mal prévaut.
Je vois enchaîné Galilée,
Je vois Medicis exilé
Et Charles sur un échafaud.“
Le sujet choisi par Menzel pour l'illustration de cette ode, est Galilée dans sa prison. Le grand penseur est enchaîné par une chaîne trop courte, qui l'empêche de tracer ses figures géométriques sur la paroi encore libre du mur, avec un clou qu'il a trouvé dans son cachot.
LXXXIV.
Un héros, aux formes athlétiques et nues, gravit un rocher escarpé, en poussant devant lui de toutes ses forces une lourde pierre, qu'il soulève par un bout. L'artiste symbolise ainsi la tâche ardue que le roi poète trace à son peuple dans ces vers de l' „Ode aux Prussiens“ :
„Héros, vos grands exploits élèvent cet empire,
Soutenez votre ouvrage, ou votre gloire expire.
D'un vol toujours rapide il faut vous élever;
Et monté près du faîte,
Tout mortel qui s'arrête
Est prêt à reculer.“
LXXXV.
Le comte Brühl, ce ministre saxon, opulent, ami du luxe, est ici représente richement vêtu et dans une attitude pleine d'élégance. Il a à la main le bâton de maréchal. Sur ses traits et dans ses yeux passe comme un sourire d'homme de cour. On dirait qu'il a écouté les vers ironiques de l' „Ode au comte Brühl“ , composée en 1766, par lesquels Frédéric II l'invite à renoncer à ses grandeurs et<46>à ses trésors, et à chercher le repos et le vrai bonheur dans la retraite, à l'abri des soucis que lui vaut l'hostilité de la Prusse:
„Descends de ce palais dont le superbe faîte
Domine sur là Saxe en s'élevant aux cieux,
D'où ton esprit craintif conjure la tempête
Que soulève à la cour un peuple d'envieux.“
En écoutant ces vers, le comte a souri et a répondu au royal poète qu'il regrettait infiniment de ne pouvoir suivre son excellent conseil.
LXXXVI.
Le jeune Frédéric, alors prince héritier, trace à son frère, dans les strophes de l' „Ode à mon frère de Prusse“ (1736), l'idéal d'un prince, qu'il l'exhorte à prendre pour modèle. Cet idéal ressemble à celui que le dix-huitième siècle s'était fait de l'empereur Marc-Aurèle. De là, le motif de l'illustration de Menzel: l'artiste a mis en regard de cette ode le portrait du sage couronné, dont le nom n'y est cependant pas mentionné.
LXXXVII.
Toute l' „Epître à Hermotime sur l'avantage des Lettres“ est une longue exhortation, en alexandrins, à un jeune gentilhomme que ses inclinations entraînent aux plaisirs mondains et à une vie de débauches et d'oisiveté. Le royal poète prend à ce propos le rôle d'un sage arrivé à un âge avancé et sûr de sa vertu. L'artiste a grimé en conséquence le Mentor discoureur. Il lui a donné un masque à barbe blanche et le costume d'un derviche voyageur. L'écolier qu'il prêche Avec tant de chaleur porte sur toute sa personne les traces d'une nuit d'orgie, il manque visiblement de ce ferme sentiment de la vertu que son maître essaye d'éveiller en lui. Sur la table, supportée par deux cariatides qu'enlace un Silène au pied de bouc, les verres à Champagne et les coupes dansent devant ses yeux par une hallucination de son cerveau échauffé.
Ce petit tableau forme une composition conçue librement à côté et en dehors du texte de l'auteur.
<47>LXXXVIII.
Cette vignette représente un superbe château seigneurial, dans le style du dix-huitième siècle, un jeune berger passe avec son troupeau, en jetant vers le palais un regard d'admiration et d'envie. C'est le „Damon“ du court et instructif récit que contient l' „Epître sur la Gloire et l'Intérêt“ ; c'est le jeune berger qui „vivait heureux avec sa Philis et ses moutons“ , jusqu'au moment où
Le sordide intérêt et la superbe gloire
gâtèrent son bonheur calme, en éveillant en lui l'envie, la curiosité et la cupidité.
Ah! quel luxe charmant s'étale chez les Grands!
Des palais somptueux logent ces fainéants
semble penser Damon, empruntant les expressions du poète. Il mène encore ses moutons, mais la vue du château a déjà enflammé ses désirs.
LXXXIX.
Dans une chambre étroite et profonde, à la fois cabinet d'étude et laboratoire, remplie de livres et d'instruments, de flacons et de cornues, un vieux savant, qui était assis devant son bureau, s'est soulevé de son siège et regarde curieusement au dehors, à travers les carreaux de la fenêtre.
L' „Epître à d'Argens“ contient, au sujet des limites étroites imposées à la connaissance humaine, malgré tout le secours des sciences, des passages qui rappellent à l'esprit du lecteur ces mots de Faust: „Ce que la nature ne révèle pas volontairement à ton âme, tu ne le lui arracheras pas avec des vis et des poulies.“
De ce vaste univers atome imperceptible,
Crois-tu que l'infini devait t'être accessible?
Dans tes projets hautains il n'est point de milieu,
Tes destins sont d'un homme, et tes vœux sont d'un Dieu!
Le roi poète indique aux savants un champ d'activité meilleur et plus fécond: l'étude, la recherche, l'amélioration du monde réel et du sort de l'humanité.
Le vieux savant du dessin de Menzel semble avoir entendu cet avertisse-ment; il se détourne de ses études abstraites pour jeter un regard sur la vie réelle, au-delà des murs de son cabinet.
<48>LXXXX.
De vieilles maisons dressent dans la nuit leurs toits escarpés et leurs pignons pressés et comme enchevêtrés. De l'une d'elles s'échappe, au grand effroi des habitants, la fumée d'un incendie qui commence.
L'artiste n'a traité qu'un des malheurs et des fléaux cités par le royal poète, dans l' „Epître à Maupertuis“ , comme exemples de l'indifférence de la nature, ou „des dieux“ , à l'égard de l'individu. C'est sans doute ce vers:
Le feu dans l'air élève une flamme ondoyante,
qui a fait choisir par Menzel L'incendie entre tant de fléaux que l'homme borné est porté à considérer comme des châtiments divins, que ni cris, ni prières ne peuvent conjurer.
LXXXXI.
Cette vignette représente une cage d'oiseau, à l'intérieur de laquelle pend un bouquet de cerises pour le petit prisonnier; celui-ci ne s'en soucie pas et, se cramponnant aux barreaux, cherche à passer au travers pour reconquérir sa liberté. Un autre oiseau, qui a le bonheur d'être libre, passe au contraire sa tête dans la cage et fait tous ses efforts pour y pénétrer et atteindre les cerises. Symbole piquant de la diversité et de la folie des désirs humains, qui nous font dédaigner les joies présentes et les avantages possédés, et nous poussent à la poursuite de ce que nous n'avons pas et de ce que l'avenir nous cache.
LXXXXII.
L' „Epître à Stille sur l'emploi du courage et sur le vrai point d'honneur“ est une philippique contre le duel, une éloquente glorification du véritable hé-roïsme et du vrai point d'honneur, qui font que l'on donne sa vie pour la patrie.
L'illustration de Menzel montre deux officiers, qui se rendent avec leurs seconds au lieu choisi, dans un coin retiré d'un bois, pour un duel:
<49>Un préjugé cruel que le monde révère,
Pour sauver leur honneur oblige deux amis
De combattre en champ-clos comme des ennemis.
Qui ne déplorerait qu'un caprice bizarre
Impose à l'honneur même une loi si barbare?
.........................
Arrêtez, malheureux!
crie le roi à ces victimes du préjugé.
LXXXXIII.
Toute l' „Epitre au général Bredow sur la Réputation“ respire et prêche un profond mépris pour l'opinion publique, et pour la gloire que la niasse, in-capable de jugement, décerne à ceux qui savent l'éblouir et l'égarer, tandis qu'elle critique et dénigre tout ce qui est grand. Foule inconstante et stupide!
Louis, que les travaux, les arts et la victoire
D'un pas toujours égal élevaient à la gloire,
Dès qu'une fois la mort retrancha ses destins,
Son tombeau fut couvert par des couplets malins.
C'est peut-être cette strophe qui a donné à l'artiste l'idée de sa composition: dans un paysage mélancolique, un cimetière où s'élèvent, altiers et superbes, des monuments tout neufs, tandis que d'autres tombent en ruines et sont délaissés comme le renom de ceux à la mémoire de qui ils furent érigés.
LXXXXIV.
Un ouvrier, chargé de défricher un champ couvert de ronces, s'arrête au milieu de son travail, étire ses membres fatigués, et déroidit ses reins engourdis, laissant la besogne à moitié faite.
C'est l'image que l'artiste a choisie pour symboliser l'idée fondamentale de l'épître poétique adressée à Henri de Podewils, ministre du cabinet du roi.
Laborieux ami, ....
Vous dont l'activité, remplissant mes desseins,
D'un œil toujours ouvert veille sur nos destins.
<50>Cette idée est spécialement exprimée dans les vers suivants:
Aucun mortel ne fait tout ce qu'il pourrait faire.
Si quelque citoyen, pour l'Etat plein de zèle,
Ouvre au bonheur public une route nouvelle,
Entrant dans la carrière, il est d'abord lassé
Et quitte son travail à peine commencé.
LXXXXV.
Frédéric II fait la guerre, à coups d'alexandrins, à la morgue des grands et des riches envers les pauvres et les petits. Il leur prêche l'amour de leurs semblables, les droits de l'homme et l'égalité naturelle.
Ces colonnes, dont l'art d'un habile architecte
Sait orner noblement sa façade correcte,
Ces masses ne sont pas de ces vains ornements
Que la profusion ajoute aux bâtiments;
Mais leur commun concours, leur force réunie
Soutient solidement la façade embellie.
Notre grand édifice est la société:
Tout citoyen concourt à son utilité.
Cette comparaison a visiblement inspiré l'artiste, dans l'illustration qu'il a consacrée à cette épître „Sur l'emploi de la fortune“ . Un ouvrier maçon, occupé a la construction d'un édifice monumental, est assis sur une poutre, avec sa femme qui a l'enfant sur ses genoux; ils prennent le repas commun du milieu du jour, qu'elle lui a apporté à son travail. Cet humble ouvrier a, avec les siens, sa place et son importance dans „l'édifice de la société“ , comme dans la construction à laquelle il met la main. C'est l'idée du dessin, et c'est celle des vers cités plus haut.
LXXXXVI.
Adressée au baron Sweerts de Reisst, directeur des théâtres royaux (mort en 1757), l' „Epître sur les plaisirs“ roule sur les jouissances réservées à chaque âge de la vie, et spécialement sur celles que procure l'art théâtral sous toutes ses formes. Le poète préfère les plaisirs que donne la nature à ceux que donne l'opéra.<51>et drame. Il conteste à la comédie sa prétention et sa mission d'améliorer les hommes. „Au théâtre on veut rire.“ Frédéric termine ainsi son épître:
Sweerts, de vos vains plaisirs on ne doit s'occuper
Que lorsque du travail il faut se dissiper.
Le dessin de Menzel ne traduit pas tel ou tel passage déterminé de cette pièce de vers. Il montre l'intendant sous une figure comique, comme ces gens
Toujours embarrassés d'affaires, fainéants,
Profondément remplis de cent riens importants,
derrière les coulisses du théâtre, où les figurants en costumes, ici un guerrier romain, là un chasseur du seizième siècle, se tiennent attendant leur réplique. Apollon, la lyre à la main, personnifie la vraie poésie, les sentiments du poète et le royal poète lui-même; il se détourne avec fierté et mépris comme pour s'éloigner, tandis que le directeur, ravi et souriant, lui démontre les beautés de sa friperie théâtrale.
LXXXXVII.
Toute chose, dans la création, a sa justification et sa raison d'être: telle est, en substance, l'idée de l' „Epître à Algarotti“ . Aucune n'a en partage la beauté et la bonté absolues; il n'en est point, non plus, qui soit uniquement laide et mauvaise.
Oui, la perfection est l'attribut des dieux.
Du bon et du mauvais le bizarre assemblage
De ce faible univers doit être le partage.
Il faut prendre ici-bas le monde tel qu'il est.
Ce sage avis revient à peu près au même que la soumission résignée à la volonté d'Allah, commandée par Mahomet à ses sectateurs. L'artiste a voulu traduire la pensée de l'auteur, par cette image du Mahométan courbé en adoration devant son Dieu, au lever du soleil.
LXXXXVIII.
Le roi réfute l'opinion qu'il met dans la bouche de son secrétaire, le conseiller intime Darget, sur le bonheur et les plaisirs sans mélange de la royauté et du pouvoir souverain; il prouve, en énumérant les ennuis, les fatigues et les douleurs inhérents au pouvoir,
<52>Que les grands ne sont pas plus fortunés que lui.
La vignette est une figuration éloquente de la pensée du roi: deux mains soulèvent une couronne posée sur un coussin, et la tournent de façon à en montrer l'intérieur. On voit que les cercles d'or qui, au dehors, étincellent de pierres écieuses, sont garnis en dedans de pointes de fer, qui meurtrissent douloureusement la tête ceinte du diadème.
LXXXXIX.
Le dessin de Menzel montre réunis les portraits plein de vérité et de caractère des grands capitaines que le roi célèbre dans son „Poème de l'Art de la guerre“ , comme les maîtres en cet art. César est au centre du groupe; à gauche Turenne et le prince Eugène; à droite Maurice d'Orange et Gustave-Adolphe de Suède.
C.
Des cartes à jouer, froissées et écornées; sur l'une d'elles gît une abeille morte, couchée sur le dos; à côté, une couple de dés. L' „Epître à mon frère Henri“ , à laquelle cette vignette symbolique sert d'illustration est une description vive et mordante des plaisirs vains de la société d'une capitale, parmi lesquels les jeux de hasard tiennent une grande place.
Ces plaisirs n'ont que trop d'attraits pour le prince auquel l'épître est adressée. Quant â l'auteur, il vante l'agrément qu'il trouve dans le commerce de quelques amis choisis. L'abeille morte symbolise sans doute le travail tué par le jeu.
10-1 Tout le texte explicatif des gravures est dû à la plume très autorisée de M. L. Pietsch. Nous n'avons fait qu'en réviser attentivement la traduction.