<195> Tartares, qui vivent sous la protection des Turcs, faisaient des incursions fréquentes en Russie. Les plaintes qu'en porta l'Impératrice à Constantinople, ne firent point cesser ces hostilités. Elle s'impatienta enfin de souffrir ces affronts, et elle se fit justice elle-même : Lacy s'avança contre les Tartares, et prit Asow; Münnich entra en Crimée, força les lignes de Pérécop, s'empara de cette ville, prit Bagtcheh-Seraï, et mit toute la Tartarie à feu et à sang. Cependant la disette d'eau et de vivres, et la chaleur ardente de ces climats, firent périr un grand nombre de Moscovites. L'ambition de Münnich ne comptait pour rien le nombre des soldats qu'il sacrifiait à sa gloire : mais son armée se fondit; et l'excès de misère auquel les Russes étaient réduits, rendit les vainqueurs semblables aux vaincus.
Dans ce temps mourut le dernier duc de Courlande de la maison de Kettler. Les états élurent pour la seconde fois le comte de Saxe :a mais l'impératrice de Russie éleva Biron à cette dignité. C'était un gentilhomme courlandais qui s'était attaché à sa personne, et dont le mérite consistait uniquement dans le bonheur qu'il avait de lui plaire.
Les armées de cette princesse continuèrent d'être victorieuses contre les Turcs. Münnich assiégea Oczakow, que trois mille Janissaires et sept mille Bosniaques défendaient. Une bombe qu'il fit jeter, mit le feu, par hasard, au grand magasin à poudre de la ville, qui sauta aussitôt, et bouleversa en même temps la plupart des maisons. Münnich saisit ce moment, et fit donner un assaut général à la place. Les Turcs, qui ne pouvaient revenir de leur perplexité, ni se défendre sur des remparts étroits où touchaient des maisons abandonnées aux flammes, ne savaient s'ils devaient éteindre l'incendie, ou repousser l'effort des Moscovites. Dans cette confusion, la ville fut emportée l'épée à la main, et le soldat effréné y commit toutes les cruautés dont une fureur aveugle est capable.
a Aucune histoire de Courlande ne parle d'une seconde élection du comte Maurice de Saxe, mais seulement de ses efforts infructueux à faire valoir ses prétentions sur le duché.