<270>Ce gouvernement tout militaire influa dans les mœurs, et régla même les modes : le public avait pris par affectation un air aigrefin; personne, dans tous les Étas prussiens, n'avait plus de trois aunes de drap dans son habit, ni moins de deux aunes d'épée pendues à son côté. Les femmes fuyaient la société des hommes, et ceux-ci s'en dédommageaient entre le vin, le tabac et les bouffons. Enfin nos mœurs ne ressemblaient plus ni à celles de nos ancêtres ni à celles de nos voisins : nous étions originaux, et nous avions l'honneur d'être copiés de travers par quelques petits princes d'Allemagne.

Vers les dernières années de ce règne, le hasard conduisit à Berlin un homme obscur, d'un esprit malfaisant et rusé;72 c'était une espèce d'adepte, qui faisait de l'or pour le souverain, aux dépens de la bourse de ses sujets. Ses artifices lui réussirent un temps; mais comme la méchanceté se découvre tôt ou tard, ses prestiges disparurent, et sa malheureuse science rentra dans les ténèbres dont elle était sortie.

Telles ont été les mœurs du Brandebourg sous tous ses différents gouvernements. Le génie de la nation fut étouffé par une longue suite de siècles barbares; il s'éleva de temps en temps, mais il s'affaissa aussitôt sous l'ignorance et le mauvais goût; et lorsque des circonstances heureuses semblèrent favoriser ses progrès, survint une guerre dont les suites funestes anéantirent les forces de l'État. Nous avons vu cet État renaissant de ses cendres; nous avons vu par quels nouveaux efforts la nation parvint à se civiliser; et si ce beau feu n'a jeté que de faibles étincelles, il ne faut qu'un rien pour le faire paraître au grand jour. Comme les semences ont besoin d'un terrain propre pour leur développement, de même les nations demandent un concours de conjonctures heureuses, pour qu'elles sortent de leur engourdissement, et qu'elles reçoivent, pour ainsi dire, une nouvelle vie.


72 Eckhard.