<97> tous deux chargés de trophées, ramenant le butin que les ennemis avaient fait, et conduisant avec eux grand nombre de prisonniers. La retraite des Suédois ressemblait à une déroute; de seize mille qu'ils étaient, à peine trois mille retournèrent-ils en Livonie. Ils étaient entrés en Prusse comme des Romains; ils en sortirent comme des Tartares.
Ainsi se termina cette expédition, unique dans son espèce, dans laquelle le génie de l'Électeur se déploya tout entier, où ni la rigueur de la saison dans ce climat sauvage, ni la longueur du chemin de l'Oder jusqu'aux frontières de la Livonie, ni les fatigues, le nombre des ennemis, où rien enfin ne l'arrêta. Cette campagne si bien projetée, si bien exécutée, ne valut à l'Électeur que de la réputation : c'est la monnaie des héros; mais ce n'est pas toujours celle dont les princes se contentent.
Les ennemis de Frédéric-Guillaume l'avaient attiré de l'Alsace dans la Marche, et de la Poméranie en Prusse : à peine en eut-il expulsé les Suédois, que les cris de ses sujets lui annoncèrent que trente mille Français, sous les ordres du général Calvo, étaient entrés dans le duché de Clèves.
Louis XIV insistait sur l'entier rétablissement des Suédois, et rien ne put le fléchir sur cet article; Colbert rejeta avec hauteur toutes les propositions que lui avaient faites les ministres de l'Électeur. La partie devenait trop inégale; l'électeur de Brandebourg et le roi de Danemark, qui étaient restés les seuls champions dans la lice, ne pouvaient pas l'emporter de haute lutte sur Charles XI et sur Louis XIV ensemble : malgré la répugnance que l'Électeur avait de se désister de ses conquêtes, il fit pour quinze jours une trêve avec les Français, et leur remit les villes de Wésel et de Lippstadt jusqu'à l'entière conclusion de la paix.
Ce terme s'étant écoulé sans qu'on eût pu convenir de rien, Créqui entra avec dix mille hommes dans la principauté de Minden : les