<274>

DU GOUVERNEMENT ANCIEN ET MODERNE DU BRANDEBOURG.

Lorsque le Brandebourg était païen, il fut gouverné par des druides, comme toute l'Allemagne l'était anciennement. Sous les Vandales, les Teutons et les Suèves, leurs princes étaient proprement les généraux de la nation : ils s'appelaient Fürsten, ce qui signifie conducteurs. Les empereurs qui domptèrent ces barbares, établirent des gouverneurs de frontières, qu'on nommait Margraves, pour tenir en bride cette nation belliqueuse, et fière de sa liberté. Il nous reste si peu de mémoires de ces temps reculés, que, pour ne point mêler de fables à l'histoire, nous ne ferons mention que du gouvernement de l'Électorat sous les princes de la maison de Hohenzollern.

Du temps que les burgraves de Nuremberg s'établirent dans la Marche, les gentilshommes, devenus sauvages sous les dernières régences, leur refusèrent l'hommage. Cette noblesse, soutenue dans son indépendance par les ducs de Poméranie, devenait redoutable à son souverain : les grandes familles étaient puissantes; elles armaient leurs<275> sujets; elles se faisaient la guerre, et elles détroussaient même les passants sur les grands chemins; des châteaux massifs et entourés de fossés leur servaient de repaires. Ces petits tyrans, ayant partagé entre eux l'autorité légitime, foulaient impunément ceux qui cultivaient les champs; et, comme il n'y avait point de domination assez bien établie pour faire respecter les lois, le pays était dans le désordre et dans la plus affreuse misère. Les grandes familles qui s'élevèrent pendant cette anarchie, furent les Quitzow, les Putlitz, les Bredow, les Holtzendorff, les Uchtenhagen, les Torgow, les Arnim, les Rochow, et les seigneurs de Hohenstein; ce fut à celles-là que l'électeur Frédéric Ier eut affaire.

Quoique Frédéric Ier les soumît, les états restèrent toujours maîtres du gouvernement : ils accordaient les subsides; ils réglaient les impôts; ils fixaient le nombre des troupes, qu'on ne levait que dans les extrémités, et les payaient; on les consultait sur les mesures qu'il convenait de prendre pour la défense du pays; et c'était par leurs avis que s'administraient les lois et la police.

L'histoire nous fournit plus d'un exemple du pouvoir des états. L'électeur Albert Achille devait cent mille florins :275-73 il pria les états de se charger de ce payement. Pour cet effet, ils imposèrent une taxe sur la bière, qu'ils n'accordèrent que pour sept ans;275-a ils la haussèrent dans la suite, et elle devint l'origine de ce qu'on appelle la Landschaft, ou la Banque publique.

Du temps de l'électeur Joachim Ier,275-74 les états levèrent une taxe<276> sur les moulins, sur les censes et sur les bergeries, pour soudoyer deux cents cavaliers que ce prince envoyait à l'Empereur contre les Infidèles.

Sous l'électeur Joachim II, le crédit des états était si puissant, qu'ils dégagèrent quelques bailliages sur lesquels ce prince avait contracté des dettes, à condition que ni lui ni ses successeurs ne pourraient dorénavant emprunter dessus, ni les aliéner. L'Électeur les consultait sur toutes les affaires, et leur promit même de ne rien entreprendre sans leur consentement. Les états entrèrent en correspondance avec Charles V, et lui marquèrent qu'ils ne trouvaient pas à propos que l'Électeur se rendît à la diète de l'Empire; aussi Joachim II se dispensa-t-il de ce voyage.

Jean-Sigismond et George-Guillaume276-75 conférèrent avec eux sur le sujet de la succession de Juliers et de Berg, et les états nommèrent quatre députés qui suivirent la cour, tant pour lui servir de conseil, que pour être employés à des négociations, et à l'usage que les circonstances pourraient demander pour le service de ces princes.

George-Guillaume consulta les états pour la dernière fois,276-76 pour savoir s'ils trouvaient bon que l'Électeur fît alliance avec les Suédois, en leur remettant ses places, ou s'il devait suivre le parti de l'Empereur. Depuis, Schwartzenberg, ministre tout-puissant d'un prince faible, attira à sa personne toute l'autorité du souverain et des états : il imposa des contributions de sa propre autorité; et il ne resta aux états, de cette puissance dont ils n'avaient jamais abusé, que le mérite d'une soumission aveugle aux ordres de la cour.

Les électeurs n'avaient eu d'autre conseil que les états jusqu'au règne de Joachim-Frédéric : ce prince forma un conseil composé du<277> ministre de la justice, du ministre des finances, de celui qui avait les affaires de l'Empire, et du maréchal de la cour; un statthalter y présidait. De ce conseil émanaient toutes les sentences en dernier ressort, les ordres tant au civil qu'au militaire, les règlements de la police; et c'était lui également qui dressait l'instruction des ministres qui étaient employés à des cours étrangères. Lorsqu'un voyage ou la guerre obligeait l'Électeur à quitter ses États, ce conseil exerçait les fonctions de la souveraineté : il donnait des audiences aux ministres étrangers; il avait, en un mot, le même pouvoir que la régence d'une minorité pendant la tutelle d'un prince.

Le pouvoir du premier ministre et du conseil était presque illimité; le comte de Schwartzenberg, sous George-Guillaume, avait augmenté son autorité au point qu'elle était pareille à celle des maires du palais du temps des rois de France de la première race; mais l'abus énorme qu'il en fit, dégoûta l'électeur Frédéric-Guillaume de tout premier ministre. Nous voyons, par les règlements que ce prince donna,277-77 qu'il distribua à chacun de ses ministres des départements différents, et qu'il établit dans chaque province deux conseillers, pour régler les affaires qui la concernaient, et en rendre compte.

Frédéric-Guillaume résida à Königsberg-en-Prusse pendant les premières années de sa régence; et il pourvut le conseil qu'il laissa à Berlin d'amples instructions relatives au temps et aux circonstances où il se trouvait : les troupes recevaient leurs ordres des plus anciens généraux qui se trouvaient dans la province; et les gouverneurs des places les recevaient immédiatement de sa personne.

A la mort du chancelier Götze, cette dignité fut supprimée, et le baron de Schwerin devint premier président du conseil.277-a Les dépar<278>tements se trouvèrent partagés, de sorte que tout ce qui était du ressort des lois se portait au conseil de la justice, qui avait un président à sa tête; la juridiction des officiers de la cour dépendait du capitaine du château; les finances du prince se trouvaient administrées par la chambre des domaines, qui était partagée en différents départements; le baron de Meinders et, après lui, le sieur de Jena en eurent la direction générale.

Un consistoire, composé moitié de prêtres, moitié de laïques, gouvernait les affaires ecclésiastiques. Outre ces colléges susmentionnés, la chancellerie des fiefs décidait de toutes les affaires féodales.

Les choses restèrent à peu près sur le même pied sous le règne de Frédéric Ier,278-78 avec cette différence qu'il se laissa sans cesse gouverner par ses ministres : Danckelman, qui avait été son précepteur, devint maître de l'État; après sa disgrâce, le comte de Wartenberg succéda à sa faveur et à son pouvoir; Kameke aurait de même succédé au grand chambellan, si la mort du Roi n'avait mis fin à sa faveur naissante.

Frédéric-Guillaume II278-79 changea toute la forme de l'État et du gouvernement : il limita le pouvoir des ministres; et de maîtres qu'ils avaient été de son père, ils devinrent ses commis.

Les affaires étrangères furent remises aux sieurs d'Ilgen et de Knyphausen : ces ministres conféraient avec les envoyés, et entretenaient la correspondance avec les ministres prussiens dans les différentes cours de l'Europe; ils étaient chargés surtout des affaires de l'Empire, des limites de l'État et des droits de la maison. Le sieur de<279> Cocceji, ministre d'État, eut la direction générale de la justice, et faisait la charge de chancelier : sous lui, le sieur d'Arnim avait le département des appels et de la justice civile de Prusse et de Ravensberg; et le sieur de Katsch fut mis à la tête de la justice criminelle.

Le sieur de Printzen, grand maréchal de la cour, devint président du consistoire supérieur, et fut chargé de l'inspection des universités, des fondations pieuses, des canonicats, et des affaires des juifs.

Les finances étaient, des parties du gouvernement, celle qui avait été le plus négligée : le Roi y fit des arrangements tout nouveaux; il établit le grand directoire en 1724. Ce collége279-a est divisé en quatre départements, à la tête de chacun desquels est un ministre d'État. La Prusse, la Poméranie et la Nouvelle-Marche, avec les postes, formèrent le premier département, qu'eut le sieur de Grumbkow. L'électorat de Brandebourg, le duché de Magdebourg, le comté de Ruppin, et le commissariat de guerre, formèrent le second département, qu'eut le sieur de Kraut. Les États du Rhin et du Wéser, avec les salines, furent le partage du troisième, qu'eut le sieur de Görne; et le quatrième eut la direction de la principauté de Halberstadt, du comté de Mansfeld, des manufactures, du papier timbré et des monnaies : il échut au sieur de Viereck.

Le Roi combina le commissariat avec les finances. Autrefois ces colléges occupaient quarante avocats, pour soutenir les procès qu'ils se faisaient, en négligeant les affaires pour lesquelles ils étaient préposés : depuis leur réunion, ils travaillèrent d'un commun accord au bien de l'État.

Sous ces départements principaux, le Roi établit dans chaque province un collége de justice et un collége de finance, subordonnés<280> aux ministres. Les ministres des affaires étrangères, ceux de la justice et ceux des finances, faisaient journellement leur rapport au Roi, qui décidait en dernier ressort de toutes les affaires. Pendant tout son règne, il ne parut pas la moindre ordonnance qu'il n'eût signée de sa main, ni la moindre instruction dont il ne fût l'auteur.

Il déclara tous les fiefs allodiaux, moyennant une certaine redevance annuelle, que les propriétaires payèrent à l'État. Frédéric-Guillaume employa quatre millions cinq cent mille écus au rétablissement de la Lithuanie; il mit six millions pour rebâtir les villes de ses États, augmenter Berlin, et fonder Potsdam; et il acheta pour cinq millions de terres, qu'il ajouta à ses domaines.


275-73 En 1472.

275-74 En 1530. [Nous devons à la source historique d'où le Roi a tiré lui-même ces faits sans les reproduire exactement, les indications suivantes : « En 1527, les états accordèrent une taxe qui devait être payée pendant trois ans, pour l'entretien des deux cents cavaliers que les états devaient fournir contre les Turcs. » — « Les états assemblés à Bernau en 1544 consentirent à une taxe pour augmenter le produit des contributions. Elle devait se lever sur les terres, censes (Hebungen), moulins, et sur les bergeries. »]

275-a La taxe sur la bière (die Bierziese), levée pour la première fois en 1467, puis en 1472, ne fut fixée pour sept années qu'en 1488. En 1513, elle fut établie à perpétuité.

276-75 En 1628. [En 1609, 1610, 1628, 1629.]

276-76 En 1631. [En 1630. L'électeur George-Guillaume appela, en 1634 et en 1635, les états à délibérer sur les traités de Pirna et de Prague. Le Grand Électeur les convoqua également en 1643, au sujet de la trêve conclue avec les Suédois : mais il ne paraît pas qu'on les ait consultés sur le traité de paix qui se négociait en Westphalie.]

277-77 En 1651.

277-a Le chancelier de Götze mourut le 15 décembre 1650. L'Électeur alors ne jugea pas à propos de le remplacer, parce qu'il voulait lui-même conserver en main tous les papiers, afin de les distribuer à chaque conseiller selon sa compétence. Cependant, pour favoriser la marche des affaires, il nomma, le 18 octobre 1652, Joachim-Frédéric de Blumenthal directeur du conseil privé; après sa mort, arrivée en 1657, le baron Othon de Schwerin fut créé, le 30 août (9 septembre) 1658, premier président du conseil, avec le pas sur le feld-maréchal et sur le grand chambellan.

278-78 Depuis 1688.

278-79 Depuis 1713.

279-a L'aperçu donné ici de l'institution du grand directoire, décrétée le 20 décembre 1722 dans le pavillon de chasse de Schönebeck, repose en partie sur son organisation primitive, en partie sur la constitution telle qu'elle fut modifiée le 7 septembre 1723, cinq jours après la mort du ministre de Kraut : cet aperçu manque donc à la fois d'exactitude dans les noms, dans l'ensemble, et dans l'enchaînement des faits.