<118>Et cet habit superbe, avorton de la mode,
Qui, plus il paraît beau, plus il est incommode,
Vous dérobe sous l'or le drap et sa couleur,
Savez-vous qui l'a fait? Ce n'est pas le tailleur
Qui, toisant votre corps, sur son moule façonne
Le drap auné, coupé, recousu, qu'il galonne.
Examinez ces champs, ces bosquets, ces vallons.
Voyez-vous ce berger qui conduit ses moutons?
Il les tond deux fois l'an; leur utile dépouille
Se convertit en fil, passant sur la quenouille.
Pour en faire une étoffe on monte des métiers,
Minerve dans cet art forma les ouvriers;
Que d'hommes occupés, et que de mains adraites
Sur la trame avec bruit font voler les navettes!
Un nouvel univers nous fournit la couleur
Qui fait perdre à ce drap sa malpropre blancheur;
Des couleurs de l'iris on a l'art de le teindre,
Pour lui donner du lustre on emploie un cylindre
Qui de son poids égal en roulant l'aplatit.
Par ces travaux s'est fait le drap qui vous vêtit.
O triomphe de l'art et de l'adresse humaine!
Ces tableaux sont tissus d'or, de soie et de laine,
Un élève d'Apelle en donna le dessin,
Corrége et Raphaël conduisirent sa main;
Ces contours, ces couleurs animent la tenture,
La haute lisse exacte égale la peinture.
Oui, Mercier,6 ton aiguille, à l'aide du fuseau,
Peut concourir au prix qu'on destine au pinceau;
Tout personnage a vie, il agit, il s'élance,
Le lointain fuit des yeux, aidé par la nuance;


6 Le premier qui a fait de la tapisserie à Berlin. [Voyez, t. I, p. 261.]