<128>Elle sait que le gland peut reproduire un chêne,
Mais de ces glands perdus elle n'est point en peine,
Qui tombent les hivers, abattus par les vents,
Et sans multiplier pourrissent dans les champs.
Qu'un déluge en été détruise la semence,
Le grain en d'autres lieux revient en abondance;
Que l'Afrique fournisse aux besoins des Français,
Que les champs des Germains nourrissent les Anglais,
Ces objets, grands pour nous, petits pour la nature,
N'importent point au monde, il poursuit son allure.
Voyez, quand le printemps vient déchaîner les eaux,
Que les torrents saxons font enfler nos ruisseaux,
Dans son cours orgueilleux l'Elbe majestueuse
Étendre sur les prés sa fange limoneuse,
Changer en serpentant la forme de son lit,
Couvrir un de ses bords de son onde qui fuit;
Sans égard au terrain, qu'il soit le mien, le vôtre,
Ce qu'elle prend à l'un, elle le rend à l'autre.
Ainsi pour l'univers il n'est rien de perdu,
Mais Dieu ne descend point jusqu'à l'individu :
Il rit de l'homme vain, qui, rempli de lui-même,
Mécontent de son sort, blâme l'Être suprême.
Eh quoi! la taupe aveugle, en son vil souterrain,
Doit-elle critiquer les palais de Berlin?
Peut-elle apercevoir leur immense étendue?
A sa motte de terre elle borne sa vue.
Maupertuis, l'homme est taupe, étroitement borné,
Par l'instinct de ses sens il se trouve enchaîné,
Ses jugements sont faux, ses lumières trompeuses.
Ce campagnard se plaint que des sources bourbeuses