<139>« Apercevez du moins quelle est votre injustice,
Vous, dis-je, qui frondez tous ces gens à projets;
Vous en formez ici pour de moindres sujets.
Au lieu de relever les faiblesses des autres,
Il serait plus sensé de corriger les vôtres;
Jouissons dès ce soir de ce charmant jardin :
Le présent est plus sûr que n'est le lendemain,
Souvent un ciel serein se couvre de nuages,
Aux charmes des beaux jours succèdent les orages. »
Mon frère, je vous fais le tableau de nos mœurs.
Voyez ces insensés, en proie à leurs erreurs,
Dévorés de désirs et nourris de chimères,
S'élever follement au-dessus de leurs sphères,
Attristés du passé, dégoûtés du présent,
Fonder sur l'avenir leur espoir inconstant;
D'un bonheur idéal soigneux de se repaître,
Ils vivent dans les temps qui doivent encor naître,
Et vont en étourdis importuner les dieux
De frivoles projets, de vœux audacieux.
Remplissez leurs souhaits, la colère céleste
Ne put jamais leur faire un présent plus funeste.
Mais ouvrons à leurs yeux le palais des destins.
Observez ce concours de malheureux humains
Qui, passant tour à tour de l'espoir à la crainte,
Mécontents de leur sort, au dieu portent leur plainte.
Il leur répond à tous : « Tremblez, faibles mortels;
Renoncez à changer mes décrets éternels,
Connaissez l'avenir, la liaison des choses,
L'enchaînement des faits assujettis aux causes.
Tout obéit aux lois de la nécessité;
Voyez, voilà le Temps, voilà la Vérité,