<161>Vous pensez, je le vois, que ces beaux arguments
Ne sont qu'un jeu d'esprit d'une muse badine,
Qui plaisante des sots et de la médecine;
Ces portraits, dites-vous, malignement tracés,
Ne représentent point des citoyens sensés,
Et mes pinceaux, trempés aux couleurs des Ténières,
Peignent d'un peuple obscur les sottises grossières.
Soit, mais ce peuple abject que vous m'abandonnez,
C'est lui qui fait le nombre, et du moins convenez
Que les trois quarts du monde ignorant et stupide
Ne sait pas dans ses choix quel motif le décide.
Eh bien, puisqu'il le faut, plaçons-nous sur les bancs,
Examinons tous deux la raison des savants;
Ces esprits pénétrants, amateurs des sciences,
Sans doute auront acquis de vastes connaissances.
Prenons ce fameux Sack, ce suppôt de Calvin,
Ce zélateur couru du sexe féminin,
Qui deux fois par semaine en style de sophiste
Fulmine l'anathème et proscrit le déiste.
Si le hasard caché qui préside au destin,
Au lieu d'avoir formé sa cervelle à Berlin,
L'avait fait naître à Rome, il serait catholique,
A Péra musulman, et païen en Afrique;a
Nourri dès le berceau d'autres opinions,
Il aurait combattu pour ces religions.
a Voltaire, Zaïre, acte I, sc. I, dit :
Je le vois trop : les soins qu'on prend de notre enfance
Forment nos sentiments, nos mœurs, notre croyance.
J'eusse été près du Gange esclave des faux dieux,
Chrétienne dans Paris, musulmane en ces lieux.