<187>Que les pauvres sont faits du même limon qu'eux,
Que ces gueux en lambeaux, courbés sous les misères,
Marqués des mêmes traits, sont en effet leurs frères?a
L'orgueil les a changés, c'est l'ouvrage du sort,
Du riche au misérable il n'est plus de rapport,
A leur destin commun rien ne les intéresse,
Ce sont des animaux de différente espèce;
Ces loups sans s'émouvoir regardent les faucons
Du sang de la colombe arroser les vallons.
Que je suis en courroux lorsque certaine altesse
Jusqu'aux chevaux, aux chiens prodigue sa tendresse!
On dirait que pour eux le destin l'agrandit,
De sa folle dépense ils tirent le profit;
Ces chevaux superflus s'engraissent à la crèche,
Tandis qu'abandonné, le pauvre se dessèche;
Il nage dans le luxe, il ne vit que pour lui,
Et c'est un songe vain que le malheur d'autrui.
Cet abus, je l'avoue, à tel point m'importune,
Que j'en ai méprisé les grands et la fortune.
« Vous en êtes surpris? repartit Philémon;
Le monde est inhumain, ingrat et sans raison. »
« Pour moi, depuis longtemps j'appris à le connaître,
Jadis de la Fortune on m'a vu le grand prêtre :
Son temple était rempli de sots adulateurs,
L'univers y venait demander des honneurs.
Le courtisan disait : O puissante déesse!
Donnez-moi du pouvoir, afin que j'en oppresse
Un rival odieux qu'on dit de mes amis.
Le roi lui demandait des esclaves soumis,
a Voyez t. IX, p. 43, et ci-dessus, p. 64 et 73.