<206>L'on entendait parler jusques aux végétaux,
Toute chose en naissant semblait être parfaite,
Et ni plante ni fleur n'était alors muette.
Dans un certain jardin, en ces temps renommé,
Que l'auteur par oubli ne nous a pas nommé,
La rose, en s'admirant et méprisant la vigne,
Lui dit un jour : « Je plains ta destinée indigne :
Si l'homme ne taillait tes rameaux superflus,
Si tu n'élevais pas tes pampres abattus,
Entourant tendrement cet ormeau charitable,
Tes sarments languissants ramperaient sur le sable;
Tes ceps disgraciés ne portent point de fleurs,
Tes feuilles sont sans ombre, et tes fruits sans odeurs.
Aux rayons d'un beau jour lorsqu'on me voit éclore,
Mon éclat cède à peine au pourpre de l'aurore;
Cet encens recherché, ces baumes peu communs
N'ont pas la douce odeur qu'exhalent mes parfums;
Nous sommes des festins les compagnes fidèles,
J'orne dans des bouquets la coiffure des belles,
Et, reine des jardins, mes charmes ravissants
Assurent mon empire établi sur les sens. »
« Je vaux bien plus que toi, dit la vigne à la rose :
Trop peu durable fleur, souvent, à peine éclose,
Un souffle d'aquilon vient terminer ton sort,
Le jour qui t'a vu naître est le jour de ta mort.
J'estimerais bien plus tes qualités divines,
Si ta tige hérissée enfantait moins d'épines,
Si, joignant à tes fleurs l'avantage des fruits,
Tu devenais utile ainsi que je le suis.
Regarde mes raisins si féconds en délices :
Qui ne préférerait mon vin à tes calices?