<236>Tout l'univers connu, Rome, sa république;
Quoi! Virgile, l'auteur des plus sublimes vers,
Newton, qui devina les lois de l'univers,
Que dis-je? et vous aussi, vertueux Marc-Aurèle,
L'exemple des humains, mon héros, mon modèle,
Vous avez tous subi les arrêts du trépas!
Ah! si le sort cruel ne vous épargna pas,
Devons-nous murmurer, si la Parque lassée
Vient du fil de nos jours trancher la trame usée?
Qu'est-ce que nos destins? L'homme naît pour souffrir,
Il élève, il détruit, il aime, il voit mourir,
Il pleure, il se console, il meurt enfin lui-même :
Voilà, pauvres humains, votre bonheur suprême.
Nous ne quittons ici qu'un séjour passager,
Nous vivons dans le monde ainsi qu'un étranger
Qui jouit en chemin d'un riant paysage,
Et ne s'arrête point aux gîtes du voyage.
Cher Keith, suivons les pas de nos prédécesseurs,
Faisons à notre tour place à nos successeurs;
Tout le monde a les siens, et nous aurons les nôtres,
Ceux qui nous pleureront seront pleurés par d'autres.
Allez, lâches chrétiens,a que les feux éternels
Empêchent d'assouvir vos désirs criminels,
Vos austères vertus n'en ont que l'apparence.
Mais nous, qui renonçons à toute récompense,
Nous, qui ne croyons point vos éternels tourments,
a Dans l'édition in-4 de 1760, p. 317, et dans l'édition petit in-8 de 1762, p. 446, le mot « chrétiens » est remplacé par « humains; » l'édition gr. in-8 de 1760, p. 225, porte : « Allez, mortels craintifs. » Voyez la lettre du marquis d'Argens au Roi, à Berlin, 1er avril 1760, et la réponse du Roi.