<310>Craignez un fol orgueil qui peut vous aveugler,
Craignez votre amour-propre et ses douces amorces,
Éprouvez avant tout vos talents et vos forces,a
Et ne prenez jamais des vœux ambitieux
Pour l'effort du génie en vous victorieux.
En vain possédez-vous la force d'un athlète
Qui dans Londres combat au bruit de la trompette,
Admiré par le peuple, applaudi par des sots,b
Et de ses bras nerveux terrassant ses rivaux;
Quand vous ressembleriez à ces fils de la Terre,
A ces rivaux des dieux, qui leur firent la guerre,
Qui, pour braver l'Olympe, en leur rébellion
Soulevèrent l'Ossa sur le mont Pélion;
Quand du dieu des combats vous auriez le courage,
Ne vous attendez point à gagner mon suffrage :
Taille, force, valeur, tout est insuffisant,
Minerve exige plus d'un général prudent.
Il faut que son esprit, guidé par la sagesse,
Soit vif sans s'égarer et prudent sans faiblesse;
Qu'il agisse à propos, que, maître des soldats,
Il les fasse mouvoir dans l'horreur des combats;
Au désordre à l'instant qu'il porte un prompt remède,
Et ranime le corps qui s'épuise ou qui cède;
Qu'en guerrier prévoyant il prépare de loin
Tous les secours divers dont l'armée a besoin;
Qu'en ressources fécond, toujours infatigable,
Par sa faute jamais le destin ne l'accable.
Formez-vous donc l'esprit, surtout le jugement,
Attendez tout de vous, rien de l'événement;
a Tout ce passage est imité de l'Art poétique de Boileau, chant I, v. 11 et 12.
b Par les sots. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 430.)