<80>Qui de son cabinet croit agiter la terre,
De ses propres sujets habile séducteur,
Qui, des grands et des rois dangereux corrupteur,
Marchande au poids de l'or un secours mercenaire,
Et souscrit en riant cet arrêt sanguinaire :
Mortels, égorgez-vous, tel est mon bon plaisir?
Comment sans murmurer enfin peut-on souffrir
Qu'un lâche, un Harpagon, qu'un méprisable avare
Du nom de vertueux par vanité se pare?a
Par quel droit ose-t-il prétendre à cet honneur?
D'un titre glorieux il est l'usurpateur,
Il n'a pas des vertus les dehors hypocrites;
Quels sont donc ses hauts faits? quels sont ses grands mérites?b

Qu'il laisse à son orgueil pervertir ses talents,
J'y vois d'un forcené les excès violents.
Pour avoir usurpé l'autorité suprême,
Conduit sa tyrannie avec art et système,
Pour être habile, heureux, vigilant, séducteur,
Intrépide aux combats, et rapide vainqueur,
Cromwell, qui de son roi prépara le supplice,
Pouvait-il colorer sa barbare injustice?
Aurait-il pu souffrir qu'un impudent flatteur
Osât nommer vertu son atroce fureur?
En vain l'encens dans Rome a fumé pour Auguste,
Malgré l'apothéose il fut cruel, injuste,
En noyant dans le sang le plus pur de l'État
La liberté, les lois, et les droits du sénat.
Quelle horrible vertu qui répand l'épouvante!
De ses lauriers affreux la moisson abondante
Sous sa coupable main fut prompte à se flétrir.


a

Qu'un lâche, un Harpagon, un misérable avare
Du nom de vertueux sans scrupule se pare?

(Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 109.)

b L'édition in-4 de 1760, p. 109, donne ici ces quatre vers de plus :
     

L'insatiable soif qu'il a d'accumuler
Est l'unique talent qu'il peut nous étaler;
Il en fait, jour et nuit, sa misérable étude.
Observez les accès de son inquiétude.
Son navire est frété, etc.