<82>L'ardente soif de l'or, l'espoir, l'inquiétude,
Chassent de son esprit tout désir de repos,
Le sommeil sur son front voit faner ses pavots,
Et notre forcené, tout mouillé du naufrage,
Une seconde fois court affronter l'orage.
Pourra-t-il dévorer ses trésors amassés,
Ces barres, ces lingots dans sa cave entassés?
Des faux et des vrais biens vains juges que nous sommes!
Le sort plus qu'on ne pense égale tous les hommes.
A nos nécessités le ciel avait pourvu :
Quel usage Midas fait-il du superflu?
Je vois de jour en jour accroître ses misères
Par de nouveaux besoins devenus nécessaires,
Moins riche des trésors dont il sent l'embarras
Que pauvre de tous ceux qu'il ne possède pas.
C'est bien pis, si ce fou, comblant le ridicule,
Sans jouir de son bien sans cesse l'accumule,
Afin qu'un beau matin la mort à l'œil hagard,
De sa tranchante faux moissonnant le richard,
Mette en possession de cette immense proie
Un parent affamé qui s'en pâme de joie,
Qui, sans donner le temps d'enterrer le vilain,
Vide son coffre-fort et boit son meilleur vin :
Tel est d'un faux esprit l'égarement extrême.
L'avare est l'ennemi le plus grand de lui-même,
Mais l'ambitieux l'est de tout le genre humain :
Il marche à la grandeur le poignard à la main,
Ses desseins, ses hauts faits sont autant d'injustices,
Tout, jusqu'à ses vertus, devient en lui des vices;
Ces tristes passions, charmes des cœurs pervers,
Renversent les États et troublent l'univers.