<103>Tout vous eût assuré l'hommage des mortels :
Leur amour, leur reconnaissance,
Du prix de l'amitié connaissant l'excellence,
Vous auraient sous son nom consacré des autels.
Qui sentit mieux que moi sa bénigne influence?
Dans mes jours fortunés et dans ma décadence
Vous goûtiez mon bonheur, vous pleuriez mes revers.
Ah! pourrais-je oublier cette amitié constante.
Sensible, courageuse, et toujours agissante,
Qui a su compenser les maux que j'ai soufferts?
Lorsque ma fortune expirante
Offrait ma dépouille sanglante
Aux tigres de carnage et de sang affamés;
Lorsque mon propre sang, rebelle à la nature,
Dans ces jours désastreux et de malheurs semés,
Joignit les triumvirs pour aigrir ma blessure;
Lorsque j'étais enfin proscrit, infortuné,
De tout secours abandonné :
O vous, mon seul refuge! ô mon port, mon asile!
Votre amitié calmait ma douleur indocile,
J'oubliais dans vos bras mes oppresseurs altiers,
Mon cœur dans votre sein épanchait ses complaintes;
Votre tendre pitié, partageant mes revers,
Dissipait par un mot mes mortelles atteintes,
Et, fort de vos vertus, je bravais l'univers.
A combien de dangers votre âme généreuse
S'exposa pour me secourir,
Moi, qui préférais de périr
A l'image trop douloureuse
Des maux que je craignais de vous faire souffrir!