<109>Nos hameaux, nos cités, tous nos États sont pleins
De parents éplorés, de veuves, d'orphelins,
Qui réclament en vain par leurs cris, par leurs larmes,
Nos vengeurs moissonnés par le tranchant des armes.
Ah! la gloire s'achète au prix de trop d'horreurs;
Mes lauriers teints de sang sont baignés de mes pleurs.
Dans ces calamités, dans ces douleurs publiques,
Je me vois accablé de malheurs domestiques :
En moins de deux hivers, tel est mon triste sort,
Sur tout ce que j'aimais j'ai vu fondre la mort;
Elle enleva ma mère, et son fils, et sa fille.a
O jours de désespoir! quel coup pour ma famille!
Une mère, l'espoir, l'honneur de notre sang,
Un frère jeune encor, l'héritier de mon rang,
Une sœur, vrai héros, vaste et puissant génie,
A laquelle à jamais mon âme était unie!
Pour ne point succomber sous de pareils tourments,
Il faut un cœur d'airain, privé de sentiments,
Aux cris de la nature obstinément rebelle,
Qui ne connut jamais d'amitié mutuelle.
Dans l'abîme des maux où le sort m'a plongé,
Le cœur rongé d'ennuis et l'œil de pleurs chargé,
D'une réflexion mille fois repoussée
La ténébreuse horreur occupe ma pensée.
On nous dit que ce Dieu qu'au ciel nous adorons
Est doux, juste et clément, et, mylord, nous souffrons :
Comment concilier ses entrailles de père
Avec l'homme accablé du poids de sa misère?
Jeune, faible, imprudent, éperdu, sans repos,
Dès ma première aurore en butte à tous les maux,
a Voyez t. IV, p. 207 et 252.