<213>Nous traversons en hâte une terre étrangère
Où rien ne nous est propre, où tout a dû rester;
Nous pouvons en jouir, mais il la faut quitter.
Déjà nos successeurs demandent notre place,
Nos pères l'occupaient, et le temps nous en chasse :
Ah! ne pouvons-nous pas, modérés et discrets,
Posséder sans orgueil et perdre sans regrets
Les biens qu'on nous prêta dans cet instant de vie?
Ces méprisables biens, objets de tant d'envie,
De nos vœux insensés l'espoir et le fléau,
Ont la légèreté qu'a le vol d'un oiseau;
Tandis qu'on le contemple, il échappe à la vue,
Et prend en fendant l'air une route inconnue.
Les désastres fameux peints dans l'antiquité
Se répètent aux yeux de la postérité;
Si le nom des acteurs, si la scène diffère,
L'action est la même, et frappe le vulgaire.
Lorsque la faction qui déchirait les grands
Mit Rome tour à tour aux fers de deux tyrans,
L'un, Caïus Marius, par la guerre civile
Forcé jusqu'en Afrique à chercher un asile,
Par un préteur cruel rebuté de ces lieux,
Sans trouver un abri contre ses envieux,
Ressentant de Sylla la haine vengeresse,
Courbé par les revers, mais rempli de noblesse,
Répondit au préteur : « Apaise enfin tes cris;
Viens repaître tes yeux, vois Marius assis
Sur les débris fumants de Carthage détruite. »
Les grands et les États ont des bornes prescrites,
Ils ont un temps pour croître et pour se maintenir;