<239>Par vos soins généreux je parvins à l'empire,
Ma seule intention, mes désirs et mes vœux
Étaient de rendre Rome et mes amis heureux.
Le ciel qui me traverse, et le destin contraire,
Détruisent maintenant ce projet salutaire;
Leur courroux n'a point su me ravir les moyens
De sauver mes amis et mes concitoyens.
Sans que Vitellius dans votre sang se baigne,
Je lui cède mes droits; qu'il triomphe et qu'il règne :
L'empire veut un maître, il n'en peut avoir deux;
Qu'il possède un pouvoir souvent si dangereux,
Et, quoique usurpateur, désormais magnanime,
A force de bienfaits qu'il efface son crime,
Et prépare aux Romains des destins fortunés.
Des mains de ces cruels contre vous acharnés
Demain par mon trépas j'arracherai les armes .. .
Mais quels cris, quels sanglots et quel torrent de larmes!
Serai-je, hélas! l'objet de ces vertueux pleurs?
Je suis trop fortuné, j'ai régné sur vos cœurs,
D'un désespoir mortel vos fronts portent le signe;
D'amis si généreux Othon se rendra digne :
Dans un pouvoir sans borne à mes soins confié,
Je conservais un cœur sensible à l'amitié.
Un simple citoyen eut l'âme assez hardie
Pour dévouer ses jours au bien de la patrie;
Si Décius fournit un tel trait de grandeur,
Que n'attends-tu donc pas, Rome, d'un empereur?
C'est lui qui pour l'État doit présenter sa tête,
Pour conjurer l'orage et calmer la tempête;
Othon, né citoyen, doit ses jours à l'État,
Il vous les doit à vous, s'il n'a le cœur ingrat.