<262>Qui demandent mes soins et ceux de mon armée,
Je vous promets dans peu d'avoir lu le Timée.
Ces vers se ressentent, mon cher marquis, du temps où ils sont produits. J'ai des soucis politiques, des inquiétudes militaires, des tracasseries de finance, enfin une multitude d'occupations désagréables qui m'obsèdent. Mes vers vaudraient peut-être un peu mieux, s'ils avaient été enfantés dans un temps plus tranquille; ils seront toujours bons pour l'usage que vous en ferez. Quiconque n'écrit pas comme Racine devrait renoncer à la poésie. Mais on dit que les poétes sont fous; voilà mon excuse. Vous m'avouerez que cette folie n'est pas dangereuse pour le public, surtout lorsque le poëte ne violente pas le monde pour lire ses ouvrages, qu'il ne fait des vers que pour s'amuser, et qu'il est le premier à rendre justice à son faible talent. J'aimerais mieux, je vous l'avoue, faire à présent un beau et bon traité de paix qu'un poëme épique, et, au défaut de cela, battre bien serré les Autrichiens plutôt que de composer une ode comme Rousseau. Vous en seriez content aussi, je le crois bien. Cependant il faut avoir patience, laisser agir les causes secondes, puisque nous ne pouvons remonter aux premières, et plier sous le joug des événements, qui ne dépendent en vérité aucunement de notre prudence. Adieu, mon cher marquis; laissez-moi mes inquiétudes, conservez pour vous une tranquillité inaltérable, et soyez sûr de mon amitié.
A Péterswaldau, le 22 octobre 1762.