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ÉPITRE A VOLTAIRE, QUI VOULAIT NÉGOCIER LA PAIX.

Cest donc vous qui croyez m'exhorter à la paix?
Elle a fait de tout temps le but de mes souhaits;
J'espère vainement d'en célébrer la fête.
Neptune, et non pas moi, peut calmer la tempête;
C'est aux antiques dieux, de l'Olympe habitants,
A réprimer les mers, à renfermer les vents.
Pour moi, nouveau sevré dans la troupe céleste,
Je dois borner mes soins à quelque avis modeste;
Mais je connais des dieux doux, sages, bienfaisants.
Qui, toujours modérés, toujours conciliants,
Déplorant dans leur cœur les souffrances publiques,
Occupent leurs vertus de projets pacifiques.
Pour laitière Junon, Virgile vous l'a dit,
De nos cruels débats son orgueil s'applaudit;
Souvent, dans l'univers répandant les alarmes,
Des dieux trop aveuglés pour elle ont pris les armes.
C'est elle que l'on vit, sur les bords phrygiens,
Persécuter Hector, Priam et les Troyens,
Et sur des fugitifs sa colère acharnée
Poursuivit par les mers Anchise avec Énée.
<136>L'Europe, assez longtemps trop docile à ses lois,
Ouvre un œil fasciné pour la première fois,
Et d'un regard hardi confond son imposture.
On s'élève, on s'indigne, on éclate, on murmure :
« Faut-il, dit-on, flexible à ses impressions,
Fomenter nos malheurs et nos dissensions,
En vils gladiateurs, pour assouvir sa rage,
Nous baigner dans des flots de sang et de carnage,
Et toujours des combats contempler l'appareil? »
La raison assoupie est, au jour du réveil,
Par de vains préjugés dans le trouble engagée;
Dans peu de l'imposture elle sera vengée.
Le tourbillon fougueux qui poussait tous ces corps
A par sa violence épuisé ses efforts;
Il s'apaise en grondant, essoufflé, hors d'haleine,
Et ne fatigue plus les sables de l'arène.
Le stupide habitant de ces vastes forêts,
Auquel le dieu du jour a refusé ses traits,
Dans le fond ténébreux d'un repaire sauvage
Déteste par instinct la guerre qu'il partage;
Jusqu'aux lieux entourés par d'éternels glaçons
La voix de l'équité parle au cœur des Lapons.
Que dis-je? ... vos Français, qui, sous différents titres,
Des droits des nations s'érigeaient en arbitres,
Votre dieu de la Seine et vos rois plébéiens,
Depuis que la fortune échappe à leurs liens,
Répriment en secret cette fougue effrénée
Qui prétendait des rois dicter la destinée;
L'abattement succède à ces bruyants transports.
Voyez votre patrie en proie à ses remords;
Elle sort à la fin d'un rêve fantastique,
<137>Et, libre des ardeurs d'un accès frénétique,
Recouvrant ses esprits, le jour et la santé,
La France ouvre les yeux et revoit la clarté.
D'un rayon de bon sens l'éclatante lumière
Abat les préjugés qui couvraient sa paupière;
Ces fantômes qu'un songe engendre avec l'erreur,
Dont un sang bouillonnant nourrissait la vapeur,
Se dissipent soudain, et la vérité nue
Par cent objets fâcheux vient occuper sa vue.
A ses regards surpris quel odieux coup d'œil!
Elle voit le faux dieu137-5 créé par son orgueil,
Ce monstre qu'engendra sa haine dévorante
Au sacrilége sein de la discorde ardente,
Dont les membres divers sont autant de tyrans
Prêts à se déchirer pour leurs vains différends,
Qui, prompts à la servir, prompts à tomber sur elle,
Sont l'appui dangereux de sa triste querelle.
Elle-même s'étonne en trouvant en tous lieux
Les effets qu'ont produits ses transports odieux,
Terribles monuments de cruauté, de rage,
D'un orgueil insensé trop déplorable ouvrage,
De la Vistule au Rhin cent pays désolés,
Leurs murs encor fumants, leurs peuples immolés,
Toute l'horreur qui suit une infernale guerre :
C'est elle enfin qui ravagea la terre.
Hélas! on ne sent point dans son égarement
Jusqu'où peut entraîner un fougueux sentiment;
Elle-même en rougit, elle a peine à le croire;
Voltaire effacera ce trait de son histoire,
<138>Et son roi, dégoûté d'inutiles forfaits,
Las de tant d'embarras, respirera la paix.
Cette paix lui devient utile et nécessaire :
Ses peuples opprimés périssent de misère,
Ses trésors par l'Autriche ont été épuisés.
Ses héros par l'Anglais vaincus ou dispersés,
Ses vaisseaux, souverains d'Éole et de Neptune,
Échoués ou battus, maudissent leur fortune.
Un vaste État, fondé dans un climat lointain,
Qui portait pour tribut du bord américain
Ces poissons recherchés du zèle apostolique,
D'abstinence et de jeûne aliment catholique,
Ce Canada, conquis par ses fiers ennemis,
Aux hérétiques mains des Bretons est soumis.
La France sans trésors, sans vaisseaux, sans système,
Sans Québec, est réduite à manquer au carême;
La paix, la seule paix peut enfin la tirer
Du malheur que le temps doit encore empirer.
Dans son accablement, son orgueil plus flexible
Aux maux du genre humain entrouvre un cœur sensible,
Et paraît s'empresser d'en terminer le cours;
La modération éclate en ses discours,
De son esprit altier les funestes maximes
Font place aux sentiments des âmes magnanimes.
Le peuple, qu'éblouit ce généreux effort,
Pense qu'il va jouir des biens de l'âge d'or,
Qu'étouffant la discorde ainsi que la vengeance,
Son bonheur et la paix lui viendront de la France.
Mais ce peuple imbécile est dupé par les grands,
Oppresseurs des États, du monde sous-tyrans,
<139>Qui, sans cesse absorbés dans des projets sinistres,
Des attentats fameux sont les cruels ministres.
Que de leurs sons flatteurs la douce impression
Ne vous détrompe point de leur ambition.
Leur dehors est couvert du fard de la justice,
Leur cœur impénétrable est rempli d'artifice;
Vainement sous un masque ils pensent se cacher,
D'une main assurée il le faut arracher,
Il faut, en découvrant leurs passions iniques,
Exposer au grand jour ces démons politiques.
Ces farouches mortels, si durs et si hautains,
Tendres pour l'intérêt, pour nous pleins de dédains,
Si souvent arrosés des pleurs des misérables,
N'ont jamais amolli leurs cœurs impitoyables.
Trop hauts dans le succès, trop bas dans le malheur,
Le destin règle seul leur haine et leur faveur;
S'ils sont compatissants, c'est qu'ils sont sans ressource,
Et l'amour de la paix n'est qu'au fond de leur bourse.
Non, le Sphinx qui dans Thèbe exerçait sa fureur,
Ces monstres qui d'Hercule éprouvaient la valeur.
Les maux contagieux, les famines, les pestes,
Sont moins à redouter, sont cent fois moins funestes,
Que tous ces scélérats dont les complots pervers
Jusqu'en ses fondements ébranlent l'univers.
Craignez l'infection et le poison que verse
Dans un cœur simple et pur leur dangereux commerce.
D'abord on les observe, on craint d'être trompé,
Tôt ou tard dans leur piége on est enveloppé;
Il faut jouter contre eux, l'artifice a ses charmes,
Et l'on se sert enfin de leurs perfides armes.
<140>Ah! passons dans le sein du repos et des arts
La fin d'un jour obscur, troublé par les hasards;
Et bornant nos désirs au charme d'être juste,
Fuyons Tigellius,140-a et Néron, et Locuste.

A Freyberg, ce 13 décembre 1759.


137-5 Le triumvirat. [Voyez ci-dessus, p. 100 et 103.]

140-a Le Roi veut parler de Tigellin, favori de Néron. Voyez t. X, p. 179.