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LES DEUX CHIENS ET L'HOMME, FABLE.

Deux gros mâtins acharnés à leur perte,
Rivaux de bâfre, irrités par la faim,
Se déchiraient pour saisir la desserte
Que certain gars jeta sur leur chemin.
Le sang coulait de leur gueule entr'ouverte,
Leurs cris aigus, leurs fiers aboyements
Frappaient au loin l'oreille des passants.
Certain quidam d'humeur dure et brutale
Voit leur combat, se saisit d'un bâton,
Tout en fureur, sans rime ni raison,
A double tour de son tricot régale
Nos deux champions tout meurtris de ses coups,
Toujours criant : Canaille quadrupède,
Roquets maudits, qu'on s'enfuie et qu'on cède.
L'un des mâtins, bouillonnant de courroux,
Tout en fuyant lui dit : Seigneur féroce,
Médiateur impertinent qui rosse
Deux vrais héros, souviens-toi qu'ici-bas
<236>Comme on l'entend chacun fait son négoce;
Nous autres chiens, nous livrons des combats
Pour quelques os, et vous, pour des États.

De vrais besoins entre chiens font les guerres,
Entre nous c'est l'orgueil et cent chimères.

(Breslau, février 1762.)