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AUTRE ÉPITRE POUR L'AMOUREUX SUISSE. RÉPONSE A DEMOISELLE ULRIQUE.

Ah! que j'estime les monarques,
Surtout lorsque c'est vous qui les faites parler!
Oui, s'ils pouvaient vous ressembler,
Les cours n'entendraient plus la voix des Aristarques
En vaines plaintes s'exhaler;
La vérité dans ses remarques
N'aurait rien à dissimuler.
Ces rois auraient le don de plaire
Et l'art plus précieux de régner sur les cœurs,
Par là cent fois supérieurs
A tout souverain arbitraire
Qui sur un peuple tributaire
Établit son pouvoir à force de rigueurs.
Mais votre empire est doux, votre âme est débonnaire,
Vous m'avez subjugué, mon joug est volontaire,
Et ce serait pour moi le comble des malheurs
Si jamais le destin contraire
Entreprenait de me soustraire
A la douce rigueur de mes fers enchanteurs.
Tandis que grand nombre d'esclaves,
Foulés par le sceptre des rois,
<267>S'efforcent vainement de rompre leurs entraves
Pour se gouverner à leur choix;
Tandis que le peuple de Corse
Toujours obstinément se ranime et s'efforce
A briser les fers des Génois :
Mon cœur ne veut d'autre avantage
Qu'à vos attraits de rendre un éternel hommage;
Et pour vous, ma divinité,
Je renonce à ma liberté,
D'un Suisse le seul héritage,
Qui fait des humains en tout âge
La suprême félicité.
Idole de mon cœur, vous, l'âme de mon âme,
Vous détruisez en moi l'esprit républicain.
J'abhorrais autrefois le nom de souverain;
Que le conseil des Cent de nos Bernois me blâme,
Que l'esprit du grand Tell dans son tombeau s'enflamme,
Qu'il m'appelle parjure, esclave de Tarquin,
Vous serez, quoiqu'il me réclame,
Souveraine de mon destin.
Prenez donc désormais les rênes de l'empire
Sous ces auspices fortunés;
Songez, en me voyant à vos pieds prosterné,
Que des Brutus, ces forcenés,
Détestant à vos yeux le stoïque délire,
Je serai, j'en fais le serment,
Fidèle et dévoué jusqu'au dernier moment
Au monarque nouveau que mon cœur vient d'élire.

A Péterswaldau, 25 août 1762.