ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XIII.
<><>ŒUVRES DE FRÉDÉRIC LE GRAND TOME XIII. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCXLIX
<><>ŒUVRES POÉTIQUES DE FRÉDÉRIC II ROI DE PRUSSE TOME IV. BERLIN IMPRIMERIE ROYALE (R. DECKER) MDCCCXLIX
<><>POÉSIES POSTHUMES TOME II.
<><1>ÉPITRE A MA SŒUR DE BRUNSWIC. QU'IL EST DES PLAISIRS POUR TOUT AGE.
Dans le monde, ma sœur, tout ce qui naît périt;
Une éternelle loi tour à tour y proscrit
Ces générations qui constamment renaissent,
Et sous la main du temps aussitôt disparaissent.
Si la rapidité d'un si prompt mouvement
Ne se fait pas pour nous sentir à tout moment,
C'est qu'on fait chaque jour une perte insensible,
Que chaque homme, entraîné par quelque soin pénible,
Ou rempli d'un dessein dont l'espoir le séduit,
Laisse échapper le temps, qui loin de nous s'enfuit.
Mais à peine le cours de deux lustres s'achève,
Que nos jours écoulés paraissent moins qu'un rêve;
Quand l'âge irrévocable a sillonné nos fronts,
Alors nos yeux surpris découvrent ses affronts.
Comment a disparu le feu de ma jeunesse,
De mes sens enchantés l'impétueuse ivresse,
Ce fonds inépuisable et fertile en désirs,
Ces ailes pour voler de plaisirs en plaisirs?
J'existe, et cependant je ne suis plus le même.
O vérité cruelle, humiliant problème,
<2>Qui, dévoilant les lois de la fatalité,
Aggrave encor mes maux par leur nécessité!
Offusqué des vapeurs de la misanthropie,
Las de perdre en détail les restes de ma vie,
Au point de renoncer à l'espoir du bonheur,
L'amour-propre aussitôt s'empare de mon cœur;
De ce flatteur adroit le discours me console.
Apaise, me dit-il, ce murmure frivole,
Écart séditieux de tes sens révoltés;
Tu perdis moins de biens qu'il ne t'en est resté.
Le printemps de tes jours fait place à leur automne,
Flore, en fuyant tes pas, te confie à Pomone;
Tu promettais jadis, à présent tu produis,
Et, dépouillé de fleurs, tu dois porter des fruits.
Dans ta maturité la raison te décore,
Ton goût, ton jugement vient à peine d'éclore;
Ce fil guida jadis Aristide et Platon,
Trajan, les Antonins, Titus et Scipion.
Que la raison t'éclaire en cet affreux dédale
Où l'intérêt, l'orgueil, l'envie et la cabale
S'empressent d'égarer tes pas mal assurés;
Elle sauva tes jours de périls entourés.
Ta jeunesse a bien pu jeter des étincelles;
Compare leur éclat, leurs beautés peu réelles
A la sagesse enfin, à ce don précieux
Dont Minerve elle-même a fait trophée aux cieux.
J'entendais son discours en répandant des larmes.
Amour, me faudra-t-il renoncer à tes charmes?
Disais-je; et faut-il donc qu'insensible à jamais,
Mes organes usés rejettent tes bienfaits?
Mais cent plaisirs nouveaux s'offrent à ma pensée,
Plus vrais, plus assortis à ma course avancée.
<3>Plions, puisqu'il le faut, sous les lois du destin,
Du couchant d'un jour sombre embellissons la fin;
Près de frapper au but d'une pénible course,
Cherchons pour nos désirs encor quelque ressource;
Couronnons-nous des fleurs du tendre Anacréon.
J'en veux le front paré traverser l'Achéron.
Jusqu'au temps où des morts le nocher me réclame,
Que la sérénité se maintienne en mon âme.
Je renonce au fracas de ces plaisirs fougueux,
Si peu satisfaisants et toujours dangereux;
Vous, molle oisiveté, chansons, douceurs futiles,
Je vous quitte en faveur d'amusements utiles.
Je vis avec les morts; leurs doctes monuments
A d'austères leçons joignent les agréments.
Au coin de mon foyer, tranquille et solitaire,
Je converse avec Lock, Tacite, ou bien Homère;
Si quelque sage vient, je me plais à l'ouïr :
Les talents sont un bien dont l'esprit doit jouir.
Mes organes, flattés des sons de l'harmonie,
Chérissent tous les arts qu'a produits le génie;
J'aime sur le théâtre à voir Sémiramis
Frémir au souvenir de ses crimes commis,
Ou, dans les murs pompeux qu'elle élève à Carthage,
L'amoureuse Didon, dans l'excès de sa rage,
Pour un amant ingrat, mais qui sut la toucher,
Abandonner le trône et courir au bûcher.
Je me plais dans les traits de la vive peinture
Des sentiments qu'en nous a gravés la nature,
Surtout si le poëte a l'excellent secret
De nourrir, d'échauffer, d'accroître l'intérêt,
D'exciter la terreur, d'augmenter mes alarmes,
De m'attendrir au point de répandre des larmes.
<4>Si je n'habite plus cette orageuse cour
Où tant d'illusions environnent l'amour,
Un sentiment plus fin, plus noble et plus solide,
De ce bonheur perdu sait remplacer le vide.
O divine Amitié! présent chéri des deux!
Ce n'est que dans ton temple où vivent les heureux.
J'ai connu le bonheur depuis que dans mon âme
Tu daignas allumer cette pudique flamme;
Ton doux contentement n'est jamais combattu
Par les étroits devoirs qu'impose la vertu.
C'est toi, fille du ciel, dont l'appui secourable
Du déclin de mes jours rend la fin supportable
Par le cœur dont ta main m'a rendu possesseur.
Ce noble sentiment, vous l'éprouvez, ma sœur.
Ce cœur que je chéris, quel est-il? c'est le vôtre;
Lui seul, il me suffit, je renonce à tout autre
Qui, volage, indiscret, habile à m'imposer,
De la vertu se pare afin d'en abuser.
Je trouve tout en vous, esprit, vertu, tendresse,
Et l'indulgent support qu'exige ma vieillesse;
A vous à cœur ouvert je puis me confier.
Quel malheur quand d'amis il faut nous défier!
On sent, on vit en eux, c'est un autre soi-même;
J'existe doublement dans une sœur que j'aime.
Que la jeunesse, aveugle en ses égarements,
Se livre au tourbillon de ses plaisirs bruyants;
Que de cent nouveautés la lanterne magique
Réveille son ennui d'un sommeil léthargique :
Je vois, sans l'envier, prospérer ses beaux jours,
J'ai pour calmer mes maux trouvé d'autres secours;
Vous avez vu, ma sœur, jusqu'où s'étend leur nombre.
Ainsi, sans que les ans me rendent morne ou sombre,
<5>Des faveurs que sur moi le ciel daigna jeter,
En bornant mes désirs, je sais me contenter.
Votre amitié, ma sœur, en est la principale,
C'est un bien qu'à mes yeux aucun autre n'égale;
Daignez me conserver ce trésor précieux,
Et de tous les mortels je suis le plus heureux.
Que m'importe, dès lors, que mes sens s'affaiblissent,
Que mon ardeur s'éteigne, et mes cheveux blanchissent?
Je renonce à l'amour, j'embrasse l'amitié,
Et loin d'être à mes yeux un objet de pitié,
Sans redouter du temps l'irréparable outrage,
J'ai su trouver, ma sœur, des plaisirs en tout âge.
A Potsdam, le 15 de février 1765.
<6>A MES NEVEUX LES PRINCES FRÉDÉRIC ET GUILLAUME DE BRUNSWIC.
Que tout mortel, hélas! facilement s'abuse,
Quand la passion le conduit!
L'illusion, l'erreur l'amuse,
Ce qui le flatte le séduit.
J'ai soutenu que la vieillesse,
Alors qu'elle a proscrit l'amour, les jeux, les ris,
Et les grâces de nos esprits,
Se consolait par la sagesse :
Chimères d'un vieux radoteur,
Maladroit, ennuyeux, sophiste,
De la perte de son bonheur
Tout étourdi, rêveur et triste!
Quoi! son orgueil blessé veut, dans sa folle ardeur,
Élever un trophée à sa propre faiblesse!
Ah! croit-il dénigrer par son ton de docteur
La foule des plaisirs dont jouit la jeunesse?
Tes beaux jours se sont écoulés,
<7>Sur les ailes du temps les plaisirs envolés,
Par le fatal pouvoir de la vicissitude
Abandonnant ton corps à la décrépitude;
En perdant tous tes sens, tu viens hors de saison
Vanter les vains progrès qu'aura faits ta raison.
Pour moi, plus franc et plus sincère,
Je porte avec ingénuité
Un hommage tout volontaire
Au trône de la Vérité;
Je prends en pitié la sagesse
Qui choisit pour son fondement
Un corps tout usé de vieillesse.
Notre gaîté, notre tristesse,
Tout nous vient ou de l'âge, ou du tempérament;
Quand on n'a plus l'esprit volage,
Quand on n'a plus de sentiment,
C'est malgré soi que l'on est sage.
Il n'est point de Nestor austère à nous transir
Qui ne rappelle avec plaisir
Les jours de sa naissante aurore,
Et qui ne brûle du désir
De retourner, s'il peut, encore
Sous l'empire charmant de Vénus et de Flore.
Ses regrets importuns vous doivent avertir
Que malgré lui, par impuissance,
Il renonce à la jouissance
Des bienfaits que vous possédez;
Les destins rigoureux ont de plus décidé
Qu'il n'en garderait point la plus frêle espérance.
Vous voyez donc, mes chers neveux,
Que votre âge est le seul où l'on peut être heureux.
<8>Usez de ce trésor avec poids et mesure :
Partout l'abondante nature
Vous fournit des plaisirs nouveaux;
Le ciel, en dépit des dévots,
Prodigue ses faveurs aux enfants d'Épicure,
Et la volupté la plus pure,
Comme une immense mer en répandant ses flots,
Les désaltère de ses eaux.
De sa liqueur enchanteresse
Abreuvez-vous, jeunes héros;
Mais gardez-vous de son ivresse.
On ne sent pas, dans la chaleur,
Dans le transport, dans le délire
Des passions que l'on respire,
Jusqu'où peut aller leur fureur.
Croyez-en mon expérience,
Associez la tempérance
Aux goûts de ces plaisirs charmants;
Vous êtes dans votre printemps,
Et le conseil de la prudence
Est de vous ménager pour en jouir longtemps.
Les destins ont borné les facultés de l'homme;
Le prudent seul, bon économe,
En garde encor pour ses vieux ans.
Ce n'était pas ainsi que, d'une voix tremblante,
J'exerçais ma muse naissante
A chanter, jeune encor, les succès de l'amour;
Le temps, de sa main malfaisante,
D'une voix naguère brillante
Éteint le charme sans retour.
Adieu gaîté, plaisir, et santé florissante;
<9>Le sort inexorable et sourd
S'obstine à vouloir dès ce jour
Que la raison, cette pédante,
Sur mon esprit règne à son tour.
Vous voyez maintenant quelle est la différence
De l'hiver de nos ans et de l'adolescence;
L'une jouit de tout, l'autre n'use de rien.
Selon le sentiment d'un fameux moraliste,
Le jeune est un fou gai, le vieillard, un fou triste;
Cependant le leibnizien,
Dans l'école, à grands cris obstinément persiste
A soutenir que tout est bien.
A Potsdam, le 20 de février 1765.
<10>ÉPITRE SUR LE TROP ET LE TROP PEU, A MADAME DE MORRIEN.10-a
O vous, qu'en mon printemps je connus sous le nom
De la folâtre Tourbillon!
Est-ce vous qui voulez, dans une cour polie,
Que les disciples d'Uranie,
Le compas à la main, du trop et du trop peu
Vous marquent le juste milieu?
Rappelez-vous ces temps où, sans philosophie,
Un tissu de plaisirs enchaînait votre vie,
Où, sans souci du lendemain,
Vous confiant aux soins de la naissante aurore,
Vous saviez qu'à chaque matin
Pour vous elle ferait éclore,
Avec les riches dons de Flore,
La foule des plaisirs naissants sous votre main.
Ah! trop aimable créature,
<11>Que vous étiez, Morrien, gaie et sage autrefois,
Vous, qui teniez de la nature
L'inépuisable fonds d'une joie si pure
Qui, sans jamais blesser les lois
Dont la pudeur fixa le choix,
Vous laissait savourer le plaisir sans mesure!
Par quel enchantement est-ce donc que je vois
Qu'en quittant les sentiers où marchait Épicure,
Vous voulez qu'une raison mûre
Pèse les plaisirs à son poids?
Toute erreur, croyez-moi, dont l'attrait nous sait plaire,
Vaut mieux que le triste flambeau
De la raison qui nous éclaire.
Et qu'apprendrez-vous de nouveau
Par l'œil de la raison, qui voit tout sans bandeau,
Sinon qu'en général ce que le monde enserre,
Tout n'est que vanité, séduction, chimère?
Nous sommes ici tous sous la sujétion
Du sceptre de l'illusion;
Choisissons donc la plus aimable,
Et qu'avec son air vénérable,
L'importune réflexion
N'arrive qu'au sortir de table.
Allons, mettons à part toute prévention :
Trouveriez-vous hors de saison
Que, si je rencontrais un plaisir sur ma route,
Ma main le cueillît sans façon?
Vous me répondriez sans doute
Que votre serviteur l'a fait avec raison.
Retournez donc aux jeux, aux ris, à l'allégresse,
Aux hochets de votre printemps;
<12>Qu'ils remplissent tous vos moments,
C'est le conseil de la sagesse.
Et sur le trop et le trop peu
Du temple d'Épidaure interrogez les dieux;
Vous apprendrez par leur prêtresse
Que tout paraît trop peu dans la verte jeunesse,
Et tout est trop quand on est vieux.
Faite au mois de mars 1765. (Envoyée à Voltaire le 17 février 1770.)
<13>VERS RÉCITÉS A SANS-SOUCI13-a A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC PAR UNE ACTRICE DÉGUISÉE EN BERGÈRE, QUI L'INVITAIT A VOIR UNE COMÉDIE PRÉPARÉE POUR ELLE.
Les nymphes, les sylvains de ces épais bocages
Viennent vous offrir leurs hommages
Rustiques, ingénus comme eux.
Ah! daignez recevoir de nous, grande princesse,
L'encens qu'on brûle à la déesse
Protectrice de ces lieux.
Vous remplirez surtout nos vœux,
Si, par votre extrême indulgence,
D'un moment de votre présence
Vous daignez honorer nos danses et nos jeux.
Sitôt que vous serez sous notre toit champêtre,
<14>Il va, transformé, vous paraître
Comme celui de Philémon,
Dont des dieux le souverain maître
En temple changea la maison.
A L'ABBÉ BASTIANI.15-a
Croyez, abbé, qu'un front tondu
Ne perd rien lorsqu'on lui confère
Ce bonnet par le haut fendu
Que tout moine et tout sot révère.
Ce bonnet vous est déjà dû,
Et je regarde cette affaire
Comme un problème résolu.
Ah! qu'on dit bien mieux son bréviaire
Lorsqu'on tient de bons revenus!
Les trésors de la terre entière
Sont destinés pour les élus.
Vous avez le bonheur de plaire
Au vieux successeur de saint Pierre,
Que Luther prend pour l'Antechrist;
De plus, vous êtes favori
De la déesse de Cythère.
L'un doit vous décorer un jour
<16>De la pourpre de ses apôtres,
Et la mère du tendre Amour
Attend de vous qu'à votre tour
Vous décoriez le front des autres.
A Potsdam, en 1766.
<17>VERS DE LA LEVRETTE DIANE A LA PRINCESSE DE PRUSSE.17-a
Une chienne en ce jour vous donne un grand exemple.
J'ai mis au monde deux petits;
Tout curieux qui les contemple
Les trouve comme moi beaux, bien faits et gentils.
Soyez marraine à leur baptême,
Et mes vœux seront accomplis,
Si, madame, dans peu vous en faites de même.
(Signé) Diane.
A Potsdam, ce 30 de novembre 1767.
<18>AU BARON DE PÖLLNITZ,18-a SUR SA CONVALESCENCE.18-b
Ah! vous voilà, mon vieux baron,
De retour des bords du Cocyte
Et du redoutable Achéron,
D'où le nocher du noir Pluton
Renvova votre ombre maudite,
En contrebande, au doux canton
Que votre serviteur habite.
Vous fîtes frissonner Caron;
Il craignit tout pour Proserpine,
Femme de réputation,
Qui n'aime point qu'on la badine.
Il sait que vous avez le don
De turlupiner du bon ton
Amis, parents, voisin, voisine.
Tout l'enfer était attentif,
<19>Comme il apprit votre venue;
Tisiphone en fut éperdue,
Minos même en parut craintif.
Tous deux, avec un ton plaintif,
Ils vinrent chez le noir monarque;
En pleurant ils dirent : « Seigneur,
Ne souffrez point que dans sa barque
Caron passe un perturbateur
Qui, des mortels le persifleur,
Serait ici notre Aristarque;
Renvoyez-le en tout honneur,
Bien vite et, s'il se peut, sans langue;
Car si là-haut, en belle humeur,
Il jase, pérore ou harangue,
Nous allons mourir de douleur
Des traits perçants de ce railleur. »
Ayant reçu cette requête,
Pluton fit un signe de tête;
L'enfer en parut ébranlé,
Mégère en rit par ironie,
Et le baron fut exilé
Au fin fond de la Germanie.
Demeurez donc chez les vivants :
Ils sont de bonne compagnie,
Moins cruels et plus endurants
Que ce Pluton, que je renie;
Et de vos propos médisants
Ils connaissent depuis longtemps
Le sel attique et la folie.
Restez donc toujours confiné,
<20>Vieux baron, sous notre tropique,
En vous gardant de la colique.
Déjà par Minos condamné,
Attendez, damné pour damné,
Que Sa Majesté diabolique,
Pour ragoûter l'engeance inique
De son grand peuple infortuné,
Peuple pervers à cœur de roche,
Lui serve un jour, pour déjeuner,
D'un chambellan cuit à la broche,
Bien apprêté, dûment offert
Par les marmitons de l'enfer.
Jusqu'au temps que le jour approche
Où vous irez chez Lucifer
Passer joyeusement l'hiver,
Dans un reste de jouissance
Réveillez votre médisance.
Vous n'irez que trop tôt là-bas,
Auprès de l'infernale engeance;
Ne hâtez pas votre trépas.
Et que gagneriez-vous au change?
Ici, vous vivez comme un ange,
Chacun vous porte sur les bras.
Dans l'enfer, un vieux satirique
Est plongé par un vieux démon
Au fond d'une chaudière antique,
Et bout aux eaux du Phlégéthon;
Dans sa cuve mélancolique
On lui donne pour compagnon
Juvénal, ou bien Hamilton.
<21>Tout ceci, baron, vous engage
A ne point hâter ce voyage.
Jouissez donc, comme à crédit,
Des jours heureux que dans votre âge
Le ciel encor vous départit.
Fait à Berlin (décembre) 1767.
<22>A LA PRINCESSE AMÉLIE.
Dans un réduit philosophique
Daignerez-vous prendre un soupé
Très-simple et même un peu rustique?
L'hôte, de vous seule occupé,
Sait que d'un apprêt magnifique
Votre esprit sage et méthodique
Ne serait que très-peu frappé.
Il compte y voir à votre suite
Les deux Grâces de votre cour,22-a
La duègne22-b dont le mérite
Près de vous fixa son séjour,
Et la nymphe22-cde notre mère,
Qui brava Stockholm et Cythère,
Et voulut à perpétuité
Conserver sa virginité.
Mais ne cherchez point, dès l'entrée
D'un asile purifié
D'orgueil et d'une morgue outrée,
La troupe imbécile et dorée
De courtisans qui font pitié.
<23>Les convives que j'ai priés
Sont la Joie en tout modérée
Avec la divine Amitié.
Puissent ces compagnes aimables
Être toujours inséparables
Chez vous, chez moi, dans tous les temps,
Et de leurs faveurs délectables
Adoucir nos derniers moments!
A Berlin, ce 31 décembre 1767.
<24>PROLOGUE DE COMÉDIE.24-a
ACTEURS :
Les neuf Muses.
Trois parlent dans le dialogue; les autres, avec leurs attributs, ne font qu'acte de comparution. Celles qui parlent sont :
Melpomène,
Calliope
et Thalie.
Notre gloire est donc éclipsée!
Mes sœurs, que deviendra notre antique grandeur?
Le mérite supérieur
D'une auguste princesse au double mont placée
Ternit notre splendeur.
Nos talents partagés sont réunis en elle,
Mes sœurs, elle est universelle.
En naissant, tous les dieux la comblèrent de dons :
Apollon la doua de ce puissant génie,
Sublime créateur de nos productions;
Le dieu du goût, suivi du dieu de l'harmonie,
<25>Lui départirent leurs présents;
Minerve couronna tant de divers talents
En y réunissant sa divine sagesse.
Mais que redoutez-vous? Ce n'est pas tous les ans
Que le ciel peut former pour l'exemple des grands
Un modèle parfait d'une auguste princesse :
Et quand par ses bienfaits signalés, éclatants,
Le ciel aux mortels s'intéresse,
On peut leur céder sans bassesse.
Cédons à ses vertus, malgré moi j'y consens.
Ses mains d'un vaste État ont gouverné les rênes,
Tous ses sujets étaient heureux;
Elle essuyait leurs pleurs, elle allégeait leurs peines,
Elle était l'objet de leurs vœux,
Et ces mains, dont la force étayait un empire,
A l'égal d'Amphion en maniant la lyre,
Savaient apprivoiser les sauvages humains;
Thèbes aurait pu voir par ses accords divins
Ses murs longtemps détruits soudain se reproduire.
Dans ses vers aisés et coulants,
Je dois vous l'avouer sans feindre,
On trouve de ces traits frappants
Auxquels nous ne pouvons atteindre.
Et pourquoi donc nous obliger
A comparaître devant elle?
<26>Des beautés que notre art recèle
Rien pour elle n'est étranger.
Ah! si je m'en croyais ......
Imitez donc mon zèle,
Ce jour se doit solenniser;
Si les efforts de l'art que nous pouvons produire
Sont insuffisants pour l'instruire,
Nous pouvons du moins l'amuser.
Momus, aux traits de la folie
Mêlant le sel attique et la vive saillie,
Causait dans le banquet des cieux
Ce rire inextinguible où se livrent les dieux;
De Momus nous avons la rivale en Thalie,
Même fonds de gaîté, mêmes propos joyeux.
Revêts tes brodequins, ma sœur, je t'en supplie;
Que la satire, sur tes pas,
Anime tes portraits d'un noble badinage;
Les sots sont placés ici-bas
Pour les menus plaisirs du sage.
Je suis tout éperdue, et sens mon corps trembler;
A l'aspect imposant d'une illustre princesse,
Sais-je si je pourrai parler?
Mais enfin, sans plus me troubler,
Domptant la frayeur qui m'oppresse,
Je puis sans me déshonorer,
Mes sœurs, moi seule lui montrer
Ce que dans le fond de son être
<27>Elle n'a pu jamais ni trouver ni connaître,
Les vices, les défauts des vulgaires humains,
Le ridicule, la sottise,
Faux pas et tours de balourdise,
Dont le monde fécond nous produit des essaims.
Et si je vous parais encor trop circonspecte,
C'est crainte de mes nourrissons;
Il est dur d'ennuyer les grands que l'on respecte,
Par de maussades histrions.
Ah! tout dégénère au Parnasse;
Les Roscius et les Barons27-a
Étaient ma véritable race,
Ceux que vous allez voir en sont les avortons;
Et quoique par mes jeux je n'ose me promettre
Un suffrage bien mérité,
Puisque le sort en est jeté,
Avancez, mes bâtards, il est temps de paraître.
ÉPITRE CONTRE MESSIEURS LES ÉCORNIFLEURS, EN GREC PHILOCOPROS.
Ah! quelle insupportable engeance
Que ces traitants, que ces commis,
Vrais excréments de la finance,
Brigands que l'enfer a vomis!
Sans les voir, je bâille d'avance,
En traçant leurs noms ennemis.
Pour des vers remplis d'élégance
Quel nom discordant que Boué,28-a
Par Apollon désavoué!
Ma plume refuse d'écrire
Ces mots, vrai jargon de l'enfer,
De Wurm, van Zanen28-a ou ...;
Mon oreille en est le martyre,
Ces noms seuls servent de satire.
Mais voyez les originaux
Chargés du fatras de leurs baux,
<29>Griffonné de leur écriture;
Les voilà-t-il pas, échauffés
Par l'intérêt et par l'usure,
Qui me salissent de l'ordure
Du change, de contrats biffés,
De grimoire, de tablature,
De billets signés, parafés,
Et de leur banque qui m'ennuie?
Les sottes gens! la sotte vie!
Je me consume et je maigris
Pour qu'un tour de nécromancie,
Que le juste ciel leur dénie,
Mette leurs billets al pari.
O plats revendeurs de carotte,
De la gloire à jamais proscrits!
Connaissez-vous les Aristote,
Les Locke, ou du moins les La Motte?
Non, grâce à vos pesants esprits,
Vous ne lisez point leurs écrits;
Votre séquelle famélique
Ne trouve de puissant attrait
Qu'aux règles de l'arithmétique;
Pousser à quinze l'intérêt,
Entasser, c'est votre logique.
Venez, messieurs du bois, venez;
Les sages du Péloponnèse
(Soit dit sans qu'il leur en déplaise)
N'avaient l'esprit si raffiné
Que vous, débitant votre thèse :
« L'argent donne au plus hébété,
Dites - vous, de l'habileté. »
<30>Ah! messieurs, je me pâme d'aise
Aux rayons de votre clarté;
Quelle abominable fadaise,
Digne de l'immortalité!
Quel est ce seigneur débonnaire?
C'est le grand fléau des brasseurs;
Les étriller est son affaire,
Ils sont fripons, ils sont voleurs.
On le croit, mais c'est un mystère
Du plus fin des écornifleurs;
S'il suce ardemment le vulgaire,
C'est qu'il croit, suivant ses docteurs,
La pauvreté très-nécessaire
Pour le maintien des bonnes mœurs
Ah! sort des rois, sort des humains,
Quel destin bizarre et baroque
Me fourra parmi ces vauriens!
Quand leurs propos, leurs entretiens,
Quand en eux enfin tout me choque,
Ah! fallait-il quitter pour eux
Ces héros que mon cœur invoque,
Et ces chants si mélodieux
D'un Homère, qui nous enflamme,
D'un Virgile, qui touche l'âme,
Parlant le langage des dieux,
Pour les cris d'un tripot infâme?
Fuyons promptement vers ces bois
Où les Muses dictent leurs lois,
Où ces neuf filles de Mémoire
Remplissaient mon cœur autrefois
Du brûlant désir de la gloire.
<31>Mes crimes doivent s'expier,
J'abjure mes erreurs sans peine;
J'irai dans les eaux d'Hippocrène
Me plonger, me purifier.
Là, sombre et dur financier,
De ta fange et de tes ordures
Je nettoyerai les souillures;
Pour toi, pourris dans ton bourbier.
Oui, j'en jure par le Permesse,
Et par toi, divin Apollon,
Que de Plutus la folle ivresse
N'offusquera plus ma raison,
Et que, rejetant ce poison,
Je te célébrerai sans cesse
Dans la demeure enchanteresse
Que j'obtiens au sacré vallon.
Faite à Berlin, 1765.
<32>ÉPITRE A VOLTAIRE.
De Chaulieu l'épicurien
Je n'eus point en don le génie;
Mais la goutte qui me retient
Sur mon grabat à l'agonie
Vient par sa généalogie
De la même dont fut atteint
Cet aimable Sybaritain.
Je vois que par détail il faut quitter la vie
Ou plus tôt ou plus tard; les ressorts sont usés :
L'un ne digère plus, l'autre a les yeux blessés;
De sourds et de perclus la gente moribonde
Transportent en ballots par bonne occasion
Leur gros bagage en l'autre monde,
Jusqu'à la dissolution
Qui rassemble le tout dans le séjour immonde.
Pour moi, je sens déjà crouler le bâtiment,
Mes pieds estropiés perdent leur mouvement;
Couvert de mes débris, je me fais une fête
Que de maux conjurés l'implacable tempête
Par hasard jusqu'en ce moment
Ait encore épargné ma tête.
ÉPITRE SUR MA CONVALESCENCE.
O brillant rayon d'espérance!
O divine convalescence!
Tu finis ces moments affreux
De maux, de tourments, de souffrance;33-a
Tu délivras un malheureux
Des supplices que lui prépare
La douleur, ce tyran barbare,
Pour lui rendre l'éclat des cieux.
J'éprouvais de cent maux le mélange bizarre,
Je sentais les tourments des gouffres du Ténare;
Alecton, s'attachant à mon corps décharné,
Sur un triste grabat me tenait enchaîné.
Tout ce que des tyrans raffinés dans les vices
Ont jamais inventé de plus cruels supplices,
Ces monstres, de mes maux barbares artisans,
Les exerçaient sans interstices
Sur mes membres perclus, à peine palpitants.
<34>La nature à mes yeux paraissait se soustraire
A mes organes défaillants,
Animés d'un souffle précaire;
Je semblais isolé dans ce triste univers;
Ce qui peut soulager, ou consoler, ou plaire,
Devenait impuissant dans ces tourments d'enfers.
Quinze fois le soleil, fournissant sa carrière,
Au globe qu'il attire a rendu la lumière,
Quinze fois, sur son char d'ébène marqueté,
La nuit a répandu sa sombre obscurité,
Sans que le doux sommeil vînt clore ma paupière.
Ma vigueur affaiblie à tant de maux cédait,
Des fantômes confus dérangeaient ma pensée,
Mes sens étaient vaincus, et mon âme éclipsée
Dans peu m'abandonnait.
Près des bords d'Achéron, de la barque fatale,
Un vrai fils d'Esculape,34-a armé pour mon secours,
M'arrache avec effort de la rive infernale,
Et vient de prolonger mes jours.
Santé, que l'on ne connaît guère
Dans les plaisirs, les jeux, les ris,
Et qu'insulte souvent la vigueur téméraire,
C'est ta privation qui fait sentir ton prix.
O moment enchanteur! ô seconde naissance!
Je revis donc pour mes amis;
Un moment m'a rendu l'espoir, la jouissance
De tous les biens auxquels les mortels sont admis;
Je vous reverrai donc, moments remplis de charmes.
<35>O sœur, à qui mes maux ont coûté tant de larmes!
O sœur, mon espoir, mon appui!
Vous m'écrivez, mon mal a fui.
Ah! si je vis, si je respire,
Si je suis délivré de mon cruel martyre,
Amitié, doux lien si peu connu des rois,
C'est à toi seul que je le dois.
Encor je jouirai de votre amitié tendre,
Je pourrai resserrer ces fidèles liens,
Vous voir, vous parler, vous entendre,
Profiter de vos entretiens.
A quoi pourrais-je plus prétendre?
Ce sont là mes suprêmes biens.
Et vous, beaux-arts, qui dans tout âge
Couronnez le bonheur du sage,
Malgré tous les assauts que l'enfer en courroux
M'a livrés dans sa sombre rage,
Relevé du tombeau, je vis encor pour vous.
Mont révéré, mont où j'honore
Les chastes filles d'Apollon,
Je pourrai te revoir encore;
Et, baissant ma lyre d'un ton,
Au lieu de célébrer l'aurore
Et l'appareil pompeux d'un beau soleil levant,
Je saurai destiner mon chant
A vanter la douceur d'un soleil qui colore
De ses derniers rayons les rives du couchant.
Ainsi nous peignons les images
Des objets qui frappent nos sens.
Lorsque j'étais dans mon printemps,
Je ne pouvais chanter que les amours volages;
<36>A présent, je gémis des funestes ravages
Des soucis, des maux et des ans.
Tout doit se succéder, chaque chose a son temps.
Mais aux noires vapeurs ne soyons point en proie :
Nos jours ne durent qu'un moment;
Si ce moment est plein de joie,
Il s'écoule plus doucement.
Vivons autant que va le fuseau de la Parque;
J'oublie et Caron, et sa barque.
Illusions, douces erreurs,
Semez encor de quelques fleurs
Le bout de ma longue carrière,
Et que la Volupté, me fermant la paupière,
Sur mon tombeau verse des pleurs.
Ainsi, sans que mon âme éprouve des terreurs,
Tranquille entre les bras de la philosophie,
De l'hiver de mes ans supportant les rigueurs,
Je verrai s'écouler les restes de ma vie,
Et j'attends sans peur qu'Atropos,
Tranchant mon fil de ses ciseaux,
Change soucis, douleurs et peines,
Erreurs, projets et grandeurs vaines,
En éternité de repos.
Le 3 d'avril 1770.
<37>ÉLÉGIE A MA SŒUR AMÉLIE, POUR LA CONSOLER DE LA PERTE DE MADEMOISELLE HERTEFELD.
Rarement en nos vœux le destin nous seconde,
Les biens avec les maux sont mêlés dans ce monde;
Jupiter, de ses deux tonneaux,
Sans qu'à nos souhaits il réponde,
Les verse sur nous à grands flots.
Rien n'est stable ici-bas, tout se métamorphose;
On naît, on s'affaiblit, le temps nous décompose,
Et ces mutations, ces changements divers
Sont les effets de cette cause
Qui renouvelle l'univers.
Si vous éprouvez des revers,
Si le bonheur vous fuit quand le destin se change,
Songez au moins, ma sœur, que les dieux, en échange,
Ont orné votre esprit des plus précieux dons,
Et qu'à moins de vous faire un ange.
Ils n'ont pu vous donner plus de perfections.
Mais quel que soit l'heureux partage
D'esprit, de vertus, de grandeur,
<38>Dont vous possédez l'avantage,
Dans ce haut degré de splendeur
Qui ne souffre aucun parallèle,
Vous demeurez enfin mortelle,
Comme nous sujette au malheur.
Il n'est, ma sœur, pour se défendre
Contre les caprices du sort.
Que de s'y préparer, de savoir les attendre,
De résister à leur effort.
Mais vous êtes frappée en un endroit sensible,
Votre amitié ressent un mal irrésistible;
O malheur! pour jamais il faut vous séparer
D'un cœur auquel le vôtre avait pu se livrer.
O jeune Hertefeld! l'éclat de votre aurore,
Qui dans mes sens glacés ranimait le plaisir,
N'a pu fléchir ni radoucir
La Mort, qui lentement vous mine et vous dévore;
Je vois son fer tranchant moissonner vos appas;
Tandis que vos amis, que Berlin vous honore,
Vous vous échappez de nos bras.
Les grâces, la beauté, nos soupirs et nos larmes
N'ont donc pu vous fournir des armes
Contre les assauts du trépas!
Telle une tendre fleur à peine encore éclose
Etale en nos jardins son coloris brillant;
Mais, rose, elle a le sort qu'éprouve toute rose,38-a
Elle se fane en un moment.
Des destins rigoureux l'arrêt irrévocable
Marqua les bornes de nos jours,
Et Némésis inexorable
<39>Attend l'instant inévitable,
Pour qu'un coup de ciseau tranche à jamais leur cours.
O mortel aveuglé! mortel plein d'imprudence!
Trop ébloui du merveilleux,
Enivré du plaisir, privé de prévoyance,
Tu formes, insensé, de ridicules vœux.
Tu comptes de remplir un long amas d'années
Par des prospérités l'une à l'autre enchaînées;
Dans ce tableau qu'un rêve à tes yeux vient offrir,
Tu te crois habitant des Iles Fortunées.
Mais un pouvoir fatal règle tes destinées,
Tu ne vis que pour voir souffrir,
Te plaindre, gémir, et mourir;
Après avoir perdu tout ce que ton cœur aime,
Ton tour vient, tu péris toi-même.
Voilà comment l'illusion
Disparaît au flambeau qu'allume la raison.
Le sort du genre humain, au vrai, tel qu'il existe.
De maux et de chagrins rempli,
Serait plus funeste et plus triste
Sans l'aide et le secours du bienfaisant oubli :
Avec une éponge il efface
Des maux les plus cuisants jusqu'à la moindre trace.
Par lui le souvenir en est même aboli.
Rien n'est fait pour durer, le bien et le mal passe.
Mais, ma sœur, si le temps peut calmer la douleur.
S'il bannit à la fin le désespoir, l'horreur
D'une perte vive et récente,
Pourquoi donc la raison, si sage et si prudente,
Ne pourrait-elle pas dominer sur nos sens,
Ramener nos esprits par sa voix éloquente,
<40>Et, tenant lieu pour nous de l'éponge du temps,
Imposer le silence à nos gémissements?
Si tout est arrangé, si tout est nécessaire,
Ce qui se fait a dû se faire;
Dans l'Olympe nos cris ne sont point entendus,
Et les jours qu'on se désespère
Ne sont que des moments perdus.
Passe encor qu'une âme commune,
En des malheurs inattendus,
Succombe sous son infortune;
Mais quand on a reçu du ciel
Le noble cœur d'une héroïne,
Lorsqu'on a comme vous l'âme toute divine,
On dompte les sanglots et le chagrin cruel.
Le monde, dès notre naissance,
Est l'école de la souffrance;
Des instants de prospérités
Sont emportés dans la balance
Par des torrents d'adversités.
Tous les temps ont fourni des spectacles tragiques,
Nos malheurs ont rempli les fastes historiques,
Tant l'homme est né sujet d'un destin ennemi.
Achille aux champs troyens enterra son ami,
Orphée a par deux fois perdu son Eurydice,
Thésée aux sombres bords laissa Pirithoüs,
Pénélope longtemps pleura son cher Ulysse,
La mort de Scipion foudroya Lélius.
Cicéron, désolé du trépas de Tullie,
Prétend que sa tombe ennoblie
Se transforme en un temple où vivront ses vertus,
Et cette attente encor ne put être remplie :
<41>Ses cendres, son tombeau, rien n'en existe plus.
Nous sommes tous soumis à cette loi commune,
Tout homme du malheur sans cesse est menacé;
Le temps présent est tel qu'était le temps passé.
Que n'ai-je point, ô Dieu! souffert de l'infortune!
A quel désastre, ô ciel! m'avez-vous exposé!
De mes pleurs mille fois je me suis arrosé.
O jour de désespoir! jour affreux de colère!
Mes propres yeux ont vu dans l'horreur du tombeau
A pas lents descendre ma mère;
D'une sœur41-1 qui m'était si fidèle et si chère
Je vis pour mon supplice éteindre le flambeau;
Des amis que j'aimais naguère
Se sont évanouis comme une ombre légère,
Et je respire encore, en les ayant perdus.
Mais en vain de leur sort mon cœur se désespère,
Malgré tous mes cris superflus,
On ne ranime point ce qui n'existe plus.
Telle est ma triste expérience;
Je le sens trop, et je connais
L'anéantissement où plonge la souffrance;
Je ne blâme donc point vos vertueux regrets.
Pensez, ma sœur, pensez, en répandant des larmes,
Que l'objet de vos pleurs, ombragé de cyprès,
N'a rien à redouter des terreurs, des alarmes;
Rien ne peut altérer sa paix.
Si j'avais le secret de ranimer sa cendre,
Si son âme pouvait vous voir et vous entendre,
Ah! ma sœur, elle vous dirait :
« Princesse, modérez une douleur si tendre
<42>Pour un fantôme, hélas! qui fuit et disparaît.
Cette douleur un jour peut vous être cruelle,
Un corps débile et faible a tout à craindre d'elle,
Par le chagrin rongeur la santé se tarit;
Si vous en éprouvez l'atteinte la plus frêle,
C'est une blessure mortelle
Pour un frère qui vous chérit. »
A peine, ma sœur, je respire;
Veuille le ciel pour vous exaucer mes souhaits!
Les morts ont le droit de tout dire,
Moi, je vous respecte et me tais.
A Potsdam et à la Vigne,42-a ce 13 avril 1770.
<43>VERS DE L'EMPEREUR DE LA CHINE.43-a
En dépit de l'Europe et du mont Hélicon,
Ma gloire est assurée et mon poëme43-b est bon;
Les vers qu'un empereur et son conseil travaillent
Sont lus par les Chinois, sans que jamais ils bâillent.
Welches occidentaux, gens pesants ou légers,
Censurez vos écrits, mais respectez mes vers.
L'éloge de ma ville43-b est hors de toute atteinte,
Elle vaut et Paris, et votre cité sainte.
Vous me nommez encore un certain Frédéric,43-a
Dont jamais à Pékin n'a parlé le public;
Je vois, du haut du trône où le Chang-ti me range,
Cet insecte du Nord rimailler dans la fange,
Et cheviller ses vers froids, ennuyeux et plats.
<44>Et qu'un roi Scandinave, excédé des frimas
Dont les sombres vapeurs offusquent sa patrie,
Aille à Paris chercher et bal et comédie,
Empereur du Cathay, devrais-je l'imiter?
Tous mes vœux dans Pékin pourront se contenter;
Je suis de mes États le plus fameux poëte,
Ni césure, ni sens, ni rime ne m'inquiète.
Qui pourrait me siffler? seraient-ce les lettrés?
En payant leur encens, mes vers sont admirés.
On trouve ici des fous comme on en voit en France,
Bigots ou rimailleurs, gens pétris d'insolence :
L'homme est partout le même, et ses traits différents
Ne changent point l'esprit, les cœurs, les sentiments;
Ce sont d'autres travers et d'autres ridicules.
Et j'irais à Paris pour y voir nos émules,
Pour qu'un peuple indiscret, me désignant des doigts,
S'écrie, en me heurtant : Il a l'air bien chinois!44-a
Que m'importe, après tout, qu'alléguant Aristote,
Ou saint Thomas, ou Scot, en Sorbonne on radote,
Qu'on damne Confutzé, invoquant saint Denis,
Qu'on vous peuple l'enfer, comme le paradis,
Au gré d'un tonsuré dont l'étrange caprice
Dans un monde fictif vous envoie au supplice?
Mon bon sens, que l'erreur n'a jamais obscurci,
Rit de cet autre monde, et tient à celui-ci.
Ici tout bon Chinois fixe sa résidence,
Il est fort en vertus, mais débile en croyance,
Chérit la vérité, répugne aux fictions;
Dur comme un géomètre en ses opinions,
<45>Au bonze fanatique, à l'ignorant brahmane
Il laisse avec mépris un culte tout profane.
Tandis que, me livrant aux jeux de mon loisir,
Mes vers sans nul effort coulent avec plaisir.
Et que mon âme heureuse en rien n'est alarmée,
Je vois vers l'Eucathay voler la Renommée;
Elle paraît manquer d'organes suffisants
Pour publier partout des succès étonnants.
Aux bords du Pont-Euxin, mon illustre voisine
Fait trembler le croissant au nom de Catherine,45-a
De l'Araxe au Danube étendant ses exploits,
Tient les fiers Musulmans sous ses augustes lois :
La fortune est pour elle inutile à sa gloire,
Elle va constamment de victoire en victoire,
Et son grand cœur préfère, au comble des succès,
A ses lauriers sanglants l'olive de la paix.
Moi, Mantchou chinoisé, mon tapabor en tête,
De son rare bonheur je me fais une fête,
Et ne puis envier ses triomphes voisins,
Qui sont le digne fruit des plus vastes desseins.
La Renommée, après ces fameuses querelles,
Des peuples d'Occident nous donne des nouvelles;
Elle suffit à peine à ces vastes récits,
Et nous raconte enfin en des termes choisis
Qu'il se fait à Paris des choses sans pareilles.
Les Welches depuis peu produisent des merveilles,
Ils couvent un projet plus digne des Anglais.
Des Grecs et des Romains, que des légers Français.
Moi qui, toujours fixé dans ma terre natale,
Suçais avec le lait la morgue impériale,
<46>N'aurais jamais quitté qu'au moment de la mort
Mes sujets, mes États, et mon trône tout d'or,
A présent un désir qui passe la croyance,
Digne d'un empereur et d'un sage qui pense,
M'entraîne vers Paris, où, malgré les censeurs,
On veut récompenser les talents enchanteurs.
A l'Homère français s'érige une statue;46-a
Ah! pour me rajeunir qu'on l'élève à ma vue,
Ce spectacle charmant réveille mes esprits;
Partons subitement, et volons à Paris.
J'aime à voir le grand homme, honoré dès sa vie,
Écraser sous ses pieds les serpents de l'envie,
Respirer à longs traits cet encens, ces parfums
Que le public cruel n'accorde qu'aux défunts.
Mais cela vu, je pars, sans parler à personne,
Fuyant avec dédain les fous de la Sorbonne,
Les grimauds du Parnasse, phénomènes d'un jour,
Les lourds financiers, les freluquets de cour,
Les faiseurs de projets, les charlatans de prêtres,
Les ignorants titrés, et les fats petits-maîtres.
Aux rives de la mer je vole en palanquin;
Les vents et mon vaisseau me rendront à Pékin,
Où, tandis qu'au couchant tout ressent le désordre,
Je chasserai chez moi saint Ignace et son ordre.
AU MARQUIS D'ARGENS SUR SON JOUR DE NAISSANCE.47-a
En ce grand jour naquit le fameux Jean-Baptiste,
Non pas ce dur docteur baptisant les Hébreux,
Dont le peuple au désert allait suivant la piste,
Mais le marquis d'Argens, auteur fort lumineux,
Et qu'en lieu solitaire on ne voit de coutume.
Ce sage a pris son gîte en un bon lit de plume;
L'impassibilité l'éloigna des travaux,
Il s'endort mollement dans les bras du repos.
A Philippsbourg son front fut surchargé d'un casque,
Bientôt après d'un juif il emprunta le masque,47-b
Pour draper librement les fous et les bigots.
Que son front soit toujours ombragé de pavots,
Et que, sans se nourrir de miel, de sauterelles,
Il puisse un jour atteindre aux ans de Fontenelle!47-c
Par son très-humble et très-obéissant serviteur,
le poëte de sa cour,
Fr.
CODICILLE.
Del Bene48-2 avait raison, j'adopte le système :
Le monde, disait-il, se gouverne lui-même.48-a
Les trônes, de son temps, étaient tous occupés
Par de faibles esprits de faste enveloppés,
Qui, flottant incertains au gré des conjonctures,
Signalaient tous leurs pas par de fausses mesures.
Les rois, depuis son temps, ne se sont point changés;
Par la honte des grands les sujets sont vengés.
Le siècle nous fournit des souverains en foule,
Jetés et modelés dans cet ancien moule;
J'en sais d'inférieurs à ceux de ce temps-là.
Autrefois Julien au public dévoila
De ses douze Césars l'esprit, les caractères.
Si j'osais, comme lui, révéler des mystères,
J'userais mes couleurs, j'userais mes pinceaux,
Avant que d'achever ces indignes tableaux.
Aristarque des rois, de mordante mémoire,
O toi, sage Arétin,48-b le fléau de leur gloire!
Ma voix t'invoquerait, afin que ton instinct
M'inspirât dans ton goût quelque couplet malin.
Cependant, cher lecteur, si la plaisanterie
<49>Peut distraire ou charmer ta sombre hypocondrie,
Je vais légèrement et sans art te croquer
Des traits rendus au vrai, mais non pour t'en moquer;
J'ose espérer que Dieu tout bon me le pardonne.
Je respecte les grands, et, ne nommant personne,
Je brave la Bastille, et je ne m'attends pas
D'habiter des cachots peuplés de scélérats;
Mes traits sont émoussés, ma plume circonspecte
Jamais d'un fiel amer en ses jeux ne s'humecte.
Mais allons droit au fait et contons uniment.
Vois ces rois; ils sont là pour ton amusement :
Tel paraît dans sa cour comme un lourd automate
Exténué d'ennuis, sujet au mal de rate;
Maîtresse, favoris, ministres, courtisans
Lui cherchent des plaisirs, en y perdant leur temps.
Il faut, pour ranimer sa masse léthargique,
Exposer à ses yeux la lanterne magique,
Et lorsqu'à son conseil il se trouve présent,
Il entend sans entendre, et ressort en bâillant.
O fortuné pays! heureuse monarchie!
Conseil de quatre rois, règne de l'anarchie,
Mais toujours, sous la main du bon frère Lourdis,49-a
Guidé par des fripons ou par des étourdis!
Que voyez-vous là-bas? Un enfant sur le trône,
<50>Tremblant, et redoutant la cour qui l'environne,
Roseau, jouet des vents, qui plie au moindre effort,
Servilement soumis aux lois de son mentor.
Impitoyablement le peuple le ballotte,
Le meilleur persifleur passe pour patriote;
Ce pauvre potentat, honni, turlupiné,
Voit et le diadème et son nom profané.
Cet autre est occupé d'une génisse blanche,50-a
En lui pressant le sein, c'est sa soif qu'il étanche;
Aux bords de ce ruisseau, les yeux sur l'hameçon,
Tout son salut dépend d'attraper un poisson.
S'il manque de savoir, d'esprit ou de courage,
Il emprunte le tout d'un ministre qu'il gage;
Parmi les végétaux il aurait figuré.
Quel scarabée, ah dieux! a-t-il donc engendré!
C'est un roi, le voilà; dans sa cour attroupée,
Avec sa femme encore il joue à la poupée.
Non loin de ses États est un vieux radoteur,
Plus fourbe que bigot, mais cruel exacteur
De ses sujets foulés, du pauvre qu'il opprime.
Il déteste à présent son vieux métier d'escrime;
De l'abbé de Saint-Pierre adoptant les projets,50-b
Il s'attend à jouir d'une éternelle paix.
Là, dans le fond du Nord, un autre roi réside,
Bon chevalier errant, mais bourse et tête vide;
Quittons sa cour, passons ce court trajet de mer.
Dans ce pays fécond en soldats comme en fer
Règne sur des sujets accablés de misère
Un roi; mais il n'en est que le roi titulaire,
<51>Le sénat prudemment s'empare de son seing,
Pour promulguer ses lois au nom du souverain.
Là-bas, un autre fou, roi de nouvelle date,
Se pavane et s'encense en vainqueur du Croate;
Mais, bourgeois gentilhomme, il prétend être intrus
Chez ces vieux souverains, si fiers et si bourrus;
Un refus à sa suite attire une bataille.
De tous ses ennemis le scélérat se raille;
Mais, devenu vieux loup, n'ayant griffes ni dents,
Ses voisins sont en paix à l'abri de ses ans,
A moins que le démon qui l'obsède et l'inspire
Ne verse encor sur eux les flots de sa satire.
Dans la proximité des États de ce roi,
Sur un peuple abruti, sans police et sans loi,
Il est un souverain, vrai roi de l'anarchie,
Élevé par hasard à cette monarchie;
Amoureux de ruelle, et prince sans vigueur,
Il est Russe, il est Turc, rien dans le fond du cœur.
Tandis que la discorde à ses yeux se déchaîne,
Que le royaume en feu ne se soutient qu'à peine,
Tranquille en son palais, son âme est sans ressort,
Il laisse la fortune arbitre de son sort.
Si je voulais encor grossir ce catalogue,
J'aurais un magasin de matière analogue;
Mais il est des sujets que l'on doit respecter,
N'écrira jamais bien qui ne sait s'arrêter.51-a
Ah! qu'en réflexions cette matière abonde!
Voyez ces vils mortels, ils sont maîtres du monde;
Qui ne passera pas, s'il s'arrête à leurs mœurs,
<52>Du mépris de ces rois à celui des grandeurs?
Arbitres des humains, et demi-dieux sur terre,
Ce sont ces fainéants qui lancent le tonnerre;
Tout accourt à leur voix, leurs sujets de tout rang
Vont répandre pour eux le reste de leur sang;
Tout leur État conspire à les couvrir de gloire,
Mais l'avenir dans peu ternira leur mémoire.
En quelles mains, grand Dieu, mîtes-vous le pouvoir!
Au travers de leur faste il est aisé de voir
Que leur rôle emprunté, ce fardeau qui les peine,
Veut de plus forts acteurs pour briller sur la scène.
Voyez à l'entour d'eux ministres, conseillers
Intriguer, cabaler pour être les premiers;
Souvent tout est réglé par un roi subalterne
Qui pour son fainéant travaille, agit, gouverne,
Tandis que dans la cour la contradiction
Replonge encor l'État dans la confusion :
Voilà comme en nos jours le ridicule abonde.
Qui donc, répondez-moi, qui gouverne le monde?
Sont-ce ces potentats? Je vous réponds que non.
Serait-ce leur conseil rempli de déraison,
Qui bronche à chaque pas, qui vit sans prévoyance,
Péchant ou par faiblesse, ou par trop d'arrogance?
Quoi! ces fous, ignorants dans l'art de gouverner,
Qui vivent sans penser, juger, ni combiner,
Prétendent hardiment qu'un sage les honore?
Ah! qu'on double pour eux la dose d'ellébore,
Pour purger leurs cerveaux de projets gangrenés.
Qu'ont-ils produit de grand, ces rêveurs forcenés?
Du bruit et peu d'effet, de la tracasserie,
La discorde des rois, les maux de la patrie,
<53>Et le plaisir, flatteur pour un plat polisson,
De voir le gazetier occupé de son nom.
Mais la fatalité qui des humains dispose,
Qui lia les effets à leur secrète cause,
Se rit de leurs projets inspirés par l'erreur,
Et, choquant leur orgueil, et blessant leur hauteur,
Fait voir que leur coursier n'était qu'une haridelle.
On les chante au Pont-neuf? Sottise, bagatelle!
Contents de leur mérite, ils poursuivent leurs pas
En dignes rejetons du pur sang de Midas.
Comme on voit par hasard dans des terrains sauvages
De grands chênes chargés de frais et beaux feuillages,
Il se rencontre aussi parmi les potentats,
Dans ce nombre infini de possesseurs d'États,
Quelque esprit moins sujet à de lourdes fredaines.
L'univers est surpris par de tels phénomènes,
On prodigue pour lui l'encens et le parfum;
Quelle merveille! un prince avoir le sens commun!
L'Europe se récrie, elle a peine à le croire.
Bientôt un envieux barbouille sa mémoire,
Les sots et les pédants se mettent à crier :
C'est un ambitieux, c'est un tracassier,
Il respire le trouble, il cherche les querelles;
Envoyons-le rôtir aux flammes éternelles!
D'autres disent tout bas : Il fait, il règle tout,
Mais, pour le voir tomber, attendons jusqu'au bout.
Tant ce vieux préjugé s'est gravé dans leur tête,
Qu'on ne peut être roi sans qu'on soit une bête.
Les conseils et les chefs de tant de nations
Devraient donc tous loger aux Petites-Maisons.
Ce n'est pas mon arrêt, princes, qu'on vous y loge,
<54>Je respecte le droit que le public s'arroge;
Je sais que l'Arétin pouvait vous corriger,
Les bons temps sont passés, il faut vous ménager.
Accoutumés aux vœux d'une cour idolâtre,
Vains de représenter sur un vaste théâtre,
Qui voudrait devant vous gloser en badinant
Périrait foudroyé dans votre appartement :
Le calus endurci résiste à la censure.
Que les rois à leur gré suivent donc leur allure,
Que le sot ait le pas sur les gens à talents.
Que l'insensé parvienne aux postes importants,
Qu'un pilote hébété les guide à l'aventure,
Que son vaisseau se brise et rompe sa mâture,
Je ne dirai plus rien à ces cerveaux perclus :
Prêcher devant des sourds sont des discours perdus.
Del Bene avait très-bien résolu ce problème,
Car le monde en effet se gouverne lui-même.
ÉPITRE AU LIT DU MARQUIS D'ARGENS.
O meuble fait pour charmer le repos!
Toi que Morphée ombragea de pavots,
Du doux sommeil compagnon légitime,
Soulagement à l'âpreté des maux,
Souffre un moment que ma muse t'anime,
Et sens, ô lit! tout le prix que tu vaux.
Tu ne sais point quel est l'esprit sublime
Que tu soutiens mollement sous son dos;
C'est ce d'Argens, la terreur des bigots,
Ce grand Isaac que tout Paris estime,
Qui foudroya les préjugés, les sots.
<56>Sur ton chevet sa cervelle féconde
Conçoit des plans, et mûrit ses écrits
Si promptement publiés dans le inonde,
Et dont Bourdeaux56-3 connaît si bien le prix.
Mais, mon cher lit, ta nature stupide
N'a point senti jusqu'où va ton bonheur.
Jamais la flamme amoureuse d'Ovide
N'eut pour Corinne une aussi vive ardeur;
Sa passion n'eut point cette fureur
Que ton marquis témoigne pour tes charmes.
Quand il te quitte, en proie à sa douleur,
Il veut en vain nous cacher ses alarmes;
Jamais ne fut un plus fidèle amant.
Plutôt Nisus dans sa course fatale
Aurait trahi son fidèle Euryale;
Plutôt Orphée aurait vécu content,
Seul et toujours séparé d'Eurydice;
Ou Pénélope, absente encor d'Ulysse,
Aurait donné au premier poursuivant
Avec sa main son empire vacant,
Avant qu'on vît ton marquis, le modèle
D'un Céladon, d'un soupirant fidèle,
Quand l'ombre arrive et que le jour s'enfuit,
Passer sans toi la moitié d'une nuit.
Pour ton duvet, qui sent la pourriture,
Et tes vieux draps aussi crasseux qu'usés,
Et tes rideaux déchirés et percés,
Et tes coussins avec la couverture,
<57>Ton bon patron quitterait, je l'assure,
Bibliothèque, amis, biens et parents,
Pour végéter entre tes draps puants.
Est-il chez nous un goût qui s'éternise?
En jouissant, bientôt l'amour s'épuise;
Dans quel pays vit-on des soupirants
Dont les beaux feux aient duré cinquante ans?
Quel Cupidon eut jamais barbe grise?
O lit! toi seul, et je m'en scandalise,
Tu sus fixer notre inconstant d'Argens.
Mais quel miracle! observe que le temps,
Qui détruit tout dans sa course rapide,
De tes faveurs l'a rendu plus avide :
Naguère au moins dans tes crasseux réduits
Il se bornait à se fourrer les nuits;
Mais à présent, moins sage et moins timide,
Plus acharné dans ses folles amours,
Tu le retiens et les nuits et les jours.
O vous, grands dieux qu'a célébrés ma verve!
Toi, dieu du Pinde, immortel Apollon,
Auguste, sage et prudente Minerve,
Vengez les arts, et vengez votre affront.
Souffrirez-vous que ce marquis transfuge,
Que ce d'Argens, loin du sacré vallon,
Au fond d'un lit se soit fait un refuge,
Et qu'oubliant votre culte et son nom,
En entassant les pavots et l'opium,
Sur son chevet il élève un trophée
A son idole, à son pesant Morphée?
Armez vos bras, et rendez aux beaux-arts
<58>Ce nourrisson déserteur et rebelle,
Et qu'arraché du sein de sa ruelle,
Il n'ose plus quitter vos étendards.
(7 février 1754. Voyez la lettre du marquis d'Argens à Frédéric,
datée du jour suivant.)
AU MARQUIS D 'ARGENS.
Redoutez-vous, marquis, la clameur importune
De nos ennemis les bigots?
Enhardis par mon infortune,
Vous les voyez sur moi s'élancer à grands flots.
Je compare ces cris des docteurs idiots
A ceux d'un gros mâtin aboyant à la lune;
L'astre, sans y prêter attention aucune,
Continue en repos son majestueux cours.
Ayons un sens de moins, marquis, rendons-nous sourds,
Et, sachant imiter cette auguste planète,
Laissons le fanatique, au fond de sa retraite,
Librement contre nous tempêter et hurler;
Ses malédictions ne pourront nous troubler.
Que m'importe que me respecte
Un scarabée, un vil insecte?
Il ne mérite pas qu'on daigne l'écraser.
Ce sont là les beaux fruits que m'ont valus mes œuvres.
J'ignore par quel tour et par quelles manœuvres
Quelque scélérat de métier
A l'aide du larcin a pu les publier;59-a
Amant respectueux des filles de Mémoire,
<60>Reçu chez Calliope, admis près de Clio,
Sans être insensible à la gloire,
J'étais poëte incognito.
Je n'ai jamais voulu, m'affichant pour poëte,
Étourdir les passants du bruit de ma trompette,
Ni répandre mes vers dans l'idiot public,
De ses vains préjugés esclave pour la vie;
Je ne suis pas si fou, et n'eus jamais le tic
D'éclairer son faible génie
Aux rayons du flambeau de la philosophie.
Peut-il sentir, peut-il goûter
Des vers où le bon sens s'allie
Aux grâces de la poésie?
Il n'est fait que pour végéter.
Je l'abandonne à sa bêtise,
L'erreur est sa divinité,
Et tout auteur le scandalise
Qui lui montre la vérité.
Quand encor le démon du Pinde me domine,
Que mon esprit appesanti,
Se ranimant, excite un feu presque amorti,
S'il m'échappe en riant une pièce badine,
Sans que mon nom soit compromis,
Sans penser au public, ma muse la destine
A désennuyer mes amis.
(Mars 1760.)
<61>ÉPITRE AU MARQUIS D ARGENS, SUR LA PRISE DE SCHWEIDNITZ.
Si j'étais le bonhomme Homère,
Je chanterais en beaux vers grecs,
Ni chevillés, ni durs, ni secs,
Le grand exploit qu'on vient de faire.
Si j'étais monsieur de Voltaire,
Par le dieu du goût inspiré,
Et par conséquent sûr de plaire,
Je vous peindrais Schweidnitz livré
A Tauentzien, à ce Lefebvre,
Dont les bras l'ont récupéré,61-a
Et de loin, de colère outré,
Loudon, qui s'en mord bien la lèvre.
Ne me croyez point assez fou
Pour fabriquer une Iliade
Sur ce siége achevé par nous;
Je laisse la rodomontade
<62>A l'orgueil révoltant et fade
Dont s'infatuent nos jaloux.
Enfin la place est donc reprise,
Et nous réparons la sottise
De ce butor de commandant
Qui la perdit naguère un an.
Les postillons pourront vous dire
Ce que j'omets ici d'écrire
Du feu, des bombes, du canon,
Des approches, sapes, tranchées,
Des palissades arrachées,
Du globe de compression,
Des assauts, des brèches jonchées
De pandours sans confession
Précipités dans l'Achéron.
Ma muse humaine et plus timide,
Ni de sang, ni de mort avide,
Abhorre ce lugubre ton.
Qu'une autre muse boursouflée
Chante l'Europe désolée,
Victime de l'ambition,
Dans les champs de la fiction
Je choisis plutôt des images
Qui plaisent aux esprits volages
Que les feux et l'explosion
Du Vésuve et de ses ravages.
Quand de Noé le beau pigeon,
Vrai messager de patriarche,
L'olive au bec, volant à l'arche,
Apportera dans ce canton
La nouvelle tant désirée
<63>D'une paix sûre et de durée,
Alors, tout rempli d'Apollon,
Cédant à l'ardeur qui m'embrase,
Et piquant des deux mon Pégase,
Je volerai vers l'Hélicon.
Mais en passant, je vous supplie
Que ma muse fort affaiblie,
Et que le froid de l'âge atteint,
Ranime son feu presque éteint
Au brasier de votre génie.
Ah! marquis, quelle est ma manie!
Tandis que, par Bellone astreint
A risquer chaque jour ma vie
Pour les foyers de ma patrie,
Plus Don Quichotte que jamais,
Je ferraille encore à l'excès
Contre la grande hydre amphibie
Que compose la Germanie,
Au très-chrétien roi des Français
Par la Pompadour réunie,
Jointe à la Suède, à la Russie,
Dois-je, hélas! penser à la paix?
Cette paix se fera sans doute;
Quand et comment? je n'y vois goutte :
Mon âme, lente à s'agiter,
N'a pas le don de s'exalter.
Très-incrédule en fait d'augure,
J'ignore encore incessamment
Quelle espèce d'événement
Produira l'aurore future;
Et bien moins puis-je deviner
<64>Quand ces potentats en démence,
Las enfin de nous ruiner,
Arrêteront leur insolence.
Ah! quel roi, quel sot animal,
S'écriera mon marquis caustique,
Qui, trottant comme un caporal,
Ignore de la politique
Le grimoire conjectural!
Quoi! d'une infortune imprévue
Il s'en prend au sort, il s'en plaint?
Un monarque à si courte vue
Devrait loger aux Quinze-Vingts.
Ah! marquis, n'allez pas si vite;
Souffrez plutôt que je vous cite
Un trait du Nouveau Testament.
Apprenez donc par mon organe
Que les scribes, impunément
A l'Homme-Dieu cherchant chicane,
Lui montrèrent publiquement
Une Israélite adultère,
Lui demandant quel châtiment
Elle méritait pour salaire.
L'Homme-Dieu, doux et débonnaire,
Leur répondit très-sensément :
« Race pécheresse et perfide,
Qui de vous se croit innocent
Lève une pierre et la lapide. »
Aucun scribe ne lapida,
Et, confondu par le Messie,
Chacun se tut et s'en alla;
Et voilà mon apologie.
<65>Croyez, marquis, que ce trait-là
A mon sujet très-bien s'applique.
Depuis Machiavel à Kaunis,
De Richelieu jusqu'à Bernis,65-a
Il ne fut point de politique,
Pussiez-vous tous les réunir,
Dont la raison géométrique
Ait pu déchiffrer l'avenir.
Qu'ils viennent donc à la barrière.
Ces grands scrutateurs du destin,
Et qu'un infaillible devin,
En levant la main la première,
A l'honneur de l'esprit humain
Sur moi lance à l'instant sa pierre.
(Octobre 1762.)
<66>AU MARQUIS D'ARGENS, SUR UN RHUME QUE LUI GUÉRISSAIT LE MÉDECIN LIEBERKÜHN.66-a
Vous ignorez jusqu'à présent
D'où vous vient cette maladie
Qui vous mène, toussant, crachant,
Sous terre, en triste compagnie.
De votre docteur ignorant,
Qui jase avec effronterie,
Et vous farcit très-lourdement
Des drogues de sa pharmacie
Et de grands mots d'anatomie,
Vous croyez le raisonnement.
Que vous dit-il? Que votre vie
Est dans un danger imminent.
On voit que votre mal empire,
C'est une vérité de fait;
Le médecin doit-il redire
Ce que par malheur chacun sait?
<67>Vous soulager est son affaire;
Mais saisir les sources du mal,
C'est ce dont votre original
Paraît ne s'embarrasser guère.
Hier au soir, tout solitaire,
Je réfléchissais à loisir
Sur les moyens de vous guérir.
Je disais : O destin contraire!
Contre d'Argens qui peut t'aigrir?
Ne poursuis plus en ta colère
Sa personne qui m'est si chère;
Le marquis ne doit point mourir.
De larmes mes yeux s'obscurcirent;
Fatigué, mes sens s'assoupirent,
Et las de m'entendre gémir,
Le doux sommeil vint m'endormir.
Pendant qu'ainsi je me repose,
L'esprit encor plein des regrets
De vos maux et de leurs progrès,
Ma paupière à peine était close,
A peine je m'assoupissais,
Que soudain du fond d'une nue
Paraît un fantôme à ma vue,
Tout environné d'arguments,
A l'œil vif, aux regards perçants.
La Vérité, si peu connue,
L'aimait comme un de ses amants,
Et de ses rayons éclatants
Ombrageait sa tête chenue.
C'était Bayle, qui si longtemps
Lutta contre les vrais croyants.
<68>« Je viens du palais d'Uranie,
Dit-il, pour te sauver d'Argens;
C'est mon fils, je suis son Élie,
Que mon esprit le fortifie.
Ses docteurs sont des ignorants;
Son mal n'est point la pulmonie,
C'est réplétion de génie.
Il faut que son cerveau purgé
Soit subitement déchargé
Par une main sage et hardie
Du fiel que contre les bigots
Il a distillé dans son âme,
Sinon tu verras qu'Atropos
Va sans pitié trancher sa trame.
Laisse-lui déchirer ...,
Qu'il travaille sur Ocellus,68-a
Et que son ardeur ranimée
Commente longuement Timée,68-a
En frondant cet amas d'abus
Dont tous les peuples sont imbus. »
Il disparaît, et je m'éveille.
Ah! marquis, mettez à profit
Le récit de cette merveille;
Qu'il soit ainsi que Bayle a dit.
Déjà votre teint s'éclaircit,
Votre peau redevient vermeille,
La mort vous respecte et s'enfuit.
La santé paraît; votre rhume,
Se distillant par votre plume,
<69>Répandra son impureté,
Son venin et son âcreté
Sur plus d'un monstrueux volume.
Tremblez, pédants, docteurs fourrés,
Qui de vos mystères sacrés
Et d'un ramas d'absurdes fables
Amusez les sots méprisables
Dont vos autels sont entourés.
Déjà sa trompette résonne,
La renommée en tous lieux sonne,
Partout on l'entend proclamer
Que votre toux vous abandonne,
Que vous vous sentez enflammer
De courroux contre la Sorbonne.
Tous les bigots de s'alarmer,
Chacun d'eux craint pour sa personne;
On croit dans leur tripot bouffon
Que vous, nouveau Bellérophon,
Vous terrasserez la Chimère;
Leur saint troupeau s'en désespère.
Tel, quand de ses puissantes mains
Jupiter saisit son tonnerre,
On voit de crainte, sur la terre,
Trembler l'amas des vils humains :
Ainsi le marquis de son foudre
Va frapper et réduire en poudre
L'erreur, les prêtres et les saints.
AU MARQUIS D ARGENS, SUR LE RHUME QUI, AVEC LIEBERKÜHN, LE TENAIT AU LIT.
Vous ignorez jusqu'à présent
D'où vous vient cette maladie
Qui vous mène, crachant, toussant,
A la fin de la comédie
Que tout mortel jouera céans.
N'en croyez point la pharmacie,
Ni l'absurde raisonnement
D'un docteur dont l'effronterie
Veut prouver par l'anatomie
Que vous souffrez réellement,
Et qui, pour vous rendre à la vie,
Va vous droguer cruellement.
Longtemps, à tête réfléchie,
Sur vos maux, que Babet70-a publie,
J'avais usé mon jugement.
Une nuit où tranquillement
Je dormais, mon âme assoupie
S'abandonnait tout mollement
<71>Aux accès de sa rêverie,
Lorsque je crus voir Uranie,
Dans la main un compas tenant.
Je suis depuis longtemps l'amie,
Dit-elle, de mon lit s'approchant,
De ce d'Argens qu'on vous envie.
Apprenez quelle est l'ennemie
Qui le poursuit si vivement;
Son nom est la Théologie.
Non, il n'est point dans tout l'enfer
Un monstre plus abominable;
Son cœur est plus dur que le fer,
Sa haine est toujours implacable.
Son courroux naquit sûrement
D'un mot que par plaisanterie
D'Argens a lâché sur ...,
Ou d'un trait plus fin, plus sanglant
Contre le .....;
Depuis ce jour, sincèrement,
Elle hait sans discernement
Philosophe et philosophie.
Dans son premier emportement,
Son poil affreux se hérissant,
Tout ce qui s'offre à sa furie,
D'abord elle l'excommunie.
Eh quoi! l'on ose m'attaquer!
Dit-elle; et quelle main hardie
Sans trembler peut me critiquer,
Et publiquement démasquer
Mes tours de charlatanerie?
Ah! qu'il apprenne à respecter,
<72>Cet infâme apostat, ce traître,
Tous ceux à qui, sans les connaître,
Il a le cœur de se frotter.
Qu'importe que mon crédit baisse,
Que la sainte inquisition
Ne rôtisse plus en mon nom,
Par zèle et par délicatesse,
Tous ces fous dont l'opinion,
Contraire à mon ambition,
Ou me scandalise, ou me blesse?
Non, non, je ne suis pas si bas,
Pour dévorer ces attentats
Sans manifester ma vengeance;
J'ai des moyens en abondance,
Je veux m'en servir dans l'instant.
Elle part, et va promptement
Chez sa sœur la Sorcellerie.
Là, tout ne vit que par magie,
Son antre affreux n'est point réel;
On y voit des images vaines
Et des fantômes par centaines,
Mercure, Astaroth, Gabriel,
Des satyres et des sirènes;
Là, pensant lire dans les cieux,
On bouffit les ambitieux
Des vains objets et des chimères
Qu'avaient trop adoptés nos pères.
Là s'est tapi le vieux serpent,
Et son tortueux instrument,
Dont Eve fut un peu tentée,
Quand la pomme elle eut entamée,
<73>Ce qui très-malheureusement
Nous maudit éternellement.
C'est là qu'arriva la harpie,
Digne d'habiter ce séjour;
Elle se presse avec furie
Entre les farfadets de cour,
Et près du trône aussitôt crie :
Sachez, ma sœur, qu'on m'humilie;
Un Français, un marquis maudit,
Veut nous ravir notre crédit;
C'est un philosophe, un impie,
Il rit de la crédulité,
Et veut, pour comble de folie,
N'admettre que la vérité.
Ah! ma sœur, il faut qu'on le tue,
Ou pour jamais je suis perdue,
Et vous aussi, car vos destins
Sont en tout semblables aux miens.
Allons, que votre art s'évertue;
Broyez-moi, sans perdre de temps,
Les poisons les plus violents.
Oui, répondit la sorcière,
J'exaucerai votre prière;
Je veux que ce marquis d'Argens,
Notre ennemi depuis longtemps,
Pour payer son effronterie
Soit atteint de la pulmonie.
Mais il nous faut des actions,
Et non pas de vaines paroles;
Faisons nos conjurations,
Leurs vertus ne sont pas frivoles.
<74>Puis son esprit aliéné
Se trouble et tombe en frénésie;
Telle, montant sur son trépied,
Parut à Delphes la pythie.
Son corps s'agite, elle frémit,
Puis d'un ton terrible elle invoque
L'astre présidant à la nuit;
Aux durs accents de sa voix rauque,
La terre tremble et le jour fuit,
Tout se confond dans la nature,
Et parmi ce trouble et ce bruit
On entend un affreux murmure,
Éole a déchaîné les vents.
Déjà la sorcière impure,
En soulevant les éléments
Avec les aquilons barbares,
Sur un tas de vapeurs chargea
Des asthmes, rhumes et catarrhes,
Et, les poussant, les obligea
De fondre tous sur la retraite
Que le bon marquis s'était faite.
Précédés de longs sifflements,
Arrivèrent les ouragans;
A vous, par un effet magique,
Tout leur venin se communique.
Voilà mon marquis alité,
Toussant, crachant comme un étique,
Et moi dans la perplexité.
Tandis que sur vous se déploie
Le mal avec son âpreté,
Quel est le triomphe et la joie
<75>Qui brille avec férocité
Dans les yeux de votre mégère!
C'en est fait de la vérité,
Dit-elle, et mon règne prospère.
Elle croit que dans les poumons
Consiste toute l'éloquence,
Et qu'un rhume et des fluxions
Réduisent un sage au silence;
Car elle entendait l'ignorance
Plus applaudir dans des sermons
Les cris aigus que la science.
Mais mon marquis l'attrapa bien :
Si la toux le force à rien dire,
Sans pérorer il sut écrire,
Et lui dédia Julien.75-a
AU MARQUIS D'ARGENS.
Ah! cher marquis, quel grand sujet d'envie!
Vous n'êtes plus le seul dont Atropos
Dans nos cantons ait menacé la vie;
Tout comme vous, j'eus une maladie;
Un gros catarrhe, en m'accablant de maux,
A de Berlin réjoui les bigots.
Mon sang pressé, trottant de veine en veine,
S'accumulant, oppressait mon cerveau,
Et redoublait la fièvre et la migraine;
De mes poumons, en forme de jets d'eau,
On vit jaillir des gerbes d'écarlate.
J'ai vu pâlir les enfants d'Hippocrate;
Mais glorieux qu'avec ces maux exquis
Je puisse au moins ressembler au marquis,
Je m'en console, et mon orgueil s'en flatte.
Mon corps était de rouge tacheté,
Ainsi qu'une panthère marqueté.
Ah! ce récit vous émeut et vous touche,
Vous m'enviez, l'eau vous vient à la bouche;
J'en lis la marque en votre œil irrité,
Car vous croyez qu'un chacun vous dégrade,
Qui comme vous prétend être malade.
<77>Mais calmez-vous, je ne suis qu'apprenti,
Je n'atteins point à la longue tirade
De tous vos maux au cortége plaintif.
Gardez-les donc, mais sans qu'ils vous excèdent;
Selon vos vœux, de longtemps ils possèdent
Sur votre corps privilége exclusif.
Obstructions, vapeurs d'hypocondrie,
Relâchement, colique, strangurie,
Transports ardents, catarrhes, fluxions,
Poumons crachés, fièvre d'esquinancie,
La gale aux doigts, des ébullitions,
Un flux de sang, tantôt paralysie,
Vomissements, vertiges, pâmoisons,
Sont tous des maux remplis de courtoisie,
Prêts d'obéir à votre fantaisie,
Et que chez vous, cher marquis, tour à tour,
Exactement on trouve être du jour,
Ainsi qu'on voit d'infâmes parasites,
Des souverains serviles satellites,
De leur essaim déshonorer la cour.
Ces maux affreux causent notre martyre,
Par eux enfin nous nous voyons détruire;
Mais près de vous trop familiarisés,
Par mauvais goût ou par bizarrerie,
Depuis vingt ans, marquis, vous vous plaisez
Dans leur funeste et triste compagnie,
Et préférez, par singularité,
L'état fâcheux de souffrir maladie
Au doux plaisir qui naît de la santé.
Malade enfin par état, par coutume,
Un poêle ardent dans le lit vous consume;
<78>Et s'il advient dans un temps limité
Qu'Éguille78-a un jour proprement vous inhume,
Sur votre tombe, au pied du grand autel,
Seront ces mots crayonnés par ma plume :
« Ci-gît, passant, l'auteur de maint volume,
Mort de frayeur d'avoir été mortel. »
Ah! qu'un héros, dans une tragédie,
En cent périls se puisse embarrasser,
Qu'à tout moment on tremble pour sa vie,
C'est là la règle, il doit intéresser.
Mais vous, marquis, qui savez qu'on vous aime,
Comment, pourquoi, par quel travers extrême
De vos dangers nous faut-il menacer?
Là, près de vous, poudreuse de l'école,
Ne vois-je pas l'insolente hyperbole,
Aux yeux taillés en deux tubes parfaits,
Amplifier, grossir tous les objets?
Elle gangrène une faible piqûre,
Ou par malheur si sur votre encolure
Dans le miroir vos regards inquiets
Ont le soupçon d'une légère enflure,
Elle prédit votre prochain décès;
Et quand Éole en vos boyaux murmure,
Vous supposez qu'il va dans les forêts
Pour vous cueillir de funèbres cyprès.
Chassez, marquis, ce monstre qui m'outrage,
Qu'il n'entre plus dans le palais d'un sage;
Je hais l'erreur, je hais la fausseté,
Des fictions le frivole étalage
Qui défigure et perd la vérité.
<79>Ne pensez plus à tous ces noirs fantômes,
Ne craignez plus la mort, ni ses symptômes,
Qui jusqu'ici de vos plus heureux jours
Ont sans relâche empoisonné le cours;
Et que mon bras à jamais vous délivre
De ces frayeurs qui troublent votre sort.
Pensez-y bien : vous négligez de vivre
Par la terreur que vous donne la mort;
En attendant, le temps fuit et s'envole.
Déchirez-moi ce vilain protocole
Que vous tenez et de votre urinai,
Et de ce pouls au galop inégal.
Tandis qu'encor Lachésis pour vous file,
Sans toujours craindre et sans toujours ouïr
Ce que vous dit un docteur imbécile,
De votre temps apprenez à jouir.
(Février 1768.)
<80>ÉPITRE AU COMTE HODITZ, SUR ROSSWALDE.80-a
O singulier Hoditz! vous qui, né pour la cour,
Avez fui, jeune encor, ce dangereux séjour,
Libre des préjugés qui trompent le vulgaire,
Vous riez de ces fous dont l'esprit mercenaire
N'amasse des trésors que pour les dépenser,
De ces fats dont l'orgueil sait si bien s'encenser,
Se dresse, se rengorge, et se mire en ses plumes,
Et de ces sombres fous qui, dans les amertumes,
Toujours pour leur grandeur occupés de projets,
S'épuisent en travaux sans réussir jamais,
Mécontents du présent à leurs vœux peu sortable,
Cherchent dans l'avenir un sort plus favorable;
Vous avez rejeté ce dangereux poison,
Vous bornez vos désirs à suivre la raison.
Être heureux en effet, c'est bien la grande affaire;
L'orgueil est à mes yeux une triste chimère.
<81>A quoi vous eût servi que, valet grand seigneur,
Vous eussiez quarante ans déchaussé l'Empereur?81-a
Il est beau d'approcher de près du diadème,
Mais il vaut mieux encor dépendre de soi-même.
Ainsi vous avez su, d'un choix prémédité,
Préférer aux grandeurs l'heureuse liberté,
Sans faste et sans apprêts, guidé par la nature,
Même sans y penser, disciple d'Épicure.
Rosswalde, en héritage entre vos mains passé,
Le disputa bientôt au palais de Circé,
Et ce bourg, ignoré du Tanaïs à l'Èbre,
Grâces à vos talents est devenu célèbre.
Ce n'est plus ce donjon sombre et peu fréquenté
Qu'à peine on tolérait pour son antiquité;
C'est un séjour divin; les yeux et les oreilles
S'étonnent d'y trouver cent charmes, cent merveilles;
Le Tasse et l'Arioste en deviendraient honteux,
S'ils voyaient vos travaux les surpasser tous deux.
Là, des enchantements l'ingénieux prestige
Produit à chaque instant prodige sur prodige;
Tout respire, tout vit, tout être est animé.
Par un charme soudain ce bois est transformé,
C'est un jardin superbe, et là-bas, par miracle,
Vous lisez dans un puits les arrêts d'un oracle.
La nature paraît obéir à vos lois,
Tout s'arrange, se fait, se plie à votre choix.
Tandis qu'en avançant on examine, on cause,
L'œil est soudain frappé d'une métamorphose :
<82>En fuyant Apollon, plus prompte qu'un coursier,
Daphné subitement se transforme en laurier.
Là, j'aperçois Renaud dans le palais d'Armide;
Ici sont tous les dieux célébrés par Ovide,
Vénus, Pallas, Diane, Apollon, Jupiter,
Neptune, Mars, Mercure et le dieu de l'enfer.
Ces dieux, qui n'existaient qu'au code poétique,
Ont retrouvé chez vous autels et culte antique :
Des prêtres revêtus d'habits pontificaux
Amènent la victime, et puis de leurs couteaux
L'égorgent, en l'offrant aux dieux en sacrifice;
Ils aspergent l'autel du sang de la génisse,
Ils invoquent ces dieux, l'encens fume pour eux.
Que l'ombre de Symmaque82-a approuverait vos jeux,
Si, dans ce nombre outré de cultes ridicules
Dont on charge à plaisir les peuples trop crédules,
Il voyait par vos soins ressusciter le sien!
Mais vous aimez la Fable, en restant bon chrétien,
Et sans que la vraie foi puisse en être alarmée,
Vous pouvez vous créer tout un peuple pygmée.
Je crus, dans leur cité, quand leur essaim parut,
Être avec Gulliver tombé dans Lilliput;
Je semblais un géant envers cette peuplade,
Typhée, ou Géryon, ou du moins Encelade,
Et la cité, bâtie à leur proportion,
N'avait point de clocher qui m'atteignît au front.
Telle Virgile a peint la naissante Carthage,
Où tout un peuple actif s'empressait à l'ouvrage,
Et travaillait aux murs qu'avait tracés Didon.
<83>Bientôt d'autres objets nous font diversion :
De voix et d'instruments la douce mélodie
Par un plaisir nouveau change et diversifie
Tout ce qu'ont prodigué les charmes précédents;
Tant l'esprit des humains se plaît aux changements!
Tantôt c'est l'opéra, tantôt la tragédie,
Ou bien la pantomime, ou bien la comédie,
Qui viennent tour à tour par leur variété
Écarter les ennuis de l'uniformité.
Mais serai-je muet au sujet des actrices,
Ces vestales qu'encor je ne crois pas novices,
Qui, venant étaler leurs grâces, leurs appas,
Semblent briguer l'honneur de passer dans vos bras?
Ce sérail de beautés qui forment les spectacles
N'aiment que leur sultan, respectent ses oracles;
Sa volonté décide et marque leur devoir,
Il fixe leur destin en jetant son mouchoir.
Ce sultan, cher Hoditz, vous le devez connaître;
De ces lieux enchantés n'est-ce pas l'heureux maître,
Génie infatigable, inépuisable, égal,
Et qui, toujours nouveau, demeure original?
Ainsi vos jours heureux sans embarras s'écoulent,
Les Amours enfantins et les Plaisirs les moulent.
Lorsque dans vos jardins, vers la fin d'un beau soir,
La rivale du jour vient de son crêpe noir
Obscurcir les objets de la nature entière,
Vous parlez, et d'abord reparaît la lumière.
Tel Dieu créant ce monde, auquel il se complut,
Dit : Que le jour paraisse! et la lumière fut.
A Rosswalde aussitôt cent raquettes s'élancent,
Et remplissent les airs des feux qu'elles dispensent,
<84>De leur gerbe brillante éclairent l'horizon,
Et semblent suppléer au char de Phaéthon.
Vos prestiges de l'art égalent la nature.
Mais ce jour fortuné penche vers sa clôture;
Pour le finir ainsi qu'il avait commencé,
Mon comte va choisir dans son peuple empressé
Un tendron de quinze ans. Grands dieux, qu'elle était belle!
Le fameux Phidias, l'élégant Praxitèle,
En elle auraient cru voir une divinité :
Si ce n'était Vénus, c'était la Volupté,
Les charmes enchanteurs, les Grâces l'ont pétrie.
Elle doit cette nuit lui tenir compagnie :
L'Amour, qui l'aperçoit, en rit malignement,
Ses rivales en feu s'en plaignent vivement.
Ah! qu'il est difficile, en un sérail de belles,
De contenter son goût sans causer des querelles!
Toutes, comme Vénus, et Pallas, et Junon,
S'attendaient au mouchoir; chacune avait raison.
Le plus sage des rois en entretenait mille,
S'il pouvait y suffire, il était plus qu'habile;
Mais mon comte, après tout, peut bien être aujourd'hui,
Sans qu'il soit Salomon, plus Hercule que lui.
Comment pourrai-je enfin tout conter, tout décrire?
Les mots me manqueraient pour peindre et vous redire
Les plaisirs différents qu'on savoure en ces lieux;
Vous n'en approchez pas, tristes plaisirs des cieux.
C'est ainsi qu'au-dessus des pompeuses chimères
Qui flattent les mortels de destins plus prospères,
Vous vous êtes choisi le plus fortuné sort,
Et libre de soucis, tranquille au sein du port,
O comte! vous savez jouir, penser, produire;
<85>Aussi des voluptés l'ingénieux délire
Partout sème de fleurs les traces de vos pas.
C'est dans ce choix surtout qu'on distingue ici-bas
Le jugement du fou du jugement du sage.
Dans les jours fugitifs d'un court pèlerinage,
L'un, s'accablant de soins, de peines, d'embarras,
Est, toujours projetant, surpris par le trépas :
L'autre voit des objets le néant, la folie,
Profite des plaisirs et jouit de la vie.
C'est votre lot, cher comte, il faut vous y tenir :
Le plaisir est le dieu qui vous fait rajeunir.
Puissiez-vous en santé, dans le sein de la joie,
Passer encor longtemps des jours filés de soie!
ÉPITRE A LA REINE DOUAIRIÈRE DE SUÈDE.86-a
Quoi donc, ô tendre sœur! l'amour de vos parents
Vous a fait affronter Neptune et les autans?
Les abîmes ouverts d'une mer orageuse
N'ont point épouvanté cette âme courageuse
Qui, vous faisant quitter le trône et vos États,
En comblant tous nos vœux vous remet en nos bras?
C'est en vain que le temps, l'éloignement, l'absence,
Ont sourdement miné votre austère constance;
Six lustres révolus n'ont donc pu réussir
A nous ôter, ma sœur, de votre souvenir.
Des droits sacrés du sang l'inviolable empreinte
De nœuds jadis formés resserre encor l'étreinte :
Qu'un aussi grand exemple éclaire les mortels!
Assez et trop longtemps auprès de ses autels
L'Amitié languissait isolée en son temple;
Dans nos jours dégradés il n'était point d'exemple
Que deux cœurs généreux, vrais et constants amis,
Sans un vil intérêt fussent toujours unis.
Le temple était désert, il menaçait ruine,
<87>Quand pour le réparer paraît une héroïne.
Sur son front éclatant luit l'étoile du Nord,
La douce majesté s'annonce à son abord;
Elle est par la déesse en son temple reçue,
Ses décombres plaintifs ont attristé sa vue,
Mais c'est par son secours qu'on va les relever.
Ma sœur, c'est donc ainsi que vous osez prouver,
En dépit des fureurs et des cris de l'envie
Contre les cours des rois, et leur règne, et leur vie,
Qu'en nos jours la vertu peut trouver dans ces cours
Des cœurs assez parfaits, dignes de ses amours.
Allez, vils artisans de fraude et de mensonge,87-4
Répandre sur les rois tout le fiel qui vous ronge;
Vos efforts insensés sont désormais perdus,
Ulrique en prendra soin, on ne vous croira plus.
Par des traits trop frappants elle a su vous confondre,
Contre l'expérience il n'est rien à répondre.
Rentrez dans le néant dont vous êtes sortis,
Méprisés, détestés, confondus, avilis;
Le coup qui vous écrase est émané du trône.
C'est venger noblement les droits de la couronne,
Quand par l'aspect frappant de toutes les vertus
On atterre à ses pieds les monstres confondus.
Vous allez donc, ma sœur, sur les traces d'Hercule,
Par de nobles travaux vous rendre son émule,
Écraser sous vos pas les calomniateurs,
Du vulgaire égaré dissiper les erreurs,
Venger les opprimés, et montrer qu'une reine
Peut encor sur les cœurs régner en souveraine.
<88>Qu'il est beau de donner d'aussi grandes leçons!
Ah! pour vous admirer, ma sœur, que de raisons!
Avez-vous vu nos cœurs voler sur le rivage,
Vous attendre à Stralsund, à votre heureux passage,
Les peuples vous bénir, nos vœux vous devancer?
Sans doute en ce moment vous avez dû penser :
Quelque odieux que soit l'éclat du diadème,
Si le vice me craint, tout cœur vertueux m'aime;
Mes frères, mes parents, ma famille, mes fils
Sont tous par sentiment mes fidèles amis.
Ah! puissiez-vous, ma sœur, un temps immémorable
Profiter et jouir d'un sort si favorable!
Le rang ni les grandeurs ne font pas les heureux;88-a
Il en est moins encor chez ces ambitieux
Qui, de commandements et de puissance avides.
Par des tourments pareils à ceux des Danaïdes,
Sans remplir leurs désirs se laissent consumer :
Ma sœur, on n'est heureux qu'autant qu'on sait aimer.
A MA SŒUR AMÉLIE, EN PASSANT, LA NUIT, SOUS SA FENÊTRE POUR ALLER EN SILÉSIE.
Sommeil, auteur du doux repos,
Restaurateur divin de la santé perdue,
Répands et jette tes pavots
Sur les yeux de ma sœur, dans son lit étendue.
Fais voltiger sur son chevet
Les rêves les plus agréables;
Qu'elle entende, en rêvant, les voix, sur son duvet,
Des nymphes d'Apollon, de sirènes aimables,
Chantant en chœur et d'un son net
La tablature chromatique
Du contrapunto pathétique,
Mêlé des plus savants motets,
Tous harmoniques et bien faits.
Qu'aucun rêve effrayant n'altère
Ou n'échauffe son sang en sa course ordinaire;
Que la santé, dès son réveil,
Et la vigueur, sa sœur cadette,
L'accompagnent à sa toilette,
Demain, dès que le jour finira son sommeil
<90>Pour moi, que le destin lutine,
Toujours dans des travaux, toujours forcé d'errer,
De fatiguer sans fin ayant pris la routine,
Je consens que Morphée ose encor me frustrer
Du doux repos, ma sœur, que mon cœur vous destine;
Et si vous en jouissiez,
Mes veilles et mes soins seraient tous oubliés.
Puissiez-vous donc dans votre asile,
Loin du fracas, loin de l'ennui,
En conservant l'âme tranquille,
Passer des jours heureux et de plus douces nuits,
Pensant, ma sœur, que partout où je suis,
En quelque temps que ce puisse être,
Absent, ou bien à vos genoux,
L'attachement ne peut s'accroître,
Que jusques au tombeau je conserve pour vous!
(Août 1772.)
<91>A LA REINE DE SUÈDE.
Non, ma sœur, les grandeurs, les couronnes, les mitres,
L'amas accumulé des plus superbes titres,
Ces symboles pompeux de notre vanité,
Ne sauraient cimenter notre félicité.
Du plus vil des humains aux têtes couronnées,
Tout mortel est soumis aux lois des destinées,
A souffrir, à se plaindre, à déplorer ses maux :
Les dehors sont divers, les états sont égaux.
Qu'importe donc quel rang décore ma misère?
Le bonheur n'est point fait pour ce triste hémisphère;
Sous la pourpre ou la bure obligé de souffrir,91-a
Il est égal des deux qui sert à me couvrir.
A trouver ce bonheur on consume sa vie,
Peu d'humains ont joui de sa superficie;
L'un, pensant le trouver en de vastes palais,
Quitte, en le poursuivant, ses paisibles forêts,
Et ses troupeaux féconds, son champ, son toit de chaume;
Il arrive, et soudain disparaît le fantôme.
Les grands, remplis d'espoir, d'orgueil, d'ambition,
Adorent du bonheur l'aimable fiction,
<92>Et, pour le posséder, le l'ardeur la plus vive
Ils poursuivent en vain cette ombre fugitive;
Au lieu de la saisir, ô perfides destins!
Ils trouvent des soucis, des revers, des chagrins.
Tel est le sort commun de ces rois qu'on envie,
Par leur éclat trompeur la vue est éblouie :
En les voyant de près, on gémit en secret
De leur sort, que de loin l'ignorance admirait.
Vous, dont l'éclat naissant d'une beauté touchante
Fixa sur vous les yeux de la Suède inconstante,
Vous montâtes au trône où vous plaça leur choix;
Et quoique fille, sœur, femme et mère de rois,92-a
Le bonheur de chez vous s'échappa comme une ombre,
Sous vos pas les revers s'accumulaient sans nombre.
La Suède n'était plus l'État jadis fameux,
Vengeur des libertés des Germains belliqueux;
De son gouvernement la forme différente92-b
Énervait de ce corps la masse languissante.
Dès lors, n'éprouvant plus le pouvoir souverain,
L'anarchie opprimait l'état républicain;
Des grands, dégénérés de leur noblesse antique,
L'intérêt personnel bornait la politique;
Ils couvraient des beaux noms de lois, de liberté,
La honte de se vendre avec impunité.
Rien de plus rare alors, tant tout abus excède,
Qu'un citoyen zélé et fidèle à la Suède.
Vous voulûtes, ma sœur, dans ces cœurs dépravés
<93>Ranimer des vertus les germes énervés;
Ce fut en vain; longtemps le vice qui les dompte
Effaça de leur front la pudeur et la honte;
Par le lâche ascendant de la corruption,
L'amour de leur pays n'était plus qu'un vain nom.
Dans les convulsions des discordes civiles,
Moments si dangereux, en désastres fertiles,
Au fort de la tempête, un flot impétueux
Pensa vous engloutir dans ses flancs orageux.
Des esprits échauffés la fureur effrénée,
Par des conseils cruels aigrie, empoisonnée,
Confondait tous les droits, ce qu'on pouvait tenter,
Et les objets sacrés qu'on devait respecter.
Ils osèrent saper les fondements du trône;
Mais votre fermeté soutint votre couronne.
Depuis, votre prudence, éludant leurs assauts,
Sut apaiser leur haine et mater leurs complots.
Qu'il en coûte, ma sœur, pour acquérir la gloire!
Depuis ce temps encore une trame plus noire,
Attaquant vos appuis, voulut vous isoler;
Sans honte à ses projets osant tout immoler,
Elle alluma soudain le flambeau de la guerre,
De ses bras énervés nous lança son tonnerre,
Poursuivit votre sang établi dans le Nord,
Et contre un empereur dirigea son effort.
A peine à tant de traits étiez-vous échappée,
A peine voyait-on la diète occupée
A rétablir la paix, objet de tous les vœux,
Que des troubles nouveaux et non moins dangereux
Remplirent votre cœur des plus vives alarmes.
Que ce royaume, ô dieux! vous a coûté de larmes!
<94>La Discorde, en soufflant l'ardeur des factions,
Sut ranimer le feu de leurs dissensions,
Et, tournant contre vous leur noire perfidie,
En vous calomniant, aliéna la Russie.
La cabale, depuis, marchant le front levé,
De l'ordre se jouant par l'État approuvé,
Épuisait tous les fonds par sa folle dépense,
Et se plaisait à voir renaître l'indigence.
Le Roi, trop rabaissé, se vit, hélas! réduit
A voir en spectateur son royaume détruit;
Il fallut qu'il cédât à l'effort de l'orage,
Qu'il s'unît au parti qui lui faisait outrage;
Et sans que ses clients en fussent compromis,
Il agit de concert avec ses ennemis.
Ces traîtres endurcis bientôt vous traversèrent,
A rompre vos desseins leurs chefs se signalèrent;
C'était à Norrkoping,94-a au fort des démêlés.
L'indigne maréchal des états assemblés
Vous manqua, vous trahit et vous devint parjure.
Aucun tigre jamais n'a changé de nature,
Et jamais vos Suédois, républicains fougueux,
N'atteindront aux vertus dont brillaient leurs aïeux.
Il vous restait au moins un époux cher et tendre.
Qui savait partager vos maux et vous défendre;
L'impitoyable mort le frappa dans vos bras.
Voilà, ma sœur, voilà le sort des potentats,
Surtout des rois privés du pouvoir monarchique,
Tâchant de résister au torrent anarchique.
Des roseaux jusqu'au cèdre, et des rois aux manants,
Tout mortel est en proie aux chagrins dévorants;
<95>Un pauvre laboureur dont périt la génisse
Sent sa perte aussi bien, souffre même supplice
Qu'un roi qui voit soudain avorter ses projets;
La douleur est égale, autres sont les objets.
Le pauvre a des parents ainsi que le monarque,
L'un et l'autre gémit des rigueurs de la Parque;
Un ami tendre, un père, une sœur, un seul fils,
Nous déchirent le cœur quand ils nous sont ravis,
Et nos fragiles corps, moulés sur un modèle,
Cèdent à la douleur quand elle est trop cruelle.
Ainsi tout est égal, soit grands, soit plébéiens,
La somme de nos maux l'emporte sur les biens.
Épicure, autrefois contredit dans la Grèce,
Mais dont on reconnut le grand sens, la sagesse,
Prescrivait pour maxime à tous ses auditeurs
D'éviter avec soin les piéges des grandeurs.
Fuyez, leur disait-il, les affaires publiques,
Et, laissant consumer ces sombres politiques,
Conservez dans vos cœurs la paix et le repos.
Atticus, qui l'en crut, au milieu des complots
Qu'enfantait chaque jour une guerre civile,
Fut respecté de tous et se maintint tranquille,
Tandis que, dans le trouble, et Pompée et César
Abandonnaient l'empire et leur sort au hasard.
Quand l'âme est fortement et longtemps agitée,
Par un essor si vif hors d'elle transportée,
Sa gaîté disparaît, et laisse dans l'esprit
Un funeste levain qui le ronge et l'aigrit;
De ses noires vapeurs l'ambition l'enivre.
Ah! pour si peu de jours que nous avons à vivre,
Dans d'aussi vains projets faut-il se consumer?
<96>Ce roi, ce souverain que l'on vient d'inhumer,
Voilà ses monuments qu'aussitôt on renverse :
Tout s'élève, s'accroît, enfin se bouleverse.
Alexandre conquit les plus vastes États;
Il meurt : tout aussitôt des courtisans ingrats
Partagent à leur gré les dépouilles du maître.
Ses enfants sont exclus; un capitaine, un traître
A ses souverains nés fait souffrir le trépas.
Ainsi ce conquérant a livré cent combats,
Pour qu'un Démétrius et pour qu'un Ptolémée
Jouît de ses travaux, hors de sa renommée.
Voilà, ma sœur, à quoi mènent ces grands desseins.
Les politiques sont pareils aux Quinze-Vingts,
Ils agissent sans voir, le destin les attrape;
Il fit que Romulus travailla pour le pape,
Que David éleva Sion pour Mahomet.
Enfin aucun de nous ne sait trop ce qu'il fait,
De projets en projets notre espoir nous engage;
Il est, vous le savez, des hochets pour tout âge.96-a
Rejetant de ces jeux la folle illusion,
Vous détournez vos pas du bruyant tourbillon
De ce gouvernement tant agité d'intrigues,
Et loin de ses complots, à l'abri de ses brigues,
Vous jouirez enfin des charmes de la paix.
Ah! puissiez-vous, ma sœur, oublier pour jamais
Vos ennuis, vos chagrins, vos revers et vos pertes,
Par des prospérités à l'avenir couvertes!
<97>A l'abri des malheurs, dans un tranquille cours,
Puissiez-vous voir couler le reste de vos jours
Au sein de l'amitié! C'est le bonheur suprême;
Ce sont les vœux, ma sœur, d'un frère qui vous aime,
(Janvier 1772.)
<98>AU SIEUR NOËL, MAITRE D'HOTEL.98-a
Je ne ris point; vraiment, monsieur Noël,
Vos grands talents vous rendront immortel.
Sans doute il est plus d'un moyen de l'être;
Qui dans son art surpasse ses égaux,
Qui s'aplanit des chemins tout nouveaux,
Est dans son genre un habile, un grand maître :
Des cuisiniers vous êtes le héros.
Vous possédez l'exacte connaissance
Des végétaux; et votre expérience,
Assimilant discrètement leurs sucs,
Sait les lier au genre de ses sauces,
Au doux parfum des jasmins et des roses,
Qui font le charme et des rois et des ducs.
Si quelque jour il vous prend fantaisie
D'imaginer un ragoût de momie,
En l'apprêtant de ce goût sûr et fin
Et des extraits produits par la chimie,
<99>L'illusion, le prestige et la faim
Nous rendront tous peut-être anthropophages.
Mais non, laissons ces repas aux sauvages,
Même épargnons la chair des animaux;
Prodiguez-nous plutôt les végétaux,
Ils sont plus sains, plus faits pour nos usages.
Que de filets par vous imaginés!
Que de pâtés par vos mains façonnés!
Que de hachis, de farces délectables,
Dont nos palais, souvent trop enchantés,
Sont mollement chatouillés et flattés!
Auteur fécond de ces mets admirables,
Que cent festins ne sauraient épuiser,
Vous inventez et savez composer
Ce que jamais aucun de vos semblables
Ne produisit pour s'immortaliser.
Aussi jamais, croyez-moi, la cuisine
Égyptienne, ou grecque, ou bien latine,
Ne put atteindre à la perfection
Où la porta votre esprit qui combine,
Et votre vive imagination.
Ce Lucullus, fameux gourmet de Rome,
Dans ses banquets au salon d'Apollon,
Festins fameux que Cicéron renomme,
Ne goûta rien d'aussi fin, d'aussi bon
Que cette bombe à la Sardanapale,
Ce mets des dieux qu'aucun ragoût n'égale,
Dont vous m'avez régalé ce midi.
Si l'on pouvait ranimer Épicure,
Si la vertu de quelque saint hardi
Pouvait encor le rendre à la nature,
<100>Ah! que Noël en serait applaudi!
Il choisirait Noël pour son apôtre;
Il l'est déjà, car son travail vanté
A tout palais prêche la volupté.
A nous tenter plus séduisant qu'un autre,
Il est vainqueur de la frugalité,
Et surpassant le philosophe antique,
Noël réduit ses leçons en pratique;
Ses mets exquis, amorçant les Prussiens,
Les ont changés en épicuriens.
Au temps passé, la volupté grossière,
Sans méditer sur des mets délicats,
Se contentait de surcharger les plats,
Pour assouvir sa dent carnassière;
On était loin de nos raffinements,
On ignorait nos assaisonnements,
On recherchait la viande la plus rare,
Ce qui coûtait le plus passait pour bon.
Pétrone ainsi peint le festin bizarre
Que lui donna certain Trimalcion.
On y servit avec profusion
Des animaux entiers de toute espèce;
D'un porc surtout le cadavre hideux,
Si révoltant, si choquant à nos yeux,
Fut étalé, rôti tout d'une pièce;
Dès que ses flancs furent tranchés en deux,
On en tira l'oiseau brillant du Phase,
Chapons, dindons, becfigues et perdrix.
Les conviés, tous ravis en extase,
A cet aspect jetèrent de grands cris;
Le cuisinier fut loué par bêtise,
<101>Chacun mangea selon sa friandise,
On dévora le porc et ses débris.
Qui servirait à présent à ses hôtes
Un tel repas? Au lieu d'être loué
Des successeurs des Térences, des Plautes,
En plein théâtre on serait bafoué.
Les fins gourmets à table délicate
Ne souffrent point qu'un chétif gargotier
Grossièrement travaille à la sarmate;
On veut surtout qu'habile en son métier,
Par des ragoûts dont la saveur nous flatte
L'artiste ait l'art de nous rassasier.
Il faut encore, et j'allais l'oublier,
Que toute table, élégamment servie,
Évite en tout l'air d'une boucherie;
Qu'un rôt coupé ne soit jamais sanglant,
Un tel objet d'horreur est révoltant.
Un cuisinier qui brigue la louange
Doit déguiser les cadavres qu'on mange;
En cent façons il peut les disséquer,
D'ingrédients il compose un mélange,
La farce enfin lui sert à tout masquer.
Voilà par où le fameux Noël brille.
Il imagine, et jamais il ne pille
De vieux menus d'autres maîtres d'hôtels;
C'est un Newton dans l'art de la marmite,
Un vrai César en fait de lèchefrite,
Et, surpassant nos héros actuels,
Il les vaut tous aux palais sensuels.
Mais si ces vers tombaient à l'improviste
Entre les mains d'un bourru janséniste,
<102>Zélé dévot, et prompt à s'enflammer,
Je crois d'ici l'entendre déclamer
Contre ce monstre impie et sybarite
Qui prône trop la volupté maudite,
Et vous loger l'auteur, sans le nommer,
Au gouffre affreux que Lucifer habite.
Tout doux, tout doux, monsieur le cénobite,
Plus de bon sens, de grâce, moins d'humeur;
Entre nous deux c'est la raison, docteur,
Qui seule doit juger notre querelle.
A ses décrets ne soyez point rebelle;
Elle vous dit, si vous pouvez l'ouïr :
Prétends-tu donc laisser évanouir
Les dons du ciel qu'il verse en abondance?
S'il les donna, selon toute apparence,
Ce fut afin que l'on pût en jouir.
User de tout, c'est le conseil du sage;
Savoir jouir sans abuser de rien,
Souffrir le mal, s'il vient, avec courage,
Et bien goûter l'avantage du bien.
Hâtez-vous donc, Noël, servez la table;
Je sens déjà le parfum délectable
De vos ragoûts; on vient me les offrir.
Allons goûter de vos métamorphoses,
Car puisqu'enfin, si l'on ne veut mourir,
Tout homme doit chaque jour se nourrir,
Ne nous donnez que d'excellentes choses.
(1772.)
<103>A UNE CHIENNE.
Je t'envie, ô bichon! ta fortune prochaine,
Mon cœur voudrait te la ravir;
Le sort te fait passer dans les mains de la Reine,103-a
Et te dévoue à la servir.
Ah! si le ciel voulait par grâce
Me métamorphoser sous ton extérieur,
D'abord j'occuperais ta place :
La servir, l'admirer, ce serait mon bonheur.
(1772.)
<104>VERS POUR MADEMOISELLE SCHIDLEY,104-a QUI AVAIT ENVOYÉ AU ROI UNE CHARRUE ANGLAISE.
O miss! vous pensez donc à moi?
Cet instrument d'agriculture
Dont vos bontés m'ont fait l'envoi
Désigne trop à quel emploi
Vous allez mettre ma figure;
Tout autrement organisé,
Par vos mains métamorphosé,
Je m'en vais donc changer d'espèce.
Vous savez quelle fut Circé;
Vous lûtes dans votre jeunesse
De quel effroi parut glacé
Le sage, le prudent Ulysse,
Lorsque Circé, par artifice,
Transforma tous ses courtisans
En autant d'animaux broutants.
Dans votre généalogie
Circé, dit-on, tient le haut bout;
<105>Et vous lui ressemblez en tout,
Autant en beauté qu'en magie.
Mais pourquoi voulez-vous sur moi
Eprouver l'effet de vos charmes?
Vous savez que de bonne foi,
Vous voyant, je rendis les armes.
Désormais leur pouvoir fatal
Va charger ma tête chenue
Du joug pesant de la charrue,
Et me change en cet animal
Dont le pas lourd trace avec peine
Un léger sillon dans la plaine.
Certain Nabuchodonosor
Eut autrefois un pareil sort;105-a
Jupiter prit bien l'enveloppe
D'un jeune et ravissant taureau
Pour enlever la belle Europe.
Quand l'Amour leur ceint son bandeau,
On a vu les nymphes, les belles,
Vers les dieux faisant les cruelles,
S'adoucir pour les animaux.
Ces traits ne nous sont pas nouveaux :
Léda soupira pour un cygne;
L'or même fut l'amant indigne
Qui triompha de Danaé;
Vous savez de Pasiphaé
Le goût bizarre et le caprice;
Mais le sexe est plein de malice.
Si pour gagner votre faveur
Il faut passer par telle chose,
<106>Je risque la métamorphose,
Afin de fléchir votre cœur.
Quelle qu'enfin soit la figure
Où vous voudrez me transformer,
Je la prendrai, je vous le jure,
Si vous promettez de m'aimer.
(1772.)
<107>A VOLTAIRE.
Sur la fin des beaux jours dont vous fîtes l'histoire,107-a
Si brillants pour les arts, où tout tendait au grand,
Des Français un seul homme a soutenu la gloire.
Il sut embrasser tout : son génie agissant
A la fois remplaça Bossuet et Racine,
Et maniant la lyre ainsi que le compas,
Il transmit les accords de la muse latine
Qui du fils de Vénus célébra les combats.
De l'immortel Newton il saisit le génie,
Fit connaître au Français ce qu'est l'attraction :
Il terrassa l'erreur, la superstition :
Ce grand homme lui seul vaut une académie.
A VOLTAIRE.
Combien Thieriot108-a a d'esprit,
Depuis que le trépas en a fait un squelette!
Mais lorsqu'il végétait dans ce monde maudit,
Du Parnasse français composant la gazette,
Il n'eut ni gloire ni crédit.
Maintenant il paraît, par les vers qu'il écrit,
Un philosophe, un sage, autant qu'un grand poëte.
Aux bords de l'Achéron, où son destin le jette,
Il a trouvé tous les talents
Qu'une fatalité bizarre
Lui dénia toujours lorsqu'il en était temps,
Pour les lui prodiguer au fin fond du Ténare.
Enfin les trépassés et tous nos sots vivants
Pourront donc aspirer à briller comme à plaire,
S'ils sont assez adroits, avisés et prudents
De choisir pour leur secrétaire
Virgile, Orphée, ou mieux Voltaire.
A VOLTAIRE.
Non, plus je ne veux à Paris
Avoir de courtier littéraire;
Je n'y vois plus ces beaux esprits
Dont nombre d'immortels écrits,
En m'instruisant, savaient me plaire.
Je ne veux de correspondants
Que sur les confins de la Suisse,
Province qui jadis était très-fort novice
En arts, en esprit, en talents,
Mais qui contient des bons vieux temps
Le seul auteur qui me ravisse
Par l'art harmonieux de modeler ses chants.
Ces Grecs, vos favoris, cherchèrent en Asie
Les sciences, la vérité;
Platon jusqu'en Égypte avait même tenté
D'éclairer sa philosophie.
Désormais nos cantons, charmés de ses attraits,
Sans chercher pour l'esprit des aliments dans l'Inde,
Trouvent le dieu du goût comme le dieu du Pinde
Tous deux réunis dans Ferney.
Vous m'enverriez votre extrait baptistaire, que je n'en croirais pas davantage à votre curé.
<110>On juge mal, on est déçu
En se fiant à l'apparence;
Je suis très-sûr et convaincu
Que Voltaire en secret a bu
De la fontaine de Jouvence.
Jamais aucun héros n'approcha de son sort,
Immortel par sa vie ainsi qu'après sa mort.
A Potsdam, le 29 février 1773. (L'année 1773 n'était pas une année bissextile. Néanmoins la réponse de Voltaire, du 19 mars, rappelle la date du 29 février.)
<111>ÉPITRE.111-a
Dans ce vaste univers, le globe où nous vivons
Lui sert, à mon avis, de Petites-Maisons;
De fous, d'extravagants la bizarre cohue
De Lisbonne à Pékin offre en grand à ma vue
Un pré de mille fleurs richement émaillé.
Sur cette ample pâture, un esprit éveillé
Saisit malignement la fleur du ridicule,
L'extrait et l'assaisonne au fond de sa cellule.
Un quaker me dira d'un air sombre et chagrin
Qu'il faut toujours couvrir les défauts du prochain;
Mais lorsqu'un fat abonde en traits de balourdise,
Loin d'en verser des pleurs, je ris de sa sottise.
J'aime à rire, il est vrai, même aux dépens des rois;
Je hais le misanthrope et les fronts trop sournois.
Je préfère à ce fou que l'on nomme Heraclite
Ce fou plus gai que lui, l'enjoué Démocrite;
Sans se fâcher de rien, il s'amusait de tout,
De nos frivolités il avait vu le bout.
Et qu'importe en effet qu'un esprit sot et louche
<112>D'un flux de pauvretés jaillissant de sa bouche
M'étourdisse un moment, bavardant sans esprit?
Cet arbuste est restreint à porter un tel fruit;
A m'amuser de lui mon penchant me convie,
Son ridicule est fait pour égayer ma vie.
Oui, je te le confesse ici, mon cher Damon,
Ma rate, qui sans toi risquait l'obstruction,
T'entendant pérorer d'une mine effrontée,
En riant, cet hiver, s'est si bien dilatée,
Qu'à ton seul souvenir mon mal a disparu.
Au beau monde, à la cour Damon s'était intrus;
Il décidait de tout sans jamais rien comprendre,
Un cercle autour de lui se formait pour l'entendre.
Là s'empressait en foule un peuple curieux,
Tendant le cou, ouvrant les oreilles, les yeux.
Se pâmant de plaisir des traits de balourdise
Qu'innocemment Damon leur lâchait par bêtise.
Je m'empresse, et je perce à travers le concours
Où notre fat s'épanche en sublimes discours.
La M ... a su, dit-il, toucher mon âme.
- Ah! monsieur, c'est beaucoup d'allumer une flamme
A soixante et dix ans. - Elle en a trente au plus,
Répond le discoureur; telle parut Vénus
Quand on la vit flotter sur le sein d'Amphitrite.
Sur son discernement chacun le félicite;
Il avoue à la fin qu'il ne la connaît pas.
Quelqu'un d'officieux, sentant son embarras,
De discours en discours vous le promène en France.
C'est le pays, dit-il, où brille la finance.
- Eh! monsieur, ce royaume est si fort endetté!
<113>- C'est le dernier effort de son habileté
D'épuiser les trésors de voisins économes;
Berne, ainsi qu'Amsterdam, lui fournissent des sommes.
Ah! quel plaisir aura le plus chrétien des rois
Lorsque l'abbé Terray,113-a par de nouveaux exploits
Englobant les voisins dans la chute commune,
D'un coup de plume un jour ravira leur fortune!
Voyez-vous, dans ceci tout est grand et nouveau;
Faillite d'un banquier n'a pour moi rien de beau;
Mais quand un grand État vise à la banqueroute,
Le crédit abîmé, le richard en déroute,
La consternation qui trouble les esprits,
D'un colosse ébranlé les étonnants débris,
La chute des Crésus tombés de leur pinacle,
L'ébranlement affreux que produit ce spectacle,
Le rend en même temps rare et majestueux.
- Eh quoi! vous plaisez-vous au sort des malheureux?
- Non pas, mais on en parle, et ce sujet amuse.
- Voilà vraiment, monsieur, une excellente excuse.
On l'interrompt. L'un dit : En France on voit au moins
Que pour le militaire on épuisa ses soins.
Tant de fameux héros, il est vrai sans pratique,
Dans leurs savants écrits enseignent la tactique!
Il n'est dans leurs vieux corps pas jusqu'au caporal
Qui ne figure ailleurs comme un bon général :
Chez eux de ce grand art il faudra nous instruire.
- Oui, dit le Schah-Baham;113-b mais j'y trouve à redire
<114>Qu'à présent la colonne114-a a moins d'admirateurs;
Les Thébains s'en servaient, et tous nos vieux auteurs
Trouvent cette ordonnance admirable et requise;
Sa masse enfonce tout, et même dans Moïse
Vous voyez précéder le Juif guidé par Dieu
Une colonne d'air, ou colonne de feu.114-a
- Quelle érudition! s'écriait tout le monde;
Science universelle! ô caboche profonde!
Mais le canon, monsieur, ce foudre des guerriers,
Écrase la colonne et flétrit ses lauriers;
Elle est détruite avant que d'agir. - Je m'en moque.
- Comment la garantir? - Je marche, avance, et choque.
- Cela pourrait manquer. - Vous êtes trop craintif;
Trois rangs ne peuvent rien contre un corps si massif.
Si l'on m'écoute, il faut que Monteynard114-b ordonne
Que toujours le Français vous attaque en colonne.
- Ah! vous aurez le temps de mûrir vos projets :
Nous jouissons ici d'une profonde paix;
Du temple de Janus les portes sont fermées,
Les arts sont florissants à l'abri des armées,
L'envie est enchaînée, et les grands potentats
Font dans ce calme heureux prospérer leurs États.
- Cela vous plaît à dire, a répondu mon homme;
De l'Espagne en Écosse, et du Pont jusqu'à Rome,
Des esprits agités la fermentation
Va mettre incessamment l'Europe en action.
<115>Pouvez-vous supposer que de sang-froid on souffre
Qu'un royaume en trois parts par trois voisins s'engouffre,
Qu'on s'arroge des droits, que trois princes d'accord
N'aient pas même imploré les arbitres du sort?
- Qui sont-ils, s'il vous plaît? - La France et l'Angleterre.
Vous les verrez bientôt, portant partout la guerre,
Corriger et punir des écoliers mutins
Qui, jouant les grands rois, ne sont que des gredins.
- Ah! pour la Prusse au moins nous vous demandons grâce.
- Peine perdue; il faut que justice se fasse.
Que diraient Richelieu, Philippe deux, Cromwell,
Grands hommes qu'illustra l'art de Machiavel,
Si dans nos jours déçus, de lâches politiques
Craignaient de s'égarer sur leurs pas héroïques?
On connaîtra dans peu la France et d'Aiguillon;115-a
Le Sarmate a chez eux sonné le réveillon.
Vous allez voir du Nord la fierté confondue,
Catherine sera par Mustapha battue;
Du fond de la Gothie un innombrable essaim
Des murs de Pétersbourg changera le destin;
L'Hellespont rassuré ne verra plus de Russe,
Et l'on extirpera jusqu'au nom de la Prusse.
- Ah! votre âme s'exalte, et vous prophétisez,
Dit doucement quelqu'un. - Les feux sont attisés,
Lui repartit mon homme; on va voir des miracles;
Ce sont des vérités, et non pas des oracles.
- La Lippe à Bückebourg115-b s'en réjouira bien,
<116>Reprit-on; sans la guerre il ne tient plus à rien;
Voilà l'occasion, il pourra reparaître.
- Il est mort. - Ce matin j'en reçus une lettre.
- Non, il est mort, vous dis-je; un gros marchand forain,
Revenu de Brunswic, fut présent à sa fin.
- Mais ce marchand, monsieur, est mal instruit sans doute.
- Eh quoi! faut-il douter de tout ce qu'on écoute?
- C'est qu'aucun mort jamais du tombeau n'écrivit,
Qu'un marchand n'a d'objet que celui du crédit,
Et qu'on se voit moqué quand on est trop crédule.
- Non, répliqua Damon, je suis né sans scrupule;
Je crois tout bonnement : comment examiner,
Vétiller les propos, sans succès me peiner,
L'esprit toujours tendu, peser dans ma balance
La vérité dans l'un, en l'autre l'apparence?
Non, j'y vais rondement, je crois tout ce qu'on dit;
Journal, folliculaire, imprimé, manuscrit,
Miracles, s'il le faut, rien ne m'est indigeste;
Je figure, il suffit, que m'importe le reste?
- Mais, monsieur... - Mais, monsieur...- Mais la Lippe est vivant.
- Que m'importe qu'il vive ou soit agonisant?
Voilà comme on entend raisonner le vulgaire.
Diderot prévenu croit tout homme un Voltaire,
Il se porte avec zèle à vouloir l'éclairer;
Il y perdra ses soins, sans le régénérer.
Mais vous, mes chers amis, qui, dévorés de gloire,
Voulez tracer vos noms au temple de Mémoire,
Hélas! examinez le public en détail,
Stupide, ignorant, sot, méprisable bétail.
C'est là l'organe impur de votre renommée,
<117>Au prix de votre sang il vous vend sa fumée;
Vous placez le bonheur dans l'appât décevant
D'être applaudi, loué par ce peuple ignorant;
Mais il blâme souvent, car la chance est douteuse.
Trompé par des fripons, sa langue venimeuse
Flétrit ce Julien qu'on nomma l'Apostat;
Ce philosophe était la gloire de l'État.
Un pontife insolent, natif de Naziance,117-a
Calomniant ses mœurs, sa bonté, sa clémence.
En fit un monstre aux yeux de la postérité.
Après plus de mille ans parut la vérité;
D'Argens rendit justice aux vertus du grand homme.117-b
La superstition en frémit jusqu'à Rome,
Et le mensonge impur effacé de son nom
Rétablit pour jamais sa réputation.
Que nous importent donc les rumeurs du vulgaire?
Il critique, il approuve, il outrage, il révère,
Il tourne à tous les vents; qui connaît ses ressorts
L'excite en se jouant, ou calme ses transports.
C'est l'immortalité dont l'espoir nous enivre,
En sauvant notre nom, nous croyons encor vivre;
Mais sitôt que la tombe a renfermé nos corps,
Les vains bruits du public sont perdus pour les morts;
Ce sont des préjugés, il n'en faut point au sage,
Il saura mépriser ce vil aréopage.
Mais que fais-je? et de moi que penserait Zénon?
Tandis que je combats la vanité du nom,
<118>D'un ascendant vainqueur sentant l'effort suprême,
Mon cœur de ma raison contredit le système.
Je repolis ces vers au point de m'énerver,
Pourquoi? Pour qu'à Ferney l'on puisse m'approuver,
Et qu'on imprime un jour dans quelques vers grotesques :
Il est le moins mauvais des rimailleurs tudesques.
(Envoyée à Voltaire le 4 avril 1773.)
<119>ÉPITRE A D'ALEMBERT.
Vous ne le croirez point, sage Anaxagoras,
Qu'au siècle où nous vivons, il soit en ces États,
Même au sein révéré de notre Académie,
Un ennemi secret de la philosophie,119-a
Qui, jadis reconnu pour très-mince aumônier,
Fait métier maintenant de nous calomnier.
Cependant il s'érige en écrivain habile;
Ce bel esprit pesant, nourri .....,
Soutient que tout penseur qui regimbe à son frein,
Que tout bon raisonneur n'est qu'un franc libertin,
Aux plaisirs adonné, séduit par Épicure,
Qui suit brutalement l'instinct de la nature;
Mais qu'il attend le jour de deuil, d'adversité,
Où ce penseur hardi, tristement alité,
Verra de près la mort, qui de sa faux tranchante
Dans ses sens affaiblis portera l'épouvante;
Qu'alors ses goûts charnels se réduisant à rien,
La peur du vieux Satan le rendra bon chrétien.
<120>Passe qu'en un sermon un sot ainsi s'exprime;
Mais mon docteur écrit, ce vil fatras s'imprime,
On le lit en bâillant à l'honneur du Midas.
Faut-il donc me guetter au moment du trépas
Pour me persuader que deux fois deux font quatre?
Je le crois en santé, sans même en rien rabattre.
Mais quand un imbécile, un bavard importun
Soutient effrontément que trois ne valent qu'un,
Je renvoie aussitôt ce zélé fanatique
Aux premiers éléments de son arithmétique,
Ou je lui dis : Monsieur, quelle est la pension
Que le synode attache à votre fonction?
- Mille écus. - Mais, monsieur, si contre votre attente
On vous dit, Les voilà; vous comptez trois cent trente;
Les yeux tout enflammés, frémissant de fureur,
Vous vous ruerez d'abord sur ce mauvais payeur.
- Distinguo, me dit-il, c'est un fait ordinaire;
L'autre est de notre foi l'ineffable mystère.
- Eh! garde donc pour toi ton merveilleux secret.
Pourquoi le divulguer? tu n'es qu'un indiscret,
Qui, l'esprit tout farci de contes incroyables,
Viens pour des vérités nous débiter tes fables.
Crois-tu donc, si j'étais malade agonisant,
Obsédé par malheur d'un cafard insolent
Qui me dît qu'en ce jour Jupiter par la tête
Accoucha de Minerve, et qu'en chômant sa fête
Je pourrais à l'instant recouvrer ma vigueur,
Crois-tu que ce propos m'induirait en erreur?
Non, ce fourbe y perdrait toute son industrie.
Le cygne de Léda, .......
Jadis ont fait fortune auprès des potentats,
<121>Lorsqu'on était crédule et qu'on ne pensait pas.
Le monde était tombé, dans ces temps, en syncope :
Maintenant la raison, l'esprit se développe,
Rien n'est cru, s'il n'est pas clairement démontré,
On rejette un verbiage obscur, mais consacré;
Aux mots vides de sens ont succédé des choses,
Par des effets certains nous remontons aux causes;
La nature muette apprit à s'exprimer,
On sut l'interroger, et même l'animer.
Les miracles dès lors à nos yeux disparurent,
La vérité régna, les charlatans se turent,
La critique éclairée étourdit les docteurs,
Et partout la raison poursuivit les erreurs.
- Non, non, dit mon cafard, c'est par libertinage
Que l'incrédulité prévalut en cet âge.
- Eh quoi donc! grand docteur, connais-tu Spinoza?
Qui jamais de débauche en son temps l'accusa?
Et Bayle, plus profond, qu'un faquin méprisable
Persécuta longtemps d'un zèle charitable,
Nul penchant sensuel ne put le détourner
Du plaisir de penser et de bien raisonner.
Et ce bon empereur, de tous rois le modèle,
Cet homme en tout parfait, le divin Marc-Aurèle,
Penses-tu que ce fût un gros voluptueux,
Un pourceau d'Épicure, un prince crapuleux?
Peux-tu d'un Antonin faire un Sardanapale?
O fureur de parti! rage théologale!
C'est toi qui corrompis la probité, les mœurs
De ces fourbes tondus et de leurs sectateurs.
Pour maintenir la foi chancelante et douteuse,
Tout cagot sans rougir aima fraude pieuse;
<122>L'audace osa forger les livres sibyllins,
La légende s'enfla de faux martyrs chrétiens,
On supposa, depuis, de fausses décrétales,
Et la religion n'offrit que des scandales.
Faut-il, pour appuyer la simple vérité,
Qu'un mensonge odieux souille sa pureté?
Jamais Newton ni Locke, en leur philosophie,
N'ont mêlé des poisons aux sucs de l'ambroisie;
L'expérience en main, ils surent se guider,
Ils prouvent; c'est ainsi qu'il faut persuader.
Mais si l'on en croyait la troupe consacrée,
En soutane, en rabat, à tête tonsurée,
Dieu, qu'ils nous ont dépeint tout aussi méchant qu'eux,
Deviendrait un objet indigne de nos vœux.
Ils l'ont fait le tyran le plus inexorable,
Pour assouvir sa rage, il rend l'homme coupable;
Non content d'exercer sur lui sa cruauté,
Il prétend le punir durant l'éternité.
Si Lucifer sur nous eût usurpé l'empire,
Notre condition ne pourrait être pire.
Ce n'est point là le Dieu dans mon cœur adoré;
Le mien doit mériter un hommage éclairé.
La terre me l'indique et le ciel me l'annonce,
Un but marqué dans tout en sa faveur prononce :
Mon estomac digère, et des sucs nourrissants
Vont réparer mon être et prolonger mes ans;
Mon œil est fait pour voir, l'oreille pour entendre,
Le pied pour me porter, le bras pour me défendre,
Et si j'ai de l'esprit, celui dont je le tiens
En doit posséder plus que n'en ont les humains :
Qui pourrait me donner ce qu'il n'a pas lui-même?
<123>Voilà pourquoi j'admets ce mobile suprême.123-a
Le fameux Copernic, vos Newtons, vos experts
Ont deviné les lois qui meuvent l'univers;
Les astres dans leur cours ont une allure stable.
Comment un pur hasard, inconstant, variable,
Pourrait-il maintenir ces éternelles lois
Dont l'art pousse et suspend tant de corps à la fois?
Convenons donc qu'un être intelligent préside
Au ressort qui produit ce spectacle splendide;
Mais sans le définir mon cœur doit l'adorer.
Sans lui je ne pourrais vivre ni respirer :
Donc ce divin moteur est bon par excellence;
Au-dessus des mortels, à l'abri de l'offense,
Rien ne peut l'exciter à la méchanceté.
Je me suis vu souvent sur les bords du Léthé,
Et j'aurais entendu hurler de près Cerbère,
Si l'enfer n'était pas un être imaginaire.
Dans ce moment fatal où la mort m'apparut.
La peur ne m'a jamais fait payer de tribut.
Recueillant mes esprits, concentré en moi-même,
Je fus inébranlable et ferme en mon système;
L'erreur, que je bravais étant plein de santé,
Ne prit point à mes yeux l'air de la vérité;
Aucun doute importun ne troubla ma conscience,
Et je fixai la mort d'un œil plein d'assurance.
C'est lorsque notre esprit jouit de sa vigueur
Qu'il faut examiner, sonder la profondeur
Des secrets enfouis au sein de la nature,
Trouver la vérité dans cette nuit obscure,
Peser tout mûrement, avancer à pas lents.
<124>Quand on s'est décidé sur ces points importants,
Rien ne peut plus dès lors troubler la paix de l'âme.
Mais quoi! déjà ces vers font-ils rugir ...?124-a
N'entends-je pas les noms de relaps, d'apostats?
Nous sommes à ses yeux plus vils que des forçats;
Je suis un échappé des bancs de ses galères,
Ses droits sur moi sont tels que s'en font les corsaires
Sur ceux que la victoire a rendus leurs captifs.
Que l'on me compte donc parmi ces fugitifs
Dont l'effort généreux a su briser les chaînes.
Heureux qui, délivré de ces lois inhumaines,
De ce joug de l'esprit, mortel à la raison,
Méprise également Satan comme Pluton;
Qui d'un bras vigoureux terrasse le mensonge,
Et foule aux pieds l'erreur où l'Europe se plonge!
Tels sont mes sentiments, ô profond d'Alembert!
Et neutre entre Calvin, Ganganelli, Luther,
Je tâche, en tolérant leur fougueuse séquelle,
D'éteindre ou d'amortir la fureur de leur zèle;
Mais ces soins sont perdus, et mes efforts sont vains :
Un mortel rendrait-il des tigres plus humains?
Aussi froid au sujet de dispute et de haine,
Au fanatisme affreux dont leur mal se gangrène,
Qu'exempt des passions dont la frivolité
Entraîne à décider avec témérité,
J'ai consacré mes jours à la philosophie.
J'admets tous les plaisirs innocents de la vie,
Et sachant que dans peu ma course va finir,
Je jouis du présent sans peur de l'avenir.
Quel est après la mort l'épouvantail à craindre?
<125>Serait-ce ces enfers qu'Ovide eut l'art de peindre,125-a
Et que nos sots dévots ont, depuis, adoptés?
Quittons, quittons l'amas de ces absurdités,
Pensons comme on pensait dans le sénat de Rome.
Que lui dit Cicéron, ce consul, ce grand homme?
Rien ne reste de nous, messieurs, après la mort.125-b
Mais faut-il s'affliger que tel est notre sort?
Si le corps et l'esprit souffrent la même injure,
Je rentre et me confonds au sein de la nature;
S'il échappe au trépas un reste de mon feu,
Je me réfugierai dans les bras de mon Dieu.125-c
(Envoyée à d'Alembert le 27 avril 1773.)
<126>AU BARON DE PÖLLNITZ, SUR SA RÉSURRECTION.126-a
Ah! vous voilà ressuscité, baron!
Et près d'entrer dans la fatale barque,
Heureusement repoussé par Caron
Des bords du Styx, des rives d'Achéron,
Vous vivrez donc en dépit de la Parque!
Avouez-nous que vous êtes plus fin
Que Caron, joint avec l'esprit malin.
Il espérait d'un baron bonne aubaine;
Il se flattait qu'il viendrait la main pleine
De bons ducats, louis, frédérics d'or,
Pour lui payer tous les frais du transport.
Mais le baron poliment lui proteste
Qu'il n'est venu qu'en équipage leste,
Que, méprisant l'or et les vils métaux,
Et que n'ayant su payer de sa vie
Créanciers qui servaient sa folie,
Il n'est séant de payer ses bourreaux.
Tout aussitôt de ces morts qui passèrent
Aux sombres bords mille voix s'élevèrent;
Ils disaient tous : Nous lui fîmes crédit,
Et notre argent jamais il ne rendit.
Distinctement, la mine refrognée,
Le vieux Caron ces propos entendit,
Et d'un grand coup de sa rame empoignée,
Qui durement sur votre dos fondit,
Vous repoussa de sa barque et de l'onde;
D'un soubresaut vous revîntes au monde,
Et notre vieux baron il nous rendit.
Qu'on est heureux quand, domptant ses faiblesses,
On se refuse à l'appât des richesses!
Un avare est un faux calculateur,
Qui se méprend sur le fait du bonheur,
Qui, sans jouir, sournois dans sa cellule,
Sans cesse amasse et sans cesse accumule,
Un rustre enfin, dont l'esprit sot et lourd
Ne connut point les charmes de l'amour,
Des beaux esprits les fines gentillesses,
Et les plaisirs des princes, des princesses,
Qui, hors Plutus, pour tout le reste est sourd.
Mais vous, baron, peu soucieux d'espèces,
Vos jours sont purs, et votre esprit serein
N'est point distrait des soins du lendemain;
Vous ignorez et calcul et finance,
Et ne vivez que de bonne espérance.
Ainsi pensait la grave antiquité.
Souvenez-vous qu'en Grèce les sept sages
Ont reconnu de plus grands avantages
Dans l'humble état d'honnête pauvreté
Qu'à posséder de vastes apanages,
Les vils objets de la cupidité.
<128>Votre mentor vous a dans la jeunesse
Souvent parlé du puissant roi Crésus,
Nageant dans l'or, plongé dans la mollesse,
Et d'un manant, nommé le pauvre Irus.
L'orgueil du Roi se fondait sur Plutus,
Il s'égalait aux dieux par sa richesse,
Quand tout à coup le conquérant Cyrus
Dans des combats détruisit son armée.
L'âme du Roi, de douleur abîmée,
Ne sentait plus qu'horreur, que désespoir,
Tandis qu'Irus, insensible et tranquille,
Vit l'ennemi s'emparer de la ville,
Voler, piller, brûler, sans s'émouvoir.
La pauvreté, qui nous met hors d'atteinte,
Nous met encore à l'abri de la crainte;
Sans bien, on a l'esprit toujours égal,
Tandis qu'on voit ces grands, ces âmes vaines,
Se consumer en d'inutiles peines,
Pour se soustraire à leur destin fatal.
Loin des chagrins qui rongent ces illustres,
Vous avez su, pour avoir mieux choisi,
Sur votre chef rassembler seize lustres,
Vivant toujours joyeux et sans souci.
Ne changez donc jamais de conduite,
Dépensez tout, soyez bon parasite,
Et vous vivrez satisfait et content,
Toujours heureux et toujours jouissant
Des biens qu'enfin vous laissa la fortune.
Lorsque vos yeux sont chargés de pavots,
Un rêve affreux, d'une image importune,
Ne troublera jamais votre repos.
<129>Permettez donc encor que je compare
Votre destin au sort d'un vieil avare.
Quand le jour vient, ce jour tant odieux,
Qu'il lui faudra dénicher de ces lieux,
Ce gros richard, qu'on dit homme de mise,
Tout moribond, péniblement s'épuise
A fabriquer un ample testament.
Aux tribunaux, quoiqu'on s'en formalise,
Vingt avocats affamés, disputant,
Trouvent pour eux ses biens de bonne prise,
Et vont réduire, en vous le commentant,
Ses volontés et ses dons à néant.
Vous êtes sûr, en perdant la lumière,
Qu'exactement on exécutera
Et codicille et volonté dernière;
Car, vieux baron, rien ne vous restera,
Et vous serez votre héritier vous-même.
Que j'applaudis encor sur ce point-là,
Ainsi qu'en tout, votre prudence extrême!
Mais je m'égare en n'apercevant pas
Que ce n'est point, ô Pöllnitz! votre cas;
Car si Caron veut que notre séquelle
Du noir Pluton n'habite les États
Qu'en lui payant le fret de sa nacelle,
Exempt, baron, à jamais du trépas,
Vous jouirez d'une vie éternelle.
(Envoyée à Voltaire le 4 avril 1773.)
<130>ÉPITRE A MADEMOISELLE DE KNESEBECK,130-a SUR LE SAUT QU'ELLE FIT DE SON CARROSSE LORSQUE SES CHEVAUX PRIRENT LE MORS AUX DENTS.
Qui m'aurait dit qu'un jour sur ma guitare,
Dont les accords sont peu mélodieux,
Je chanterais, à l'envi de Pindare,
Des Prussiens les exploits glorieux,
Non ces combats qui renversent les trônes,
Mais les hauts faits d'illustres amazones,
Plus beaux, plus grands et plus merveilleux?
Viens, Calliope, il faut que tu m'inspires
Pour bien chanter ces exploits étonnants.
Ah! je te vois, en me rebutant, rire
<131>Qu'un vieux soudard, chargé du poids des ans,
Le front ridé, les cheveux blanchissants,
Se croie encor dans l'âge du délire,
Et d'Apollon veuille toucher la lyre.
Eh bien! sans toi, sans tes puissants secours,
Pour réveiller cette flamme divine,
Il suffira que ma muse mesquine
Se représente avec tous ses atours
La Knesebeck, ce vrai phénix des cours,
Et de nos temps la plus grande héroïne.
Oui, je la vois; son air est assuré,
Son front serein; son esprit ferme et calme,
Qu'aucun péril n'a jamais altéré,
Est toujours sûr de remporter la palme.
Telle autrefois, défendant les Latins,
Près de Turnus parut cette Camille,
Tant célébrée autrefois par Virgile,
Dont la valeur retarda les destins
Du bon Énée et des guerriers troyens.
Notre nymphe est plus belle et plus jolie,
Peut-être aux champs de Mars moins aguerrie,
Moins sanguinaire en livrant des combats,
Mais préférable en pudeur, en appas,
A ce qu'était la nymphe d'Italie.
Aurai-je assez de force en mes poumons
Pour vous chanter sans abaisser mes sons,
Sans verbiage, en rapporteur fidèle,
Ce qui rendit cette fille immortelle?
Non, ce n'est point l'adresse des coursiers
Qui triomphaient aux joutes olympiques,
Et dont Pindare en ses vers héroïques
<132>Peint les héros couronnés de lauriers;
Mais ce seront des efforts de courage
Qu'Hercule aurait eu peine d'égaler :
Voir de la mort la redoutable image,
Et cependant agir sans s'ébranler.
Venons au fait; tableau d'après nature
N'a pas besoin d'être orné de bordure.
Ceci n'est point la légende d'un saint,
Mais un grand fait reconnu pour certain.
La Knesebeck, sur un beau char portée,
Se promenait au parc près de Berlin;
D'un ciel tout clair l'aspect l'avait tentée
De respirer un air pur et serein,
Qu'en toute ville opulente, habitée,
Il faut chercher dans les champs au lointain.
Son char à peine a passé la limite
De nos remparts, que ses coursiers ardents
Trop ressemblants aux chevaux d'Hippolyte,
Bientôt fougueux, prennent le mors aux dents.
Mais aucun monstre à gueule flamboyante,
Le dos couvert d'écaillé jaunissante,
Du fond des eaux sur eux ne s'élança;
Un hasard seul ainsi les courrouça.
Mon héroïne, en gardant contenance,
Vit sans pâlir la grandeur, l'éminence
Du sort affreux qui ses jours menaça.
Là se présente à son âme assurée
Les flots profonds des rives de la Sprée;
Ah! quel spectacle affreux et plein d'horreur,
D'être exposée à se voir bien mouillée,
Et qui pis est, engloutie ou noyée!
<133>Quand à la cour on est dame d'honneur,
Que faire, hélas! en un pareil malheur?
Désespérer est chose fort commune,
Mon héroïne avait un plus grand cœur;
Elle sut bien gouverner la fortune,
Et se sauver par excès de valeur.
Tel et moins fier parut le grand Eugène
Quand, de Belgrad à demi ruiné
Accélérant la conquête prochaine,
Il fut soudain des Turcs environné.
Il soutint bien l'honneur du diadème;
Prenant d'abord un parti décisif,
Il marche au Turc dans ce péril extrême,
Le bat, le force, et le rend fugitif.
Mon héroïne agit en tout de même;
Sans s'émouvoir, lamenter ou pleurer,
Hors de son char, sans se désespérer,
L'air assuré, le maintien toujours libre,
Elle s'élance, et connaissant à fond
Les lois qu'observe un corps en équilibre,
Elle retombe heureusement à plomb,
Tandis qu'au loin, d'une course rapide,
Ses six coursiers entraînèrent leur guide.
Tout était grand, la résolution,
Et le projet, et l'exécution,
Qui délivra notre illustre héroïne
Du soin, fâcheux plus qu'on ne l'imagine,
De présenter ses charmes à Pluton,
Ou d'assister, dans ce gouffre profond,
Au grand couvert de dame Proserpine,
Ce qui n'est plus à présent du bon ton.
<134>Que Rome encore avec faste publie
La fermeté, l'audace de Clélie,
Dont le cheval rapidement nagea,
En la sauvant du camp de Porsenna,
Au quadrupède en est tout le mérite :
Mais la Romaine, ainsi prenant la fuite,
A sa parole indignement manqua.
La Knesebeck n'était point en otage;
Elle pouvait selon sa volonté
Sauter d'un char dont la rapidité,
Près de quitter les dunes du rivage,
Allait noyer elle et son équipage.
Plus d'un guerrier a partagé l'honneur
De ses exploits avec toute l'armée;
Quand d'un beau feu sa troupe est animée,
Ce feu peut rendre un ignorant vainqueur.
Mais notre belle a le noble avantage,
Plus recherché, plus rare et plus flatteur,
Que ses exploits lui sont dus sans partage;
Par sa valeur surmontant le danger,
Elle dédaigne un secours étranger.
Si tout concourt à sa solide gloire,
Il manquera pourtant à son histoire
Un grand poëte, un célèbre artisan,
Comme il en fut aux bords de l'Éridan.
Combien de noms bien dignes de mémoire
Sont peu connus dans ce vaste univers!
Un exploit perd, s'il n'a, pour le répandre,
Un fier prôneur qui le vante en beaux vers.
A tout propos on nous cite Alexandre,
Sans rappeler les faits d'un conquérant
<135>Aussi rapide, et dans le fond plus grand,
Qui subjugua lui seul l'Asie entière.
Si l'on néglige à ce point Tamerlan,
C'est qu'il ne put trouver dans le Levant,
Pour relever sa vertu guerrière,
Un Quinte-Curce, un Virgile, un Homère.
Ce Tamerlan se trouvait dans le cas
Où vos exploits seront réduits, ma chère;
Pour les chanter vous ne trouverez pas
Un Arioste, un Dryden, un Voltaire.
De ces grands saints je suis l'humble valet,
Et leur trompette en mes mains est sifflet.
Quel prix auront des vers welches, tudesques,
Sans élégance, encor moins pittoresques,
Et réprouvés par l'abbé d'Olivet?135-a
Un rimailleur rebuté d'un puriste
A devant lui la perspective triste
Qu'étant beaucoup rabaissé sous Brébeuf,135-b
Il est chanté par le coq du Pont-neuf.
Mais en dépit des talents que refuse
Le dieu des vers à mon ingrate muse,
Je puis pourtant, sans trop m'aventurer,
A l'univers prouver et démontrer
Qu'on trouve ici parmi nos Prussiennes
<136>Autant et plus que n'a souvent vanté
La très-bavarde et docte antiquité
Dans les hauts faits de ses concitoyennes.
J'honore fort Homère et ses sirènes,
Mais quoi qu'ait dit ce grand poëte grec,
Je lui soutiens que sa Penthésilée136-a
Ne peut en rien jamais être égalée
A notre illustre et brave Knesebeck.
(Mars 1773.)
<137>AU PRINCE FRÉDÉRIC DE BRUNSWIC.
Les fruits nés dans les sols arides
De Berlin et de Sans-Souci,
Quand tout a le mieux réussi,
Ne valent pas les fruits splendides
Du beau jardin des Hespérides :
Ils étaient d'or, et leurs appas
Éblouissaient les cœurs avides,
Qui préféraient ces biens solides
A des fruits bien plus délicats.
Virgile, aux chants de l'Énéide,137-a
Nous peint d'un trait de son pinceau
Énée, ayant Vénus pour guide,
A peine hors de son vaisseau,
Qu'il trouve au milieu des bois sombres
La pomme d'or et le rameau;
Il le saisit, un don si beau
Fut pour le roi des pâles ombres.
<138>Pour moi, si par faveur du sort
Je cueillais un fruit aussi rare,
Je n'offrirais pas ce trésor
Au noir souverain du Ténare;
Mais vous auriez la pomme d'or.
(1774.)
<139>ÉPITRE AU COMTE DE HODITZ, SUR SA MAUVAISE HUMEUR DE CE QU'IL A SOIXANTE-DIX ANS.139-a
Je vous ai vu, cher comte, accablé de tristesse;
Vous voulez secouer le joug de la vieillesse,
Vous voulez être tel que vous l'avez été.
Mais on regrette en vain la vigueur, la santé;
Ce temps ne revient plus, il s'écoule, il s'envole;
L'amour-propre en gémit, le sage s'en console.
Dix lustres surchargés de vingt hivers complets
Rangeraient Mars lui-même au rang des ...;
Hercule à septante ans ne serait plus Hercule,
Sa massue ornerait le bras de son émule.
Rien n'est stable, et le temps absorbe et détruit tout;
Vous vivez cependant, et vous êtes debout.
Combien peu de mortels ont atteint à votre âge!
<140>Vous en avez joui, que faut-il davantage?
Remerciez plutôt le ciel de ses bienfaits.
Si vos sens épuisés ne trouvent plus d'attraits
Dans le sein des plaisirs, au milieu de ces fêtes
Où vous entassiez conquêtes sur conquêtes,
Songez donc que Voltaire et même Richelieu
Ne vont plus à Paphos en invoquer le dieu.
Ce sérail si peuplé, ce séjour de délices
Devient à vos regards un gouffre de supplices.
Vous avez consumé ces feux dont le retour
De désirs renaissants attisait votre amour,
Et d'un corps languissant la vigueur affaiblie
Vous livre aux noirs soupçons, même à la jalousie.
De ces serpents cruels votre cœur est rongé;
Ah! cher comte, à ce point peut-on vous voir changé?
Qu'un Espagnol jaloux, possédé de colère,
Qu'un fier Napolitain, cruel et sanguinaire,
De leur amour trahi brûlent de se venger,
Ce n'est pas sur leurs pas qu'il faut vous engager.
La jeunesse a des droits, et peut au moins prétendre;
Mais qui ne jouit plus doit savoir condescendre.
La jalousie enfin doit-elle consumer
Un cœur que la nature a formé pour aimer?
Phyllis est inconstante, et Chloé trop volage :
De quoi vous plaignez-vous? et qu'importe, à votre âge,
Si l'amour à leurs pas enchaîne des amants?
Gardez-vous de troubler leurs doux embrassements;
Vous eûtes votre tour, que d'autres en jouissent;
Ces sentiments si vifs trop tôt s'évanouissent.
Quel roi pourrait lier par son autorité
Au vieillard décrépit la naissante beauté?
<141>Ni l'amour ni les goûts ne sont point à commande,
Et chacun de son cœur fait librement l'offrande.
Mais, comte, examinez nos cheveux blanchissants,
Nos fronts cicatrisés et nos membres tremblants;
Qui pensera qu'encor ces détestables charmes
Puissent porter aux cœurs le trouble et les alarmes?
Oui, nos vœux doivent être à coup sûr rejetés.
Quittons plutôt un dieu, puisqu'il nous a quittés,
Et d'un cœur magnanime abandonnons à d'autres
Ces plaisirs enchanteurs qui ne sont plus les nôtres.
La nature abondante et prodigue en ses dons
Nous en a dispensé pour toutes les saisons :
Au printemps de nos jours, heureux temps d'innocence,
La joie est dans les pieds, on court, on saute, on danse;
Bientôt le plaisir monte, et les adolescents
Au centre de leur corps ont le siége des sens;
Au midi de nos jours, ce feu s'élève aux têtes,
Le gain, l'ambition, y causent des tempêtes;
Et quand l'hiver des ans amortit notre ardeur,
La raison nous enchante et fait notre bonheur.
Ainsi, par une loi constante, irrévocable,
La nature a voulu que tout fût variable;
Tout ce qui naît s'accroît, se mine, et se détruit,
Le plus beau jour se voit succédé par la nuit.
Le sage à cette loi se soumet sans murmure;
Il profite en passant des dons de la nature,
Il ne peut en hiver exiger le printemps.
Mais vous, que la nature a comblé de présents,
Soyez reconnaissant, à ses faveurs sensible.
Qu'un fou présomptueux, ingrat, incorrigible,
Lui demande à grands cris d'augmenter ses bienfaits,
<142>Que la volupté seule ait pour lui des attraits;
Comment peut-il toujours nager dans les délices?
L'homme est à chaque instant au bord des précipices;
Affaibli, décrépit, et surchargé de jours,
Qu'il laisse loin de soi folâtrer les Amours.
Que vois-je? ah! quel regard! et qu'est-ce que m'indique
Ce visage allongé, cet air mélancolique?
Votre esprit accablé se livre au désespoir.
Avouez franchement que, sans vous émouvoir,
La mâle austérité de la philosophie
Répugne à votre esprit, l'abat, le mortifie.
Au lieu d'un ami vrai, vous cherchez un flatteur,
Afin d'autoriser, d'aigrir votre douleur;
Je voudrais la guérir, en arracher le germe,
Et rendre votre esprit plus tranquille et plus ferme.
Les temps qui sont passés ne sauraient revenir,
Mais vous pouvez encor, cher comte, rajeunir.
N'est-il d'autres plaisirs que dans la source impure
Où s'en vont se vautrer les pourceaux d'Épicure?
Voyez ces partisans des sales voluptés,
N'en sont-ils pas enfin et las et dégoûtés?
Il est, il est, croyez, des plaisirs pour tout âge.
Écoutez ce qu'a dit un grand homme, un vrai sage,
Ce sauveur des Romains, l'immortel Cicéron.
Déchu de ses honneurs, paisible en sa maison
Au sein tumultueux de la guerre civile,
Détestant les tyrans, gardant l'esprit tranquille,
Voici comme il s'exprime, en parlant aux Romains :142-a
« Les lettres font, dit-il, le bonheur des humains :
La jeunesse à leurs soins doit sa course brillante,
<143>Par elles la vieillesse est moins sombre et pesante;
L'heureux extravagant y reprend sa raison.
Le misérable y voit sa consolation;
Chez nous, chez nos voisins, exilés, solitaires,
Leur secours en tout temps adoucit nos misères »
Quel plus noble plaisir que d'apprendre à penser?
Tout ce que vous perdez ne peut le compenser.
Le temple des beaux-arts vous ouvre son asile;
C'est là qu'est réuni l'agréable à l'utile,
C'est là que vous pourrez, à l'abri des soucis,
Voir d'un soleil couchant les rayons éclaircis,
Contempler le néant des vanités du monde,
De vos plaisirs passés l'illusion profonde,
Rester inébranlable aux divers coups du sort,
Et jouir du présent sans redouter la mort.
L'unique et le seul bien digne qu'on le réclame
Est la santé du corps et le repos de l'âme.
APPENDICE.[Titelblatt]
<146><147>AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.
Nous avons donné plus haut une réimpression exacte des poésies qui se trouvent dans le VIIe et le VIIIe volume des Œuvres posthumes; les éditeurs de ce recueil avaient suivi essentiellement la dernière rédaction du Roi. Nous reproduisons ici des rédactions antérieures de quelques-unes de ces pièces, dont nous avons retrouvé les manuscrits originaux ou des impressions faites du vivant de l'Auteur, mais à son insu; quoique plus imparfaites, elles serviront de preuve du zèle infatigable avec lequel Frédéric cultivait la poésie. En voici la liste.
1o Deux rédactions différentes de l'Ode à mon frère Henri. Le manuscrit de la première porte la date Le 4 octobre 1757, dans les camps auprès de la Saale. Il est tout entier de la main du Roi, et soigneusement corrigé, quatre pages in-4, papier à bordure noire. Cet autographe appartient à M. le bailli Rotger, à Tangermünde.
Le second manuscrit de cette Ode, daté du 6 octobre 1757, se trouve aux archives royales du Cabinet, caisse 365, K, dans une enveloppe portant le cachet du prince Henri, qui y a mis l'inscription Ode du Roi. Cette pièce est écrite en entier de la main de l'Auteur, et également corrigée avec grand soin, quatre pages in-4, papier à bordure de deuil.
2o La 14e et la 16e strophe de l'Ode au prince Ferdinand de Brunswic sur la retraite des Français en 1758, telles que nous les reproduisons dans l'Appendice, se trouvent dans la Vie privée du roi de Prusse, ou Mémoires pour servir à la<148> vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même. A Amsterdam, chez les héritiers de M.-M. Rey, MDCCLXXXIV, in-12, p. 127. Cette impression, la première qui ait paru de ce morceau, présente quelques variantes curieuses.
3o Le manuscrit de l'Ode à la duchesse de Brunswic sur la rnort de son fils le prince Henri (Archives royales du Cabinet, caisse 397, D) est de la main de M. de Catt, et corrigé par le Roi. L'indication du lieu et de la date manque, mais on la retrouve dans une lettre à M. de Catt, datée de Strehlen, le 18 novembre 1761, lettre que le Roi avait envoyée à son lecteur avec cette poésie corrigée. Dans la réimpression qu'en donnent les Œuvres posthumes, t. VII, p. 146, cette Ode est assez changée pour qu'on y reconnaisse aisément le travail de l'Auteur.
4o Le manuscrit de l'Épître au marquis d'Argens, Apologie du suicide, est aussi la propriété de M. Rötger. Elle est écrite en entier de la main du Roi, sur deux feuilles in-4 à bordure de deuil; on y remarque des corrections réitérées de la main de l'Auteur. La date manque, et nous n'avons pu la déterminer d'après la correspondance du Roi avec le marquis d'Argens; mais dans les Œuvres posthumes, t. VII, p. 184, l'Épître est datée d'Erfurt, le 23 septembre 1757, époque qui correspond à la mention que Voltaire fait, dans sa correspondance, de cette poésie, dont il a transcrit quelques passages dans l'ouvrage précité, La vie privée du roi de Prusse, p. 102-106, mais d'après une autre rédaction de la main du Roi.
5o Les vers imprimés t. XII, p. 93 et 94, sous le titre de : Au sieur Gellert, furent en réalité adressés à Gottsched (Voyez t. X, p. 158), et ils lui furent remis cachetés, le 16 octobre 1757, vers les neuf heures du soir, à la suite d'une discussion littéraire que l'Auteur avait eue avec ce savant. Nous en reproduisons ici la première impression, insérée par Gottsched lui-même dans son recueil périodique intitulé : Das Neueste aus der anmuthigen Gelehrsamkeit. Leipzig bei Breitkopf, Wintermond 1758, p. 125.
6o La leçon la plus ancienne que nous connaissions de l'Epitre à ma sœur de Baireuth, du 12 octobre 1758, est celle qui se trouve dans les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Nouvelle édition, plus complette qu'aucune de celles qui ont paru, et enrichie de variantes. Jouxte la copie in-4, imprimée au donjon du château de Sans-Souci, en 1750. A Neuchâtel, 1760, in-12, p. 195-200.
C'est ce texte que nous reproduisons ici. Il diffère beaucoup de celui que nous avons donné t. XII, p. 101-107, soit par les améliorations que le Roi y a faites plus tard, soit par les corrections des éditeurs des Œuvres posthumes.
7o L'autographe de la Lettre en vers et prose à Voltaire forme trois pages in-4 d'une écriture très-serrée, et ne porte pas de date. Il est conservé aux archives<149> royales du Cabinet (Caisse 397, D). Dans la correspondance avec Voltaire, cette pièce est datée Du camp près Wilsdruf, le 17 de novembre 1759. Elle a été réimprimée dans les Œuvres posthumes, t. VII, p. 254; mais la rédaction primitive est plus complète.
8o Le manuscrit de l'Epître à M. d'Alembert est tout entier de la main du Roi, et se trouve aux archives royales du Cabinet (Caisse 397, D). D'Alembert remercia le Roi de l'envoi de cette poésie, par sa lettre du 11 mars 1760. Ce texte paraît préférable à celui des Œuvres posthumes, t. VII, p. 279.
9o Le manuscrit de la poésie intitulée simplement Épître se trouve aux archives royales du Cabinet (Caisse 397, D); il est en entier de la main du Roi. Les Œuvres posthumes, t. VII, p. 304, en présentent une rédaction postérieure et plus correcte.
10o Les deux pièces réunies en une, l'Épître au marquis d'Argens et la Gazette militaire (t. XII, p. 162), en entier de la main du Roi, sont conservées aux archives royales du Cabinet (Caisse 397, D). L'Épître ne porte d'autre litre que les mots Au camp de Bunzelwitz; c'est de là en effet que le Roi l'envoya au marquis d'Argens, ainsi que la Gazette, le 24 septembre 1761.
11o Il existe aux archives royales du Cabinet (Caisses 396, F, et 397, D) cinq rédactions de l'Épître sur la méchanceté des hommes (t. XII, p. 173). Elles sont toutes de la main du Roi, et offrent de nombreuses corrections. Ce ne sont du reste que des fragments. L'une porte la date A Strehlen, ce 9 de novembre 1761; une autre A Strehlen, ce 11 de novembre 1761. Nous donnons la plus complète de ces rédactions.
12o Le manuscrit de l'Épître intitulée, dans les Œuvres posthumes, t. VIII, p. 121, Au marquis d'Argens sur son jour de naissance, se trouve aux archives royales du Cabinet (Caisse 365, L), parmi les papiers laissés par l'abbé de Prades, qui fut lecteur du Roi de 1753 à 1757, temps où cette poésie fut composée. Cette pièce est de la main du lecteur. Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'elle contient des corrections de la même main.
Il existe encore aux archives royales un autographe de l'Ode aux Germains, qui porte la date A Freyberg, ce 29 mars 1760 (t. XII, p. 15), et deux ébauches de l'Épître à ma sœur de Baireuth (t. XII, p. 36); mais ces autographes sont si incomplets, que l'impression en serait peu utile. Il ne s'y trouve que dix-huit strophes de l'Ode aux Germains. Le premier manuscrit de l'Épître à ma sœur de Baireuth, qui forme un tiers du tout, n'a qu'une page, d'une écriture serrée, avec la note suivante de M. de Catt : « Sa Majesté m'a donné ce brouillon, fait quelques<150> semaines après la bataille de Kolin. » L'autre manuscrit, plus complet à la vérité, n'est cependant qu'un brouillon très-imparfait.
Les manuscrits de l'Ode au prince Ferdinand (t. XII, p. 8), du Stoïcien (t. XII, p. 181), de l'Épître au comte Hoditz (ci-dessus, p. 69), de l'Épitre au baron de Pöllnitz (ibid., p. 110) et de l'Épitre à mademoiselle de Knesebeck (ibid., p. 114), se rapprochent tellement du texte de l'édition de 1788, que nous nous bornons à en donner les variantes à la fin de ce volume. Les quatre derniers de ces manuscrits se trouvent aux archives royales du Cabinet; ils sont tous de l'écriture d'un secrétaire, et corrigés par le Roi. Quant à l'Ode au prince Ferdinand de Brunswic sur la retraite des Français en 1758, il ne sera pas hors de propos d'ajouter quelques mots sur son histoire. Le manuscrit original de cette poésie, d'où nous avons tiré les variantes, est conservé aux archives du grand état-major de l'armée, à Berlin (M. 2. B. h. Correspondenz des Königs mit dem Herzog Ferdinand in den Friedensjahren. 1765). A la fin de la pièce, écrite par un secrétaire du Roi, on lit ces mots de la main du copiste : Fait à Grüssau, le 6 avril 1758; le Roi y a ajouté : Corrigé le 26 février, à Potsdam, 1765, et plus bas : Fr. L'auguste Auteur a aussi écrit de sa main, par courtoisie, à ce qu'il semble, et comme dédicace, les mots Ode au prince Ferdinand, tout au haut de la première page, à gauche du titre que le secrétaire avait mis en tête de la pièce. Enfin, on lit, sous l'inscription du Roi, cette note du prince Ferdinand : « Reçu le soir du 8e mai 1765 des propres mains de Sa Majesté le roi de Prusse, au concert. »
A ce volume est joint le fac-similé du commencement de l'Ode à mon frère Henri, rédaction du 4 octobre 1757.
Berlin, le 31 mai 1849.
J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.
I. (a) ODE A MON FRÈRE HENRI.151-a
Tel que d'un vol hardi s'élevant jusqu'aux nues,
Déployant dans les airs ses ailes étendues,
S'échappant à nos yeux,
L'oiseau de Jupiter fend cette plaine immense
Qui du monde au soleil occupe la distance,
Et perce jusqu'aux cieux;
Ou telle que l'on voit, dans l'ombre étincelante,
Dans son rapide cours la comète brillante
Traverser l'horizon,
En éclipsant les feux de la céleste voûte,
Tracer au firmament, dans son oblique route,
Un lumineux rayon :
Tel, subjugué du dieu dont le transport m'inspire,
Plein de l'enthousiasme et du fougueux délire
Qui dompte mes esprits,
Je m'élance soudain des fanges de la terre
Aux palais d'où les dieux font tomber leur tonnerre
Sur les humains surpris.
<152>Mes accents ne sont plus ceux d'un mortel profane,
C'est Apollon lui-même, animant mon organe.
Qui parle par ma voix :
Des destins éternels la volonté secrète
Se dévoile à mes yeux, je deviens l'interprète
De leurs augustes lois.
O Prussiens! c'est à vous que l'oracle s'adresse,
Vous, que l'acharnement d'un sort barbare oppresse
Sous cent calamités :
Sachez qu'aucun État dans sa grandeur naissante
N'éprouva sans revers la course triomphante
De ses prospérités.
Rome parut souvent au bord du précipice,
Sans que pour son secours l'appui d'un dieu propice
Lui servît de patron;
Les sénateurs en deuil pleuraient la république
Quand Annibal, vainqueur, de ses guerriers d'Afrique
Eut écrasé Varron.
Au sein de ses dangers s'accrut son espérance;
Elle maintint ses murs plutôt par sa constance
Que par ses légions.
Prêt à récompenser ce sublime courage,
Mars choisit pour venger un si cruel outrage
L'aîné des Scipions.
Du Tibre désolé le démon de la guerre
Porte, en passant les mers, sur l'étrangère terre
Le carnage et l'horreur;
<153>Dans les champs africains l'ennemi prend la fuite,
Rome fut délivrée, et Carthage réduite
Sous son nouveau vainqueur.
Dans nos coupables jours, la guerre qui vous mine,
Prussiens, semble annoncer la prochaine ruine
De vos vastes États;
L'Europe frénétique, étincelant de rage,
Porte dans votre cœur la flamme, le carnage,
L'horreur et le trépas.
Cette hydre, en redressant ses têtes enflammées,
Vomissant des soldats, enfantant des armées,
Vient s'élancer sur vous;
Le monstre vainement de vos mains triomphantes
Sentit l'effort puissant; ses têtes renaissantes
Semblent braver vos coups.
Si la Haine et l'Envie, avides de leur proie,
Pensent traiter Berlin comme Agamemnon Troie
Après la mort d'Hector,
O peuple généreux! abattez leurs trophées;
Leurs couleuvres dans peu sous vos pieds étouffées
Feront changer le sort.
C'est dans les grands dangers qu'une âme magnanime
Peut déployer la force et le pouvoir sublime
Du courage d'esprit.
Qu'importe la tempête et Jupiter qui tonne?
L'homme qui, plein d'effroi, lui-même s'abandonne
Est le seul qui périt.
<154>Le souverain des dieux, de ses mains libérales,
Verse sur les humains, de deux urnes égales,
Et les biens et les maux;
Tandis que la nature en tout lieu répandue
Fait naître en même temps la casse et la ciguë,
Le cèdre et les roseaux.
Ce mélange constant de faveurs, de disgrâces.
Dans les fastes du monde éternise les traces
De nos destins cruels.
Le bonheur toujours pur, avantage trop rare.
Se dérobant à nous, se garde et se prépare
Pour les dieux immortels.
Au courage obstiné la résistance cède,
Un noble désespoir est l'unique remède
Aux maux désespérés;
Le temps met fin à tout, rien n'est longtemps extrême,
Et souvent le malheur devient la source même
Des biens tant désirés.
Les aquilons mutins d'un ormeau qu'on néglige
Par leurs fougueux assauts font incliner la tige,
Qui cède pour un temps;
Mais de la molle arène et du niveau de l'herbe
Il se lève, et dans peu de sa tête superbe
Il ombrage les champs.
Dans les bras d'Amphitrite, où son éclat expire,
Le soleil de la terre abandonne l'empire
Aux ombres de la nuit;
<155>Mais ses rayons vaillants au point du jour éclipsent
Ces flambeaux lumineux, ces astres qui pâlissent,
Et l'obscurité fuit.
Et telle m'apparaît couverte de ténèbres
Ma patrie éplorée, à ses voiles funèbres
Attachant ses regards,
155-+De nos calamités l'âme encore effrayée,
Sur nos lauriers flétris tristement appuyée,
Maudissant les hasards.
Mais le cœur déchiré de ses maux mémorables,
Et courbé sous le poids des fléaux implacables
Contre elle déchaînés,
J'entrevois, à travers cette ombre que j'abhorre,
Les prémices charmants et la naissante aurore
De ses jours fortunés.
Les dieux pour les mortels ne font plus de miracles :
Entourés de périls, de dangers et d'obstacles
Qui bordent leur chemin,
Ils leur ont départi l'audace, le courage,
Utiles instruments dont le pénible ouvrage
155-star2Asservit le destin.
<156>Le tribut de la mort, qu'on paye à la nature,
Peut vous rendre fameux, si vous vengez l'injure
De vos lares, Prussiens.
L'amour de la patrie, à Rome secourable,
Changeait en demi-dieux de ce peuple adorable
Les moindres citoyens.
Eh quoi! notre siècle est-il donc sans mérite?
Du monde vieillissant la masse décrépite
Est-elle sans vertus?
Par ses productions la nature épuisée
Laisse-t-elle en ces temps la terre sans rosée,
L'Océan sans reflux?
Non, non, de ces erreurs écartons les chimères.
Rome, de tes guerriers les vertus étrangères
Ont illustré nos camps;
Nos triomphes, témoins de cent faits héroïques,
Transmettent de nos chefs aux fastes historiques
La gloire et les talents.
Vous, que notre jeunesse avec plaisir contemple,
De leurs futurs exploits le modèle et l'exemple,
L'ornement et l'appui,
Soutenez cet État, dont la gloire passée,
Mon frère, sur le point de se voir éclipsée,
Chancelle aujourd'hui.
Ainsi les temps féconds qui jamais ne s'épuisent
Te fourniront, ô Prusse! autant que d'astres luisent,
D'appuis à ta grandeur;
<157>Ainsi ma muse annonce en ses heureux présages
Du bonheur de l'État jusqu'à la fin des âges
La durable splendeur.
Que le sein déchiré des serpents de l'envie,
Arrachant nos lauriers, l'affreuse Calomnie
Frémisse de fureur;
Qu'elle lance sur nous de ses armes fatales
Des traits empoisonnés aux ondes infernales
Pour blesser notre honneur :
Qu'importe? aucun mortel ne fut invulnérable;
Mais il trouve un vengeur dans l'arrêt équitable
De la postérité.
Une âme magnanime, amante de la gloire,
Malgré ses envieux fait passer sa mémoire
A l'immortalité.
C'est ainsi que ma muse au pied d'un vieux trophée
A pu ressusciter de la lyre d'Orphée
Les magiques accords;
Que par des sons hardis ma trompette guerrière
Des Prussiens aux combats dont s'ouvre la barrière
Animait les transports.
Faite dans les camps auprès de la Saale, le 4 d'octobre 1757.
Federic.
<158>I.(b) ODE A MON FRÈRE HENRI.158-a
Tel que d'un vol hardi s'élevant dans les nues,
Déployant dans les airs ses ailes étendues,
S'échappant à nos yeux,
L'oiseau de Jupiter fend cette plaine immense
Qui du monde au soleil occupe la distance,
Et perce jusqu'aux cieux;
Ou telle que l'on voit, dans l'ombre étincelante,
Dans son rapide cours la comète brillante
Éclairer l'horizon,
Éclipsant tous les feux de la céleste voûte,
Tracer au firmament, dans son oblique route,
Un lumineux rayon :
<159>Tel, subjugué du dieu dont le transport m'inspire,
Plein de l'enthousiasme et du fougueux délire
De ses accès divins,
Je m'élance soudain des fanges de la terre
Au palais dont les dieux font tomber le tonnerre
Sur les pâles humains.
Mes accents ne sont plus ceux d'un mortel profane,
C'est Apollon lui-même, animant mon organe,
Qui parle par ma voix;
Des destins éternels la volonté secrète
Se dévoile à mes yeux, je deviens l'interprète
De leurs augustes lois.
O Prussiens! c'est à vous que l'oracle s'adresse,
Vous, que l'acharnement d'un sort barbare oppresse
Sous cent calamités :
Sachez qu'aucun État dans sa gloire naissante
N'éprouva sans revers la course triomphante
De ses prospérités.
Rome parut souvent au bord du précipice,
Sans que pour son secours l'appui d'un dieu propice
Détournât son affront;
Les sénateurs en deuil pleuraient la république
Quand Annibal, vainqueur, de ses guerriers d'Afrique
Eut écrasé Varron.
Au sein de ses dangers s'accrut son espérance;
Elle maintint ses murs plutôt par sa constance
Que par ses légions.
<160>Prêt à récompenser ce sublime courage,
Mars nomma pour vengeur d'un si cruel outrage
L'aîné des Scipions.
Du Tibre désolé le démon de la guerre
Porte, en passant les mers, sur la coupable terre
Le carnage et l'horreur;
Dans les champs africains l'ennemi prend la fuite,
Rome fut délivrée, et Carthage réduite
Sous son nouveau vainqueur.
Dans nos jours criminels, la guerre qui vous mine,
Prussiens, semble annoncer la prochaine ruine
De vos vastes États;
L'Europe frénétique, et l'œil brûlant de rage,
Porte dans votre cœur la flamme, le carnage,
L'horreur et le trépas.
Cette hydre, en redressant ses têtes enflammées,
Vomissant des soldats, enfantant des armées,
Sur nous fond en courroux;
Le monstre vainement de vos mains triomphantes
Sentit l'effort puissant; ses têtes renaissantes
Bravent encor vos coups.
Si la Haine et l'Envie, avides de leur proie,
Pensent traiter Berlin comme Agamemnon Troie
Après la mort d'Hector,
O peuple généreux! abattez leurs trophées;
Leurs couleuvres bientôt sous vos pieds étouffées
Feront changer le sort.
<161>C'est dans les grands dangers qu'une âme magnanime
Peut déployer la force et le pouvoir sublime
Du courage d'esprit.
Qu'importe la tempête et Jupiter qui tonne?
L'homme qui, plein d'effroi, lui-même s'abandonne
Est le seul qui périt.
Le souverain des dieux, de ses mains libérales,
Répand sur les humains, de deux urnes égales,
Et les biens et les maux;
Tandis que la nature attentive, assidue,
Fait naître en même temps la casse et la ciguë,
Le cèdre et les roseaux.
Ce mélange fâcheux de souffrance et de gloire
De l'archive des temps remplit la longue histoire
De désastres cruels.
Un bonheur toujours pur, dont l'éclat se conserve,
Se refuse à nos vœux; le destin le réserve
Pour les dieux immortels.
Au courage obstiné la résistance cède,
Un noble désespoir est l'unique remède
Aux maux désespérés;
Le temps met fin à tout, rien n'est longtemps extrême,
Et souvent le malheur devient la source même
Des bonheurs désirés.
Les aquilons mutins d'un ormeau qu'on néglige
Par leurs fougueux assauts font incliner la tige,
Qui cède pour un temps;
<162>Mais de la molle arène et du niveau de l'herbe
Il se lève, et dans peu de sa tête superbe
Il ombrage les champs.
Dans les bras d'Amphitrite, où son éclat expire,
Le soleil de la terre abandonne l'empire
Aux ombres de la nuit;
Mais ses rayons vainqueurs au point du jour éclipsent
Ces flambeaux lumineux, ces astres qui pâlissent,
Et l'obscurité fuit.
Telle m'apparaissant couverte de ténèbres,
Ma patrie éplorée, à ses voiles funèbres
Attachant ses regards,
De nos calamités l'âme encore effrayée,
Sur nos lauriers flétris tristement appuyée,
Maudissant les hasards;
Malgré tant de périls, de revers mémorables,
Recourbé sous le poids des destins implacables
Contre elle déchaînés,
J'entrevois, à travers cette ombre que j'abhorre,
Les prémices charmants et la naissante aurore
De ces jours fortunés.
Les dieux pour les mortels ne font plus de miracles;
Entourés de dangers, de gouffres et d'obstacles
Qui bordent leur chemin,
Ils leur ont départi l'audace et le courage,
Utiles instruments dont le pénible ouvrage
Asservit le destin.
<163>Le tribut de la mort se doit à la nature,
C'est lui rendre son bien, dont on tire l'usure
Pendant qu'on en jouit;
Mévius le lui paya de même que Virgile,
Thersite comme un lâche, en vrai héros Achille,
Et tout s'évanouit.
Cette mort, dont on craint la redoutable image,
Peut vous rendre immortels, si vous vengez l'outrage
De vos lares, Prussiens.
L'amour de la patrie, à Rome secourable,
Changeait en demi-dieux de ce peuple adorable
Les moindres citoyens.
Eh quoi! notre siècle est-il donc sans mérite?
Du monde vieillissant la masse décrépite
Est-elle sans vertus?
Par ses productions la nature épuisée
Laisse-t-elle en nos temps la terre sans rosée,
L'Océan sans reflux?
Non, non, de ces erreurs écartons les chimères.
Rome, de tes guerriers les vertus étrangères
Ont illustré nos camps;
Nos triomphes, témoins de cent faits héroïques,
Transmettent de nos chefs aux fastes historiques
La gloire et les talents.
Vous, que notre jeunesse avec plaisir contemple,
De leurs futurs exploits le modèle et l'exemple,
L'ornement et l'appui,
<164>Soutenez cet État, dont la gloire passée,
Mon frère, sur le point de se voir éclipsée,
Chancelle aujourd'hui.
Ainsi les temps féconds qui jamais ne s'épuisent
Fourniront des appuis, tant que les astres luisent,
O Prusse! à ta grandeur;
Ainsi ma muse annonce en ses heureux présages
Du bonheur de l'État jusqu'à la fin des âges
La durable splendeur.
Que le sein déchiré des serpents de l'envie,
Arrachant nos lauriers, l'affreuse Calomnie
Frémisse de fureur;
Qu'elle lance sur nous de ses armes fatales
Des traits empoisonnés aux ondes infernales
Pour blesser notre honneur :
Qu'importe? aucun mortel ne fut invulnérable;
Mais il trouve un vengeur dans l'arrêt équitable
De la postérité.
Une âme magnanime, amante de la gloire,
Malgré ses envieux fait passer sa mémoire
A l'immortalité.
C'est ainsi que ma muse au pied d'un vieux trophée
A pu ressusciter de la lyre d'Orphée
Les magiques accords;
Que par des sons hardis ma trompette guerrière
Des Prussiens aux combats d'une illustre carrière
Secondait les transports.
<165>Et dans l'horreur des camps, aux rives de la Saale,
Tandis qu'à ses fureurs la Discorde infernale
Livrait tout l'univers,
Que des antres du Nord les neiges pacifiques
S'apprêtaient à voiler tant d'images tragiques,
Phébus dicta ces vers.
Ce 6 d'octobre 1757.
Federic
<166>II. ODE AU PRINCE FERDINAND DE BRUNSWIC SUR LA RETRAITE DES FRANÇAIS EN 1758. STROPHES XIVe ET XVIe.166-a
O nation folle et vaine!
Quoi! sont-ce là ces guerriers,
Sous Luxembourg, sous Turenne,
Couverts d'immortels lauriers,
Qui, vrais amants de la gloire,
Affrontaient pour la victoire
Les dangers et le trépas?
Je vois leur vil assemblage
Aussi vaillant au pillage
Que lâche dans les combats.
Quoi! votre faible monarque,
Jouet de la Pompadour,
<167>Flétri par plus d'une marque
Des opprobres de l'amour,
Lui qui, détestant les peines,
Au hasard remet les rênes
De son empire aux abois,
Cet esclave parle en maître,
Ce Céladon sous un hêtre
Croit dicter le sort des rois!
III. ODE A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC SUR LA MORT DE SON FILS LE PRINCE HENRI, TUÉ PRÈS DE HAMM DANS LA CAMPAGNE DE 1761.168-a
O jour de sang, de deuil, de regrets et de larmes!
Les crimes insolents, échappés des enfers,
Amènent les moments de terreurs et d'alarmes;
Que de fléaux unis désolent l'univers!
L'aurore et le couchant, l'Océan et la terre
Aux funestes lueurs des flambeaux de la guerre
Contemplent leurs malheurs.
Un cruel brigandage,
La fureur du carnage,
Ont étouffé les mœurs.
<169>L'ardeur de dominer, la soif de la vengeance,
Remplissent l'univers de leurs poisons mortels;
La loi, c'est le pouvoir; le droit, la violence;
Il n'est rien de sacré pour des cœurs criminels.
Les yeux étincelants de rage et de furie,
Les chefs, de leurs guerriers lâchant la barbarie,
Dévastent les États.
Rois, quand je vous contemple,
Je vois que votre exemple
Produit ces attentats
Oppresseurs des humains, sanguinaires monarques,
D'esclaves prosternés souverains odieux,
Vous, dont l'orgueil séduit, malgré tant d'Aristarques,
Déguisant vos forfaits, vous travestit en dieux,
Jusqu'à quand verrons-nous vos discordes fatales,
Vos désirs effrénés, vos haines infernales
Continuer leur cours,
Nourrir nos incendies,
Tramer des perfidies
Qui dégradent nos jours?
Est-ce pour vos fureurs qu'un flatteur vous compare,
Dans sa fausse éloquence, aux êtres immortels,
Vous, qu'on dirait vomis des gouffres du Ténare,
Nés d'esprits malfaisants, inhumains et cruels?
Éblouis de l'éclat de votre rang suprême,
Et trop préoccupés de l'amour de vous-même,
Vous vous idolâtrez;
En vain ils vous abusent,
Vos crimes vous accusent,
Et vous font abhorrer.
<170>De ces dieux irrités que vous couvrez d'outrage
Les traits sont effacés de vos cœurs malfaisants;
Leur courroux n'a jamais attiré notre hommage,
Mais leur seule bonté mérita notre encens.
Désoler les cités et les réduire en poudre,
C'est dérober aux dieux le redoutable foudre
Dont ils arment leurs bras.
Ah! consolez la terre,
Et bannissez la guerre
De ces tristes climats.
Où tendent ces complots que des ressorts iniques
Font mouvoir à l'envi de vos conseils hautains?
Téméraires mortels, aveugles politiques,
Vous croirez-vous toujours arbitres des destins?
N'apprendrez-vous jamais par tant d'expérience
Combien tous les desseins d'une vaine prudence
Aux revers sont sujets,
Et que de la fortune
L'inconstance commune
Renverse vos projets?
Quels siècles ont produit des mœurs plus détestables
Que cet âge fécond en crimes, en forfaits?
Des pays saccagés, des rois impitoyables,
Oppressant l'univers foudroyé par leurs traits?
L'intérêt et l'orgueil sont leurs dieux en ce monde;
Que du sang des humains le torrent nous inonde,
Leurs jours sont trop payés
Des tyrans qui gouvernent,
Si leurs regards discernent
Les morts sous leurs lauriers.
<171>Parcourez ces recueils d'exploits et de batailles;
Ces monuments d'audace et d'intrépidité
Ne vous fourniront point autant de funérailles
Que ce lustre écoulé ne nous en a coûté.
Cette terre, de sang, de carnage abreuvée,
Cette foule de morts à nos yeux enlevée,
Atteste nos regrets,
Et des pompes funèbres
Couvrent nos faits célèbres
De lugubres cyprès.
Vous cimentez d'un sang à vos regards servile
Votre gloire abhorrée, atroces conquérants.
Les humains sont-ils donc d'une espèce assez vile
Pour servir de jouets aux fureurs des tyrans?
Cruels ambitieux, vos cœurs nés pour les crimes,
Offrant à la fortune un nombre de victimes,
Méprisent ces soldats
Qui, semblables aux marques,
Ne servent aux monarques
Qu'à gagner des États.
Ces peuples éplorés, ces femmes désolées
Par des sanglots amers réclament leurs enfants;
D'aussi vives douleurs sont-elles consolées
En recueillant des morts les tristes ossements?
Rois, entendez leurs cris, que vos cœurs en gémissent :
Ces imprécations dont elles vous maudissent
Sont le prix réservé
Au cœur dur et farouche
Qu'aucun malheur ne touche
Qu'il n'a point éprouvé.
<172>Je te perds donc aussi, doux espoir de ma vie,
Prince aimable, que Mars aurait dû préserver
Des flèches du trépas que lançait en furie
Ce parricide bras que ton cœur sut braver!
Sur la fin de mes jours, ma vieillesse pesante,
Hélas! n'a pu ravir à la mort dévorante
Que tes membres sanglants.
Quoi! je vois la lumière
Pour fermer la paupière
A mes plus chers parents!
Il n'est point de mortels dont l'âme courageuse
Résiste sans frémir à ces coups d'Atropos.
O vous, ma tendre sœur, mère trop malheureuse!
Vous perdez votre fils, vous perdez un héros.
Comme un rapide éclair, rayonnant de lumière,
Au premier pas qu'il fait, entrant dans la carrière,
Il disparaît soudain;
Telle au printemps la rose
Demeure à peine éclose
L'espace d'un matin.
La fureur insensée où s'emporte l'Europe
Répand le sang abject et le sang précieux;
Le fer frappe à la fois et le cèdre et l'hysope,
Et le soldat obscur et le chef généreux.
L'âge du vieux Nestor, la jeunesse d'Achille,
Trop faibles protecteurs, ne servent point d'asile
Contre l'arrêt du sort;
Cette race proscrite
Pousse et se précipite
Dans les bras de la mort.
<173>Ah! pourquoi n'ai-je point la voix douce et sublime
Du chantre si fameux par les murs d'Amphion?
J'irais, j'irais pour vous, ô prince magnanime!
Fléchir dans les enfers Rhadamanthe et Pluton;
Mes accords toucheraient la Parque inexorable,
Mes chants feraient tomber de sa main redoutable
Les rigoureux ciseaux;
Plus heureux que Thésée,173-5
J'irais de l'Élysée
Ramener mon héros.
Malheureux! où m'égare un fortuné délire?
Quel mortel peut passer l'Achéron par deux fois?
Tout espoir est perdu. Muse, brisons ma lyre,
Terminons les accents de ma tremblante voix;
Ces chants que m'inspira ma plainte douloureuse,
Trop faibles pour percer la voûte ténébreuse
De leurs tristes clameurs,
Rappellent des peintures
Qui rouvrent nos blessures,
Et redoublent nos pleurs.
IV. (a) ÉPITRE AU MARQUIS D'ARGENS,174-a APOLOGIE DU SUICIDE.
Ami, le sort en est jeté;
Las du destin qui m'importune,
Las de plier dans l'infortune
Sous le joug de l'adversité,
J'accourcis le temps arrêté
Que la nature notre mère
A mes jours remplis de misère
A daigné départir parprodigalité.
D'un cœur assuré, d'un œil ferme,
Je m'approche de l'heureux terme
Qui va me garantir contre les coups du sort.
Sans timidité, sans effort,
J'entreprends de couper dans les mains de la Parque
Le fil trop allongé de ses tardifs fuseaux;
<175>Et sûr de l'appui d'Atropos,
Je vais m'élancer dans la barque
Où, sans distinction, le berger, le monarque,
Passent dans le séjour de l'éternel repos.
Adieu, lauriers trompeurs, couronnes des héros,
Il n'en coûte que trop pour vivre dans l'histoire;
Trop souvent vingt ans de travaux
Ne valent qu'un instant de gloire
Et la haine de cent rivaux.
Adieu, grandeurs, vaines chimères,
De vos bluettes passagères
Mes yeux ne sont plus éblouis.
Si votre faux éclat dans ma naissante aurore
Fit trop imprudemment éclore
Des désirs indiscrets, longtemps évanouis,
Au sein de la philosophie,
École de la vérité,
Zénon me détrompa de la frivolité
Qui fait l'illusion du songe de la vie,
Et je sus avec modestie
Repousser le poison qu'offre la vanité.
Adieu, divine volupté,
Adieu, plaisirs charmants qui flattez la mollesse,
Et dont la troupe enchanteresse,
Par des liens de fleurs enchaînant la gaîté,
Compagne dans notre jeunesse
De la brillante puberté,
Fuit de l'insipide vieillesse
Les arides glaçons et la rigidité.
Ah! que l'Amour me le pardonne,
Plaisirs, si je vous abandonne;
<176>176-+Mon pinceau ne sait point flatter.
Quand neuf lustres complets m'annoncent mon automne,
Plaisirs, je vous voyais tous prêts à me quitter.
Mais que fais-je, grand Dieu! courbé sous la tristesse,
Est-ce à moi de nommer les plaisirs, l'allégresse?
Et sous la griffe du vautour,
Voit-on la tendre Philomèle
Ou la plaintive tourterelle
Chanter et soupirer d'amour?
Depuis longtemps pour moi l'astre de la lumière
N'éclaira que des jours signalés par nos maux;
Depuis longtemps Morphée, avare de pavots,
N'en daigna plus jeter sur ma triste paupière.
Je disais au matin, les yeux chargés de pleurs :
Le jour qui dans peu va renaître
M'annonce de nouveaux malheurs;
Je disais à la nuit : Ton ombre va paraître
Pour éterniser mes douleurs.
Lassé de voir toujours la scène injurieuse
D'un concours de calamités,
Des coupables humains la rage audacieuse
Décharger contre moi leur haine furieuse
Et les perfides traits de leurs iniquités,
J'espérais que du temps le tardif bénéfice
Ferait renaître enfin un destin plus propice;
Que les cieux longtemps obscurcis,
Livrés aux ténébreux ravages
Des aquilons et des orages,
Seraient à la fin éclaircis
Par l'astre lumineux qui, perçant les nuages,
<177>De ses rayons brillants dorant les paysages,
Ramènerait des jours par ses feux radoucis.
Je me trompais, hélas! tout accroît mes soucis :
177-+Je vois briller l'éclair au sein de la tempête,
Le tonnerre en éclats va fondre sur ma tête;
Environné d'écueils, couvert de mes débris,
A l'aspect des dangers qui partout me menacent,
Les cœurs des pilotes se glacent,
Ils cherchent, mais en vain, un port et des abris.
Du bonheur de l'État la source s'est tarie,
Ses palmes sont flétries, ses lauriers sont fanés;
Mon âme, de soupirs et de larmes nourrie,
177-star2De ses douleurs trop attendrie,
Pourra-t-elle survivre aux jours infortunés
Qui sont près d'éclairer la fin de ma patrie?
Devoirs jadis sacrés, désormais superflus!
Défenseur de l'État, mon bras ne peut donc plus
Venger son nom, venger sa gloire,
En perpétuant la mémoire
De nos ennemis confondus!
Nos héros sont détruits, nos triomphes perdus;
Par le nombre, par la puissance
Accablés, à demi vaincus,
Nous perdons jusqu'à l'espérance
De relever jamais nos temples abattus.
<178>Vous, de la liberté héros que je révère,
O mânes de Caton! ô mânes de Brutus!
Votre illustre exemple m'éclaire
Parmi l'erreur et les abus;
C'est votre flambeau funéraire
Qui m'instruit du chemin, peu connu du vulgaire,
Que nous avaient tracé vos antiques vertus.
178-+Tes simples citoyens, Rome, en tes temps sublimes,
Étaient-ils donc plus magnanimes
Que, ce siècle, les plus grands rois?
Non, il s'en trouve encor qui, jaloux de ses droits,
Fermement résolu de vivre et mourir libre.
De lâches préjugés osant braver les lois,
Imite les vertus du Tibre.
Ah! pour qui doit ramper, abattu sans espoir,
Sous le despotique pouvoir
De triumvirs ingrats, de monstres politiques.
Vivre devient un crime, et mourir un devoir.178-a
Le trépas, croyez-moi, n'a rien d'épouvantable;
Ce n'est point ce squelette au regard effroyable,
Ce spectre redouté des timides humains;
C'est un asile favorable,
Qui d'un naufrage inévitable
Sauva les plus grands des Romains.
J'écarte les romans et les pompeux fantômes
<179>Qu'engendra de ses flancs la superstition,
Et pour approfondir la nature des hommes,
Pour connaître ce que nous sommes,
Je ne m'adresse point à la religion.
J'apprends de mon maître Épicure
Que du temps la cruelle injure
Dissout les êtres composés;
Que ce souffle, cette étincelle,
Ce feu vivifiant des corps organisés,
N'est point de nature immortelle.
Il naît avec le corps, croît avec les enfants,
Souffre de la douleur cruelle;
Il s'égare, il s'éclipse, il baisse avec les ans;
Sans doute il périra quand la nuit éternelle
Viendra nous effacer du nombre des vivants.
Je vois, quand l'âme est éclipsée,
Qu'il n'est plus hors des sens mémoire ni pensée,
Et que l'instant qui suit la mort
Se trouve en un parfait rapport
Avec le temps dont l'existence
A précédé notre naissance;
Et que, par un ancien accord,
Tout homme est obligé de rendre
Au sein divers des éléments
Ces principes moteurs, ces immortels agents
Que d'eux la nature sut prendre
Pour former la texture et l'accord de nos sens.
Tout disparaît enfin de ce songe bizarre;
Mégère, Tisiphone et le sombre Tartare,
La vérité détruit ces fantômes savants;
Lieux que la vengeance prépare,
<180>Vous êtes vides d'habitants.
Ainsi donc, cher ami, d'avance je m'attends
Que ton esprit un peu profane
Ne prendra pas le ton des mystiques pédants
Dont la rigidité condamne
Les sentiments hardis, des leurs trop différents.
Je ne m'étonne point, d'Argens,
Que ta sagesse aime la vie;
Enfant des arts et d'Uranie,
Bercé par la douceur des chants
Des Grâces et de Polymnie,
Sybaritain heureux, abreuvé d'ambroisie,
Tes destins sont égaux, tes désirs sont contents.
Ainsi, sans crainte et sans envie,
Sans chagrin, noirceur ni tourments,
Ta tranquille philosophie
Trouve dans ses amusements,
Avec ta moitié tant chérie,
Sur le trône des agréments,
Couvert des ailes du génie,
Le paradis des fainéants.180-+
Pour moi, que le torrent des grands événements
Entraîne en sa course orageuse,
Je suis l'impulsion fâcheuse
De ses rapides mouvements.
Vaincu, persécuté, fugitif dans le monde,
Trahi par des amis pervers,
<181>J'éprouve en ma douleur profonde
Plus de maux dans cet univers
Que, dans les fictions de la Fable féconde,
N'en a jamais souffert Prométhée aux enfers.
Ainsi, pour terminer mes peines,
Comme ces malheureux, au fond de leurs cachots,
Las d'un destin barbare, et trompant leurs bourreaux,
D'un noble effort brisent leurs chaînes,
Sans m'embarrasser des moyens,
Je romps les funestes liens
Dont la subtile et fine trame
A ce corps rongé de chagrins
Trop longtemps attacha mon âme.
Adieu, d'Argens; dans ce tableau
De mon trépas tu vois la cause.
Au moins ne pense pas du néant du caveau
Que j'aspire à l'apothéose.
Tout ce que l'amitié en ces vers te propose,
C'est qu'autant qu'ici-bas le céleste flambeau
Éclairera tes jours tandis que je repose,
Que, lorsque le printemps paraissant de nouveau
De son sein abondant t'offre les fleurs écloses,
Chaque fois d'un bouquet de myrtes et de roses
Tu daignes parer mon tombeau.
IV.(b) ÉPITRE AU MARQUIS D'ARGENS.182-a FRAGMENT.182-b
Ami, le sort en est jeté;
Las de plier dans l'infortune
Sous le joug de l'adversité,
J'accourcis le temps arrêté
Que la nature notre mère
A mes jours remplis de misère
A daigné prodiguer par libéralité.
D'un cœur assuré, d'un œil ferme,
Je m'approche de l'heureux terme
Qui va me garantir contre les coups du sort,
Sans timidité, sans effort .....
Adieu, grandeurs, adieu, chimères;
De vos bluettes passagères
Mes yeux ne sont plus éblouis.
<183>Si votre faux éclat de ma naissante aurore
Fit trop imprudemment éclore
Des désirs indiscrets, longtemps évanouis,
Au sein de la philosophie,
École de la vérité,
Zénon me détrompa de la frivolité
Qui produit les erreurs du songe de la vie .....
Adieu, divine volupté,
Adieu, plaisirs charmants qui flattez la mollesse,
Et dont la troupe enchanteresse
Par des liens de fleurs enchaîne la gaîté .....
Mais que fais-je, grand Dieu! courbé sous la tristesse,
Est-ce à moi de nommer les plaisirs, l'allégresse?
Et sous les griffes du vautour,
Voit-on la tendre tourterelle
Et la plaintive Philomèle
Chanter ou respirer l'amour?
Depuis longtemps pour moi l'astre de la lumière
N'éclaira que des jours signalés par mes maux;
Depuis longtemps Morphée, avare de pavots,
N'en daigne plus jeter sur ma triste paupière.
Je disais ce matin, les yeux couverts de pleurs :
Le jour qui dans peu va renaître
M'annonce de nouveaux malheurs;
Je disais à la nuit : Tu vas bientôt paraître
Pour éterniser mes douleurs .....
Vous, de la liberté héros que je révère,
O mânes de Caton! ô mânes de Brutus!
Votre illustre exemple m'éclaire
Parmi l'erreur et les abus;
C'est votre flambeau funéraire
<184>Qui m'instruit du chemin, peu connu du vulgaire,
Que nous avaient tracé vos antiques vertus .....
J'écarte les romans et les pompeux fantômes
Qu'engendra de ses flancs la superstition,
Et pour approfondir la nature des hommes,
Pour connaître ce que nous sommes,
Je ne m'adresse point à la religion.
J'apprends de mon maître Épicure
Que du temps la cruelle injure
Dissout les êtres composés;
Que ce souffle, cette étincelle,
Ce feu vivifiant des corps organisés,
N'est point de nature immortelle.
Il naît avec le corps, s'accroît dans les enfants,
Souffre de la douleur cruelle;
Il s'égare, il s'éclipse, et baisse avec les ans;
Sans doute il périra quand la nuit éternelle
Viendra nous arracher du nombre des vivants .....
Vaincu, persécuté, fugitif dans le monde,
Trahi par des amis pervers,
Je souffre en ma douleur profonde
Plus de maux dans cet univers
Que, dans la fiction de la Fable féconde,
N'en a jamais souffert Prométhée aux enfers.
Ainsi, pour terminer mes peines,
Comme ces malheureux, au fond de leurs cachots,
Las d'un destin cruel, et trompant leurs bourreaux,
D'un noble effort brisent leurs chaînes,
Sans m'embarrasser des moyens,
Je romps mes funestes liens,
Dont la subtile et fine trame
<185>A ce corps rongé de chagrins
Trop longtemps attacha mon âme.
Tu vois dans ce cruel tableau
De mon trépas la juste cause.
Au moins ne pense pas du néant du caveau
Que j'aspire à l'apothéose .....
Mais lorsque le printemps paraissant de nouveau
De son sein abondant t'offre des fleurs écloses,
Chaque fois d'un bouquet de myrtes et de roses
Souviens-toi d'orner mon tombeau.
V. AU SIEUR GELLERT.186-a
Le ciel, en dispensant ses dons,
Ne les prodigue point d'une main libérale;
Il nous refuse plus que nous ne recevons.
Pour tout peuple à peu près sa faveur est égale,
Les Français sont légers, les Anglais sont profonds;
Et s'il dénie à l'un ce qu'il accorde à l'autre,
L'amour-propre, en changeant en roses ses chardons,
Au talent du voisin fait préférer le nôtre.
Sparte possédait la valeur,
Mars se plut d'y former de fameux capitaines;
Tandis que la molle douceur
Des arts et des talents respirait dans Athènes.
De Sparte nos vaillants Germains
Ont recueilli l'antique gloire :
Combien de grands exploits ont place en leur histoire!
Mais s'ils ont trouvé les chemins,
A travers les périls, au temple de Mémoire,
Les fleurs se fanent dans leurs mains,
Dont ils couronnent la Victoire.
<187>C'est à toi, le cygne saxon,
D'arracher ce talent à la nature avare,
D'adoucir par tes soins d'une langue barbare
La dure âpreté de ses sons.
Ajoute, par les chants que ta muse prépare,
Aux lauriers des vainqueurs, dont le Germain se pare,
Les plus beaux lauriers d'Apollon.
VI. ÉPITRE A MA SŒUR DE BAIREUTH.188-a
Chère sœur, de tout temps l'homme, peu raisonnable,
Languit stupidement sous le joug de ses sens;
Des foudres enflammés la crainte formidable
Lui fit sur des autels allumer son encens.
Tout objet merveilleux lui parut adorable,
Sa peur créa des dieux de tous les éléments;
On vit des bois exprès consacrés aux Furies,
Sous le nom d'Amphitrite on adora les mers,
L'éther devint Saturne, et tant d'idolâtries
Durent leur origine aux terreurs des enfers.
Ceux que l'ambition dévora de sa rage,
Que leur force excitait à dompter leurs égaux,
Brillants par leurs exploits, brillants par leur courage,
A des peuples grossiers parurent des héros.
<189>Dès lors l'apothéose eut des routes aisées,
Le ciel, tout étonné de ces cultes nouveaux,
Fut peuplé de mortels, de plantes, d'animaux;
Et si quelques vertus furent divinisées,
Les vices à leur tour trouvèrent des dévots.
Mais parmi tant de dieux que s'était forgés l'homme,
Auxquels la folle erreur avait sacrifié,
On ne trouve, à Memphis, dans Athènes, dans Rome,
Aucun culte à l'honneur du dieu de l'amitié,
Seul être, s'il en fut, qui méritât des temples;
Tant le peuple ignorant, facile à s'égarer,
Confond ce qu'il doit craindre ou qu'il doit adorer.
Mais l'univers alors manquait de grands exemples;
Le fidèle Euryale expirant pour Nisus,
Thésée aux bords du Styx suivant Pirithoüs,
Ces beaux noms, ces héros, leurs fastes respectables,
Ne subsistaient que dans les fables.
Pour donner du lustre aux vertus,
Il faut des faits plus véritables
Et des exemples plus connus.
Vous, ma divine sœur, que j'honore et révère,
Dont mon orgueil séduit se vante d'être frère,
Si Delphes, si Colchos, dans leurs temps fortunés,
Avaient trouvé chez eux une vertu si rare,
Les temples, les saints lieux, de festons couronnés,
Les peuples empressés, à vos pieds prosternés,
La génisse expirant sous un glaive barbare,
Vous eussent confirmé l'hommage des mortels;
Et bientôt leur reconnaissance,
Des dons de l'amitié connaissant l'excellence,
Vous aurait sous son nom dédié des autels.
<190>Qui sentit mieux que moi sa bénigne influence?
Dans mes jours fortunés ou dans ma décadence
Vous goûtiez mon bonheur, vous pleuriez mes revers.
Quoi! pourrais-je oublier cette amitié constante,
Sensible, secourable, et toujours agissante,
Qui me récompensait des maux que j'ai soufferts?
O vous, mon seul refuge! ô mon port, mon asile!
Votre voix étouffait ma douleur indocile,
Et, fort de vos vertus, je bravais l'univers.
A combien de dangers votre âme généreuse
S'exposa pour me secourir,
Moi, qui préférais de périr
A l'image trop douloureuse
Des maux que je craignais que vous pouviez souffrir!
Ah! fut-il jamais un modèle
D'une tendresse plus fidèle
Que celui que vous nous donnez?
Si la vertu rend immortelle,
Les autels vous sont destinés.
Qu'un cœur pétri de boue ou qu'une âme commune,
Sans sentiments et sans honneur,
Place le souverain bonheur
Dans ces frivoles biens, jouets de la fortune;
Qu'en lâche il se livre à l'erreur
De l'intérêt qui l'importune :
Mais qui possède votre cœur,
Espoir sur lequel je me fonde,
Le trouve au-dessus, tendre sœur,
De tous les trésors de ce monde.
Ah! si tous ces mortels d'un faux éclat surpris,
Qui par de vains désirs empoisonnent leur vie,
<191>D'un cœur fidèle et pur reconnaissaient le prix,
A mes tristes grandeurs ne portant plus d'envie,
Quittant tous leurs projets, ils ne seraient jaloux
Que du bonheur que j'ai d'être chéri de vous.
Mais quel trouble soudain me coupe la parole?
Tandis qu'une image frivole
Me rappelle mes jours sereins,
Quand, pour adoucir mes chagrins,
Votre souvenir me console,
Des cris lugubres et perçants
Me font frémir d'horreur et me glacent les sens.
Mes yeux se couvrent de ténèbres;
Les Grâces, les Vertus, sous des voiles funèbres,
Par leurs plaintifs gémissements,
Méprisant leurs attraits et négligeant leurs charmes,
M'annoncent, en fondant en larmes,
Et vos dangers, et mes tourments.
La mort, l'affreuse mort menace votre vie;
Les dieux, jaloux de leurs bienfaits,
A mon bonheur portent envie,
Et le trépas, d'un bras impie,
S'apprête à déchirer, ô comble de forfaits!
Les vertueux liens de deux amis parfaits.
Non, jamais la nature avare
N'avait de ses arides mains
Prodigué de présent plus parfait ni plus rare
Qu'elle le fit, ma sœur, vous donnant aux humains.
Peut-être ce séjour, où l'audace et le crime
Ne cessent de se déborder,
Est indigne de posséder
Un mérite aussi rare, une âme aussi sublime.
<192>Hélas! quand mon cœur révolté
Contre tant de méchanceté
Détestait les humains et leur scélératesse,
Alors, de vos vertus rappelant la splendeur,
Je pardonnais en leur faveur
A tous les vices de l'espèce.
O divine Amitié! dont l'aide et la douceur,
Secourable à mes maux, apaisa leur douleur,
Ne souffrez pas, mes dieux, qu'en vain je vous implore :
Arrachez au trépas une sœur que j'adore,
Agréez mon encens, mes larmes, mes soupirs.
Si votre culte fut l'objet de mes plaisirs,
Si jusqu'aux cieux ma voix de vous se fait entendre,
Exaucez les vœux d'un cœur tendre,
Et daignez accorder à mes ardents désirs
Le seul bien qu'à jamais de vous j'ose prétendre.
Conservez les précieux jours
De votre plus parfait ouvrage;
Qu'une santé brillante accompagne leur cours,
Et qu'un bonheur égal soit toujours leur partage.
Si l'inflexible sort qui nous donne la loi
Demande un sanglant sacrifice,
Mes dieux, implorez sa justice,
Que son choix rigoureux ne tombe que sur moi.
J'attends sans murmurer, victime obéissante,
Que l'inexorable trépas,
En consommant ses attentats,
Veuille émousser sur moi sa faux étincelante.
Mais si tant de faveurs que j'ose demander
Sur un faible mortel ne peuvent se répandre,
O mes dieux! daignez accorder
<193>Qu'on me voie et ma sœur un même jour descendre
Dans ces champs ombragés de myrte et de cyprès,
Séjour d'une éternelle paix,
Et qu'un même tombeau puisse enfermer ma cendre.
Cette Épître était accompagnée de la lettre suivante :
Ma très-chère sœur,
Daignez recevoir avec bonté les vers que je vous envoie; je suis si plein de vous, de vos dangers et de ma reconnaissance, qu'éveillé comme en rêve, qu'en prose comme en poésie, votre image règne également dans mon esprit, et fixe toutes mes pensées. Veuille le ciel exaucer les vœux que je lui adresse tous les jours pour votre convalescence. Cothenius193-a est en chemin; je le diviniserai, s'il sauve la personne du monde qui me tient le plus à cœur, que je respecte et vénère, et dont je suis jusqu'au moment que je rendrai mon corps aux éléments,193-b
Ma très-chère sœur,
le très-fidèle et dévoué frère et serviteur,
Federic.
(Rodewiz) le 12 octobre 1758.
<194>La margrave étant morte le 14 octobre, et n'ayant plus reçu les deux pièces précédentes, le Roi les adressa à son beau-frère, le margrave de Baireuth, avec la lettre suivante :
Mon cher margrave,
Je vous renvoie cette malheureuse lettre qui n'a point été rendue; vous y verrez ce que je pense. Après cette affreuse perte, la vie m'est plus odieuse que jamais, et il n'y aura pour moi de moment heureux que celui qui me rejoindra à celle qui ne voit plus la lumière. Je suis avec toute l'amitié possible,
Mon cher margrave,
votre fidèle frère,
Federic.
(Girlsdorf) le 4 novembre 1758.
<195>VII. LETTRE A VOLTAIRE.195-a
Grand merci de la tragédie de Socrate; elle devrait confondre le fanatisme absurde, vice dominant à présent en France, qui, ne pouvant exercer sa fureur ambitieuse sur des objets de politique, s'acharne sur les livres et sur les apôtres du bon sens.
Les frocards, les mitres, les chapeaux d'écarlate
Lisent en frémissant le drame de Socrate;
L'atrabilaire amas de docteurs, de cagots,
De la raison humaine implacables bourreaux,
En pâlissant de rage, en bouffissant leur rate,
D'absurdes zélateurs vont soulever les flots.
Si des Athéniens vous empruntez les dos
Pour porter à ceux-ci quelque bon coup de patte,
Les contre-coups sont tous sentis par vos bigots.
Déjà leur cabale est accrue
Du concours imposant des Mélites nouveaux,
Pédantesques tyrans, la honte des barreaux.
On s'empresse, on opine, et la troupe incongrue,
En vous épargnant la ciguë,
Pour mieux honorer vos travaux,
<196>Élève des bûchers, entasse des fagots.
Le brasier étincelle, et déjà part la flamme
Qu'allume la main de l'infâme
Pour consumer ce bel esprit,
Ce brillant précepteur d'un peuple qu'il éclaire;
Mais au lieu de griller Voltaire,
Ils ne pourront rôtir que son malin écrit.
Je vous en fais mes condoléances. Cependant, tout pesé, tout bien examiné, il vaut mieux le livre que l'homme. Vous devez bien croire que je ne me joindrai pas à ces gens-là; et si vous vous plaignez que je vous mords, c'est à mon insu, ou du moins sans intention. Pensez, je vous prie, que je suis environné d'ennemis, pressé de toute part; l'on me pique, m'éclabousse; ici l'on m'insulte; enfin la patience succombe. L'instinct d'un sentiment trop vif l'emporte sur la voix de la raison, et la colère irritée s'enflamme. Je suis dans quelques moments
Comme un sanglier écumant
Qui résiste et qui se défend
Contre les durs assauts d'une meute aguerrie.
On le poursuit avec furie;
Il attaque, il blesse, il pourfend,
Et donne à propos de sa dent
Des coups à la race ennemie,
Qui le suit de loin en jappant.
Trop irrité dans sa colère,
Il brave le fer inhumain,
Et, brouillant les objets qu'il trouve en son chemin,
Un innocent agneau lui paraît un Cerbère.
L'homme, ainsi que cet animal,
S'il souffre, irrité par le mal,
Livre à l'instinct des sens sa faible intelligence.
<197>Sous le despotisme fatal
De la sanguinaire vengeance,
Souvent son aveugle fureur
Confond le crime et l'innocence.
Le sage, qui voit son erreur,
Le plaint, le déplore, et soupire;
Détournant ses pas sans rien dire,
Il fuit d'un malheureux l'esprit rempli d'aigreur.
Laissez-moi donc ronger mon frein tant que dure cette pénible campagne, et attendez qu'un ciel serein ait succédé à tant d'obscurs nuages. Votre imagination brillante me promène à Vienne; vous m'introduisez au conseil de chasteté; mais sachez que l'expérience m'apprend ce que c'est de se frotter à de méchantes femmes.
Hélas! pensez-vous qu'à mon âge,
Le corps en rut, l'esprit volage,
L'on cherche, d'amour agité,
De Vénus le doux badinage,
Les plaisirs et la volupté?
Ce temps heureux, c'est bien dommage,
Loin de moi s'est précipité,
Et les eaux du fleuve Léthé
En ont même effacé l'image.
La tendre fleur du pucelage,
Ni l'empire de la beauté,
Sur un vieillard courbé, voûté,
Ne gagnent qu'un faible avantage.
Le conseil de la chasteté
Devient par force mon partage;
Continence est nécessité;
A cinquante ans on est trop sage.
Cependant, pour vous révéler
<198>Des maux que je devrais celer,
Je souffre d'un cruel supplice :
Trois grands mois passés, j'eus l'honneur
De recevoir, pour mon malheur,
D'une certaine impératrice
Une brûlante chaude ...
Ces lauriers sont pour les amants
Dont la folle ardeur de leurs flammes
Mesure, par trop imprudents,
Leur peu de force avec les femmes.
Je n'ai point eu, cette campagne-ci, de vision béatifique dans le goût de celle de Moïse.198-a Les barbares Cosaques et Tartares, gens infâmes à considérer en tout sens, ont brûlé et ravagé des contrées, et commis des inhumanités atroces. Voilà tout ce que j'ai vu d'eux. Ces tristes spectacles ne mettent pas de bonne humeur.
La Fortune inconstante et fière
Ne traite pas ses courtisans
Toujours d'une égale manière.
Ces fous nommés héros, et qui courent les champs,
Couverts de sang et de poussière,
Voltaire, n'ont pas tous les ans
La faveur de voir le derrière
De leurs ennemis insolents.
Pour les humilier, la quinteuse déesse
Quelquefois les oblige eux-même à le montrer.
Oui, nous l'avons tourné dans un jour de détresse,
Les Russes ont pu s'y mirer;
Cette glace pour eux n'a point été traîtresse,
On les a vus, pleins d'allégresse,
<199>S'y pavaner et s'admirer;
Voilà le sort de ma vieillesse.
Cependant cet homme bénit
Par l'antechrist siégeant à Rome,
Ce Fabius, ce plaisant homme,
Qui sur sa tête réunit
De la vanité la plus folle
Le brillant et frêle symbole,
Commence à décamper de nuit.
Je n'ose dire qu'il s'enfuit,
Jusqu'ici la pudeur nous cache
Cette attitude qui le fâche;
Mais, comptez sur moi, nous verrons
Dans peu ses culs dodus et ronds,
Sans façon, sans tant de grimace,
Lorsque, plus pressés, ils courront
Sans honte nous montrer le revers de leur face.
Alors un certain duc, s'illustrant à jamais,
Sauvera l'empire français
Sans capitaines, sans finance,
Sans Amérique, sans prudence,
Jusqu'en ses fondements sapé par les Anglais;
Couvrant tous ces objets d'un voile de prudence,
Et lâchant quelques mots remplis de complaisance,
Au genre humain rendra la paix.
Et moi, quittant l'harnais, et le casque, et l'épée,
De trop de sang humain trempée.
Je partirai soudain d'ici;
J'irai, consolant ma vieillesse
Par l'étude de la sagesse,
M'ensevelir à Sans-Souci.
<200>Ce lieu me vaut les Délices.200-a Par illusion je croirai vivre hors le grand monde, et quelquefois j'y serai solitaire. Jouissez de votre ermitage. Ne troublez pas les cendres de ceux qui reposent au tombeau; que la mort au moins mette fin à vos injustes haines. Pensez que les rois, après s'être longtemps battus, font enfin la paix; ne pourrez-vous jamais la faire? Je crois que vous seriez capable, comme Orphée, de descendre aux enfers, non pas pour fléchir Pluton, non pas pour ramener la belle Emilie, mais pour poursuivre dans ce séjour de douleur un ennemi que votre rancune n'a que trop persécuté dans ce monde. Sacrifiez-moi votre vengeance, ou plutôt immolez-la à votre réputation. Que le plus grand génie de la France soit aussi l'homme le plus généreux de sa nation. La vertu, votre devoir, vous parlent par ma bouche; n'y soyez pas insensible, et faites une action digne des belles maximes que vous débitez avec tant d'élégance et de force dans vos ouvrages. Nous touchons à la fin de notre campagne; elle sera bonne, et je vous écrirai, dans une huitaine de jours, de Dresde, avec plus de tranquillité et de suite qu'à présent. Adieu, négociez, travaillez, jouissez, écrivez en paix, et que le dieu des philosophes, en vous inspirant des sentiments plus doux, vous conserve comme le plus bel organe de la raison et de la vérité.
Federic.
<201>VIII. ÉPITRE A D'ALEMBERT,201-a SUR CE QU'ON AVAIT DÉFENDU L'ENCYCLOPÉDIE ET BRÛLÉ SES OUVRAGES EN FRANCE.
Un sénat de Midas en étole, en soutane,
Du mensonge stupide organe,
A, nous dit-on, proscrit vos immortels écrits;
Son imbécillité condamne
Au feu messieurs les beaux esprits :
La superstition, l'erreur et l'ignorance
Sont-ils de la raison les juges à Paris?
Avec quelle fureur, avec quelle impudence
Ces prêtres de Baal, que l'enfer a vomis,
Étouffant le bon sens, poignardant la science,
Ont sur l'art de penser, à leur arrêt soumis,
Exercé les horreurs de la Saint-Barthélemy!
Barbares Visigoths, qu'osez-vous entreprendre?
Opprobre de nos jours, votre férocité
Vous empêche donc de comprendre
Que, malgré les complots de votre iniquité,
La raison et la vérité
<202>Sont comme le phénix, qui renaît de sa cendre!
Malgré tant de brouillards qu'exhalaient les erreurs
De vos conciles et synodes,
Galilée eut raison, et vos inquisiteurs
N'ont pu, joints à tous vos docteurs.
Anéantir les antipodes.
Mais qui vous rend persécuteurs?
Pourquoi votre rage insensée
Paraît-elle émue, offensée
De ce que de profonds auteurs,
Fidèles au bon sens, nous peignent leur pensée?
O comble de forfaits! ô siècle! ô temps! ô mœurs!
Je laisse en paix le tas de vos songes trompeurs,
Du faux merveilleux la tissure apocryphe;
Le crime vous décèle, indignes imposteurs :
Le vicaire du ciel, votre premier pontife,
Protége des conspirateurs,
Des prêtres furieux dont les complots perfides
Armaient contre leur roi des sujets parricides;
Le Portugal l'atteste, et l'Europe en frémit,
Le sage dans son cœur en silence en gémit,
Et Rome en ce siècle servile
Devient le repaire et l'asile
Du crime, qui s'y raffermit.
Un ordre qui d'Ignace a reçu sa doctrine,
Qui nourrit dans son sein le meurtre et la ruine,
Aux mœurs, aux lois, à rien astreint,
Que tout roi hait, déteste ou craint,
Qui porte en tous les lieux une guerre intestine,
En bravant le pouvoir, fièrement se soutient,
Quoiqu'il ait mérité cent fois qu'on l'extermine.
<203>Osez-vous, féroces chrétiens
Qui jusqu'au sanctuaire, au milieu de vos temples,
D'attentats aux humains fournîtes les exemples,
Calomnier encor les vertus des païens?
Si vous les accusez de crimes,
Furent-ils comme vous barbares et cruels?
Songez au nombre de victimes
Dont l'inquisition a rougi les autels
D'un Dieu qui des âmes sublimes
Exigeait des vertus, non le sang des mortels.
On dirait, en voyant vos bûchers solennels,
Que vous osez offrir vos offrandes fatales
A des déités infernales.
Ah! jusqu'à quand les nations
Souffriront-elles ces scandales
Et l'abus des religions?
Voilà, voilà pourquoi ces monstres à tonsure,
Ces charlatans de l'imposture,
Ces indignes vengeurs des intérêts du ciel,
Pleins d'animosité, de fureur et d'envie,
Ont déclaré la guerre à la philosophie;
Voilà pourquoi ces flots d'amertume et de fiel
Sont répandus sur votre vie.
Le ciel sert de prétexte à leur méchanceté;
Ces fourbes, en tremblant dans leur obscurité,
Craignent que la raison, de sa vive lumière,
N'éclaire de trop près leur infâme carrière,
Et décèle la vérité.
Laissez ramper dans la poussière
Ces fléaux de l'humanité;
Qu'ils mêlent l'injure au bréviaire,
<204>Qu'ils confondent l'orgueil avec l'humilité;
De leur croassement la clameur passagère,
O sage d'Alembert! pour votre esprit austère
N'est qu'un son frivole, un vain bruit,
Qui se dissipe et qui s'enfuit.
Amant des vérités sublimes, éternelles,
Sans vous embarrasser de leurs lâches querelles,
Au haut du firmament à vos calculs soumis,
En méprisant vos ennemis,
Continuez en paix, loin des cris des rebelles,
Vos découvertes immortelles;
Tandis que leur audace excite les enfers,
Et qu'à son tribunal l'idiot vous assigne,
Par un sort plus noble et plus digne,
Vous éclairerez l'univers.
IX. ÉPITRE.205-a
Enfin, le triste hiver précipite ses pas,
Il luit, enveloppé de ses sombres frimas :
Le soleil reparaît au sommet des montagnes,
Ses rayons renaissants ont fondu les glaçons,
Les torrents argentins tombent dans les vallons,
Et coulent humecter les arides campagnes.
Dans les antres du Nord les fougueux aquilons,
Les autans et Borée ont cherché leur asile;
L'approche du printemps, le souffle des zéphyrs
Rend le sein de la terre abondant et fertile,
Et ramène aux mortels la saison des plaisirs;
Et la nature décrépite,
Que l'hiver a pendant cinq mois
Engourdi sous ses froides lois,
Du sommeil du tombeau triomphe et ressuscite,
Ainsi que le ver chrysalide
Ressort de son cocon plus brillant qu'autrefois.
La jeune, la charmante Flore,
<206>Dans ces jours doux, clairs et sereins,
Incessamment va faire éclore
Ses fleurs, l'ornement des jardins.
L'air rempli de parfums, la chaleur, tout conspire,
Pendant ces beaux jours revenus,
Pour étendre le doux empire
Que sur tout être qui respire
Exerce l'aimable Vénus.
Déjà son nouveau charme inspire
L'amour qu'en gazouillant expriment les oiseaux :
Elle échauffe l'instinct des habitants des eaux;
Par elle le berger pour sa Phyllis soupire.
Tandis qu'un même amour enflamme ses troupeaux;
Reine de la nature, elle amollit et touche
Le cœur sanguinaire et farouche
Des tigres, des lions, des cruels léopards :
Les accents de sa belle bouche
Désarmèrent jusqu'au dieu Mars.
Tandis que toute la nature
S'abandonne à l'instinct d'une volupté pure,
Quand les feux de l'amour viennent tout ranimer,
Quand l'air ne retentit que du tendre murmure
Des amants qui sous la verdure
Chantent le doux charme d'aimer,
Hélas! par une loi trop dure,
Un austère devoir nous force à nous exclure
Des plaisirs enchanteurs que je viens de nommer,
Et l'honneur et la gloire altière
Nous entraînent dans la carrière
Où l'implacable Mars au regard inhumain,
<207>Parmi des tourbillons de flamme et de poussière,
Fait dans des flots de sang rouler son char d'airain.
Là, sans cesse occupés par des exploits rapides,
Au lieu des tendres yeux de Glycère ou d'Iris,
Nous verrons ceux des Euménides;
Au lieu de doux concerts nous entendrons leurs cris.
Parmi le meurtre et les débris,
Encourager aux parricides
Ces guerriers de la gloire épris,
Et nos défenseurs intrépides.
Lorsque tout l'univers ne paraît aspirer
Qu'au noble emploi de réparer
L'affreux dépeuplement, la mémorable perte
Que l'espèce humaine a soufferte,
Que la nature enfin ne paraît s'occuper
Que du plaisir de reproduire,
Notre sort ennemi nous condamne à détruire
Ces restes de guerriers qui purent échapper
A la faux du trépas, toujours prête à frapper.
Fatal aveuglement, malheureuse folie,
Qu'à l'héroïsme l'homme allie,
Et qui semble le pervertir!
Dans sa profusion, la nature féconde
Aux mortels n'a pu départir
Qu'un moyen pour entrer au monde;
Il en est cent pour en sortir.
Loin de diminuer le nombre
De ces chemins semés de douleurs et de maux
Qui mènent à l'empire sombre,
Nous en inventons de nouveaux.
<208>Ah! quelle fureur nous enivre,
Pour immoler à Mars nos plus tendres désirs!
Qu'il en coûte, ô gloire, à te suivre!
Nous avons deux moments à vivre,
Qu'il en soit un pour les plaisirs.
X. ÉPITRE AU MARQUIS D'ARGENS,209-a COMME LES RUSSES ET AUTRICHIENS BLOQUAIENT LE CAMP DU ROI.
Au camp de Bunzelwitz.209-b
Du philosophe des marquis,
Du Provençal le plus fidèle,
I ne m'est, d'un grand mois, transcrit
Billet, écriture ou nouvelle.
Ce n'est plus lui que je querelle,
Mais ce vil amas de brigands,
De barbares qui tous les ans
Viennent, au milieu de l'automne,
Des riches faveurs de Pomone
Dépouiller nos fertiles champs.
Ainsi qu'un ténébreux nuage
Qui renferme en ses flancs affreux
Les éclairs, la grêle et l'orage,
<210>Devancé du bruyant ravage
Des aquilons impétueux,
Cet infâme essaim de barbares,
De nos troupeaux, de nos trésors
Pillards et ravisseurs avares,
Ont inondé ces tristes bords,
Précédés par les nombreux corps
Des Cosaques et des Tartares;
L'horreur des dévastations,
Le désespoir et la ruine,
Les misères et la famine
Accompagnent leurs bataillons.
Bientôt leur vaste multitude,
Jointe au corps du brutal Loudon,
Nous entoure avec promptitude,
Et nous enferme d'un cordon.
Ce Buturlin, ce sacrilége,
Environné d'Autrichiens,
Dit : « Allons donc, que l'on assiége
Ces redoutables Prussiens;
Ils sont tombés dans notre piége;
Vive l'esprit des Russiens! »
Mais le dieu de l'intelligence,
Qui n'entre point dans les conseils
Des Midas et de leurs pareils,
Leur envoie dans son absence
La Folie avec ses grelots,
Digne d'endoctriner des sots.
Chez nous, l'active vigilance,
L'honneur et la persévérance,
Tous les matins, au trait vermeil
<211>Que dardait la naissante Aurore,
De nos yeux tout prêts à se clore
Chassait les pavots du sommeil;
Et Mars, qui, selon sa coutume,
Se rit d'un catarrhe ou d'un rhume
Gagné dans ses champs périlleux,
Au lieu de la douillette plume,
Nous fournit des lits plus pompeux
Que n'ont les courtisans oiseux
Qui, des voluptés de Versailles,
En étourdis, de nos batailles
Se font les juges sourcilleux.
Une colline en batterie,
Monument de notre industrie,
Fut le magnifique palais
Où des javelles que sans frais
Amassait une main guerrière,
Sans raffinement, sans apprêts,
Nous servaient de douce litière;
La terre portait notre faix,
Et des cieux l'immense carrière
A nos beaux lits formait le dais.
Là, quinze jours, et plus encore,
Nous vîmes la naissante Aurore,
A sa toilette le matin,
Se parer, d'un air enfantin,
Et de rubis, et d'émeraudes,
Scrupuleuse à suivre les modes
Dont Paris inonde Berlin;
Et tous les soirs, au crépuscule,
Tant que dura la canicule,
<212>On nous vit, sans nous relâcher,
Assister au petit coucher
De Phébus, qui près d'Amphitrite,
La nuit, va rendre sa visite.
Enfin, marquis, par le hasard,
Ou bien quel qu'en soit le principe,
Des barbares l'épais brouillard
En moins d'un clin d'œil se dissipe.
Où sont ces brigands qu'ont vomis
Les bords glacés du Tanaïs,
Les marais empestés du Phase,
Ou les cavernes du Caucase?
Je n'aperçois plus d'ennemis.
Les voyez-vous qui sans scrupule
S'en vont fuyant vers la Vistule,
Pour cacher la honte et l'affront
Dont on a fait rougir leur front?
Qu'ils retournent dans leur repaire,
Chez les farouches animaux,
Et qu'ils déchargent leur colère
Sur cette engeance sanguinaire
D'ours et de tigres, leurs égaux.
Pour Loudon, ce vaillant Achille,
Ce Loudon, auquel le concile
Et le pape auraient accordé
L'épée et la toque bénite
Dont on décora le mérite
De Daun, à présent brocardé,
Loudon et sa troupe dorée,
Et ses soldats et ses archers,
Se sont une belle soirée
<213>Blottis derrière des rochers
Où nous n'irons pas les chercher.
Tels sont les gestes véridiques
Et tous les exploits héroïques
Qu'ont vus les champs silésiens
Des Russes et des Prussiens.
Mais tandis que ma muse accorte
Très-succinctement vous rapporte
Les prouesses de nos soldats,
Subitement devant ma porte
Arrive, avec un grand fracas,
Cette bavarde à l'aile prompte
Qui toujours parle, et nous raconte
Ce qu'elle sait ou ne sait pas,
Et qui divulgue sur ses pas
La gloire tout comme la honte
Des belles et des potentats.
Cette rapide renommée,
Dont l'homme le plus éventé
Et le sage avec gravité
Convoitent si fort la fumée,
Nous apprend par des bruits confus
Que Daun et Broglie sont battus.
D'abord je me peins en idée,
Couvert de lauriers et de sang,
Haussé d'une demi-coudée,
Notre superbe Ferdinand;
Puis je me représente en Saxe
Monseigneur le prince Henri,
Qui se pavane sur son axe,
Appuyé sur son favori.
<214>C'est ainsi que le ciel se joue
De ce que l'homme croit prévoir;
Ce plan où se fondait l'espoir
De l'alliance, qui l'avoue,
Et que Loudon sans insister
Sur nous devait exécuter,
Ce plan dans un clin d'œil échoue.
Ceci rappelle à mes esprits
Le conte dont je fus nourri,
Dans ma jeunesse errante et vaine,
Du fameux mont de La Fontaine,
Qui, parmi le bruit et les cris,
Et du travail d'enfant en peine,
N'accoucha que d'une souris.
GAZETTE MILITAIRE.
Dans ce moment, de grand matin,
Nous apprenons par le Sarmate
Qu'un de nos braves, nommé Plate,
Vient, secondé par le destin,
De donner un bon coup de patte
Au Moscovite Buturlin,
Dont il a pris le magasin
Et deux mille ours à Kobylin.
Mais, ce qui passe la croyance,
Et fâche la russe Excellence,
Ce sont cinq mille chariots,
<215>Chacun traîné de deux chevaux,
Les fruits perdus de ses rapines;
Enfin, pour comble à tant de maux,
Sept obusiers ou coulevrines.
De plus encore, on nous apprend
Qu'une cité très-bien munie,
Capitale de Posnanie,
Par un bonheur tout aussi grand,
Signale le bras triomphant
Du vainqueur du peuple oursoman.
Neuf bataillons portent nos chaînes,
Et ce Buturlin, si rétif
A dévaster nos belles plaines,
Chez le Sarmate, en fugitif,
Se cache pour pleurer ses peines.
Ainsi, bonnes gens de Berlin,
Ne craignez plus pour cet automne
Les maux que vous ferait Bellone
Sous le masque de Buturlin.
On vient de vous tirer l'épine
Qui commençait à picoter,
Et, secourus de la famine,
Jusqu'aux ours, tout se peut dompter.
Ah! puissent-ils dans la mer Noire,
D'une pirouette ou d'un saut,
La tête en bas, le cul en haut,
S'abîmer, eux et leur mémoire!
XI. ÉPITRE SUR LA MÉCHANCETÉ DES HOMMES.216-a FRAGMENT.
Je pensais autrefois, encor jeune et novice,
Étranger dans le monde, étranger dans le vice,
Que l'homme est le meilleur de tous les animaux.
Il est bon, me disais-je, il a peu de défauts,
Il n'est point furieux, cruel, ingrat ou traître.
Je le prenais enfin pour ce qu'il devait être,
Et dans le fond du cœur j'étais bien convaincu
Qu'on rencontrait partout l'honneur et la vertu.
Cette charmante erreur, fille de l'ignorance,
Se dissipa trop tôt; dans peu, l'expérience,
Dans le tumulte affreux où je me vis jeté,
Fit briller à mes yeux la triste vérité.
Je cherchais des vertus, et je trouvais des crimes;
Que de tours odieux! que d'infâmes maximes!
Fripons, fourbes, trompeurs, fous, perfides, ingrats,
La foule d'envieux environna mes pas,
Et mon âme, confuse, interdite, éperdue,
<217>Croyait à peine encor tout ce qu'elle avait vu.
Je confessais enfin, frappé de tant de maux,
Que, malgré sa raison, de tous les animaux
L'homme est le plus cruel, le plus dur et féroce.
Non, l'animal n'a point ce caractère atroce,
Et, bien loin de porter un cœur dissimulé,
Son courroux, s'il s'ombrage, est bientôt exhalé;
Mais l'homme étant vengé conserve encor sa haine.
Qui dirait, en voyant cette espèce inhumaine,
Perverse et tant encline à la méchanceté,
Séduite par l'exemple et par l'impunité,
Qu'on y pût rencontrer de ces âmes divines
Qui sans doute du ciel tirent leurs origines,
Des cœurs tendres et doux, justes et bienfaisants,
Amis de l'innocence, ennemis des méchants?
Mais d'un présent si beau, si précieux, si rare,
La main de la nature en tout temps fut avare.
Les dieux auraient-ils donc fait d'une même main
Cet ange que j'honore et ce monstre inhumain?
Je m'arrête, interdit, au bord de cet abîme,
Où se perd en sondant l'esprit le plus sublime;
Il me suffit d'apprendre, hélas! en gémissant,
Combien le cœur humain est perfide et méchant.
Renversons ses autels, combattons l'amour-propre,
Voyons l'homme placé sur un plus grand théâtre :
C'est de là que des grands les folles passions
Éclatent en public aux yeux des nations.
Le bonheur qui jadis accompagna ma vie
Excita contre moi la fureur et l'envie
De rois ambitieux dont les sanglants complots
De l'Europe irritée ont soulevé les flots;
<218>Les désirs effrénés de leur fougueuse ivresse
Prétendent par la force opprimer la faiblesse,
Et dans l'ardente soif qu'ils ont de dominer,
Il n'est rien de sacré qu'ils n'osent profaner.
Dans ces jours de douleur, de désordre et de trouble,
De dangers renaissants que leur longueur redouble,
Le destin qui me guide a semé mes chemins
D'abîmes entr'ouverts sous mes pas incertains :
De cent peuples ligués l'effort me persécute,
Tout semble préparer leur triomphe et ma chute.
Ces implacables rois, aux forfaits endurcis,
De la nature en eux ont étouffé les cris;
Un lustre entier, témoin de leur féroce rage,
A vu renouveler leur crime et mon outrage,
Et, malgré leurs assauts, mon bras faible et tremblant
Soutenir sans secours ce trône chancelant,
En épuisant l'art même, afin de m'y défendre.
S'il y a de la grandeur à savoir en descendre,
Il y a de la bassesse à s'en laisser chasser.
Tandis que je me sens si vivement presser,
Le seul peuple en Europe auquel la foi nous lie,
Rempli de ses succès, nous plaint et nous oublie.
Ces nœuds sacrés, formés entre les nations,
De l'amitié des rois douces illusions,
Nés de la politique et de la conjoncture,
Sont chargés du limon de cette source impure.
L'intérêt à l'honneur ne peut s'associer;
Négliger un ami, c'est le sacrifier,
Car c'est dans le besoin qu'il faut de l'assistance.
Vous découvrez partout, dans ce temps de souffrance,
De ces amis de nom que la peur a glacés,
<219>Faibles consolateurs de nos malheurs passés,
Qui, d'avance élevant un pompeux cénotaphe,
L'érigent pour laisser au monde consterné
Un léger souvenir d'un peuple exterminé.
Nous n'en souffrons pas moins; pour guérir nos atteintes,
Il faut de vrais secours, non de vaines complaintes,
Une assistance mâle, un vigoureux soutien
Qui partage avec nous et le mal, et le bien.
Vous nommez-vous amis, vous que la crainte arrête,
Qui, tranquilles, du port contemplez la tempête,
Qui, sans tendre la main à ceux qui vont périr,
Par les flots courroucés les laissez engloutir?
A la compassion toujours inaccessibles,
Vous renfermez en vous des âmes insensibles.
Le nom de l'amitié, pour moi saint et sacré,
Ne doit point décorer qui l'a déshonoré;
Mais tous ces grands, nourris dans un pouvoir suprême,
Réservent leur amour et leurs soins pour eux-même;
Le ciel semble avoir fait à chaque souverain
Des entrailles de fer, avec un cœur d'airain.
Qu'ils apprennent au moins, ou qu'un d'entre eux m'explique
Quel principe inconnu règle leur politique,
Et comment de sang-froid ils ont pu regarder
Ce torrent orageux qui va tout inonder,
Dévaster les États, en effacer la trace,
Qui, même voisin d'eux, d'assez près les menace
D'un sort non moins funeste et plus injurieux.
Ce n'était pas ainsi que pensaient leurs aïeux,
Pourquoi, lorsque autrefois l'Autriche avec la France
Disputaient pour ravir une dépouille immense
Des champs ibériens avec des héritiers,
<220>A peine remplissaient les camps de leurs guerriers,
Que l'Europe agitée, émue à ces alarmes,
Par des efforts soudains parut d'abord en armes,
Mesura ses secours, et par un juste choix
Rétablit l'équilibre et protégea les rois.
Si de ses libertés elle prit la défense,
Si sa main put alors redresser la balance
Qu'un souverain puissant fait pencher à son gré,
Le mal ne parut pas autant désespéré
Que le danger présent dont l'aspect la menace.
Que de rois conjurés, que d'orgueil, que d'audace!
Ce fier quadromvirat, ardent à m'opprimer,
Que la haine fomente et semble envenimer,
Si je succombe un jour, prêt à tout entreprendre,
Sans rencontrer de rois qui puissent se défendre,
D'un fantôme de guerre arborant les apprêts,
Gouvernera l'Europe en dictant ses arrêts.
Voilà dans l'avenir ce que tout œil peut lire;
L'exemple du passé suffit pour nous instruire.
Peuples trop amoureux de votre oisiveté,
Abreuvés des poisons de la sécurité,
De votre inaction goûtez longtemps les charmes,
Laissez couler le sang et répandre des larmes
A ceux qui, succombant, ont au moins combattu;
Et puisque dans l'Europe il n'est plus de vertu,
Puisque dans mes revers en vain je vous implore,
Tournons donc nos regards vers les lieux d'où l'aurore,
Répandant, les matins, ses rayons bienfaisants,
Rend la force et la vie à tous les éléments.
XII. AU MARQUIS D'ARGENS221-a SUR SON JOUR DE NAISSANCE.
Dans ce grand jour est né le fameux Jean-Baptiste,
Non pas ce triste fou dont nous parle l'Hébreu,
Qu'à travers les déserts on suivait à la piste,
Mais le marquis d'Argens, cet esprit si fameux,
Qui ne baptise point au nom d'un triple Dieu :
A peine en croit-il un, qu'il sert en bon déiste.
Loin que dans les déserts ce sage se consume,
Ce philosophe gît dans un bon lit de plume;
Sa douce quiétude, évitant les travaux,
S'endort tranquillement dans les bras du repos.
Son front dans les combats s'était chargé du casque,
Il emprunta d'un juif et le style, et le masque,
Donnant à l'univers des chefs-d'œuvre nouveaux.
Puisse le ciel bénir ses paisibles pavots!
Sans qu'il mange jamais ni miel, ni sauterelles,
Puisse-t-il parvenir aux ans des Fontenelles!
Par son très-humble serviteur et poëte de sa cour,
Fr.
XIII. VARIANTES DE CINQ MORCEAUX DES POÉSIES POSTHUMES.
I. Variantes du manuscrit de l'Ode au prince Ferdinand sur la retraite des Français en 1758. (Tome XII, p. 9-16.)
Page 9, lignes 6, 7 et 8 :
Les plaines, de morts jonchées,
Couvrent les champs du vainqueur,
Et ce consulaire illustre, ...
Page 10, ligne 7 :
Tels ces brigands de la Seine ...
Page 10, ligne 12 :
Confiants sur leur grand nombre, ...
Page 10, lignes 11 et 12 du bas :
Autant que leur insolence
Ne trouva ...
<223>Page 10, ligne 3 du bas :
Convient seule à ces héros.
Page 12, ligne 2 du bas :
Si l'ennemi manque d'audace, ...
Page 13, ligne 13 :
Mais ils n'ont d'autre barrière ...
Page 13, ligne 13 du bas :
Le cours toujours triomphant, ...
Page 14, ligne 7 :
O nation folle et vaine! ...
Page 14, ligne 11 du bas :
Que lâche dans les combats.
II. Variantes puisées dans le manuscrit de la poésie intitulée Le Stoïcien. (Tome XII, p. 208-218.)
Page 208, ligne 2 :
De vous-même et des dieux ennemis implacables, ...
Page 209, lignes 9 et 10 :
Le vers Sacrifiez-lui .... précède le vers Elle doit ....
Page 210, lignes 6 et 7 :
Votre goût offensé hait l'absinthe amère;
N'en grondez pas, son suc n'en est point radouci.
<224>Page 210, ligne 12 :
Mais votre emportement est prêt à l'imiter.
Page 211, ligne 5 :
Et voir tout l'univers de tes hauts faits frappé, ...
Page 211, ligne 15 :
Lorsqu'un jour le trépas, en étendant ses ailes, ...
Page 212, ligne 2 :
Leur exemple suffit, leur sort doit nous instruire ...
Page 213, ligne 2 du bas :
Les grands et les États ont leur borne prescrite.
Page 214, lignes 2, 3 et 4;
J'ai vu George, et Auguste, et ce czar, prince atroce,
Cruel législateur d'un peuple encor féroce;
Tous formaient des projets vastes et superflus.
Page 214, ligne 13 du bas :
Les Persans et les Grecs, et Rome après Carthage. ...
Page 214, ligne 7 du bas :
Tremblants pour l'avenir et frémissant du mal, ...
Page 215, ligne 5 :
Respecte ni vertu, ni pouvoir, ni naissance, ...
Page 215, ligne 11 :
Si ce n'est pour braver notre infélicité?
Page 217, ligne 2 du bas :
N'attirons point sur nous les flèches du tonnerre.
<225>III. Variantes du manuscrit de l'Epître au comte Hoditz, sur Rosswalde. (Ci-dessus, p. 80-85.)
Page 81, ligne 2 du bas :
Tandis qu'en promenant on examine, on cause, ...
Page 82, ligne 7 :
Ces dieux, n'existant plus qu'au code poétique, ...
Page 83, ligne 1 du bas :
Et remplissent les cieux des feux qu'elles dispensent, ...
Page 84, ligne 14 du bas :
S'attendent au mouchoir; chacune a raison.
IV. Variantes du manuscrit de l'Épître au baron de Pöllnitz. (Ci-dessus, p. 126-129.)
Page 126, ligne 2 :
Au point d'entrer dans la fatale barque, ...
Page 126, ligne 14 :
Qu'il méprisa l'or et les vils métaux, ...
Page 128, ligne 4 du bas :
Des biens que vous a laissés la fortune.
V. Variantes du manuscrit de l'Épître à mademoiselle de Knesebeek. (Ci-dessus, p. 130-136.)
Page 130, dans le titre :
Sur le saut qu'elle a fait du carrosse ...
Page 130, ligne 2 du bas :
A bien chanter ces exploits étonnants.
Page 131, ligne 4 :
Et d'Apollon veuille empoigner la lyre.
Page 134, lignes 11 et 12 du bas :
Sa valeur a surmonté les dangers,
Sans emprunter des secours étrangers.
Page 135, ligne 12 :
Leur trompette en mes mains est un sifflet.
Page 136, ligne 1 :
Tant de mérite et plus qu'en a vanté ...
10-a La baronne de Morrien (Charlotte-Wilhelmine-Dorothée), fille de Ernest-Louis de Marwitz, seigneur de Zernikow, Grabow, etc., naquit à Berlin le 18 juillet 1705. Veuve de Ferdinand-Bernard-Didier baron de Morrien, décédé le 4 août 1760, elle devint en 1767 grande gouvernante de la princesse de Prusse, et mourut le 11 février 1775. Voyez les lettres de Frédéric à Jordan, du 29 avril 1742, et à Voltaire, du 17 février 1770.
103-a Frédéric veut probablement parler de la reine de Suède. Voyez, ci-dessus, p. 86 et 91.
104-a Peut-être mylady Chudleigh, qui avait été à Berlin en 1765.
105-a Voyez t. X, p. 77.
107-a Ces vers, du 6 décembre 1772, font allusion à ceux par lesquels commence la lettre de Voltaire au Roi, du 18 novembre de la même année.
108-a Nicolas-Claude Thieriot, qui avait été depuis 1736 l'agent littéraire du Roi, mourut à Paris le 23 novembre 1772. C'est sous son nom que Voltaire composa une pièce en vingt-six vers qu'il intercala dans sa lettre à Frédéric, du 22 décembre suivant. La réponse du Roi est du 3 janvier 1773. Voyez les Œuvres complètes de Voltaire, édit. de Kehl, 1785, t. LXVI, p. 71 et 72. Dans les Œuvres posthumes de Frédéric II. A Berlin, 1788, t. IX, p. 181-185, cette réponse du Roi est datée du 26 janvier 1773, et les dix-sept vers destinés à servir d'introduction à la lettre y sont omis.
111-a Dans la traduction allemande des Œuvres posthumes (Nouvelle édition. A Berlin. 1789. t. VII, p. 194), cette pièce est intitulée Der Schwätzer (Le Babillard).
113-a Ministre des finances sous Louis XV, en 1771; remplacé en 1774 par Turgot.
113-b Voyez t. XI, p. 85.
114-a L'auteur fait ici allusion au système des colonnes du chevalier Folard. Voyez t. I., p. 184 et t. X, p. 278. Voyez aussi J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, p. 350.
114-b Le marquis Louis-François de Monteynard, ministre de la guerre en France du 4 janvier 1771 au 28 janvier 1774.
115-a Le duc d'Aiguillon était ministre des affaires étrangères. Voyez t. VI, p. 34, 35 et 128.
115-b Voyez t. V, p. 116. Le comte Guillaume de Schaumbourg-Lippe mourut le 16 septembre 1777.
117-a S. Grégoire de Nazianze, évèque de Constantinople, écrivit contre l'empereur Julien, à l'occasion de sa mort, arrivée en 363, un ouvrage intitulé : Deux Invectives contre Julien.
117-b Voyez ci-dessus, p. 75.
119-a M. Formey, secrétaire perpétuel de l'Académie de Berlin. Voyez la lettre de Frédéric à d'Alembert, du 27 avril 1773.
123-a Voyez t. VII, p. 128; t. IX, p. 104, 180 et 181; et t. X, p. 65 et 210.
124-a Voyez t. XII, p. 128.
125-a Voyez, dans les Métamorphoses d'Ovide, livre XIV, v. 101 et suivants, la descente d'Enée aux enfers.
125-b On trouve l'exposition de cette doctrine dans Cicéron, Pro A. Cluentio Avito oratio. cap. 61, 171. Salluste, De bello Catilinario, cap. 51, fait parler César de la même manière en plein sénat. Voyez, t. X, p. 58, 232 et 233; et t. XII, p. 115 et 197.
125-c Voyez la fin de la poésie adressée par l'abbé de Chaulieu au marquis de la Fare, et commençant par le vers : « Plus j'approche du terme, etc. » Voyez aussi t. XII, p. 217, 218, 240 et 241.
126-a Voyez ci-dessus, p. 18.
13-a 12 juillet 1765.
130-a Wilhelmine de Knesebeck, fille de Jean-Christophe de Knesebeck, qui, à sa mort, arrivée le 22 février 1789, était lieutenant-colonel dans le régiment des grenadiers, en garnison à Potsdam. Fort jeune encore, elle fut nommée dame d'honneur de la reine Sophie-Dorothée. Ses fonctions l'appelèrent deux fois en Suède : elle y accompagna la princesse Ulrique en 1744, et y fit plus tard un second voyage. Mademoiselle de Knesebeck mourut à Berlin le 12 juin 1802, âgée de près de soixante-dix-huit ans et très-estimée de la famille royale pour ses talents et ses vertus. On trouve une lettre de cette dame au marquis de Valori, en date du 10 juin 1750, dans les Mémoires de Valori, t. II, p. 315-317. Voyez plus haut, p. 22; et Lettres familières et autres de M. le baron de Bielfeld. A la Haye, 1763, t. II, p. 162.
135-a L'abbé d'Olivet, dans la nouvelle édition de son Traité de la prosodie française, 1766, avait critiqué le Roi sur le mot crêpe, dont ce dernier avait retranché le final dans une pièce imprimée parmi les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Voyez t. XI, p. 172. Voyez aussi la lettre de Voltaire à Frédéric, du 5 janvier 1767, et la lettre de Voltaire à l'abbé d'Olivet, de la même date.
135-b Ces vers sont une réminiscence de l'Art poétique de Boileau, ch. I, v. 98-100, où le poëte se moque des hyperboles que Brébeuf a accumulées dans sa traduction de la Pharsale de Lucain, I. VII. - Le Pont - neuf a été longtemps occupé par les vendeurs de mithridate et les joueurs de marionnettes. Voyez t. XII, p. 253.
136-a Voyez, t. X, p. 168.
137-a Livre VI, vers 136 et suivants.
139-a Cette Épître fut composée à Neisse, comme le comte de Hoditz, qui y était venu faire sa cour au Roi, se préparait à retourner à Rosswalde. Frédéric la lui adressa vraisemblablement le 23 août 1774, avec la lettre où il lui donnait la permission de partir. Voyez la correspondance de Frédéric avec le comte Hoditz, inédite jusqu'ici, et qui sera publiée dans un des volumes suivants. Voyez aussi la lettre de Frédéric à Voltaire, du 13 ou du 19 septembre 1774.
142-a Voyez t. VIII, p. 156 et 304; et t. IX, p. 205.
15-a L'abbé Bastiani, né à Venise, et vivant ordinairement à Breslau, était du nombre des personnes dont le Roi recherchait la société dans ses heures de loisir. Voyez t. I, p. xv, et t. IX, p. IX, no XI.
151-a Voyez t. XII, p. 1-8, et le fac-simile à la fin de ce volume.
155-+ Texte primitif :
De nos fameux revers l'âme mortifiée.
De nos calamités l'âme encore effrayée.
155-++ Texte primitif :
Subjugue le destin.
158-a Voyez t. XII, p. 1-8.
166-a Yoyez t. XII, p. 14 et 15.
168-a Voyez t. XII, p. 33-39.
17-a Il s'agit ici de la princesse Elisabeth de Brunswic (t. VI, p. 17 et 25), qui naquit le 8 novembre 1746, et mourut à Stettin le 18 février 1840.
173-5 Thésée descendit aux enfers avec Pirithoüs, et ne put point l'en ramener.
174-a Voyez t. XII, p. 56-63. Voltaire, parlant à Frédéric de cette poésie dans une de ses lettres, la désigne par les mots Votre épître d'Erfurt; et dans les Œuvres complètes de Voltaire, édition de Kehl, t. LXV, p. 249, les éditeurs ont ajouté en note sous le texte de cette lettre : Le testament du Roi, avant la bataille de Rossbach.
176-+ Var. Ma muse ne sait point flatter.
177-+ Le vers
Je vois briller l'éclair au sein de la tempête
La mer mugit, l'éclair brille dans la tempête.
177-++ Le texte primitif porte :
De tant de malheurs attendrie,
De ses douleurs trop attendrie.
178-+ Var.
Rome, tes citoyens, en tes siècles sublimes.
Étaient-ils donc plus magnanimes
Qu'aujourd'hui les plus grands rois?
Non, il s'en trouve encor qui, jaloux de ses droits,
Qui, voulant vivre et mourir libre,
De lâches préjugés osant braver les lois,
Imite les vertus du Tibre.
178-a Voyez t. XII, p. 245.
18-a Voyez t. XI, p. 12.
18-b On trouvera plus loin une autre Épître au baron de Pöllnitz sur le même sujet, envoyée à Voltaire le 4 avril 1773, avec la nouvelle positive du rétablissement du vieux baron. La traduction allemande des Œuvres posthumes (Nouvelle édition. A Berlin, 1789) contient aussi, t. VII, p. 56-39, et p. 77-82, ces deux Épîtres au baron de Pöllnitz.
180-+ Entre ce vers et le suivant il s'en trouve deux dans le manuscrit :
D'Argens, dans tes sages penchants
Mon amitié te justifie.
182-a Voyez t. XII, p. 56-63.
182-b Ce fragment est extrait de la Fie privée du roi de Prusse, ou Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même. A Amsterdam, chez les héritiers de M.-M. Rey, MDCCLXXXIV, in-12, p. 102-106.
186-a Le Roi veut dire Gottsched. Voyez t. XII, p. 93, et ci-dessus, l'Avertissement de l'Éditeur.
188-a Voyez t. XII, p. 101-107.
193-a Voyez ci-dessus, p. 34.
193-b Voyez l'Épître au maréchal Keith (t. X, p. 235), et le premier paragraphe du Testament (t. VI, p. 243), où Frédéric dit : « Je rends de bon gré mon corps aux éléments; » Voltaire dit de même, dans le second chapitre de son Micromégas, 1752 : « Quand il faut rendre son corps aux éléments, » etc.
195-a Voyez t. XII, p. 127-131.
198-a Exode 23, 20-33. Voyez t. XII, p. 129.
200-a Nom d'une terre que Voltaire possédait près du lac de Genève, et où il alla demeurer au mois de mars 1755.
201-a Voyez t. XII, p. 147-150.
205-a Voyez t. XII, p. 170-173.
209-a Voyez t. XII, p. 185-191.
209-b Voyez t. V, p. 139.
216-a Voyez t. XII, p. 198-207.
22-a Mesdemoiselles de Podewils et de Zerbst.
22-b Madame de Maupertuis, née de Borcke. Voyez t. XI, p. 56.
22-c Mademoiselle de Knesebeck. Voyez plus bas l'Épître adressée à cette dame en mars 1773.
221-a Voyez ci-dessus, p. 47.
24-a Récité à Berlin, le 26 octobre 1769, pour célébrer la présence de l'électrice douairière Antonie de Saxe.
27-a Michel Baron, comédien français, élevé et formé par Molière, mourut en 1729, âgé de soixante-dix-huit ans. Il conserva jusqu'à sa mort la faveur du public.
28-a Pierre Boue, Wurmb et van Zanen, négociants hambourgeois et hollandais que le Roi employa en 1765 pour organiser la banque de Berlin.
33-a Voyez la pièce précédente, qui est probablement, comme celle-ci, du 3 avril 1770, et les lettres de Frédéric à d'Alembert, de la même date et du 17 mai suivant. Voyez aussi sa lettre à Fouqué, du 6 mai 1770.
34-a Le Roi veut sans doute parler de son premier médecin ordinaire, le conseiller intime Chrétien - André Cothenius, élève de Frédéric Hoffmann, né à Anclam le 14 février 1708, mort à Berlin le 5 janvier 1789.
38-a Voyez t. XII, p. 38.
41-1 De Baireuth. [Voyez t. XII, p. 101-107, 207 et 214.]
42-a Voyez t. X, p. v, Avertissement de l'Éditeur.
43-a Frédéric, voulant remercier Voltaire de son Épître au roi de la Chine, sur son recueil de vers qu'il a fait imprimer, lui envoya, le 4 décembre 1770, cette réponse, faite au nom de l'empereur de la Chine. Les vers de l'Épître de Voltaire qui font allusion à Frédéric commencent par celui - ci : Frédéric a plus d'art, et connaît mieux son monde, etc.
43-b Éloge de la ville de Moukden et de ses environs, poëme composé par Kien-Long, empereur de la Chine. Traduit en français par le P. Amiot, missionnaire à Pékin, et publié par M. Deguignes. A Paris, 1770.
44-a « Il faut avouer qu'il a l'air bien persan. » Montesquieu, Lettres persanes, lettre XXX, Rica à Ibben.
45-a Voyez t. VI, p. 30.
46-a Le sculpteur Pigalle avait été chargé d'exécuter cette statue, que les gens de lettres érigeaient à Voltaire. Voyez la lettre de Frédéric à d'Alembert, du 28 juillet 1770.
47-a Le 24 juin 1754. Voyez t. X, p. 101.
47-b Voyez t. XII, p. 168.
47-c Voyez t. VIII, p. 55; t. X, p. 235, et t. XI, p. 57.
48-2 Ministre des Médicis à Florence, grand prieur de Pise.
48-a Voyez t. X, p. 180 et 246.
48-b Voyez t. IX, p. 54 et 55; t. X, p. 163; et t. XII, p. 211.
49-a Dans ce Codicille, Frédéric se moque de plusieurs rois, sans s'excepter lui-même. On y reconnaît facilement Louis XV; Joseph-Emmanuel de Portugal, avec le ministre Pombal; Don Carlos III d'Espagne, avec son ministre le comte d'Aranda; Ferdinand IV de Naples, le troisième fils de Don Carlos : Charles-Emmanuel de Sardaigne; Christian VII de Danemark, faisant en 1768 un voyage en Allemagne, dans les Pays-Bas, en Angleterre et en France; Adolphe-Frédéric de Suède; Frédéric II, roi de Prusse, « roi de nouvelle date; » enfin, Stanislas Poniatowski de Pologne.
Quant à la composition de cette poésie, on doit en fixer la date entre le voyage du roi de Danemark et la mort du roi de Suède, c'est-à-dire, à peu près à l'année 1770.
50-a Voyez t. II, p. 36.
50-b Voyez t. IX, p. 36.
51-a Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.
L'Art poétique
, chant I, vers 63.56-3 Libraire de Berlin.
59-a Voyez t. X, p. 11.
61-a Voyez t. V, p. 228-230.
65-a Voyez t. IV, p. 38, et t. X, p. 123.
66-a Cette Épître et la suivante, sur le même sujet, se trouvent aussi dans la traduction allemande des Œuvres posthumes. Nouvelle édition. A Berlin, 1789, t. VII, p. 46-50, et p. 50-56. Elles y sont datées de 1764.
68-a Le marquis d'Argens publia une édition d'Ocellus en 1762 et une de Timée en 1763. Voyez la correspondance de Frédéric avec le marquis d'Argens.
70-a La marquise d'Argens. Voyez t. XII, p. 99.
75-a Défense du paganisme par l'empereur Julien, en grec et en français, avec des dissertations et des notes, par le marquis d'Argens. A Berlin, chez Voss, 1764.
78-a Éguilles, nom de la terre du marquis d'Argens, en Provence. Voyez t. XII, p. 98.
80-a Au commencement de septembre 1770, Frédéric se rendit à Neustadt en Moravie, pour faire visite à l'Empereur (voyez t. VI, p. 31). Il logea au château de Rosswalde en allant et en revenant, et en invita le maître, le comte Hoditz, à venir le voir à Potsdam. Ce fut à cette occasion qu'il lui dédia la présente Épître, le 26 mars 1771.
81-a Dans le manuscrit original, ce vers est accompagné de la note suivante : « L'empereur Charles VI, dont le comte était chambellan. » Ce manuscrit de neuf pages in-4, de la main d'un secrétaire, avec des corrections de celle du Roi, se trouve aux archives du Cabinet, et porte la date « Potsdam, le 26 de mars 1771. »
82-a Symmaque (Quintus Aurelius Avianus Symmachus), préfet de Rome en 384, est connu dans l'histoire par ses efforts pour soutenir le paganisme.
86-a La reine de Suède, veuve du roi Adolphe-Frédéric depuis le 12 février 1771, arriva à Berlin le 3 décembre de la même année. Voyez t. IX, p. x, 206 et 207, et t. X, p. 167.
87-4 L'auteur du Système de la nature, qui conseille le régicide; l'auteur des Préjugés, qui adopte les mêmes maximes. Ils appellent les cours les foyers de la corruption publique.
88-a La Fontaine commence son poëme de Philémon et Baucis par ce vers :
Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.
91-a Voyez t. X, p. 58, et t. XII, p. 215.
92-a Agrippine dit dans le
Britannicus
de Racine, acte I, scène 2 :Moi, fille, femme, sœur et mère de vos maîtres.
92-b Le comte Arvid Horn fut le principal promoteur de la constitution de 1720, qui limitait la puissance royale. Voyez t. VI, p. 26.
94-a Le Roi veut parler de la diète convoquée à Norrköping en 1769.
96-a Voyez t. VI, p. 80. Frédéric écrit à d'Alembert, dans sa lettre du 24 mars 1765 : « Je vous dirai, comme Fontenelle, qu'il faut des hochets pour tout âge. » Il dit aussi dans une lettre à Voltaire, du 5 décembre 1775, et dans celle à d'Alembert, du 17 septembre 1772 : « Ce sont là les hochets de ma vieillesse. » Voyez encore ci-dessus, p. 11.
98-a Tous les cuisiniers du Roi étaient sous la direction de deux maîtres d'hôtel, cuisiniers eux-mêmes. L'un, nommé Joyard (t. X, p. 114), était de Lyon; l'autre, Noël, de Périgueux. Ce dernier était encore en fonctions à la mort du Roi. Voyez l'ouvrage du chevalier de Zimmermann : Ueber Friedrich den Grossen und meine Unterredungen mit ihm kurz vor seinem Tode. Leipzig, 1788, p. 113.