<281>Choiseul.

Monsieur le philosophe, sachez qu'il ne faut pas avoir la conscience étroite quand on gouverne le monde.

Socrate.

Va, pour rendre des milliers de citoyens malheureux, il faut avoir la férocité d'un tigre et un cœur de roche.

Choiseul.

Avec de telles dispositions, vous pouviez briller au Céramique; mais vous n'auriez jamais été qu'un pauvre ministre.

Struensée.

Sans doute; un vaste génie se signale par des entreprises hardies, il veut du nouveau, il exécute des choses dont il n'y a point d'exemple, il laisse les petits scrupules aux vieilles femmes, et marche droit à son but, sans s'embarrasser des moyens qui l'y conduisent. Tout le monde n'est pas fait pour sentir notre mérite, les philosophes moins que les autres; et cependant nous sommes pour l'ordinaire les victimes des intrigues de cour.

Choiseul.

Voilà précisément comme j'ai succombé. Le mérite, à notre cour, ne tient pas contre les caprices d'une catin; encore était-elle soufflée par un cuistre à rabat; car que pouvait-elle d'elle-même, que ranimer le feu presque éteint d'un prince en tout temps esclave du sexe?

Struensée.

Si vous aviez employé l'opium pour engourdir votre monarque, les intrigues auraient été vaines; vous seriez encore ministre ou plutôt roi, car celui qui a le pouvoir et qui agit est effectivement le maître, et celui qui le laisse faire est tout au plus l'esclave de l'autre.