<40>J'ai cru qu'il suffisait d'admirer tes succès,
Que tes vers d'Apollon valaient bien les accès,
Et qu'animé du feu que ton esprit m'inspire,
J'osais même affronter les traits de la satire.
J'ai cru que d'exprimer de nobles sentiments
N'était point en effet mal employer son temps;
Et de l'antiquité l'illustre témoignage
Transmet le goût des vers avec soi d'âge en âge.
Des peuples policés cet art fut révéré :
De vingt siècles entiers Homère est admiré;
Lucain, qui de César a chanté la victoire,
Triomphe à ses côtés, et partage sa gloire;
Au sortir des combats, les peuples d'Israël
Par des hymnes sacrés célébraient l'Éternel;
Et des prêtres païens les oracles antiques
N'expliquaient l'avenir qu'en termes poétiques;
Et les vers, estimés, honorés en tous lieux,
Étaient pour les savants, les sages et les dieux.
Tel est de cet appât la trop flatteuse amorce,
Il a sur ma raison une invincible force;
Entraîné malgré moi, son ascendant fatal
Me fait souffrir le poids d'un pouvoir sans égal.
Heureux si je savais habiller ma pensée
Et travestir la prose en strophe cadencée!
Heureux si je pouvais, par de nouveaux efforts,
D'un doux luth à ma voix allier les accords,
Et si, poussant ma voix, en élevant ma tête,
Je puis de l'épopée entonner la trompette!
Si j'avais ton pinceau, si j'avais tes couleurs,
Mes portraits peu finis seraient ornés de fleurs;
De diverses beautés j'égaierais mes peintures,