IV. VERS SUR L'EXISTENCE DE DIEU, COMPOSÉS PAR FRÉDÉRIC QUELQUES ANNÉES AVANT SA MORT.
UNDE, UBI, QUO?20-a
Unde, ubi, quo? D'où viens-je? où suis-je? où vais-je?
Je n'en sais rien. Montaigne dit : Que sais-je?20-b
Et sur ce point tout docteur consulté
En peut bien dire autant sans vanité.
Mais, après tout, de quel endroit le saurai-je,
Moi, qui, d'hier dans l'univers jeté,
Ne suis rien moins qu'un être nécessaire?
Cet être existe, a toujours existé;
Il en faut un, soit esprit, soit matière,
Et ce point-là par nul n'est contesté.
Or, moi, chétif, et être très-limité,
Que tout étonne et convainc d'ignorance,
<21>Malgré cela je sens, je veux, je pense,
Je me propose un but en agissant.
Voudriez-vous que l'Être tout-puissant,
Auteur de tout et de mon existence,
N'eût aucun but, aucune volonté?
Tandis qu'il m'a donné l'intelligence,
Qu'il n'en eût point, lui, qui m'en a doté?21-a
Mais, dites-vous, et la peste, et la guerre,
Les maux divers, physiques et moraux,
La faim, la soif, et la goutte, et la pierre,
Du genre humain sont souvent les bourreaux;
Les ouragans, la grêle, le tonnerre,
Mille poisons, les affreux tremblements,
Les tourbillons, les typhons, les volcans,
Tous ces fléaux qui désolent la terre,
Sont-ce les dons d'un père à ses enfants?
Loin d'accuser la divine sagesse,
De ton esprit reconnais la faiblesse,
Homme superbe, atome révolté.
Le Tout-puissant posa cette barrière,
Pour contenir ta curiosité;
Peut-être il veut par cette obscurité
Humilier cette raison, trop fière
D'avoir suivi quelque trait de lumière
Qui lui montra parfois la vérité.
Mais il manquait à ta félicité
Qu'il dévoilât à ta faible paupière
De l'univers la théorie entière;
Et pour te faire approuver ses décrets,
Dieu t'aurait dû révéler ses secrets.
<22>D'où vient le mal? Eh! plus je l'examine,
Et moins je vois quelle est son origine.
Que s'ensuit-il, sinon que mon esprit
Est, dans sa sphère, étroit et circonscrit?
Mais supposer qu'une aveugle matière
De tout effet est la cause première
A ma raison répugne et contredit;
Ici l'absurde, et là l'inexplicable.
Par deux écueils je me vois arrêté,
Il faut opter : l'absurde est incroyable;
Je m'en tiens donc à la difficulté,
En vous laissant, à vous, l'absurdité.22-a
20-a Voyez t. XII, p. 110.
20-b Essais, livre II, chap. 12. Frédéric prit dès 1738 ces mots pour devise. Voyez la lettre de Voltaire à Frédéric, du 20 mai 1738.
21-a Voyez t. VII, p. 128.
22-a Voyez t. VII, p. 128; t. IX, p. 104, 180 et 181; et t. X, p. 65 et 210.