<116>

XXIV. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.



Monsieur,

Votre Altesse Royale me permettra, dans un jour aussi intéressant que celui-ci, de joindre mes vœux et mes acclamations à ceux de tous ses fidèles serviteurs. Que ne devons-nous pas attendre, monseigneur, d'une postérité à laquelle vous donnerez le jour, et que ne devons-nous pas espérer des descendants d'un prince et d'une princesse aussi accomplis que le sont Vos Altesses Royales? Nous autres poëtes, nous sommes depuis longtemps en possession de chanter l'amour des dieux, nous nous croyons en droit de célébrer les passions des héros. Recevez, monseigneur, avec bonté le faible hommage d'une muse qui a dévoué ses veilles à Votre Altesse Royale, et daignez permettre que j'ajoute aux vers du poëte les assurances du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,



Monsieur,

de Votre Altesse Royale
...
poëte de la cour.

(25 juin 1752.)

<117>

ÉPITHALAME A MONSEIGNEUR LE PRINCE HENRI.

O jour charmant! quelle pompe s'apprête?
Les Jeux, les Ris, le Plaisir enchanteur,
Ont de concert préparé cette fête.
Le front baissé, les yeux pleins de pudeur,
Près de l'autel une jeune victime
Attend sans trouble et d'un cœur magnanime
Le dernier coup du sacrificateur.
Mais à quel dieu se fait ce sacrifice?
Est-ce à l'Hymen? est-ce au dieu de l'amour?
Ils sont rivaux, il vous faut en ce jour
A l'un des deux vouer votre service.
Ce bel enfant à l'œil plein de malice,
Qui sur son dos a chargé son carquois,
Qui plane en l'air de son aile légère,
Fils de Vénus, adoré dans Cythère,
Assujettit l'univers à ses lois.
La jeune Hébé, les Grâces ingénues
Tendent son arc, et préparent les traits
Qui dans les cœurs vont graver ses arrêts.
Dans son carquois sont des flèches aiguës :
L'une affaiblit, accable en peu d'instants,
<118>Change un Caton en héros de roman;
De celle-là la faible égratignure
Porte un poison au fond de la blessure;
La raison fuit, le cœur est embrasé,
Et le dieu rit du mal qu'il a causé.
Ces traits légers dont les divers plumages
Des papillons imitent les couleurs
Font des amants inquiets et volages,
Qui, papillons, volent de fleurs en fleurs.
Là, voyez-vous, sont des flèches dorées,
Pour ses élus par le dieu préparées.
Ce présent rare, en leur portant l'amour,
Du même coup l'allume au cœur des belles;
Le sentiment, le plus tendre retour,
Forment les nœuds de ces amants fidèles;
Par le plaisir leurs beaux jours sont comptés,
Leur désir croît au sein des voluptés :
Heureux mortels, qui, dans la jouissance,
Ignorent tout, hors leur félicité!
Voilà l'Amour. Quant à monsieur son frère,
Il n'a l'honneur que d'être le cadet.
Ne pensez pas qu'il ait cet air follet,
Ce beau minois qu'a le dieu de Cythère;
Hymen est gros, pesant, fâcheux, sévère.
Amour, un jour, lui prêtant son flambeau,
Adroitement lui vola son bandeau;
Depuis, l'Hymen vit clair, se lassa vite;
L'illusion perdit tout son mérite.
Plein de chagrin, sombre dans ses dégoûts,
Pour s'en venger il créa les jaloux,
Leur enjoignant d'attacher dans la suite
<119>A leurs guichets serrures et verrous.
Sa triste torche est bientôt consumée;
C'est peu de feu, mais beaucoup de fumée;
Rien de réel dans un si vain apprêt.
Mais pour avoir cour pareille à son frère,
Hymen emploie un certain émissaire
Que le vulgaire appelle l'intérêt,
Que tout mari, tout cocu débonnaire
Avec respect vous nomme la raison.
C'est, de nos jours, sous cet illustre nom
Que dans le monde il fait son ministère :
Il rajeunit une vieille guenon,
D'un monstre fée, égal à Carabosse,
Par son grand art il aplanit la bosse,
D'une grisette il fait une Junon,
De Messaline un pudique tendron;
Il prend ainsi dans son piége bizarre
L'ambitieux, le prodigue, l'avare,
Le jouvenceau digne d'autres plaisirs,
Et le vieillard qui n'a que des désirs.
De plus, Hymen a certain personnage
Plus séduisant, plus adroit, plus trompeur,
Qui, pour grossir la cour de son seigneur,
S'en va criant : Jeunesse, qu'on s'engage!
Chez notre dieu se cueille cette fleur
Qu'Amour flétrit de son souffle volage,
Que peu d'humains reçoivent en partage;
Ce don des dons vous vient de la pudeur,
Qui va former les nœuds du mariage.
Mais ces liens, par ce fourbe noués,
Et des deux parts rarement avoués,
<120>Furent forgés sous le sinistre auspice
D'un vieux cyclope, aux gouffres de l'Etna.
Certain démon tout pétri de malice,
Pour nous punir, à l'Hymen les donna,
Et celui-ci sans compliment enchaîne
Ces insensés qu'un fourbe conducteur
Dans son palais tous les matins emmène,
Qui, bientôt las d'une éternelle gêne,
Pleins de dépit, brisent avec fureur
Ces fers cruels qui causent leur malheur.
Tels sont les dieux que l'univers adore,
Leurs lois, leur culte et leur religion.
Décidez-vous, il en est temps encore;
Entre ces dieux il faut de l'option.
Si vous offrez ce nouveau sacrifice
Au dieu charmant qu'on adore à Paphos,
Cyprine alors, en se montrant propice,
De tous ses dons comblera son héros.
Entre les bras de la délicatesse
Vous trouverez un plaisir renaissant;
Et, conservant les désirs d'un amant,
Votre moitié sera votre maîtresse.