XXVII. RÉPONSE AU SIEUR VOLTAIRE.
Croyez que si j'étais Voltaire,
Particulier aujourd'hui,
Me contentant du nécessaire,
Je verrais envoler la fortune légère,
Et m'en moquerais comme lui.
Je connais l'abus des richesses,
Je connais l'ennui des grandeurs,
Le fardeau des devoirs, le jargon des flatteurs,
Et tout l'amas des petitesses,
Et leurs genres, et leurs espèces,
Dont il faut s'occuper dans le sein des honneurs.
Je méprise la vaine gloire,
Quoique poëte et souverain.
Quand du ciseau fatal retranchant mon destin,
Atropos m'aura vu plongé dans la nuit noire,
Qu'importe l'honneur incertain
De vivre, après ma mort, au temple de Mémoire?
Un instant de bonheur vaut mille ans dans l'histoire.
<134>Nos destins sont-ils donc si beaux?
Le doux plaisir et la mollesse,
La vive et naïve allégresse,
Ont toujours fui des grands la pompe et les faisceaux.
Nés pour la liberté, leur troupe enchanteresse
Préfère l'aimable paresse
Aux austères devoirs, guides de nos travaux.
Ainsi la fortune volage
N'a jamais causé mes ennuis;
Ou qu'elle m'agace, ou m'outrage,
J'endormirai toutes les nuits,
En lui refusant mon hommage.
Mais notre état nous fait la loi;
Il nous oblige, il nous engage
A mesurer notre courage
Sur ce qu'exige notre emploi.
Voltaire, dans son ermitage,
Dans un pays dont l'héritage
Est son antique bonne foi,
Peut s'adonner en paix à la vertu du sage,
Dont Platon nous marqua la loi.
Pour moi, menacé du naufrage,
Je dois, en affrontant l'orage,
Penser, vivre et mourir en roi.134-a
(9 octobre 1757.)
Federic.
134-a Voyez t. XII, p. 60, 195, 206 et 245.