XXI. LETTRE D'UN OFFICIER AUTRICHIEN A UN DE SES AMIS, EN SUISSE.
Monsieur,
Vous me demandez des nouvelles de ce qui se passe chez nous, en faisant des vœux pour la paix. Je crois vous satisfaire en vous apprenant que, dans le fort de nos opérations militaires, et que, tandis que tous nos alliés agissent vigoureusement contre le roi de Prusse, il y a des négociations qui vont leur train, et qui, à ce que des personnes instruites assurent, sont assez avancées. Il paraît que nos maîtres commencent à se lasser des meurtres, des brigandages et des cruautés que la guerre entraîne après soi. A tâter le pouls de l'Europe, il est certain que l'accès de frénésie diminue; peut-être faudra-t-il encore une saignée pour que la raison reprenne entièrement le dessus. Voici les préliminaires, dit-on, sur lesquels on négocie; j'étais à dîner, passé quelques jours, chez le général Spada, où cela me fut assuré par lui-même. Je vous les envoie tels que je les ai reçus.
<176>ARTICLES PRÉLIMINAIRES DE LA PAIX GÉNÉRALE ENTRE LES HAUTS ALLIÉS ET LEURS MAJESTÉS PRUSSIENNE ET BRITANNIQUE.
Art. I.
Il y aura une paix éternelle entre les hautes puissances contractantes; l'on se jurera avec une fausseté infâme une amitié réciproque, et l'on travaillera constamment à se nuire, jusqu'à ce que l'envie, la jalousie et l'ambition trouvent des moyens d'éclater de nouveau.
Art. II.
Les hautes puissances contractantes s'engagent mutuellement de faire pendre les ministres auteurs de la présente guerre, à savoir ...176-a
Art. III.
Il sera permis à chacune des hautes puissances contractantes, sans qu'aucune y puisse trouver à redire, de rire hautement chez soi des sottises, balourdises, traits de buse et autres choses plaisantes qui arrivent chez ses voisins.
Art. IV.
Les hautes puissances interdiront à leurs scribes de ne point employer en temps de paix le langage des halles contre des souverains.
Art. V.
Tous les canons complices des meurtres énormes de la présente guerre seront soigneusement enfermés dans les arsenaux respectifs.
Art. VI.
Comme depuis six mille ans, à force de réflexions, l'on commence à s'apercevoir que la hauteur, l'orgueil et l'impertinence des cours a <177>souvent donné lieu à des guerres sanglantes, les hautes puissances s'engagent à quitter réciproquement le style fier et la morgue de la vanité, comme peu séante à tous souverains et dangereuse au repos et à la tranquillité commune.
Art. VII.
Toutes les hautes puissances contractantes renoncent aux projets imaginaires, et tout le monde sera sensé.
Cet article est celui sur lequel on dispute le plus. Si l'on parvient à le régler à l'amiable, nous pourrons nous flatter de jouir d'une bonne paix.
Art. VIII.
Dès que l'on sera convenu de ces articles, (il y aura un armistice de)177-a l'on fera publier l'armistice dans toutes les armées.
Voilà, monsieur, tout ce que j'ai pu recueillir par mes recherches. Veuille le ciel mettre fin à tant de calamités et nous donner une paix non plâtrée, mais durable. L'on assure que le congrès se tiendra à Nuremberg, et qu'il sera défendu aux ambassadeurs de mener avec eux des concubines, parce que l'on croit l'esprit féminin (des femmes) peu conciliant. Voilà donc un congrès où il régnera plus d'austérité qu'il n'y en a eu dans bien des conciles; vous vous rappellerez que, dans celui de Bâle (il) et dans celui de Constance, les cardinaux et les évêques avaient un si grand nombre d'amies (avec eux), qu'on trouvait à peine place pour loger (leur) ce sérail ecclésiastique.
J'ai l'honneur d'être, etc.
176-a Le manuscrit porte en marge la note suivante : « Ce passage se trouvait écrit en si mauvaise encre, que je n'ai pu le déchiffrer. »
177-a Les mots placés entre parenthèses dans cet article VIII et dans l'alinéa suivant se trouvent dans le manuscrit du Roi comme nous les imprimons.