<302>

24. A M. DE SUHM.

Ruppin, 15 août 1736.



Mon cher Suhm,

Quand je reçois vos lettres, elles sont toujours accompagnées de pièces de votre traduction, de façon qu'il ne me reste qu'à vous remercier sans cesse des peines que vous vous donnez pour moi; et c'est ce que je fais avec le plus grand plaisir du monde, me sentant charmé par la lecture des ouvrages de notre philosophe.

Me voilà de retour depuis huit jours d'un rude et désagréable voyage, qui, grâce à Dieu, s'est mieux terminé qu'on ne l'aurait espéré dans les commencements.

Vous serez sans doute surpris, peut-être étonné, mon cher Diaphane, de ce que je ne vous plains pas de voir un homme comme vous réduit à chercher un établissement. Ce sont les yeux de votre cour que je plains, qui sont fascinés au point de ne pouvoir distinguer des sujets utiles et dignes d'être employés, de ceux qui ne jouissent des priviléges de la fortune que par l'aveugle caprice de la faveur. Comment est-il bien possible, soit dit sans vous flatter, qu'une personne d'autant de mérite, d'esprit et de savoir que vous, soit négligée, et même oubliée? Et quelle idée se peut-on faire d'une cour où des Suhm ne sont pas recherchés? En vous estimant, je fais mon plus grand éloge, car il faut aimer la vertu et le beau pour l'estimer.

Si je vaux, c'est par là que je vaux quelque chose.a

Mais de quoi peut-il vous servir de vous voir appuyé de mon suffrage et de mes vœux impuissants? Ce sont des consolations qui ne mènent à aucune réalité. Il est bien certain que nous ne sommes pas les artisans de notre fortune; si cela était, chaque homme serait heureux. Mais, en revanche, c'est une consolation pour nous que le sort, par une loi immuable, amène sans cesse des changements. Le ciel


a Voyez la Henriade, chant II. v. 109-112.