<361> brûle d'impatience de revoir mon vignoble, mes cerises et mes melons; et là, tranquille et débarrassé de tous les soins inutiles, je ne vivrai que pour moi. Je deviens tous les jours plus avare de mes moments; je m'en rends compte à moi-même, et je n'en perds qu'avec beaucoup de regrets. Tout mon esprit n'est tourné que vers la philosophie; elle me rend des services merveilleux, et j'ai beaucoup de retour pour elle. Je me trouve heureux, me trouvant beaucoup plus tranquille qu'autrefois; mon âme est moins agitée de mouvements tumultueux et véhéments; je supprime les premiers effets de mes passions, et je ne prends mon parti qu'après avoir bien considéré de quoi il s'agit. Que le principe de la contradiction et que la raison suffisante sont de beaux principes! Ils répandent du jour et de la clarté dans notre âme; c'est sur eux que je fonde mes jugements, de même que sur ce qu'il ne faut point négliger de circonstance quand on compare des cas pour appliquer aux uns la conséquence qu'on a tirée des autres. Ce sont là les bras et les jambes de ma raison; sans eux, elle serait estropiée, et je marcherais, comme le gros du vulgaire, avec les béquilles de la superstition et de l'erreur.
Ma foi, la plupart des hommes ne pensent pas; ils ne s'occupent que des objets présents, ne parlent que de ce qu'ils voient, sans penser à ce que c'est que les causes cachées et les premiers principes des choses. Ce midi, j'ai entendu un discours qui ne roulait que sur la différence des soupes et sur la façon la plus avantageuse de guérir de la v.....; hier au soir, ce fut une dissertation de coiffures, de paniers et de modes en général, etc.; et ces gens profondément remplis de bagatelles, toujours talonnés par l'ennui, aiment à vivre et appréhendent la mort!
Je ne m'aperçois pas que, au lieu d'une lettre, je vous adresse une épître; mais si vous saviez avec quelle rapidité le temps me passe quand je pense à vous, ou que je vous écris, vous me trouveriez excusable.