12. AU MÊME.

Berlin, 19 décembre 1736.



Mon cher Camas,

J'ai parlé à l'oracle des recrues, qui m'a répondu dans un langage un peu obscur, mais qui m'a pourtant fait comprendre que vous en pouviez choisir deux de ceux que cet Italien amène. Je vous prie de prendre les deux plus jeunes et les mieux tournés, et qui aient plus de dix pouces. Quant à Kircheisen, il en amènera aussi une pour moi; mais je vous prie de le persuader de m'en laisser une de six pieds un pouce, pour que je la puisse mettre sur l'aile de ma compagnie à la revue prochaine.

J'admire fort l'allégorie ingénieuse de votre génie et de la nouvelle carte géographique; tout ce que je sais de vos antipodes, c'est que Ton vous y estime bien et selon votre mérite; c'est tout dire. Nous y avons vécu tranquillement, en jouissant sagement des plaisirs de ce inonde. Vous avez été le saint secourable de l'endroit où vous avez passé deux mois; il y a bien des personnes qui se louent encore de vous. Je compte de retourner bientôt aux antipodes d'où je suis venu; ce serait troubler mon repos que de souhaiter de vous y voir,<152> la chose ne pouvant se faire. Si vous pensez à nous, vous pouvez vous assurer du réciproque de notre part. Le surnom des Antipodes ne convient pas si mal à ma terre, car les Miroquois152-a sont mes voisins; ils m'ont fait l'honneur de me rendre visite avec toute leur cour. Cela est divertissant au possible.

Le diable, qui ne dort jamais, a mis fin à la chasse des sangliers; il a enrhumé le maître, ce qui a déconcerté tous les desseins des meurtres projetés. J'ai cependant eu commission de tuer près de deux cents de ces misérables sangliers. Je m'en suis acquitté comme une personne peu cruelle; prenant pitié de leurs souffrances, j'ai abrégé leur martyre autant que je l'ai pu. Je vous avoue que je ne me sens aucune inclination pour la chasse; cette passion est justement le contre-pied des miennes.152-b Ma foi, chasse désormais qui voudra, je n'en suis point : nous nous accorderions plus facilement sur ce point que sur la prérogative que l'on doit donner ou à la musique française, ou à l'italienne.

J'ai vu aujourd'hui le vieux Beausobre,152-c qui se porte bien, et qui est gaillard comme un jeune homme. Cet homme a de l'esprit infiniment; c'est dommage que le dérangement de son râtelier lui rende l'articulation des mots difficile; j'aimerais bien sa plume comme amie, mais non comme ennemie, car je le crois redoutable.

Mes compliments à madame votre épouse et à la maison de Dobrzenski; voilà à peu près ce qui m'intéresse à Francfort. Ne doutez pas, mon cher, de l'estime et de l'affection avec laquelle je suis votre très-fidèle ami,

Frederic.


152-a Frédéric désigne par ce mot de son invention la famille du duc Charles-Louis-Frédéric de Mecklenbourg-Mirow.

152-b Voyez t. VIII, p. 119-123, et p. 253-258; et t. XV, p. 108.

152-c Voyez ci-dessus, Avertissement, no VIII, et p. 127-136.